Bistouris, scalpels et lancettes
 

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L’ASPAD a eu la grande chance de pouvoir acquérir un remarquable ensemble de bistouris et d’instruments pliants de trousse opératoire de chirurgie marqués « Lüer ». Ces quatorze instruments sont d’une réalisation et d’une finition très exceptionnelle, destinés très probablement comme pièces de concours pour une exposition internationale et comme pièces de « montre » d’un savoir-faire de coutelier chirurgical. Les dentistes, comme beaucoup de praticiens médicaux, ont toujours utilisé des instruments tranchants ayant même besoin d’instruments très efficaces comme des bistouris et lancettes pour ouvrir des abcès, inciser des gencives malades, dégager des racines récalcitrantes. Témoins en sont les lancettes et bistouris que l’on retrouve souvent dans des coffrets de dentisterie 18ème et 19ème.

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Coffret de dentisterie par Charrière à Paris c. 1850,
avec ses deux lancettes munies de châsses de protection en ivoire.
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Coffret de dentisterie en écaille, du Chevalier Lemaire ca.1825
collection de L’Association de l’Ecole Odontologique de Paris Garancière.
Magnifiques lancettes par Michel à Paris avec châsses en écaille de tortue, garnies de plaques décoratives or.

 

BISTOURI, SCALPEL ET LANCETTE

Consultons un document incontournable : « L’art du coutelier expert en instruments de chirurgie » de JJ. Perret paru en 1772, avec son complément de la même année exposé sur ce site www.biusante.parisdescartes.fr/aspad/expo82.htm. Referons-nous aussi à un remarquable article de Philippe Lépine, du musée d’histoire de la médecine de Lyon intitulé « Bistouris, scalpels et lancettes » paru dans l’excellente revue web « Clystère » (www.clystere.com) N°20 de 2013, dont nous nous permettons de citer de nombreux passages, en italique, bien précis sur le sujet. Avec P.Lépine revoyons les définitions de trois petits instruments tranchants dont les noms sont souvent pris les uns pour les autres.

BISTOURI

Le bistouri est un petit couteau dont se sert le chirurgien pour faire des incisions dans les chairs. Le terme de bistouri pour désigner un couteau chirurgical apparait chez Ambroise Paré au 16ème siècle. Son étymologie un peu floue semble provenir de Pistoia (Pisto ville de Toscane) réputée pour sa fabrication de petits couteaux : les « pistori » déformés par l’intonation italienne en bistori, bistouri. En consultant le livre de Perret on y trouve dans le vocabulaire, à la page 504, « Bistouri : instrument de chirurgie pour faire des opérations, comme pour couper des chairs ». Les bistouris sont donc, à cette époque, des instruments pliants (vraisemblablement pour protéger le tranchant), ils n’ont pas la possibilité de servir à disséquer. C’est seulement au 19éme siècle, que sont apparus les bistouris à lame fixe. Dans le dictionnaire de Médecine de 1833 p 315 :« La lame des bistouris est articulée d’une manière différente sur le manche et parfois elle est immobile, ce sont des bistouris à lame fixe ou dormante. Instruments qu’on devrait plutôt appeler des couteaux ou scalpels et qui ne peuvent entrer dans la trousse que le chirurgien porte habituellement sur lui. »

On ne peut pas être plus clair, jusqu’au 19ème les bistouris étaient pliants. Mais comme il y a toujours des exceptions, nous devons ouvrir de nouveau le livre de Perret page 361, planche 116 dans les instruments pour la cataracte tous ceux qui ont un dos et un tranchant sont appelés bistouris auquel on a ajouté celui de l’auteur. (voir photos plus loin dans cet article). On peut raisonnablement en conclure que le bistouri fixe a généralement été employé depuis le milieu du 19ème.

Cependant le caractère pliant des bistouris et autres instruments tranchants reste toujours utilisé pour un côté pratique de transport, de conservation de la qualité des tranchants, de sécurité et d’organisation de trousse chirurgicale. Tout cela entrainera parfois une confusion des termes scalpel et bistouri qui au 21ème siècle sont souvent employés les uns pour les autres.

SCALPEL

Si nous reprenons le « Nouveau Larousse illustré » nous lisons : « Scalpel vient de scalpellum diminutif du mot latin scalpum (lancette, outil tranchant) dérivé du verbe scalpere (gratter, creuser). Instrument en forme de petit couteau, à manche étroit, à lame fixe, ayant un ou deux tranchants, qui sert pour inciser et disséquer, c’est l’instrument de l’anatomiste, le médecin emploi plutôt le bistouri. Le scalpel a bien une fonction de dissection que n’a pas le bistouri. »

Perret écrit p. 266 : « Le premier instrument dont se servent les élèves en chirurgie, c’est le scalpel, pour disséquer les cadavres ; ils emploient avec celui-ci les errhines, les ciseaux, les pinces et les tubes » puis p267 : « Il y a quatre sortes de scalpels, un à dos, un à lance, un à lancette et un névrotome » La description ne dit rien du manche à extrémité spatulée mais il en est question dans les opérations de fabrication.

LANCETTE

Reprenons le texte bien précis de P.Lépine. Le dictionnaire donne la définition suivante : « Petit instrument de chirurgie ayant la forme d’une petite lance, qui était utilisé pour la saignée, la vaccination et l’incision de petits abcès. » La plus connue est la lancette à saignée composée d’une lame d’acier enserrée dans une châsse permettent de mettre le tranchant à l’abri. C’est un petit instrument qui une fois ouvert, a une longueur d’environ 10 cm. En réalité les lancettes sont toujours des instruments pliants avec deux volets mobiles de la châsse de chaque côté de la lame servants de manche de manipulation.

Perret souligne : « La lancette est de tous les instruments de chirurgie, celui qui exige la pointe et les tranchants les plus délicats et qui demande aussi les plus grandes attentions en le fabricant ». Les exigences envers le fabricant conduisent Perret à consacrer 12 pages à l’explication des opérations successives de fabrication. Si la lancette à saignée est la plus connue, il faut noter qu’il y eu aussi des lancettes à vaccin comportant une extrémité tranchante en forme triangulaire.

Classiquement les lancettes sont dites à grain d’orge, à grain d’avoine, ou à langue de serpent selon la forme de la pointe donnant des effets différents fonction de l’angle d’attaque du praticien : la Saignée toute une science ! Habituellement les châsses de protection étaient en écaille de tortue, plus tardivement nombreuses étaient en corne et quelques-unes en ivoire, ébène, nacre et rarement en métal. Les émouleurs de lancettes, en les affilant, employaient le terme de « écorcher une lancette »

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Deux ensembles de lancettes à saignée, ou à saigner, avec châsses en écaille de tortue ou corne. De nombreux étuis existaient pour conserver ces instruments qui malgré leur protection restaient dangereux lors des manipulations. Les lancéolées étaient destinées pour les vaccinations. Quelques marquages de couteliers sont insculpés : Capron, Charrière, Galante, Lüer. Paris 19ème siècle.

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LE TRANCHANT, TOUT L’ART DU COUTELIER

Sans trop approfondir le sujet, maintes fois abordé par les spécialistes, d’une manière simple une lame tranchante est caractérisée par sa dimension, sa masse, sa forme, comme le soutien de son fil tranchant qui est la partie la plus effilée qui effectuera la coupe. Ce fil pour être très efficace doit présenter macroscopiquement des irrégularités de niveau (visibles à la loupe), ces irrégularités étant bien alignées dans le sens de la lame : action en dents de scie. Un fil de lame bien lisse sans irrégularité sera moins efficace.

C’est à ce moment-là que la qualité du métal va jouer un rôle déterminant. C’est tout l’Art du coutelier, de sa technique, de son savoir-faire, de ses secrets d’élaboration. Les lames sont à l’origine des lames forgées d’un acier avec un pourcentage plus ou moins important en carbone avec modification de la dureté du métal influencée aussi par les actions physiques de la trempe et de la chauffe de la lame. Une bonne lame produira un bon tranchant en fonction de la qualité de son fil qui devra être suffisamment tendre pour être irrégulier macroscopiquement et suffisamment dure pour conserver les irrégularités de son fil. Le métal d’un tranchant devra être suffisamment résistant pour permettre à la fois la conservation d’un fil et pas trop pour pouvoir être redressé, retiré, réguisé.

La forme, la taille, l’épaisseur de la lame va jouer un rôle important pour diriger l’action du fil et son angle d’attaque. C’est le travail, l’art, de l’émouleur qui va tailler cette lame à la lime et à la meule dans le métal. L’émoulage forme le tranchant et contre tranchant, l’amincit, lui donne une forme que le marteau n’a pu lui préparer. L’affilage donne à la lame le fil qui sera ensuite préparé, étiré, dressé et après la réalisation d’un morfil ou contre fil il sera terminé par un dernier affilage à plat à la bande de cuir. Cette gestion métallurgique et la qualité du tranchant, c’est tout l’Art du coutelier. Ce qui fait des couteliers chirurgicaux une spécialité bien à part qui s’adaptèrent toujours aux demandes des professionnels de santé. Certains petits ateliers de coutellerie au 18ème et 19ème s’étaient d’ailleurs spécialisés uniquement pour les rasoirs à barbe, bistouris et lancettes (comme Michel à Paris) détenant un savoir-faire spécifique. Ces pièces de qualité étaient souvent sous-traitées ensuite par les couteliers.

Fréderic CHARRIERE, Georges LÜER, Louis MATHIEU, couteliers chirurgicaux parisiens

Resituons la profession de fabricants d’instruments chirurgicaux au 19ème.Ce n’est pas un hasard si c’est la corporation des artisans couteliers qui vit certains des siens se spécialiser dans la coutellerie chirurgicale. Importance de la maitrise des métaux, de la réalisation d’un bon tranchant.

Rappelons que le jeune apprenti Frédéric Charrière (qui deviendra un des plus grands facteurs instrumentaux de chirurgie), a commencé en 1816 chez un patron nommé Vincent qui était : « Artisan repasseur, aiguiseur ».

Georges Lüer fut apprenti et ouvrier chez Charrière de 1830 à 1837. Il semblerait que ce soit ses qualités de finition des tranchants qui l’ont orienté dans un premier temps vers l’instrumentation d’ophtalmologie lors de son installation et à l’origine de sa renommée.

Louis Mathieu, qui lui aussi montera une importante entreprise de matériel médical, fut formé par Lüer, puis passa chez Charrière. Installé à son compte Il se retrouvera souvent en concurrence avec ce dernier pour des prévalences de brevets, notamment avec différents systèmes de verrouillage des lames coupantes et les articulations instrumentales démontables.

Charrière fut certainement un des plus novateurs. Il comprit la grande importance des qualités métallurgiques de ses instruments. Dès 1837 il se rendit à Sheffield en Angleterre pour s’intéresser à la qualité des métaux britanniques et leurs traitements. Il en ramènera de nombreuses améliorations métallurgiques. Le traitement thermique doit concilier deux impératifs contradictoires : dureté et souplesse de la lame par la trempe (acier brulant refroidit brutalement) et le revenu (chauffe et refroidissement progressifs). Un détail par exemple, Il imposa à ses émouleurs de changer leurs habitudes pour émoudre à l’anglaise, c’est-à-dire à utiliser des meules qui tournaient d’arrière en avant, pour éviter les accidents des émouleurs français qui tournaient dans l’autre sens.

UN ENSEMBLE D’INSTRUMENTS TRANCHANTS PAR LÜER

Il s’agit d’un exceptionnel ensemble de quatorze instruments tranchants et pliants de petite chirurgie tous insculpés Lüer, probablement des années 1860, certainement pièces de « montre » destinées à remporter des concours lors d’expositions internationales comme cela se faisait beaucoup à l’époque.

L’ensemble représente toute la variété d’une instrumentation pliable et tranchante destinée à garnir des trousses chirurgicales. Ces instruments sont montés sur platines métalliques de précision (base de la coutellerie pliable de qualité) équipées d’un axe très ajusté avec une encoche à la base de la lame, une butée ou clou d’arrêt pour talon intercalaire, permettant un verrouillage parfait de la lame par une glissière mobile externe aussi bien en position ouverte active que dans celle repliée où la lame n’a aucun contact avec la platine de protection évitant l’altération du tranchant. C‘est l’articulation à verrou coulissant. Il semblerait que ce système de blocage par glissière fasse partie d’un brevet de 1850 : cocking pin.

Excepté un instrument double, équipé d’une aiguille de Deschamps et d’une aiguille de Cooper, dont la platine est garnie de magnifiques plaquettes en nacre, les autres instruments ont des platines équipées de plaquettes en écaille de tortue rivetées permettant d’assurer une excellente prise en main. (Voir les instruments sur les photos ci-dessous). Ces instruments sont par leurs mécanismes, leur précision, leur finition d’une manipulation remarquable. N’oublions pas l’esthétique des garnitures, les formes instrumentales, le poli des lames.

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Instrument double nacre monté avec une aiguille de Deschamps (Reverdin) et une aiguille de Cooper.
Autre instrument double écaille de tortue monté d’une lame bistouri lentille et d’une aiguille de Cooper. Platines dorées or fin.
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Ensemble de huit bistouris montés sur
platines garnies de plaquettes d‘écaille de tortue rivetées.
De gauche à droite : bistouri droit, bistouri convexe,
bistouri mousse et grand bis- touri à amputation.
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De gauche à droite : tenaculum, bistouri courbe mousse,
bistouri double lentille, bistouri double à serpette pointue
 et serpette adoucie.

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De gauche à droite : bistouri courbe mousse, bistouris mousse droits grand et petit,
bistouri à double tranchant, bistouri scalpel lancéolé.

 

INSTRUMENTS D’OPHTALMOLOGIE PAR LÜER

L’ASPAD possède aussi un coffret d’ophtalmologie des années 1850-1860 garni d’instruments par Lüer, Mathieu et Charrière. Les instruments de coupe, bistouris et mini lancettes à cataracte de Lüer sont remarquables par leur forme, leur montage sur ivoire avec virole or. Manifestement ce sont des instruments utilisés comme des bistouris, donc des bistouris non pliables étant donné leur dimension spécifique pour l’ophtalmologie.

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Coffret d’ophtalmologie par Mathieu, Charrière et Lüer,
à Paris vers 1850. Exceptionnelle instrumentation
bistouris pour cataracte de Lüer en acier, or et ivoire

TROUSSE D’ANATOMIE MICROSCOPIQUE PAR CHARRIERE

L’ASPAD possède aussi une intéressante trousse pour recherches, préparations et dissections d’anatomie microscopique par Charrière de 1867 (marquage Robert et Collin sur paire ciseaux). C’est un ensemble de six scalpels fins montés sur manches en ébène striés d’un remarquable équilibre et d’une excellente prise en main, d’un porte aiguille, d’aiguilles à dissection lancéolées, d’une lame style rasoir montée sur manche pour préparation de coupes microscopiques. Deux paires de ciseaux très fines de précision nous rappellent le rôle important de la cisellerie dans l’instrumentation médicale. En effet celle-ci demande encore d’autres qualités de tranchants, d’angles d’attaque, d’axe de rotation, d’efficacité des anneaux de préhension. Cette dernière trousse représente bien toute une panoplie de la coutellerie de précision du 19ème siècle.

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Beau coffret d’anatomie microscopique à deux niveaux par Charrière à Paris 1867
avec l’ensemble instrumental.

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Ensemble des six petits bistouris et d’un plus grand, manche en ébène
rainuré de grande taille pour une excellente tenue en main.

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Divers compléments instrumentaux dont une paire de ciseaux très fins, un porte aiguille
et une lame rasoir montée pour coupe microscopique.

DOCUMENTATION PHOTOGRAPHIQUE DE L’ASPAD

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