Les fauteuils dentaires de Justus Ask

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Brevet du 4 sept 1860 pour le fauteuil Justus Ask avec son mécanisme d’élévation d’assise et son repose-pied mécanisé.

LES FAUTEUILS DE JUSTUS ASK AUX USA

Nous sommes en 1859, aux USA, en complète mutation de la profession dentaire. C’est aussi l’année des premiers numéros de la revue « Dental Cosmos » éditée par sa société de Samuel Stockton White : « SSWhite ». Cette revue comporte quelques feuillets publicitaires montrant le nouveau fauteuil de Justus Ask, son premier modèle breveté en 1859.

D’une ébénisterie style fauteuil de salon, il est à dossier fixe mais à bascule sur une base à quatre pieds. C’est le premier fauteuil à bascule vraiment dissocié de sa base : un concept très original. Il est fabriqué par James H.Case, à Lyons (New York). Une pédale latérale efficace contrôle la position de blocage désirée pour la bascule par une crémaillère à crans. La têtière à soufflet est à multi positions. La hauteur de l’assise ne semble pas ajustable si ce n’est par l’apport de coussins rehausseurs. Il lui est adjoint un original repose-pied cylindrique amovible.

Fauteuil de Justus Ask n°1 dans le premier numéro du « Dental Cosmos » de 1859.

Le 4 septembre 1860 Justus Ask dépose un nouveau brevet n°29936 pour son fauteuil amélioré : le Justus Ask Archer numéro 2. L’assise est équipée d’un système d’élévation mécanisé à engrenages démultiplicateurs activés par une manivelle postérieure. La têtière, à soufflet crémaillère d’ouverture, est complètement ajustable en hauteur, en antériorité et latéralité. Le repose-pied indépendant mécanisé est activable en hauteur par un levier. La fabrication est alors confiée à R.W.Archer de Rochester (New York).

Fauteuil Justus Ask Archer n°2 avec son repose-pied cylindrique.1860

Fauteuil Justus Ask Archer n°3 avec un marchepied accrochable.1862

En 1861, Archer en récupère l’exclusivité, des détails sont modifiés, un marchepied accrochable au fauteuil est disponible en remplacement du repose-pied cylindrique ajustable. C’est le fauteuil Justus Ask Archer numéro 3. Les deux modèles de ce fauteuil rencontrent un succès considérable soutenu par SSWhite et de nombreux autres revendeurs. En effet ce fauteuil de bonne qualité ergonomique, bien pensé, robuste, esthétique et bien commercialisé bénéficie d’un rapport qualité prix favorable.

Dans le catalogue 1867 de SSWhite on retrouve naturellement ce fauteuil mais déjà en compagnie de deux autres fauteuils de Perkins et Whitcomb, assez proches avec des bases métalliques. Une publicité de ce fauteuil dans le Dental Advertiser de 1874 souligne que quatre mille fauteuils de Justus Ask Archer ont déjà été vendus en une dizaine d’années !

Catalogue SSWhite de 1867 avec le fauteuil SSW n°1 à élévation d’assise et son système sophistiqué à engrenage qui sera repris sur le Justus Ask Archer.

Splendide modèle du fauteuil Justus Ask par SSWhite avec une remarquable ébénisterie et son système d’élévation à crémaillère. Col.musée dentaire de Lyon.

Le Dr Green Vardiman Black dans son cabinet reconstitué de Jacksonville (1875-1891) équipé d’un Justus Ask n°3 USA à accoudoirs col de cygne et son marchepied accroché.

On retrouve en effet ce modèle dans certains catalogues jusque vers 1880-85, où il commence à être détrôné par la déferlante des fauteuils métalliques. Ce fauteuil à succès est naturellement revendu, copié et intégré vers 1870 dans la production d’autres fabricants étrangers comme la Maison Billard à Paris. A cette époque Claudius Ash de Londres ne propose dans son catalogue de 1865 que le fauteuil d’Owen et celui de Vanderpant, à structure bois non basculable mais à dossier renversable. Curieusement le fauteuil de Justus Ask, ou une copie, ne figurera pas dans les nombreux et importants catalogues de Claudius Ash & sons.

Fauteuil de Lawrence Vanderpant figurant dans le catalogue de Claudius Ash de 1865.

LA MAISON BILLARD À PARIS

Autour de 1850-60 c’est l’époque d’un complet bouleversement du monde médical tant au niveau connaissances, techniques, découvertes, comme l’anesthésie en révolutionnant la chirurgie, qu’au niveau matériel et instrumentation. La profession dentaire n’échappe pas à ce dynamisme. Les importantes sociétés étrangères comme Ash & Son et SSWhite n’ont pas encore de succursales, mais des correspondants comme Billard à Paris pour SSWhite de Philadelphie. Il n’est pas possible d’aborder l’historique du fauteuil de Justus Ask sans évoquer le rôle important de Billard dans sa promotion, mais l’histoire de la Maison Billard n’est pas facile à reconstituer et mériterait une recherche plus approfondie.

Tout commence avec Louis Alexandre Billard (1808-1884) qui est médecin dentiste. Vers 1830, devinant un secteur prometteur, il s’intéresse de près aux dents minérales qui conditionnent alors la prothèse dentaire.

  • 1831. Il fait paraitre un article : « Des dents minérales ou considérations générales sur les différentes substances et les différents moyens employés à la confection des pièces dentaires artificielles » Cet article nous indique qu’il est très au courant de l’élaboration de dents en céramique : les dents minérales.
  • 1834. Création de la Maison L.A.Billard « Fabrique de dents minérales ».
  • 1842. Première adresse au 18 rue de l’Ancienne Comédie, à Paris quartier Odéon, Faculté de médecine.
  • 1851. L.A.Billard nouvel article « Des dents minérales ».
  • 1854. Nouvelle adresse au 8 rue Cassette, à Paris quartier Saint Sulpice. Parution de pages publicitaires avec mention « Grande fabrique de dents minérales du Dr Billard et Fils » Première mention du fils. Ne faisaient-ils toujours que des dents minérales ?
  • 1861 . Nouvel article « Du caoutchouc durci appliqué à l’Art dentaire » par Dr.Billard et Fils, « fabricants de dents minérales ».
  • 1870 . Dr. Billard et Fils, 29 rue Coquillère, à Paris quartier des Halles.
  • 1876 . On trouve pour la première fois la mention du fils, seul sans son père : « E.Billard Fils » au 4 Passage Choiseul, à Paris quartier avenue de l’Opéra. Le fils E.Billard est alors correspondant de SSWhite à Paris dont il assure la vente de ses produits en France, probablement depuis quelque temps. Importe-t-il ses fauteuils ou commence-t-il à faire des copies, qu’il sait adapter au goût de sa clientèle en diversifiant l’ébénisterie pour créer différents styles ? Il édite pour la première année une revue : Le Cosmos Dentaire qui est une traduction du Dental Cosmos soutenu par SSWhite depuis 1859. Ces revues renferment des pages publicitaires qui nous montrent, pour 1877, le fauteuil de Porter Chevalier réadapté et un luxueux modèle du fauteuil de Justus Ask tout sculpté, incontestablement deux productions originales de Billard. Ces pièces nous confortent à penser que Billard devait produire des fauteuils déjà depuis quelques années.
  • 1883 . Premier catalogue illustré de 253 figures, par la Maison E.Billard, toujours 4 Passage Choiseul. (Catalogue par ailleurs introuvable pour les historiens).
  • 1884 . Décès du Dr. Louis Alexandre Billard.
  • 1884-1885 . A. Heymen Billard (neveu et successeur) prend la tête de la Maison pour une dizaine d’années très prospères.
  • 1895 . Parution d’un catalogue complet de la Maison A.Heymen Billard, avec toute une importante production originale de la Maison et des produits de reventes prouvant le grand dynamisme de cet établissement. Ce catalogue fait partie d’un programme de modernisation de la Maison comme l’accès au téléphone. C’est aussi l’année de la succession de Mme Veuve Heymen Billard par Mr Louis Lemaire.
  • 1919 . Mr André Lemaire prend la suite de son père pour s’arrêter vers 1963, toujours au 4 Passage Choiseul.

Nous remarquons que L.A.Billard commence par la fabrication de dents minérales en 1834 probablement exclusivement jusqu’en 1842, comme à peu près à la même époque S.W.Stockton débute aussi par la fabrication de dents minérales pour devenir en 1844: SSWhite. Il est intéressant de constater que Claudius Ash, à Londres, crée aussi sa première fabrication de dents minérales en 1837 et qu’en 1840, comme en 1844, il est répertorié « manufacturer of mineral teeth ». Son premier catalogue de 1853 réserve une pleine page pour les dents minérales confirmant l’importance de ce secteur de production. De même John Chevalier, à New York, fournit aussi des dents minérales dés 1850, confirmé par son catalogue de 1855. C’est plus qu’une coïncidence, la fabrication de dents minérales est à la base du commerce des fournitures pour dentistes. (cf. L’aventure des dents minérales : www.biusante.parisdescartes.fr/aspad/expo107.htm).

Pour bien comprendre l’histoire des fauteuils Justus Ask de chez Billard il faut revenir un peu en arrière dans les années 1850-60 lors des remarquables fauteuils produits par Billard inspirés du fauteuil de Porter de Bridgeport de 1837 et repris par John Chevalier, de New York, dans son catalogue de 1855. Une excellente illustration de ce modèle en 1877, avec son diagramme de bascule du dossier, nous montre, comme système d’élévation de son assise, une simple crémaillère entrainée directement par un petit engrenage. Mais cet ensemble de l’assise mobile doit être équipé de guides qui glissent dans des gaines pour l’empêcher de se coincer de travers et de rester bloqué. Ce système ne permet pas un ajustage de l’assise patient déjà en place. On le retrouve au moins sur deux fauteuils de Justus Ask répertoriés et par ailleurs estampillés E.Billard. C’est probablement un essai d’économie, abandonné, par rapport au système d’engrenages démultipliés permettant un réglage patient assis dans le fauteuil.

La Maison Billard est incontestablement en France la plus importante maison de fournitures dentaires. Avec beaucoup de courage et de clairvoyance elle se lance dans des projets et des fabrications pas toujours faciles. La production de différents modèles en copie du fauteuil de Justus Ask est une éclatante réussite. Les collectionneurs européens retrouvent encore quelques fauteuils du type Justus Ask que l’on peut classer en trois catégories : les classiques, les luxueux et les prestigieux. Mis à part quelques rares modèles américains reconnaissables, ils ont probablement été produits presque tous par la Maison Billard.

Tout en admettant que nous n’en connaissons que deux marqués : « E.Billard 4 Passage Choiseul Paris », les autres lui sont attribués grâce à leur mécanisme typique d’élévation de l’assise. Tous ces fauteuils sont difficiles à dater précisément. Avec différents recoupements on peut estimer une fourchette de datation. Pour la Maison Billard retenons de 1870 à 1885, et pour simplifier acceptons : « vers 1875 ». N’oublions pas la dynamique concurrente Maison J.Wirth, 22-24 avenue Philippe Auguste, à Paris qui cependant ne commence son activité qu’en 1887, trop tardivement pour sortir des modèles de Justus Ask.

LES FAUTEUILS JUSTUS ASK DE LA MAISON BILLARD

Feuillets publicitaires parus dans le Cosmos Dentaire de 1877 édité par Billard où sont représentés un fauteuil inspiré de celui de Porter et une remarquable adaptation luxueuse d’un Justus Ask n°3.

Publicité de 1877, par Billard, pour le modèle classique de Justus Ask.

Publicité de 1884 du classique Justus Ask, parue dans le livre d’Austen, Harris et Andrieu.

Fauteuil de Porter de 1837, repris par Chevalier en 1855, qui a inspiré Billard pour toute sa production de fauteuils type Porter Chevalier. Vers 1860.

Fauteuil modèle de Porter Chevalier par Billard, vers 1860. On remarquera son système d’élévation de l’assise par une crémaillère assisté de guides de glissement.

Un classique Justus Ask estampillé E.Billard fils, avec crémaillère guidée tel qu’en sa publicité, vers 1875.

Fauteuil classique Justus Ask du Dr Daudon, en usage jusqu’en 1953, à La Buffière en Vendée. On distingue bien son mécanisme d’élévation de l’assise et le système de blocage de la bascule.

Deux beaux modèles de Justus Ask Billard, dont un avec son repose-pied mécanisé d’origine. Col.Della Vedova.

Fauteuil Justus Ask en complète restauration d’ébénisterie, de mécanique et de tapisserie.

Restauration terminée du modèle style bergère Louis XVI, à l’origine par Billard.

Un Justus Ask de luxe avec sa belle ébénisterie et son mécanisme(malheureusement sans sa têtière). Col. Conseil National de l’Ordre des chirurgiens-dentistes à Paris.

Autre modèle de Luxe par Billard avec ses belles sculptures, mais sans têtière. (Vente enchères novembre 2017, à Compiègne).

Modèle de luxe du Justus Ask réadapté en fauteuil de salon avec suppression des mécanismes et de la têtière. Estampillé E.Billard Fils. (Vente enchères novembre 2017, Compiègne).

Très exceptionnel modèle de prestige du fauteuil de Justus Ask par Billard avec sa remarquable ébénisterie. On notera les pieds à l’arrière rapprochés pour laisser plus de place à l’opérateur. Un des tops des antiquités médicales. Col. Musée des Hospices de Lyon.

CONCLUSION

En cette deuxième partie du 19ème siècle le remarquable succès du fauteuil de Justus Ask est vraiment très exceptionnel. A une époque de renouveau de la profession dentaire, ses concepteurs ont su proposer un fauteuil de salon à ébénisteries variées, esthétique, simple, solide, relativement ergonomique, bien adaptable et économiquement raisonnable. C’est le fauteuil le plus vendu à cette époque. Historiquement, il a certainement participé aux fantastiques progrès de l’Art dentaire du 19ème siècle, sans oublier le rôle majeur qu’ont joué Archer aux USA et Billard en France pour cette promotion.

Plaquette de dents minérales fabriquées par Billard 1870.

Catalogue de la maison A.Heymen Billard et magasin du 4 Passage Choiseul en 1895.

Plaque signalétique de la Maison J.Wirth pour l’Exposition Internationale 1900 de Paris.

DOCUMENTATION PHOTOGRAPHIQUE DE L’ASPAD

Peinture d’un cabinet dentaire vers 1870, avec un praticien exerçant sur un fauteuil de Justus Ask, par A.F.Monfallet (1816-1900).

Praticien et son patient sur un Justus Ask à col de cygne. Cabinet américain vers 1860. Il ne s’agit pas d’une photo humoristique, mais d’une réelle position du genou pour garder une position haute lors d’une extraction.