1890, BEUTELROCK ET
LES DÉBUTS DE L'ENDODONTIE MÉCANISÉE
 

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L'ASPAD a pu récupérer un exceptionnel ensemble d'instrumentation pour traitement canalaire : Il s'agit en réalité de sept petites trousses présentoirs d'instrumentation d'endodontie de la société allemande Beutelrock, de Munich, ayant vraisemblablement appartenu à un représentant de fournitures dentaires.

Ce ne sont pas des trousses destinées à un exercice direct en cabinet avec regroupement d'instruments spécifiques, mais ce sont des panoplies avec des modèles uniques en différentes tailles de chaque type d'instrumentation. Un des intérêts de cette collection est de nous offrir toute une partie d'un panel de la grande variété d'instruments disponibles à cette époque. Divers recoupements nous permettent de dater ces différentes petites trousses présentoirs des années 1890-1900-1910, tout en sachant que certains de ces instruments existaient déjà en 1880 et qu'une grande majorité étaient toujours disponibles après 1920.

LA FIRME BEUTELROCK

Isidor Beutelrock est né le 10 mai 1847 à Simbach sur l'Inn, en Bavière à la frontière autrichienne.

C'est le fils d'un horloger très tôt habitué à manipuler la petite instrumentation. Ayant terminé son apprentissage d'horlogerie il se tourne alors vers la dentisterie et installe un cabinet dentaire et laboratoire à Munich, Kaufingerstrasse. Passionné de mécanique, c'est un des premiers utilisateurs du tour à pied dentaire de Morrison, dès 1872. Il suit activement les progrès de la profession et comprend rapidement qu'il est souhaitable de conserver les dents en tentant de les sauver, en évitant des extractions.

L'instrumentation radiculaire étant alors rudimentaire il se penche sur ce problème et se met à concevoir des instruments à canaux, notamment les fameux forets Beutelrock qu'il fabriquera lui-même en prototype dans son laboratoire avec des tours d'horloger. Ses confrères, comme Adolf Witzel, sont aussi conquis par ces différents prototypes ce qui encourage Beutelrock à se lancer dans une production industrielle d'instruments canalaires avec une petite fabrique au centre de Munich, Schillerstrasse. Pour la qualité spécifique de l'instrumentation canalaire, Il réalise l'importance des propriétés des différents métaux. Il s'adresse alors directement à certains métallurgistes d'Aix-la-Chapelle pour la fourniture d'alliages spéciaux qu'il va lui-même ensuite améliorer par traitements thermiques. Il produit alors une instrumentation avec des qualités de flexibilité et d'élasticité remarquables qui font rapidement la réputation de sa firme.

Dans les années 1900, Beutelrock élargit sa gamme de production et conçoit des améliorations notamment en collaboration avec le célèbre professeur Walkhoff de l'Université Munich : Ce sont vraiment les débuts de l'endodontie moderne. C'est alors une période de grands progrès scientifiques et d'autres fabricants vont aussi participer au développement de l'instrumentation endodontique plus ou moins mécanisée.

A sa mort, le 22 mai 1914, c'est la reconnaissance de toute une profession. Son fils adoptif prend alors sa succession pour de nombreuses années de prospérité.

J. Beutelrock
(1847-1914)

HORLOGERIE ET INSTRUMENTATION ENDODONTIQUE

La fabrication d'instrumentation d'endodontie exige la connaissance des qualités métallurgiques des alliages et une maitrise des techniques d'usinage spécifique à une production de précision : Utilisation de tours, décolletage, laminage, enroulage, traitements métallurgiques. Ce savoir faire se retrouve tout particulièrement dans la production horlogère habituée à une grande précision et à tirer profit des différentes propriétés physiques des métaux.

Ce n'est pas par hasard si, comme pour Beutelrock, Auguste Maillefer d'abord horloger choisit de devenir dentiste pour créer ensuite en 1889, à Ballaigues en Jura suisse, son entreprise de fabrication dentaire de précision. Ses fils et petits fils continueront avec maintenant Maillefer Dentsply, établissement pilote de l'endodontie internationale.

Ce n'est encore pas par hasard si, comme pour Beutelrock, Etienne Garnier crée en 1905 sa société d'outillage pour horlogerie à  Besançon. Il y produit en 1907 ses premiers tire-nerfs dentaires. Son fils Marcel reprend la suite en 1929 pour fabrication dentaire. La société devient en 1961 le groupe dentaire Micro-Méga de réputation internationale.

LE CONCEPT DES TRAITEMENTS RADICULAIRES EN 1880-1890

Dans les années 1880, on sait depuis longtemps qu'il est préférable de ne pas atteindre la pulpe, la toucher à minimum en cas d'effraction en la protégeant avec une obturation en contact direct (pâte, ciment, aurification, capsule d'or de protection). C'est le concept, toujours d'actualités d'adaptation pulpaire avec guérison, cicatrisation ou calcification, du coiffage pulpaire. On connait trop les mauvais résultats de traitements canalaires plus ou moins complets surtout avec des racines courbes.

On peut même aller jusqu'à l'obturation complète de la chambre avec plus ou moins le début des entrées radiculaires pour tenter de bénéficier des faveurs de la nature. L'habitude avant une reconstitution durable est de patienter quelques mois : Silence clinique, périostite, abcès alvéolaire, fistulisation. Il faudra vraiment attendre les années 1930 pour un usage radiographique endodontique réel permettant, entre autres, de contrôler l'absence de légion.

En cas d'atteinte radiculaire, une difficile obturation canalaire est nécessaire. On réalise alors une préparation des entrées des racines, notamment avec l'instrumentation du Dr Palmer, pour permettre un bon accès effectué souvent avec une instrumentation mécanisée sur tour à pied. En effet le tour à pied de Morrison de 1871 aura une diffusion très rapide et dans les années 1880-1890, la plupart des cabinets en seront équipés avec différents perfectionnements.

On passe alors les " extirpateurs de la pulpe " montés sur manche, comme les tire-nerfs du Dr Arrington ou de Donalson. Ce sont des sortes de stylets, comme des sondes lisses à trois ou quatre pans, ou comme des sondes lisses avec un petit crochet à l'extrêmité. Ils sont en acier bleui à "la trempe du ressort de montre". Les filets pulpaires se sectionnent et s'enroulent sur la sonde pour extirpation. Sont aussi disponibles toutes sortes de fins instruments style racleurs, limes, mini-forets et instruments à ébarbures toujours d'actualité. A l'aide de ces instruments on dégage les débris pulpaires, on nettoie en élargissant le canal radiculaire.

Manuellement on essaye d'atteindre l'extrêmité apicale. Pour faciliter l'accès et limiter la courbure instrumentale on agrandit largement l'entrée canalaire pour permettre une obturation ou préparer un espace pour un tenon : C'est avec l'usage du tour à pied, les vrais débuts de l'endodontie mécanisée. Le canal est désinfecté à la créasote et séché avec des touffes de coton, parfois remplacée par des touffes de soie phéniquée.

Vient ensuite l'obturation radiculaire réalisée de préférence par aurification en utilisant de l'or en poudre tassé, de l'or colloïdal, des feuilles d'or enroulées autour de très fins fouloirs, comme ceux du Dr Hunter, compactées pour un maximum d'étanchéité. Naturellement tout ce travail est effectué sous digue, préconisée par le Dr Barnum, et souvent utilisée pour son efficacité. L'obturation radiculaire à l'amalgame d'argent se montre difficile à effectuer. Par contre de nombreux praticiens utilisent la pâte de Hill : C'est une pâte à base de gutta percha à laquelle on incorpore plus ou moins de poudre constituée à base de chaux vive pour 50%, quartz pour 25% et feldspath pour 25%. Cette préparation lorsque elle a atteint sa consistance adéquate, est chauffée, ramollie et tassée par de fins fouloirs type spreaders. Nous sommes l?d??proches des techniques actuelles d'obturations. Une période d'attente pour un silence clinique total s'impose avant une reconstitution durable de la dent.

Il va sans dire que tous ces traitements radiculaires sont surtout réservés aux racines a priori à faibles courbures. Les instruments mécanisés grâce au tour à pédale font gagner beaucoup de temps et d'effort. Ils deviennent rapidement indispensables en endodontie. Les forets type Beutelrock© sont très utilisés mais leur limitation d'adaptabilité à certains parcours canalaires courbés en font parfois des instruments trop fragiles. Dans les années 1880 on utilise déjà une instrumentation mécanisée en endodontie principalement pour élargir, préparer les tenons et les accès radiculaires. Toujours employés aussi pour cela, les endodontistes du 21ème siècle disposent maintenant, grâce à des alliages spéciaux, comme les alliages nickel titane, d'une instrumentation remarquable dotée de qualités exceptionnelles permettant, entre autres, l'exécution des techniques type crown-down.

CONCLUSION

En observant toutes ces panoplies d'instruments canalaires des années 1890-1900 on est quand même stupéfait par les nombreuses formes instrumentales toujours utilisées 130 ans plus tard !

N'oublions pas, surtout en les utilisant, que derrière les noms des instruments couramment employés : Lentulo©, Peeso, Gates, Mooser, Largo se cachent, comme pour Beutelrock©, les noms de praticiens, souvent géniaux innovateurs, à l'origine de ces instruments. Ne nous laissons pas abuser par leur marquage©, pour certains d'entre eux, après leurs enregistrements comme marques déposées, preuve du passage de leurs remarquables inventions à la postérité. Grâce à leurs instruments, c'est par leur Mémoire que ces praticiens restent toujours présents parmi nous et continuent à nous rendre, mais surtout à nos patients, des services inestimables.

Documentation photographique de l'ASPAD

Trousse cuir finement imprimée ornée des prix de la maison Beutelrock, garniture velours de soie cramoisi. Vers 1890. Six instruments à canaux manches longs, métal bleui, style broche fine Beutelrock. Six instruments du type Dr.F.A.Peeso montés sur manche Celluloïd
(28 DM les 6 en 1901).

 

 

Etui d' " extirpateurs de pulpes " vers 1890.
Série de tire-nerfs du Dr e rare finesse.
(1,75 DM pièce en 1901)

 

 

Six trépans à racines pour extractions d'instruments cassés et pivots. (1,5 DM en 1901).
Un ensemble de onze porte instruments manches bleuis très rigides terminés par des ressorts pour fixation de mini pièces radiculaires, comme des tire-nerfs à ébarbures en platine-iridium
(3 DM les six en 1901).

 

Boite très complète de la série des forets de Beutelrock,
recouverte de cuir avec garniture velours de soie violine.
1903

 

Instrumentation classique sur manches longs, métal bleui : Sondes lisses du Dr Witzel, tire-nerfs de Donaldson, toute la série des Beutelrock's Nervcanal-Instrumente, forets, broches, deux élargisseurs montés sur manches Celluloïd.

 

Ensemble complet des forets de Beutelrock pour mécanisation pour angle droit et pièce droite. ( 0,80 DM pièce en 1903)

 

Forets sur manches courts
Celluloïd modèle Dr. Walker.

 

Bel étui cuir, garniture velours soie violine, équipé de deux porte-foret activables et
de deux porte-instruments fixes, manches Celluloïd.

 

Série de forets sur ressorts activables par rotation manuelle ou par mécanisation PM :
Forets de Beutelrock ou élargisseurs de Pettee, limes sondes quadrangulaires. ( 2FR pièce en 1903)

 

Porte-instruments adaptables, manuels ou sur ressorts mécanisables. Forets de Talbot.

 

Coffret pour élargisseurs coniques d'entrées de canaux radiculaires.

 

Maillet pour aurification
à angle droit de Power,
pour mécanisation
et ses différents embouts.
1901.
(27 DM en 1903)

 

 
     

 

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