« La cambrure des reins, ça, c’est une trouvaille ! »

Calendrier des DIEVX DE LA BIV – Juillet 2016

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Guido Reni, Apollon et Marsyas, 1620-1625, Musée des Augustins, Toulouse

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Nous nous devions d’honorer, dans le calendrier de juillet 2016, l’identification récente de quatre volumes de myologie de Johannes Van Horne et Marten Sagemolen. La myologie du tronc et sa chute de reins particulièrement remarquable s’y prêtaient parfaitement.

La peinture d’histoire a été confrontée à la représentation d’écorchés célèbres comme Marsyas, saint Philippe ou saint Barthélémy entre autres. Deux solutions ont alors été proposées par les artistes. Le martyre peut être simplement suggéré par la mise en présence de la future victime et de l’instrument tranchant, la suite étant laissée à l’imagination du spectateur. Ou bien le martyre lui-même est représenté, imposant à celui qui regarde la violence extrême de la scène. Toutefois, le corps n’est alors pas entièrement dépecé et seule une partie assez limitée de la musculature mise à nue est rendue visible.

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Jan van Calcar ?, Ecorché dans un paysage in André Vésale, De humani corporis fabrica libri septem, Bâle, Joannes Oporinus, 1543. Cote BIU Santé : 302 B

Illustrer une myologie suppose bien sûr d’aller plus loin dans la mesure où il s’agit, à des fins didactiques, de montrer l’intégralité des muscles du corps, superficiels et profonds, grâce à une dissection progressive.

La problématique à laquelle l’artiste peut alors être confronté concerne le degré de pathos dont les images doivent être investies. En d’autres termes, comment représenter la chair à vif dans le cadre d’un contenu scientifique ? Que faire de la dimension dramatique de la dissection ? Quel degré de mise en scène adopter ?

Nous le savons, les solutions choisies par les illustrateurs d’anatomies varient sur ce point, que nous pensions aux planches de De humani corporis fabrica de Vésale ou aux célèbres dessins de Gérard de Lairesse pour l’Anatomia humani corporis de Bidloo.

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Gérard de Lairesse, Myologie du dos, c.1680, Paris, BIU Santé. Cote: Ms 26

 

Marten Sagemolen, lui-même peintre d’histoire, a pris le parti d’éviter assez systématiquement toute forme de mise en scène dans ses dessins préparatoires destinés à un ouvrage de Van Horne demeuré inédit. Il y présente les pièces d’anatomie sans éléments de décor et sans ombres portées, à de rares exceptions près.

Il a pourtant choisi de composer pour la myologie du tronc un drapé qui confère à l’insupportable vision du corps privé de son épiderme une esthétique séduisante. Notons d’ailleurs que si le but de Sagemolen était de mettre en valeur le tronc, objet principal de l’étude, le regard en est cependant détourné, inévitablement attiré par ce lourd drapé. Et soulignons enfin que la matière qui le compose demeure ambiguë, le tissu se refusant à révéler sa vraie nature : textile ou cutanée.

Myologie du torse et du bras avec volet mobile (Ms 28)
Myologie du torse et du bras avec volet mobile (Ms 28)

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Chloé Perrot

Après 270 ans d’oubli, redécouverte de l’anatomie de Van Horne, trésor du 17e s.

[english version of this post]

251 dessins du Siècle d’or hollandais de Johannes Van Horne et Marten Sagemolen

van-horneEn 1656, à Amsterdam, Rembrandt peignait sa deuxième leçon d’anatomie. Au même moment, à Leyde, dans cette Hollande du Siècle d’or bouillonnant de nouveautés artistiques et scientifiques, le professeur d’anatomie Johannes Van Horne et le dessinateur Marten Sagemolen travaillaient à un grand atlas d’anatomie des muscles en couleur, sans équivalent à l’époque. Bien qu’elle soit restée inédite, la valeur de cette entreprise fut reconnue par des sommités de l’Europe savante. Puis ces dessins furent, étonnamment, perdus de vue au cours du XVIIIe siècle.

Quatre grands volumes, contenant 251 dessins, systématiquement réalisés et organisés en plusieurs séries et constituant une large partie de cet atlas d’anatomie, viennent d’être identifiés dans la collection de la BIU Santé.

La bibliothèque dévoile ainsi un nouveau trésor, avec lequel les historiens de la médecine et des sciences devront désormais compter, et qui devrait aussi exciter la curiosité des historiens de l’art.

IMG_6418-2A Myology by Johannes Van Horne and Marten Sagemolen: four books of original drawings dated from the Dutch Golden Age discovered at BIU Santé (Paris).
Identification, provenance, inventory.

In 1656 in Amsterdam, Rembrandt was painting his second lesson of Anatomy. At the same time, in Leiden, Johannes Van Horne, the renowned professor of Anatomy, and the painter Marten Sagemolen were working together at an unprecedented type of Anatomia. Despite the fact that the book remained unpublished, it was so innovative that the drawings almost instantly became famous among the European intelligentsia. But, strange as it may seem, they were totally forgotten during the eighteenth century and later on. Four large format sets of drawings for a total of 251 plates, organized in series – a large part of Van Horne and Sagemolen’s project – have just been identified in the BIU Santé collection. Today the library is enlightening a jewel and a milestone of significant interest to scholars in the History of Medicine, Sciences and Art.

L’identification a été effectuée grâce à Hans Buijs (Fondation Custodia, Paris) le vendredi 17 juin 2016. La lecture d’une phrase unique en marge d’un dessin daté de 1654 nous a donné le nom du dessinateur, mais aussi, de façon certaine, celle de son commanditaire, ainsi que d’importantes informations sur la constitution de la collection.

Signature de Marten Sagemolen datée de 1660 (Ms 29)
Signature de Marten Sagemolen datée de 1660 (Ms 29)
Le nom de Johannes Van Horne dans le Ms 29
Le nom de Johannes Van Horne dans le Ms 29

Cette même phrase se trouve en effet dans les papiers du célèbre médecin Herman Boerhaave (1668-1738), un des anciens propriétaire de ces volumes. Or Tim Huisman, dans sa thèse de doctorat de 2008, The Finger of God, Anatomical Practice in 17th-Century Leiden (univ. de Leyde, 2008. p. 73 sq), a édité et documenté ces fragments. Après l’examen des quatre manuscrits sous cette nouvelle et vive lumière, aucun doute ne subsiste plus sur leur identité.

Petite myologie du bras et de l'épaule, datée de 1654 et signée par Marten Sagemolen (Ms 29)
Petite myologie du bras et de l’épaule, datée de 1654 et signée par Marten Sagemolen (Ms 29)

Nous publions un article qui démontre l’identité des documents, donne une partie de leur histoire, et fournit un inventaire des quatre volumes. Cet article est susceptible de modifications : on trouvera les éventuelles versions corrigées à partir du présent billet et à la même adresse.

Télécharger l’article : La myologie de Johannes Van Horne et Marten Sagemolen : quatre volumes de dessins d’anatomie du Siècle d’or retrouvés à la Bibliothèque interuniversitaire de santé (Paris), par Jean-François Vincent et Chloé Perrot (version définitive, 31 août 2016. Licence CC By-SA 4.0)

Download the article: Johannes Van Horne and Marten Sagemolen’s myology: Four volumes of anatomical drawings of the Golden Age rediscovered at the Bibliothèque interuniversitaire de santé (Paris), by Jean-François Vincent and Chloé Perrot (final version, August 31, 2016. License CC By-SA 4.0)

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Après la pluie vient le beau temps… (calendrier de juin)

calendrier-juinCalendrier des DIEVX de la BIV (suite)

Officiellement, l’été approche. C’est du moins ce qu’affirme le calendrier du mois de juin bien que la météo ne soit pas au diapason. Il ne vous reste donc que quelques semaines pour être prêts à vous exposer sur la plage. Et pour s’y préparer, pourquoi ne pas mettre en œuvre la célèbre méthode naturelle du Lieutenant Hébert (1875-1957) ? D’ailleurs, à l’heure de l’intérêt pour le végétarisme et d’un effet de mode autour de la pratique de la musculation, comment ne pas parler des travaux pionniers de cet officier, initialement en charge de l’éducation physique des fusiliers marins de Lorient ?

La méthode naturelle du Lieutenant Hébert en quelques mots

Développée au début du XXe siècle, la méthode Hébert est une méthode globale incluant trois axes : la pratique d’activités physiques, le développement de valeurs morales et de valeurs viriles.

hebert-gladiateurSon auteur s’est inspiré des qualités physiques de populations autochtones rencontrées lors de ses différents voyages, et qui n’étaient pas soumises aux contraintes de la vie citadine, considérée comme sédentaire et nocive. Il a donc eu l’idée de constituer un programme d’entraînement basé sur des exercices en mouvement et des parcours pratiqués en pleine nature, mais aussi sur une prise en charge globale de l’individu.

Initialement enseigné à l’armée dont Hébert a été rapidement évincé, le programme a ensuite été adapté à la jeunesse et aux femmes dans des centres de formation établis à Deauville, à Nice et à Paris[1]. Il a fait l’objet de nombreuses de publications, pour la plupart consultables à la BIU Santé[2].

Récupération et dérives

Dans le contexte politique du début du siècle, la méthode a été récupérée par des idéologies les plus diverses et les plus opposées. Le Front populaire la préférait à la pratique du sport au sens classique du terme dans la mesure où elle lui semblait s’éloigner d’une vision fasciste de l’éducation physique. Mais elle a également été récupérée par le régime de Vichy qui, en inversant la lecture de l’utilité de l’homme fort à la société prônée par Hébert, y voyait un moyen de lutte contre «l’inutilité des faibles». Il convient néanmoins de noter que cette récupération, qui jette une ombre sur les travaux d’Hébert, s’est faite sans l’agrément de l’ancien lieutenant de marine[3].

Quoi qu’il en soit, si vous hésitez encore à vous jeter à corps perdu dans la méthode, que ce soit pour des raisons éthiques ou parce que l’accrobranche sous l’orage ne vous attire pas plus que ça, pas de panique ! Votre «corps d’été» peut encore être sauvé par les nombreux ouvrages du lieutenant :natationImage source[4] : « Appareil de natation de MM. Petit et Dumoutier » in A.C. Collineau, La gymnastique, notions physiologiques et pédagogiques. Applications hygiéniques et médicales, Paris, 1884. Cote BIU Santé : 56637.

Chloé Perrot

Références

[1] G. Guillot, « Georges Hébert et l’éducation intégrale » in Revue EPS n°15, Université de Poitiers, 1992, p.161.

[2] Voir entre autres : G. Hébert, L’éducation physique ou l’entraînement complet par la méthode naturelle, Paris 1943, 11e éd. Cote : 156795. G. Hébert,  L’éducation physique, virile et morale, par la méthode naturelle, Paris, 1942, 3 vol. Cote : 156525.

[3] G. Guilot, Ibidem, p.166.

[4] Image modifiée numériquement par l’auteur de l’article. Aucun livre n’a été torturé.