English translation of the text

Né à Palerme en 1633, Paolo Boccone est originaire d'une famille de Savona, en Ligurie. Il fait ses études en Sicile, les oriente assez rapidement vers l'histoire naturelle et entreprend de nombreux voyages tant en Italie que dans le reste de l'Europe. Ses expéditions le conduisent à herboriser en Sicile d'abord, puis en Angleterre, en Ecosse, en Hollande, en Belgique, en Allemagne et jusqu'à la frontière russe. En France, c'est son amitié avec Bourdelot alors médecin particulier du grand Condé, qui le conduit probablement à Chantilly. Ses travaux sont connus de toute l'Europe scientifique et loués par Tournefort et Jussieu. On lui reconnaît particulièrement le mérite d'avoir participé à la promotion de la pomme de terre comme plante alimentaire. Ses travaux sur les coraux, sa description de l'Etna lui ont également valu l'approbation de ses contemporains. Paolo Boccone prend l’habit cistercien en 1682 ; il rentre en Italie à la fin de sa vie et meurt en Sicile en 1707. Il semble qu'il travaillait alors à une histoire naturelle de la Corse qui n'a jamais été publiée.

Pour la biographie de Paolo Boccone, nous renvoyons à la bibliographie générale mentionnée infra et à la notice de I. Sermonti Spada dans le Dizionario biografico degli italiani, t. 11, p.98-99.

Sur son passage à Paris, on dispose finalement d’assez peu d’indices. Les meilleurs d’entre eux nous sont offerts par un texte du naturaliste lui-même, publié en annexe des Recherches et observations curieuses sur la nature du corail blanc et rouge, vray de Dioscoride, publiées en 1671. Cet ouvrage est composé de plusieurs lettres touchant à des sujets sur lesquels le naturaliste avait travaillé : la nature du corail, celle du poisson xiphias (l’espadon), plusieurs questions de minéralogie. A ce premier ensemble, il faut ajouter une lettre adressée à Bourdelot relative à l’éruption de l’Etna et une dernière pièce en forme de dialogue entre un seigneur de la Cour, non nommé, et Boccone lui-même. Le but de ce texte précieux est incontestablement de présenter l’auteur et doit servir d’argument publicitaire. Il se termine d’ailleurs sur la promesse d’une recommandation à Antoine Vallot, présenté comme grand connaisseur des choses de la nature autant que comme personnage puissant de la Cour, potentiellement utile pour un savant italien.

Ce texte donne une idée assez juste de ce que pouvaient être les activités naturalistes d’un botaniste à Paris, dans les années 1670. On y apprend tout d’abord que Boccone se plaît à Paris et qu’il cherche à y rester, sous réserve d’obtenir quelques subsides d’un quelconque mécénat. Il y est arrivé nanti de recommandations d’éminents personnages, tant italiens que français, savants naturalistes ou simples hommes de lettres. Mais l’essentiel de l’exposé porte sur les conférences que Paolo Boccone donne chez lui. Ces conférences sont destinées aux médecins comme aux simples honnêtes gens « curieux et intelligens dans l’étude de la botanique ». Le fonctionnement de ce que l’on nommerait peut-être aujourd’hui un séminaire est alors décrit par le menu :

"Chacun pourra apporter jusques à demy douzaine de plantes ou fraîches ou seches pour les examiner ; elles doivent estre choisies des plus curieuses et des plus rares, les communes ne vallant pas la peine de les rechercher. Et parce que le temps ne permettra pas d’examiner dans une conference toutes celles qu’on pourroit apporter, et que chacun voudroit qu’on examinât les siennes, on tirera au billet pour sçavoir celles qui seront les premieres examinées, puis on viendra au second et au troisieme ensuite, comme marquera le sort du billet. (…) J’auray deux livres de papier blanc pour le service de la Conférence, dans l’un desquels on écrira toutes les opinions, et tous les noms donnez aux Plantes et dans l’autre on mettra la plante mesme dans le naturel, et cela pour pouvoir confronter au premier livre avec la plante du second ; et la peine que nous y prendrons sera utile pour tout le temps de l’Assemblée. Pour empescher qu’il n’y ait de l’embarras dans la Conference, et éviter la confusion dans les voix de l’Assemblée, il y aura huit plumes, desquelles chacun pourra se servir pour mettre son sentiment par écrit, et quand la chose sera establie et enregistrée, on effacera les écrits particuliers d’un chacun, parce que nostre dessein ne tend qu’à éclaircir les Plantes obscures et inconnuës, et non pas à taxer d’ignorance les personnes d’estudes qui pourront s’y trouver".

Ces conférences révèlent une pratique d’enseignement dont Boccone est assez familier. Le même texte nous apprend qu’il a enseigné la botanique à des « dames de condition » à Lyon, et à quelques gentilhommes en Italie. Le séminaire parisien se réunit deux fois par mois le jeudi. Le caractère publicitaire de ce texte est absolument indubitable : l’auteur lui-même précise dans les premières lignes qu’il ne fait que reprendre le contenu d’un placard dont le but avoué était, en quelque sorte, d’attirer les clients. 

Pour un exemple de ces placards, on se reportera au fol. 58 de l’herbier de la BIUM.

Mais pour habile que soit le procédé, il est loin d’être unique. Les recommandations dont Paolo Boccone se prévaut dans son texte en témoignent largement. Le naturaliste offre deux séries de noms de personnages par lesquels il est vivement recommandé, ou dont il espère des faveurs :

- « …j’ay apporté beaucoup de lettres de recommandation à Paris, et entr’autres, j’en ay apporté une de Monseigneur de Valencé, grand prieur de France à Malthe, et une autre de Monsieur Gornia, aujourd’hui premier medecin de Monseigneur le Grand Duc de Florence : comme aussi de Monsieur Viviani grand mathematicien, de Monsieur Carlo Dati et de Monsieur Migliarini aussi medecin à Florence.

- Dites-moy s’il vous plaît, à quelles personnes s’adressoient ces lettres ?

- Il y en avoit une à M. Tevenot, à M. Cassini, à M. Pequet, à M. Migliarini, à M. Vallot, à M. l’abbé Menage et à M. Calcavi.

- Monsieur, vous avez esté recommandé à de tres habiles gens, et qui passent pour des veritables sçavans ? Vous estes-vous fait connoître de quelques personne à Paris ?

- De plusieurs, et principalement des gens de lettres, comme de Messieurs Gamar, Jonquet, Gavois, Cousinot, Laubly, l’abbé Montreüil, Denys, Rohault, Maury, Justel, l’abbé Bourdelot, l’abbé Talemant, de Monseigneur le premier President et de Monseigneur le Prince ».

Les noms avancés par Paolo Boccone sont en effet le plus souvent ceux de personnes de pouvoir ou de savants en vue. L’abbé Denys, auquel Boccone dédie de surcroît deux des lettres du recueil est le professeur royal d’hydrographie auquel on doit des traités de navigation. Antoine Vallot, qui devait mourir l’année même de la publication des Recherches et observations, est le premier médecin du roi après avoir été médecin d’Anne d’Autriche et de Fouquet. Ses biographes précisent en outre qu’il a eu la direction du jardin des plantes. Jacques Rohault est l’auteur d’un traité de physique où il applique la méthode du raisonnement cartésien. C’est aussi un ami de Molière et il donnait dans sa maison des conférences publiques sur la physique. Jean Maury, ecclésiastique né à Toulouse, en donnait également, mais sur des questions littéraires, de même d’ailleurs qu’Henri Justel, cité ailleurs dans le même texte.

Pour résumer, il semble que Paolo Boccone, lorsqu’il était à Paris, a cherché à cotoyer tout ce que la ville pouvait lui offrir de milieux culturels brillants ou de mécènes fortunés et ce n’est sans doute pas par hasard qu’il reste dans les bibliothèques de la capitale autant de souvenirs du passage du naturaliste. 

On trouve par exemple très nettement la main de Paolo Boccone dans les papiers du naturaliste Jacques Barrelier (1606-1673), aujourd’hui conservés à la bibliothèque du Museum national d’Histoire Naturelle de Paris.

Paolo Boccone savait en effet entretenir ses aimables mécènes dans leurs dispositions favorables. Il avait tout particulièrement pour habitude de leur offrir des herbiers constitués par ses soins. Quel meilleur présent en effet, pour un naturaliste qui veut faire valoir ses mérites que de présenter aux princes la preuve séchée de ses remarquables compétences ? 

Un article d’Otto Penzig publié à la fin du siècle dernier récapitule les divers témoins de cette activité. Il mentionne ainsi deux herbiers secs conservés à Vienne, auxquels il faut ajouter un herbier en impression naturelle, dédié à l’empereur Léopold Ier. Un autre herbier sec est aujourd’hui à la bibliothèque universitaire de Bologne, trois au Museum d’Histoire Naturelle de Paris ; celui décrit plus précisément par Penzig est à la bibliothèque universitaire de Gênes et a été dédié à la reine Christine de Suède. Il faut ajouter à ce compte, outre les impressions naturelles de l’herbier de la BIUM, les deux volumes d’herbes séchées conservées à la bibliothèque de l’Institut à Paris. Le premier des deux est dédié à Monsieur frère du roi. Isabelle de Conihout, dans le catalogue de l’exposition sur les herbiers en impression naturelle, mentionne encore un herbier à Oxford.

Otto Penzig, " Sopra un erbario di Paolo Boccone conservato nello Istituto Botanico della R. Università di Genova", Malpighia, 2, p.439-463.