Le MS 2440 : « Lettres médicales du XVIIIe s. Lettres de Albaret, Bonnefoy, Dufort, Goulard chirurgien, Maurillon, Mullard, Pagès, Piegon, Pons au Dr Haguenot de Montpellier (1737-1769). Consultations médicales » d’Haguenot

par Joël COSTE
Université Paris Descartes
Ecole Pratique des Hautes Etudes
joel.coste@parisdescartes.fr

juillet 2013

Voir aussi :


1. Introduction

 

Eléments biographiques

Université Montpellier 1, Faculté de médecine

Henri Haguenot est né à Montpellier le 16 janvier 1687 dans une famille de médecins et de juristes d’ascendance protestante [1]. Fils de Jean-Henri Haguenot (1650-1730), médecin, contrôleur général des finances du Languedoc en 1695 (anobli en 1704), professeur de la faculté de Montpellier en 1715 (à une chaire nouvellement créée « pour le service des pauvres »), Henri Haguenot a été licencié en 1706, puis docteur de la faculté de Montpellier en 1707. Il exerça d’abord comme médecin des pauvres de la Miséricorde de Montpellier et dirigea avec son père le collège de Gérone pendant la Guerre de Succession d’Espagne avant de devenir professeur à la faculté en 1717, dans la chaire de son père, puis dans celle de chirurgie-pharmacie à la suite d’Astruc en 1731. Il fut également membre de l’Académie des Sciences de Montpellier (adjoint en 1706, associé en 1711) et conseiller à la cour des comptes, aides et finances de Montpellier en 1741 (une charge anoblissante achetée pour 63 000 livres). En revanche, il refusa une charge de médecin ordinaire de Louis XV. Haguenot fut doyen de la faculté entre 1762 et 1767 et à partir de 1767 recteur perpétuel de l’hôpital Saint-Eloi, auquel il légua ses biens et sa bibliothèque à sa mort survenue à Montpellier le 11 décembre1775 à l’âge de 88 ans. Des deux mariages contractés en 1732 et en 1739 (la première femme étant morte en couche), aucun enfant n’a survécu. Haguenot est très connu à Montpellier pour avoir fait construire entre 1752 et 1760 par Jean-Antoine Giral une « maison des champs » qui deviendra « l’Hôtel Haguenot », une des « folies montpelliéraines » en contrebas de la promenade du Peyrou, qui abrita pendant 15 ans les travaux de la Société Royale des Sciences. Ses relations avec la faculté de médecine furent parfois difficiles puisqu’il se brouilla avec François Chicoyneau en 1749, qui avait refusé de lui accorder Farjon pour survivancier, et qu’il démissionna en 1767 de sa fonction de doyen à la suite du concours de 1766 qui vit l’élection de Broussonet au lieu de Farjon qu’il soutenait.

Haguenot ne publia qu’un ouvrage important, le Tractatus de morbis capitis externis (1751), mais présenta plusieurs mémoires à la Société Royale des Sciences de Montpellier, dont le célèbre Mémoire sur le danger des inhumations dans les églises en 1748 (réédité dans les Mélanges curieux…  en 1771) qui marqua le début de la (dernière) mobilisation médicale contre cette pratique en France.

Le contenu de la liasse

Les « Lettres médicales du XVIIIe s. Lettres de Albaret, Bonnefoy, Dufort, Goulard chirurgien, Maurillon, Mullard, Pagès, Piegon, Pons au Dr Haguenot de Montpellier (1737-1769). Consultations médicales » ont été acquises par la BIU Santé en 1972. L’ensemble comprend 117 pièces dont 112 sont numérotées et classées par ordre chronologique (avec quelques erreurs), auxquelles sont joints diverses attestations et les diplômes de médecine obtenus en 1793 à Montpellier par un certain Pierre Courty [2].

Assemblées, les pièces du puzzle aux numéros parfois éloignés (par exemple les pièces numérotées 77 et 101), révèlent 64 consultations médicale et 47 mémoires concernant 82 patients entre 1737 et 1767, dont 29 consultations avec mémoire, 35 consultations sans mémoire et 18 mémoires (ou lettres) sans consultation. On trouve également plusieurs lettres, de soignants ou parfois de l’entourage, accompagnant les mémoires. Il existe également une demande de consultation juridique qui a semble-t-il échappé à la vigilance du trieur [3].

L’écriture de la consultation

La liasse comprend 12 consultations « achevées » dont 4 ont d’autres auteurs qu’Haguenot (deux sont notamment de Jean-Jacques Montagné, médecin de Montpellier). Les autres (52) sont à l’état de brouillon (beaucoup ont deux brouillons rédigés sur un ou deux morceaux de papier différents). L’étude des brouillons successifs, dont plusieurs exemples sont présentés ici (cf infra) et la comparaison de ces brouillons aux consultations achevées [4] (cf infra) permet d’identifier trois ou quatre grandes étapes à l’écriture de la consultation chez Haguenot :

  • Etape 1 : Sélection et note des éléments pertinents du mémoire sur un premier brouillon, habituellement séparés par des traits verticaux, et souvent soulignés ou rayés (on remarque qu’Haguenot n’a pas écrit ou fait de marques sur les mémoires eux-mêmes). Cette étape est bien entendu omise en cas de consultation de visu du patient.
  • Etape 2a : Mise en place des premiers éléments « techniques » de réponse : diagnostic, physiopathologie, pronostic, rédigés habituellement sur le même support que le premier brouillon.
  • Etape 2b : Rédaction (souvent abrégée) des prescriptions thérapeutiques et du régime, à la suite du brouillon précédent ou sur un second support. C’est le document le plus souvent conservé.
  • Etape 3 : Rédaction finale et mise au propre, avec ajout de détails sur les traitements et leurs adaptations, le régime de vie, mais aussi travail de la rhétorique et du style avec réécriture éventuelle des passages difficiles.

Les circuits et les réseaux, les « petits arrangements », les honoraires de la consultation

Les circuits et les réseaux mobilisés pour l’acheminement des consultations peuvent être appréhendés dans plusieurs textes du MS 2440. On trouve par exemple la mention de six intermédiaires ayant « procuré » des consultations à Haguenot. La mention de ces intermédiaires (tous différents et « laïcs » à l’exception d’un apothicaire et d’un chirurgien de Montpellier) suggère que leur rôle était suffisamment important, au sein d’un réseau bien organisé de correspondants, pour avoir été noté, au pied ou au dos des mémoires, par Haguenot. Une autre consultation fait aussi état d’un messager (en l’occurrence déficient) pour convoyer une consultation à son destinataire à quelques 250 kilomètres de Montpellier (cf infra).

Les lettres d’accompagnement des mémoires, qui sont conservées en nombre important dans la liasse du MS 2440, permettent d’éclairer la pratique de la consultation d’un jour souvent plus crû que les mémoires. Plus confidentielles que ces derniers (et presque jamais publiées), elles peuvent aider à « décrypter » certaines demandes, notamment en cas de relations médecin-malade difficiles, et indiquer des demandes de services qui ne pouvaient pas figurer sur le mémoire, qui était un document commandé et (habituellement) relu par le malade ou son entourage (cf infra).

Mais c’est surtout la question des honoraires que les lettres d’accompagnement éclairent. En effet, elles suggèrent l’existence sinon de négociations, du moins d’accords préalables sur le tarif (variable de 6 à 24 livres) de la consultation. Elles suggèrent aussi que l’honoraire pouvait être payé par le soignant local qui refacturait ensuite au malade. Le système de paiement utilisé était celui de la lettre de change mais dans quelques cas, les protagonistes avaient recours aux services de la « poste » qui se chargeait de l’acheminement des honoraires moyennant quelques droits (cf infra).

Malades et maladies pris en charge et pratique médicale d’Haguenot

L’analyse des textes des mémoires et des consultations manuscrites du MS 2440, complétés des 45 consultations publiées d’Haguenot [5], portant sur un total de 123 patients entre 1723 et 1767, permet de caractériser la « clientèle » (avant tout régionale) du médecin, tant sur le plan socio-démographique que pathologique (cf infra) [6]. Ces analyses permettent également de documenter la pratique médicale d’Haguenot : une pratique qui apparaît relativement proche de celle de ses collègues montpelliérains contemporains, avec qui Haguenot consultait d’ailleurs régulièrement (cf infra).

Notes et références

[1] Pour des détails biographiques, voir Etienne-Hyacinthe de Ratte, Eloge de M. Haguenot, 1776 (réimprimé en 1811 par Desgenettes dans les Eloges des Académiciens de Montpellier ) ; Marie-André Haguenot, Une famille de médecins à Montpellier de 1605 à 1818, Montpellier, 1900  ; L. Dulieu, Le Doyen Henri Haguenot , HSM 1973, 7 : 273-284 ; ainsi que la description de la succession aux Archives départementales de l’Hérault (1 HDT B 85-126) (inventaire descriptif en ligne).
[2] Courty est également le nom d’une dynastie médicale de Montpellier dont le plus connu est Amédée, professeur de clinique chirurgicale dans la seconde moitié du XIXe siècle.
[3] L’ensemble apparaît donc constitué presque exclusivement consultations médicales, contrairement aux cartons 1 HDT B 102 (Lettres adressées aux professeurs Haguenot, père et fils, du 22 mai 1690 au 21 août 1763) et 1 HDT B 103 (Minutes de lettres écrites par les professeurs Haguenot, père et fils) des Archives Départementales de l’Hérault où n’apparaissent que de très rares des consultations médicales. Il n’est pas exclu que les consultations qui forment aujourd’hui le MS 2440 aient été prélevées dans les cartons Haguenot des Archives Départementales de l’Hérault, à une période précoce, où ces consultations pouvaient avoir encore un certain intérêt, peut-être pendant la Révolution.
[4]  Outre les 8 consultations achevées présentes dans la liasse (dont une porte la mention « Consultation que j’avais faite pour Mr Martin et qu'on est pas venu retirer »), 45 consultations d’Haguenot imprimées dans les recueils de Consultations choisies de plusieurs médecins celebres de l'université de Montpellier sur des maladies aigues et chroniques   publiées à Paris par Durand et Pissot entre 1748 et 1750 ont été utilisées pour cette analyse.
[5] Ces 45 consultations ont été publiées dans les recueils de Consultations choisies de plusieurs médecins celebres de l'université de Montpellier sur des maladies aigues et chroniques déjà cités dans la note 4.
[6] Parmi les situations dans lesquelles un diagnostic rétrospectif fiable est possible, on note un cas évident de neurofibromatose de type 1 (exemple 2 « Du mémoire à la consultation »), un cas de tuberculose ganglionnaire secondairement généralisée, un cas de goutte compliquée d’un érésipèle, un cas d’angine de poitrine typique (exemple 1 « Du mémoire à la consultation »), ainsi qu’une possible leptospirose.