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de Guy Ducourthial

L’Herbier de Pierre Bulliard : une "première" dans l’édition scientifique

par Claude HARTMANN
Professeur honoraire à l’Université d’Orléans

Le Siècle des Lumières, s’il fut philosophique, fut aussi scientifique, caractérisé par un accroissement très significatif du niveau des connaissances. Des observations minutieuses, support d’une expérimentation rigoureuse, se généralisent, donnant naissance à une méthode dont les principes seront codifiés au siècle suivant par Claude Bernard. Initié par Newton, le mouvement se poursuit avec Euler, Clairaut, Lagrange, Herschel, les de Jussieu, Linné, Réaumur, Duhamel du Monceau, Lavoisier, pour ne citer que quelques uns parmi les plus grands.

Mais cette science nouvelle ne reste pas confinée dans le petit monde des  ''savans''. Elle devient à la mode et passionne un nombre croissant d’ ''amateurs éclairés'' qui se recrutent dans les milieux favorisés accessibles à la culture. Le baron Grimm remarque : « On ne vit peut-être jamais autant de ducs et pairs occupés d’art et de connaissances utiles ». Tout au long du siècle, dans la bibliothèque que chaque personnage notable se doit de réunir, la place des ouvrages ayant trait aux choses de la religion diminue, au profit de ceux consacrés aux Sciences et aux Arts, ce dernier terme étant compris comme ce que nous appelons maintenant les Arts-et-Métiers. Les cabinets de curiosités fleurissent. Les cours publics, dans le cadre du Jardin du Roy par exemple, ou encore donnés par des particuliers, connaissent un grand succès.

Un ouvrage a beaucoup contribué à l’apparition de cet engouement. Le premier volume du Spectacle de la Nature ou Entretiens sur les particularités de l’Histoire naturelle qui ont paru les plus propres à rendre les Jeunes-Gens curieux, et à leur former l’esprit, de l’abbé Antoine-Noël Pluche, paraît en 1732. Il sera suivi de 8 autres. Les rééditions seront nombreuses – 57 en français - car le succès est foudroyant. L’ouvrage, rédigé sous forme de dialogues, se veut agréable et d’un abord facile mais il est sérieux et bien documenté. L’abbé a lu, et il les cite, les meilleurs auteurs. Bien avant Pasteur, il repousse la théorie de la génération spontanée. Le Spectacle figure en très bonne place dans les bibliothèques et personne, du roi lui-même à Buffon, en passant par Madame de Pompadour ou encore par le très riche duc Emmanuel de Croÿ ne veut l’ignorer. Ce dernier personnage sera atteint à son tour par la passion d’instruire, de faire sortir la science du cabinet des savants, qui est l’une des caractéristiques du siècle et il rédigera une Histoire naturelle, considérée en Physicien, Chimiste et naturaliste  en 9 volumes manuscrits. C’est l’oeuvre d’un amateur et non d’un scientifique mais il est révélateur de l’esprit du temps.

Georges Leclerc comte de Buffon, Intendant du Jardin du Roi, de l’Académie Françoise, et de l’Académie royale des Sciences, est l’auteur de l’un des ouvrages majeurs du siècle. Les premiers volumes de l'Histoire naturelle, générale et particulière sortent des presses de l'Imprimerie royale à partir de 1749. Servi par un style exemplaire, l’Histoire naturelle, connaît un succès considérable. Buffon est un véritable scientifique, même s’il se laisse entraîner à échafauder des systhèmes, ce qui ne plait guère à son confrère de l’Académie royale des sciences, Duhamel du Monceau.

Dans ce contexte général d’une vogue de l’histoire naturelle, quelle est la place de la botanique ? À partir de 1735 et la parution de son Systema naturae, Linné a l’immense mérite de résoudre, avec l’invention de la nomenclature binominale, universelle grâce à l’usage du latin, un très important problème. Avant de décrire un animal ou une plante, il est indispensable de les nommer sans ambiguïté. La nomenclature, si elle paraît fastidieuse à beaucoup, est un préalable indispensable comme l’écrit Duhamel du Monceau  dans la préface de La Physique des Arbres : « le vrai botaniste : (il) sait appliquer les noms à toutes les plantes qu'on lui présente, parce qu'il connoît la chose à laquelle le nom convient. La nomenclature n'est pas le dernier terme où tendent les Botanistes, mais elle est un moyen important dont il n'est pas possible de se passer pour acquérir des connoissances plus utiles ; c'est, pour ainsi parler, un vestibule qu'il faut nécessairement traverser, avant d'arriver aux appartements qui sont l'utilité immédiate d'une belle maison ». Cependant, si ce préalable est franchi par les ''savans'', il rebute nombre d’amateurs ; d’autant que, la nomenclature de Linné n’ayant pas été immédiatement adoptée par tous les auteurs, nommer une plante pose encore des problèmes.

Mais la botanique souffre d’un autre handicap : jusqu’au XVIIIème siècle, elle est l’apanage de la médecine. La direction du Jardin du Roi est liée à la charge de premier médecin et elle est encore assurée jusqu’en 1732 par un médecin : Pierre Chirac. Antoine et Bernard de Jussieu, Guettard, Le Monnier sont des médecins. Les ouvrages de botanique, jusqu’à Linné, sont rédigés en latin et demeurent rebutants pour le ''grand public'' même cultivé. L’image de cette science est, sans aucun doute, sévère.

Pluche, en aucun cas, ne voulait être sévère. Les deux premiers volumes de son Spectacle concernent les animaux et les plantes. L’auteur se contente – ce sont ses propres dires – d’ : « effleurer fort légèrement les espèces les plus estimables… laissant aux savans le soin de former des savans par des divisions exactes ». Son ouvrage comporte quelques belles planches consacrées aux plantes, essentiellement des fleurs et des arbres, dues au talent de Madeleine Basseporte, peintre en miniatures au Jardin du Roi.

Buffon, lui aussi, veut plaire à son public et lui donner « des matières qu'on pût lire ». Jean-Marie Daubenton, son principal collaborateur, rapporte qu’il « ne mettoit point en évidence des objets qui ne paraissoient point propres à exciter la curiosité ». Or le libraire Durand, détendeur des droits de l'édition va bientôt mourir. Buffon rachète ces droits. Seul maître à bord, il réoriente son ouvrage. Jugés de moindre intérêt pour les lecteurs, manquent donc les poissons ou encore les mollusques, les insectes, bref tous ces invertébrés qui échurent plus tard à Lamarck, un botaniste à l’origine, parce qu'ils n'intéressaient que peu d’amateurs. Les descriptions anatomiques sont supprimées ; restent les grandes envolées, la philosophie, les portraits de la nature. Et la botanique est absente elle aussi…

Quant au duc de Croÿ, il suit les cours de Valmont de Bomare, fréquente des botanistes et herborise autour de sa ''campagne'' d’Ivry. Il nous dit: « À la fin de janvier (1767), je repris le règne végétal, auquel je donnai toute l’étendue et l’ensemble que hors M. Pluche (l’abbé naturaliste) on n’y avait pas encore mis ». Il ajoute  « Comme il me parut qu’on ne traitoit presque jamais le règne végétal comme règne mais comme la science à part de la botanique, ou qu’en médecin chimiste pour les propriétés, je crus remarquer qu’on pouvoit le treter particulièrement en vrai naturaliste ».

Mais c’est l’une des figures les plus représentatives du siècle, Jean-Jacques Rousseau, qui va faire le plus pour la vogue de la botanique. Il a beaucoup enseigné la musique, copié beaucoup de partitions, et il s’est cru un musicien. De même, il acquiert les rudiments de la botanique en lisant, en herborisant sans cesse, en cultivant la compagnie de botanistes confirmés et il se croit un botaniste. Il soumet à Malesherbes, un amateur très au fait des choses de la botanique, l’idée de faire de petits herbiers à l’usage des débutants en botanique et propose même de les livrer par abonnement. Herboriser est, en effet fort à la mode du temps et nombre d’amateurs éclairés font des herbiers. Mais Malesherbes ne se montre guère enthousiaste. Par ailleurs, il n’hésite pas à écrire : « le premier malheur de la botanique est d’avoir été regardée dès sa naissance comme une partie de la médecine » ou encore : « J’ai toujours cru que l’on pouvait être un grand botaniste sans connoître une plante par son nom ». et dans la 7ème Promenade d’un Rêveur solitaire déclare : « Une autre chose contribue encore à éloigner du règne végétal l’attention des gens de goût : c’est l’habitude de ne chercher dans les plantes que des drogues et des remèdes ». Rousseau a de la nature une vision très personnelle, incontestablement romantique. Il veut faire partager sa passion. S’il estime inutile, voire dangereux, d’apprendre à lire aux enfants de la campagne, incapables, selon lui, de tirer profit d’un enseignement, il réserve en revanche tous ses soins à l’éducation des enfants issus d’un milieu aisé et cultivé qui bénéficient des meilleures chances de s’épanouir et de devenir des citoyens utiles à la société. Dans ses Lettres élémentaires sur la Botanique, rédigées entre 1771 et 1773, il s’efforce, dans un style agréable, avec une pédagogie incontestable, de présenter les principes fondamentaux de la science des plantes. Il poursuivra le même but avec son Dictionnaire des termes en usage en Botanique : « les livres des botanistes modernes n’instruisent que les botanistes, ils sont inutiles aux ignorans : il nous manque un livre élémentaire avec lequel un homme qui n’auroit jamais vu de plantes put parvenir à les étudier seul ». Ses définitions sont simples et agréables. Laissons parler ici un botaniste du temps, Louis-Claude Richard  : « Mais le Dictionnaire de Rousseau, suffisant pour donner une idée de la science végétale, ne l’étoit pas pour ceux qui, voulant approfondir ce qu’ils étudient, ne se contentent pas de cueillir ça et là quelques fleurs passagères ». Un peu moins de deux siècles plus tard, un autre botaniste, Roger de Vilmorin, donnera lui aussi son appréciation : « ce qui choque ici, c’est que Rousseau n’est pas ou plutôt n’est pas toujours inspiré par un esprit scientifique rigoureux, qu’il ’’entrelarde’’ une œuvre qui ressortit de la logique de réflexions et d’opinions subjectives, empreintes souvent d’un finalisme étranger à la science ».

Jean-Baptiste-François Bulliard dit Pierre, naît le 24 novembre 1752 dans le Barrois, à Aubepierre, petite ville située dans l’actuel département de la Haute-Marne. Dernier né d’une famille de treize enfants, très tôt orphelin, il peut néanmoins faire des études au collège de Langres puis trouve un emploi à l’abbaye de Clairvaux, ce qui lui permet d’ aborder les sciences naturelles. Il a la passion de la chasse, réalise une importante collection d’oiseaux empaillés par ses soins. À 15 ans, il a constitué un très bel herbier. Vers 1775, venu à Paris, il étudie la médecine et la botanique. Puis il apprend la technique de la gravure auprès de Martinet. François-Nicolas Martinet, né en 1731, est l’auteur de la plus grande partie des 673 très remarquables planches, rehaussées de couleurs à la main, de format 32,5 x 24, de la grande édition par l’Imprimerie royale de l’Histoire Naturelle des Oiseaux de Buffon, Gueneau de Montbéliard et l’abbé Bexon. Quelques unes de ses planches ornent actuellement les murs du cabinet de travail de Buffon à Montbard. Bulliard est à bonne école et devient un maître de la gravure et de l’aquarelle. En témoignent les 640 planches de la Flora parisiensis ou Figures des plantes qui croissent aux environs de Paris ; avec les différens noms, classes, ordres et genres qui leur conviennent, rangés suivant la méthode sexuelle de M. Linné, leurs parties caractéristiques, parts, propriétés, vertus et doses d’usage en médecine, suivant les démonstrations de botanique qui se font au jardin du Roy dont les six volumes in-8 sortent chez P. F. Didot entre 1776 et 1783. Ces planches gravées et coloriées à la main sont des chefs d’œuvres de finesse, de délicatesse et de minutie qui témoignent de la maîtrise et de la très grande habileté de leur auteur. L’ouvrage précise la situation dans la classification, le détail des parties caractéristiques, les qualités et propriétés, l’usage des plantes représentées. En effet, Bulliard va s’efforcer de mettre sur le marché des ouvrages de botanique, accessibles au lecteur cultivé, d’une rigueur scientifique sans défaut.

Ses intentions pédagogiques sont claires et il va écrire : « On se plaint que l’on ne met pas assez de simplicité dans les méthodes, et qu’elles sont d’une faible ressource pour quiconque veut se livrer à l’étude des plantes, sur-tout quand on n’est point à portée de suivre les démonstrations qui se font sur la nature dans les jardins botaniques. J’avoue que les méthodes, mêmes les plus simples, sont encore hérissées de beaucoup de difficultés ». Ou encore : «  Tout le monde s’occupe des moyens d’étendre l’empire de la Botanique ; moi, c’est ce dont je m’occupe le moins : je n’envisage cette science que du côté de son utilité ; mon objet est de mettre sur la voie des découvertes importantes qu’il reste à faire dans cette partie de l’Histoire naturelle, plusieurs classes de citoyens utiles qui n’ont pas plus de temps qu’il leur faut pour s’acquitter convenablement des devoirs de leur état. Je n’emploie pour cela ni le choix des mots, ni le pour des phrases ; mon crayon me suffit pour remplir la tâche que je me suis fixée ». L’influence de Jean-Jacques est patente.

Mais un progrès technique va lui permettre une plus grande diffusion. Il perfectionne en effet un procédé d’impression en couleurs, s’affranchissant ainsi de la nécessité de faire des retouches au pinceau. Il peut alors faire paraître son Herbier de France ou Collection complette des plantes de ce royaume. L’ouvrage est publié sous forme de fascicules de format petit in-folio à partir de 1780. Des cahiers trimestriels de 10 planches imprimées en couleurs étaient prévus ; ce sera des cahiers mensuels de 4 planches. L’ Herbier débute par les Plantes vénéneuses ou suspectes (planches 1 à 200), de la Lauréole femelle (Daphne mesereum) à la Mandragore femelle en passant par l’Agaric bulbeux (notre Ammanite phalloïde). Puis viennent les Plantes médicinales ( planches 201 à 400) et enfin les Champignons (planches 401 à 602). Bulliard n’aura pas la possibilité de poursuivre son panorama comme il le souhaitait par : Les Plantes alimentaires de la France, la Collection des Plantes grasses et celle des Frumentacées et des plantes qui peuvent faire le meilleur fourrage. Le temps, ainsi que les moyens matériels lui feront défaut.

La première impression du lecteur de nos jours à la vue des planches de l’ Herbier est sans doute un étonnement légitime devant la qualité des figures en couleurs. Ensuite, très rapidement il est confronté à toute une série de difficultés.

La nomenclature tout d’abord. Bulliard suit celle de Linné. Tout botaniste sait qu’elle a évolué et que les noms ont été modifiés. Pour ne donner qu’un seul exemple l‘Antirrhinum cymbalaria (planche 305) est devenu une Linaire. Le problème est plus sérieux en ce qui concerne les champignons pour lesquels il n’existait, à l’époque, pas de nomenclature correcte. En 1820, il a paru utile à MM. Le Turquer et Levieux de publier une Concordance des figures de plantes cryptogames de Dillen, Micheli , Tournefort, Vaillant et Bulliard, avec la nomenclature de Candolle, Smith, Achard et Persoon.

Autre chose : Bulliard publie ses planches dans un ordre dont la logique nous échappe. On trouve dans les premiers volumes, parmi des Angiospermes, beaucoup de champignons mais aussi une fougère : Pilularia globulifera (planche 375).

Il faut préciser que les planches de l’Herbier doivent s’insérer dans un grand ouvrage d’ensemble. Certes, elles sont accompagnées d’un court commentaire : description, usages et propriétés de la plante représentée. Si nécessaire, les moyens de lutte contre une intoxication sont indiqués. Exemple : l’Agaric bulbeux, Fongus phalloïdes, annulatus, sordide virescens et patulus – c’est notre Ammanita phalloïdes - : « les vomitifs, l’huile, le lait et la thériaque sont ses antidotes ». Par ailleurs, l’auteur donne quelques observations : dates de floraison, végétation. Quelques exemples : -Anemone nemorosa, pl.3, fleurit dans les bois, - Erine des Alpes, pl.5, fleurit dans les terreins secs et sur les roches, - Digitalis purpurea, pl. 21, herbe bisannuelle qui fleurit dans les terreins pierreux, les bois, les lieux montagneux, -Atropa belladonna, fleurit en juin, juillet et août dans les bois, sur le bord des fossés… Mais un texte général est prévu. Bulliard a dressé une liste qu’il termine plaisamment par un : « et ainsi de suite…» . Seuls deux volumes verront le jour. L’Histoire des plantes vénéneuses et suspectes – 1 volume in-folio – paraît en 1784. Le premier tome de l’Histoire des Champignons de la France ou Traité élémentaire renfermant dans un ordre méthodique les Descriptions et les Figures des Champignons qui croissent naturellement en France sort en 1791 et le second ne sera terminé par Etienne-Pierre Ventenat, qu’après la mort de Bulliard. L’auteur s’explique sur ses intentions dans sa préface. Retenons ces quelques lignes : « Cet ouvrage ayant pour but de faciliter l’étude des champignons , et de diriger cette étude vers l’utilité, on y trouvera le détail très-circonstancié des caractères qui distinguent les espèces… ». Il est un observateur remarquable, utilise le microscope, trouve la cause de la rouille du blé, fait des expériences qui le convainquent que « il n’y avait pas jusqu’à une moisissure qui ne fut le produit de la graine d’un individu de la même espèce ». ou encore que: « les champignons naissent de graines… un champignon quelconque ne peut exister, s’il n’est le produit de la graine d’un individu de la même espèce ». Lui non plus, il ne croit pas à la génération spontanée même s’il n’apporte pas la démonstration rigoureuse de Pasteur. Ses observations font de lui l’un des pères de la mycologie.

À remarquer : les arbres ne sont pas prévus. Peut-être qu’un ouvrage les concernant a-t-il paru inutile après le magnifique Traité des Arbres de Duhamel du Monceau.

Dans ses Histoires, Bulliard ne reprend pas les descriptions mais développe les précautions à prendre : « Il faut que l’homme sache que parmi les productions végétales que la Nature a placées autour de lui, il y en a qu’il ne doit toucher, sentir, goûter, approcher même qu’avec la plus grande circonspection ». Ainsi pour l’Aconitum napellus : « Prenez garde de confondre sa racine avec celle du Panais ; on est très-exposé à prendre l’une pour l’autre. Prenez garde aussi de confondre les jeunes pousses avec celles du Celeri Apium gravoeolens L. qui est une plante culinaire ». La citation du poète latin Lucrèce, placée dans la page de titre illustre les préoccupations de l’auteur :

« Quippe videre licet pinguescere saepe cicuta
Barbigeras pecudes, homini grae est acre venenum »

Ce qui peut se traduire par : on peut facilement observer que, souvent, la cigüe engraisse les chèvres barbues ; pour l’homme elle est cependant un poison violent.

Acheter des livres coûtait cher à l’époque. et le duc de Croÿ trouvait exorbitant le prix de l’Histoire naturelle des Oiseaux avec les planches gravées par Martinet. Le procédé d’impression perfectionné par Bulliard permet d’éviter le coloriage à la main et de réduire très sensiblement les coûts. L’Histoire des Plantes vénéneuses et suspectes et les planches correspondantes de l’Herbier sont vendues en cahiers brochés en carton séparément : texte seul au prix de 6 livres, 85 figures coloriées au moyen de l’impression : 94 livres. Pour fixer les idées notons qu’un ouvrier confirmé touchait à Paris 1 livre pour une journée de travail.

Le Dictionnaire élémentaire de Botanique ou Exposition par ordre alphabétique, des préceptes de la botanique, et de tous les termes, tant françois que latins, consacrés à l’étude de cette science, publié en 1783, est conçu comme le complément des planches et du texte de l’Herbier. Bulliard insère dans le frontispice la sentence : « Le fil d’Ariane des botanistes est la systématique ; sans elle la chose végétale n’est qu’un chaos ». Il nous donne ces précisions : « Les figures dont cet ouvrage est enrichi, ont été dessinées par M. Bulliard, et gravées et imprimées à l’imitation du pinceau, sous ses yeux et à ses frais, dans le même esprit que les plantes qui composent l’Herbier de France, à l’introduction duquel cet Ouvrage est principalement destiné». Dans l’article Méthodes, il explique quels sont les principaux systèmes de classification qui sont encore utilisés en cette fin de siècle et comment se tirer des pièges de la nomenclature pour nommer correctement une plante. Bulliard a qualifié son Dictionnaire d’élémentaire car, encore une fois, son objectif était essentiellement pédagogique. Il veut être utile et place cette sentence dans le frontispice de son Herbier : « Il prévoit et nous indiquera généreusement les plantes utiles ». S’il a lu Rousseau, Bulliard se montre également un continuateur de Duhamel du Monceau. Il a exprimé plusieurs fois son souci d’instruire par la multiplicité des exemples et surtout par le nombre des figures qu’il s’est efforcé de rendre les plus exactes que possible. Dans la quatrième édition des Démonstrations élémentaires de Botanique de l’abbé Rozier, Claret de La Tourrette et Gilibert (1796) un Catalogue alphabétique des principaux livres de botanique donne cette appréciation : « Bulliard : Flore de Paris, 6 vol. in-8 avec figures enluminées, au moins 600 figures bonnes ; Herbier de France, 106 cahiers in-folio, Paris 1790, avec figures enluminées (c’est une des plus belles collections connues et des mieux exécutées) ».

Bulliard meurt à Paris, dans l’île Saint-Louis, 1 quai de l’Égalité – aujourd’hui quai d’Orléans -, en face du Pont Rouge – remplacé aujourd'hui par la passerelleSaint-Louis - , le 8 vendémiaire an II, soit le dimanche 29 septembre 1793, dans la maison où il vivait au deuxième étage et où il avait installé son cabinet de curiosités et son laboratoire au troisième. Notons que, dans cette même île mais au 13 quai d’Anjou, Duhamel du Monceau décédait 11 ans auparavant. Il n’y avait pas de cimetière dans l’île qui était fréquemment inondée. La trace des deux sépultures a été perdue. Si, récemment, une plaque a été apposée quai d’Anjou à la mémoire de Duhamel initiateur de l’agronomie moderne et de la sylviculture, rien ne rappelle au passant l’existence de Jean-Baptiste-François dit Pierre Bulliard, pionnier de la mycologie.

Bulliard appartient à l’histoire de la botanique. Au début du XIXème siècle, le grand botaniste Augustin Pyrame de Candolle a donné à un genre de la famille des Crassulacées le nom de Bulliarda, aujourd’hui Crassula, et l’on retrouve chez les champignons le nom de Bulliard dans plusieurs genres et espèces.

Réjouissons-nous à l’idée que les techniques modernes permettent à des ouvrages précieux, jalons de l’histoire des sciences, de sortir de la confidentialité des bibliothèques pour aller à la rencontre des ''amateurs'' éclairés de nos jours et leur permettent ainsi d’admirer à leur aise les très belles gravures de Bulliard.

Bibliographie

En ce qui concerne Jean-Jacques Rousseau botaniste : Roger de Vilmorin, 1969, présentation et notes in Rousseau, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. La Pléiade, IV.
Pour Bulliard : E. J. Gilbert, Un esprit, une œuvre : Bulliard Jean-Baptiste-François dit Pierre, Bull. Soc. Myc. de France, 68, n° 1, p. 5-131. Excellent article, complet et bien documenté, agrémenté de 69 planches. On y trouve une intéressante description de la technique d’impression de Bulliard ainsi qu’une bibliographie complète de ses œuvres.

Herbier ou Collection des Plantes Médicinales de la Chine, de Pierre-Joseph Buc’hoz

Avant-propos de Georges Métailié
CNRS et Centre Alexandre Koyré, Paris
metailie@cimrs1.mnhn.fr

L’ouvrage que nous présentons ici, intitulé Herbier ou Collection des Plantes Médicinales de la Chine… est un catalogue de 303 gravures rehaussées de couleurs, représentant des végétaux utilisés dans la matière médicale chinoise. Cet in-folio comprend une page de titre, suivie de deux pages intitulées " Explication des planches " qui précèdent 100 planches portant chacune 3 gravures, à trois exceptions près qui en comptent quatre. Il, est remarquable que les plantes chinoises représentées ne sont identifiées que par les transcriptions de leurs noms chinois qui forment, en fait, les seules " explications " contenues dans ce beau livre publié en 1781. L’auteur, Pierre Joseph Buc’hoz apporte dans le sous-titre quelques précisions sur la nature de son œuvre. Il s’agit, écrit-il, d’une suite aux Planches enluminées et non enluminées d’histoire naturelle, d’une part, ainsi qu’à la Collection des Fleurs qui se cultivent dans les Jardins de la Chine et d’Europe qu’il avait publiés précédemment. Il précise en outre dans une note à la fin des deux pages d’explications que " les noms botaniques de ces Plantes seront données dans la seconde Partie de l’Histoire Naturelle & Economique des trois Règnes ", un autre livre, à paraître, celui-ci. Ces diverses indications nous ont incité à aller consulter ces trois textes. Le premier est certainement la Première [ainsi que la Seconde] Centurie de Planches enluminées et non enluminées Représentant au Naturel ce qui se trouve de plus intéressant et de plus curieux parmi les animaux, les végétaux et les minéraux pour servir d’intelligence à l’Histoire générale des trois règnes de la Nature. Il s’agit d’une série de gravures qui avaient été éditées par souscription au format in-folio par fascicules de dix planches différentes. Chaque livraison formait une " décade ", en fait deux fois dix planches. Chacune des dix planches, en effet, figure sur une page de gauche, en noir, " non enluminée " et rehaussée de couleurs, " enluminée ", sur la page opposée. L’auteur fournit en fin de chaque fascicule la liste des noms des plantes qui figurent sur chacune des planches. Ces noms sont en caractères chinois accompagnés d’une transcription en caractères latins. C’est en l’occurrence un excellent moyen d’identifier correctement les noms chinois des plantes qui figurent en transcription seule dans le livre que nous présentons ici car les gravures des planches sont identiques à celles figurant dans l’Herbier. Les cinq décades que nous avons pu consulter dans la bibliothèque centrale du Muséum national d’histoire naturelle correspondent aux planches 11 à 60 énumérées dans l’Explication du présent ouvrage. Seules les deux dernières décades sont datées, elles ont été publiées en 1778 et 1779. En comparant l’Herbier aux Centuries on ne peut que constater qu’il n’en forme pas une suite mais bien la reprise, les caractères chinois en moins.

Le second titre fait référence à un autre volume in-folio intitulé précisément Collection précieuse et enluminée des fleurs les plus belles et les plus précieuses qui se cultivent tant dans les jardins de la Chine que dans ceux de l’Europe, dirigée par les soins et sous la conduite de M. Buc’hoz, auteur des Dictionnaires des trois règnes de la France, de l’Histoire universelle du règne végétal et de la Collection des planches enluminées et non enluminées d’histoire naturelle. Ouvrage également utile aux Naturalistes, aux Fleuristes, aux Peintres, aux Dessinateurs, aux Directeurs des Manufactures de porcelaine, en Fayance et en Etoffes de soye, de laine, de coton et autres Artistes .Pour servir de suite à l’Histoire Naturelle et Economique des trois Règnes de la Nature. Ce livre in-folio est édité chez Lacombe, libraire à Paris, sans date. La première partie concerne des " Plantes de la Chine peintes dans le Pays ". Elle est formée de cent planches figurant chacune une plante chinoise dans une composition artistique associant toujours au végétal un rocher et un animal, oiseau, insecte ou petit mammifère. Le seul texte qui accompagne, dans la grande majorité des cas, cette belle série de gravures " enluminées " très décoratives, est formé de caractères chinois indiquant le nom de la plante représentée. Ici les images sont d’une facture très différente de celles de l’Herbier qui est ainsi effectivement une suite, dévolue aux plantes médicinales, à cette Collection consacrée à des plantes ornementales particulièrement spectaculaires.

Il reste maintenant à aller consulter le troisième document, Histoire générale et économique des trois Règnes de la nature et, plus précisément son deuxième tome consacré au règne végétal dont voici le texte de la page de titre qui, comme dans l’ouvrage précédent présente tout un programme: " Partie seconde destinée au règne végétal ; contenant les noms botaniques et triviaux des Plantes dans toutes les langues, leurs descriptions, leurs classes, leurs familles, leurs genres et leurs espèces ; les endroits où on les trouve le plus communément, leurs cultures, les animaux auxquels elles peuvent servir de nourriture, leurs analyses chimiques, la façon de les employer pour nos alimens, tant solides que liquides, & leurs différens usages économiques. Le tout rangé suivant le système du Chevalier de Linné. Par M. Buc’hoz, Médecin Botaniste & de quartier de Monsieur, en survivance, Membre de plusieurs Sociétés & Académies. Paris chez l’Auteur,  1783 ". Quand on ouvre ce volume, également in-folio, la déception est à la hauteur de l’attente légitime devant l’ambition manifestée dans le titre. A la place des informations annoncées sont fournies les copies de divers documents, lettres et pièces juridiques, qui présentent les déboires de Buc’hoz avec deux imprimeurs-éditeurs successifs. Il semble donc que ce second volume n’a jamais paru et que, en conséquence, les identifications botaniques des plantes chinoises, " rangées suivant le système du Chevalier de Linné " comme l’annonçait Buc’hoz, n’ont jamais été données. Ceci est fort regrettable car si l’auteur avait tenu son engagement, il aurait accompli une première dans l’histoire de la botanique. Néanmoins, on peut s’interroger sur sa capacité à donner un binôme linnéen pour des plantes qui jusque là n’avaient pas encore été décrites par des botanistes. Cet Herbier, en l’état, ne permettait à un œil exercé de reconnaître qu’un nombre très limité de plantes et ne pouvait avoir qu’un intérêt esthétique. Le style particulier des images, très différent de l’iconographie botanique du XVIIIème siècle européen conduit à se poser la question de la raison d’un tel choix et donc des sources sur lesquelles il a été fondé.

Sources de l’Herbier

L’auteur met sur la piste par la précision que donne le titre, " D’après un manuscrit peint et unique qui se trouve dans la bibliothèque de l’Empereur de Chine ". En fait, pour être exact, il aurait fallu écrire " d’après une copie d’une copie d’un manuscrit peint et unique qui se trouve dans la bibliothèque de l’Empereur de Chine ". Le manuscrit dans lequel Buc’hoz a puisé ces images est formé de plus de quatre cents dessins de plantes en couleurs qu’un missionnaire jésuite, Pierre le Chéron d’Incarville (Louviers, 21 août 1706-Pékin, 12 novembre 1757) avait fait réaliser à Pékin, entre 1746 et 1747, à partir d’une copie - qu’un autre père jésuite, Johan Schreck (Constance 1576-Pékin 1630) avait fait faire plus d’un siècle avant - d’un manuscrit conservé dans la bibliothèque impériale. L’original chinois est un important ouvrage de matière médicale compilé sur l’ordre de l’empereur Hongzhi et achevé en 1505 mais non publié, le [Yuzhi] bencao pinhui jingyao, [Essentiel classé de la matière médicale, (sur ordre impérial)] compilé sous la direction de Liu Wentai. Le Père d’Incarville avait fait faire une copie de l’ouvrage entier qu’il comptait offrir à la bibliothèque royale et une copie des seuls dessins qui était destinée à Bernard de Jussieu (1699-1777) démonstrateur de botanique au Jardin du Roi (aujourd’hui Muséum national d’histoire naturelle, à Paris). Chaque dessin était accompagné du nom chinois de la plante représentée, en caractères chinois. Ainsi, en l’absence d’identification botanique, c’était le meilleur moyen qu’il avait imaginé pour que Bernard de Jussieu puisse lui indiquer de manière non ambiguë quelles plantes l’intéressaient. Une fois reçu le choix de son correspondant parisien, le Père d’Incarville se proposait de lui faire parvenir des graines. Malheureusement il mourut prématurément à Pékin avant d’avoir pu envoyer aucune des deux copies en France. Si on ignore aujourd’hui le devenir de la copie complète du manuscrit chinois, en revanche les copies des seuls dessins se trouvent conservées dans la Bibliothèque de l’Institut, à Paris, tandis qu’un autre jeu de copies des précédentes se trouve au Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale. Une lettre du Père Cibot est jointe à la série de dessins des plantes. Datée de 1772, elle vante l’intérêt scientifique des dessins en en propose l’envoi en France. Il est remarquable qu’une partie de ce texte est repris à son compte par Buc’hoz qui le fait figurer en annexe à la fin d’un des fascicule des Centuries. Compte tenu des dates de publication des fascicules botaniques des Centuries, il apparaît que les dessins de plantes ont dû arriver à Paris après 1772 et avant 1776 ou 1777. Buc’hoz dut en avoir connaissance dès leur arrivée puisque les premiers fascicules des Centuries sont antérieurs à 1778. Nous pouvons juger de sa propension à s’approprier le bien d’autrui puisqu’à aucun moment il ne signale la provenance des images, indiquant simplement " Peint à la Chine " au dessous de certaines d’entre elles. En revanche le nom du graveur, Fessard, est indiqué sur certaines des planches. Enfin, il faut remarquer que le procédé de reproduction des images a entraîné une modification notable. Les gravures des deux livres, l’Herbier et les Centuries, édités par Buc’hoz, comparées à leurs sources, sont inversées par rapport à un axe vertical.

Lecture de l’Herbier, mode d’emploi

La facture même des images peut poser des problèmes au lecteur non familiarisé avec la flore médicinale chinoise et sa représentation dans les ouvrages chinois anciens. Les renvois, tant du texte aux images que des images au texte ne sont pas faciles au premier abord. En effet, les planches sont numérotées sur le principe de 1à 10 à l’intérieur de 10 décades ; ainsi la planche 36 sera à chercher à la planche 6 de la décade 4. Une numérotation continue manuscrite en haut à droite de chaque page fait coïncider les numéros des pages et des planches, ce qui facilite le repérage des images correspondant aux noms chinois cités en début d’ouvrage. Malheureusement une confusion a dû se produire au moment de la mise en pages du volume car un petit nombre seulement des 100 planches sont correctement indexées. Ainsi, par exemple, les plantes représentées sur la planche 24 sont indexées " Pl. 51 " tandis que l’indexation " Pl. 24 " renvoie en fait à la planche 55. On peut reconnaître, en effet, sur la planche 24, respectivement en figure 1 Ping lang (transcription moderne " pinyin " : binglang : Areca catechu L.) , en fig. 2 Tchi kie (zhiqiao : écorce des fruits de divers agrumes), en fig. 3 Tchi che (zhishi : jeune fruit de divers agrumes) et sur la planche 55, en fig. 1 Mieou si (niuxi : Achyranthes bidentata Bl.), en fig. 2 Mieou si (niuxi : Achyranthes bidentata Bl.), en fig. 3 Yygin (Yiyiren : graines de larmes de Job, Coix lacryma-jobi L.). Ajoutons que le système de transcription du chinois utilisé par l’auteur n’est pas facilement utilisable pour un lecteur contemporain, même sinisant.

Quelques mots sur l’auteur

Pierre Joseph Buc’hoz est né à Metz le 29 janvier 1731 et mort à Paris en 1807. Reçu avocat à Pont-à-Mousson, il renonça au droit en 1750 pour se consacrer à la médecine. Il obtint son doctorat à Nancy en 1763. Il eut le titre de médecin ordinaire du roi Stanislas, puis à Paris, celui de " Médecin de Monsieur ". Il consacra une grande partie de son activité à l’histoire naturelle et à la botanique en particulier, source de nombreuses publications. Ses biographes lui prêtent la rédaction de 300 à 500 livres dont une centaine d’in-folio. Il édita lui-même une bonne partie de sa production et des déboires financiers liés aux difficultés de l’édition du deuxième volume de son Histoire générale et économique des trois Règnes de la nature le conduisirent à mettre sa bibliothèque en vente publique en 1788.

L’abondance de son œuvre tend à accréditer l’idée qu’il pouvait parfois emprunter à d’autres une partie, quelquefois importante, des matériaux qu’il publiait. De plus, les quelques textes que nous avons consultés nous ont révélé une tendance chez leur auteur à publier plusieurs fois, parfois sous des titres ou des formats différents, le même contenu. Le présent ouvrage confirme cette double impression. Le lecteur s’est déjà rendu compte que Pierre Joseph Buc’hoz n’est bien sûr l’auteur ni des planches ni des transcriptions des noms chinois et qu’il n’avait guère la possibilité de fournir la moindre identification botanique selon le système de Linné dans la mesure où il ne pouvait reconnaître à leur seule image ces quelques trois cents plantes chinoises jusque là pratiquement inconnues en Europe. La facilité avec laquelle il s’approprie le travail d’autrui, son aisance pour renvoyer son lecteur d’un ouvrage à un autre, l’utilisation d’un même fonds iconographique pour deux ouvrages identiques mais de titres différents, peuvent conduire à douter de son attachement à une déontologie scientifique rigoureuse. Ses contemporains comme la postérité l’ont assez rudement jugé à cet égard. Dans l’ouvrage de référence de Franz. A. Stafleu et Richard S. Cowan (1976-1988), on apprend que G.A. Pritzel, l’auteur du Thesaurus literaturae botanicae (1950), le qualifie de " misérable compilateur " et que le botaniste Charles l’Héritier de Brutelle (1746-1800), son contemporain, créa pour " s’en venger " le genre Buchozia dans le quel il classa une espèce foetida, particulièrement malodorante et " tout à fait appropriée à ce but particulier ".

Il n’en reste pas moins que, d’un point de vue scientifique, cet Herbier de Pierre-Joseph Buc’hoz présente un intérêt bibliographique et historique certain, en particulier par l’information qu’il apporte pour la période d’arrivée en France des dessins que le Père d’Incarville avait fait copier. D’un autre côté, l’attrait que ce livre par la beauté de ses illustrations, pouvait avoir pour un public esthète et fortuné, explique bien l’aspect commercial indéniable de cette édition. Peut-être cet attrait aurait été moindre s’il n’avait existé au cours du dix-huitième siècle en Europe un intérêt, sinon un engouement, pour les productions artistiques chinoises, de même que leurs imitations que ce soient des porcelaines, des papiers peints, des images ou des livres illustrés. Dans cette perspective, avec cet Herbier, Pierre-Joseph Buc’hoz a produit une magnifique chinoiserie.

Références bibliographiques

Berger, Günther, Métailié, Georges, Watabe Takeshi. 1996. "Une chinoiserie insolite: étude d'un papier peint chinois", Arts Asiatiques, 51: 96-116.
Clunas, Craig. 1984. Chinese Export Watercolors. London: Victoria and Albert Museum.
Métailié, Georges. 1998a. "A propos de quelques manuscrits chinois de dessins de plantes", Arts Asiatiques, 53.
Métailié, Georges. 1998b. "Un manuscrit en quête d'auteur.Du Plinius Indicus de Johan Schreck au Bencao gangmu de Li Shizhen et au Bencao pinhui jingyao de Liu Wentai", Journal Asiatique, 286(1), pp. 211-233.
Stafleu, Franz. A., Cowan, Richard S. 1976-1988. Taxonomic Literature. Utrecht: Bohn, Scheltema et Holkema. 7 vol. (2ème édition)

Pour en savoir plus

Sur la biographie de Pierre-Joseph Buc’hoz

Hoefer, Johann Christian Ferdinand. 1857-1866. Nouvelle Biographie générale. Paris : Firmin Didot. Tome 7, p. 706.
Michaud, Louis Gabriel. 1854-1865. Biographie universelle. Paris : C. Desplaces. Tome 6, pp. 98-99.
Prevost, Michel, Roman d’Amat, Jean-Charles. 1933-94. Dictionnaire de Biographie française. Paris : Letouzey et Ané. Tome 7, p. 605.

Sur l’histoire de la botanique en Chine

Needham, Joseph, Lu, Gwei-djen. 1986. Botany. Vol. 6:1, in Needham, Joseph, (ed.) Science and Civilisation in China. Cambridge: Cambridge University Press, 719 p.

Sur l’illustration botanique en Chine

Haudricourt, André Georges, Métailié, Georges. 1994. "De l'illustration botanique en Chine", Etudes chinoises, 13(1-2), pp. 381-416.

Sur les illustrations de manuscrits du [Yuzhi] bencao pinhui jingyao

Une bonne reproduction d’un manuscrit complet, qui n’est pas le manuscrit original, a paru au Japon en 2002, à Tokyo, aux éditions Taniguchi shoten, 5 volumes, 1200 p.
On trouve des reproductions partielles dans :
Constantini Vilma.1973. Pen ts'ao p'in hui ching yao, antico codice cine di farmacologia. Milano : Garzanti, 143 p.
Fazzioli, E. et E. 1990. Les jardins secrets de l'Empereur. Paris: La Maison rustique, 160 p. Traduit de l'italien par Bernard Leblond avec la collaboration de Toni Meconi. Malheureusement, si les reproductions des illustrations originales sont bonnes, le texte du livre est plein d’inexactitudes. Cf. revues critiques : Bertuccioli, Giuliano, 1989, pp. 83-84, in : Mondo Cinese, 68, et Métailié, Georges, 1991, pp. 219-222, in : Etudes chinoises, 10 (1-2).
Métailié, Georges. 2001. " Un sguardo sul mondo naturale " pp. 536-548, in : Storia della scienza, vol. II, A, capitolo XLVIII, Chemla Karine ed. : La scienza in Cina. Roma : Istituto della Enciclopedia Italiana.
Les illustrations ayant été reprises dans d’autres manuscrits chinois, on peut également se reporter à :
Anonyme. 2000. Shiwu bencao. Beijing: Huaxia chubanshe, 530 p.

Remerciements

L’auteur tient à remercier Mesdames Elisabeth Dodinet et Bernadette Molitor, ainsi que Monsieur André Charpin pour leur aide précieuse.