Hippiatrie et médecine vétérinaire antiques

Les éditions numérisées de Pélagonius à la BIU Santé

Présentation par Valérie Gitton-Ripoll
Université de Toulouse 2

 

 Liste des ouvrages numérisés
L’Ars ueterinaria de Pélagonius est un traité latin d’hippiatrie (médecine équine) publié vers le milieu du IVe siècle ap. J.-C., probablement sous l’empereur Julien (1). Rédigé sous forme épistolaire, il s’adresse aux propriétaires de chevaux utilisés dans les courses de char (equi generosi), en leur proposant quelques traitements parmi les plus faciles à réaliser dans la uilla (peu de chirurgie). Le texte est constitué de la compilation d’auteurs latins et grecs plus anciens, comme Celse, Columelle, Apsyrtus, et d’autres dont nous ne savons plus rien. Largement utilisé par Végèce dans sa Mulomedicina, il tombe dans l’oubli au Moyen Âge, puis réapparaît au XVe siècle, où il est cité par Léon Baptista Alberti (Le cheval vivant, vers 1445), puis lu et étudié par Politien, qui en fit rédiger en 1485 une copie manuscrite que nous possédons toujours.

Il faut toutefois attendre le XIXe siècle pour voir se réveiller l’intérêt porté à cet auteur. L’édition princeps est due à Guiseppe Sarchiani, en 1826 (2); elle reproduit le manuscrit de Politien, conservé à la bibliothèque de Florence (Codex Riccardianus 1179, siglé R). Il s’agit d’un très bon manuscrit, qui porte une subscriptio du grand humaniste : il l’a fait copier, écrit-il, « à partir d’un original assez ancien », qui serait un manuscrit médiéval que l’on estime remonter au tout début du Moyen Âge ; il contient les trois quarts du texte que nous possédons actuellement. Cette copie soignée est encore aujourd’hui le plus long et le meilleur manuscrit, sur lequel s’appuient les éditions les plus récentes. Sarchiani en donne une édition intégrale, non corrigée (nous dirions aujourd’hui « diplomatique ») ; quelques notes de bas de page rétablissent les fautes les plus évidentes et développent les abréviations. L’édition est suivie d’une traduction en italien, qui présente l’avantage d’être la seule traduction en cette langue disponible à ce jour (3). Sarchiani n’a souvent pas pu traduire les noms d’ingrédients (plantes, minéraux), sur lesquels peu d’études avaient été faites alors, et les a laissées en latin ou signalées par des notes de bas de page.

Un deuxième manuscrit fut découvert, que Joseph von Eichenfeld édita en 1824, sous le titre « Fragmente lateinischer Hippiatrika » (4), sans que Sarchiani ait eu visiblement connaissance de cette parution. Il s’agit d’un manuscrit palimpseste provenant du monastère de Bobbio (siglé Bo), maintenant conservé à la Bibliothèque Nationale de Naples (Neapolitanus latinus 2). L’ars ueterinaria y a été écrit en onciales, dans la première moitié du VIe siècle, puis a été recouvert par des œuvres de Jérôme et d’Augustin. Ce manuscrit ne transmet plus que quelques pages de l’ensemble. La lecture en est difficile, comme dans tous les palimpsestes, et les hauts et les bas de page manquent.

La première édition Teubner est due à Maximilien Ihm en 1892 (Leipzig) (5). Il s’agit de la première édition scientifique moderne, avec apparat critique, introduction et notes. Elle prend en compte les deux manuscrits Bo et R, et présente un texte unifié et classicisé (l’orthographe a été normalisée), avec de nombreuses corrections. Le texte latin est suivi de fragments des Hippiatrica grecs, ce qui peut déconcerter au premier abord. Les Hippiatrica rassemblent tout ce qui nous reste de l’hippiatrie grecque, qui devait être représentée, comme l’hippiatrie latine, par différents auteurs dont nous connaissons encore les noms, Eumélus, Théomnestos, Apsyrtus, Hiéroclès…, mais dont nous avons perdu aujourd’hui les textes originaux. Ils ont en effet été rassemblés à l’époque byzantine, sous forme d’extraits, dans une collection qui les reclasse par sujets traités (c’est-à-dire par maladies), et non plus par auteur (6). Pélagonius est le seul latin à y être traduit, et figure au milieu d’auteurs grecs, ce qui a pu laisser croire un moment qu’il avait effectivement rédigé son traité en langue grecque. L’intérêt de cette traduction grecque est qu’elle préserve des passages de Pélagonius dont nous avons perdu les originaux latins. C’est pourquoi Ihm les a fait figurer à la fin de son edition, de même que tous les éditeurs suivants.

Une nouvelle édition Teubner voit le jour en 1980, sous la plume de Klaus-Dietrich Fischer, qui reprend l’édition de Ihm, mais en revenant à une orthographe plus conforme aux leçons des manuscrits. K.-D. Fischer enrichit le commentaire et la liste des fragments grecs, ce qui l’amène à changer la numérotation ; il présente dans l’apparat une liste de loci similes, précieuse dans cette discipline où une large partie des textes provient de compilations. Constatant les très grandes différences entre le texte donné par R et celui de Bo, il refuse d’en donner une lecture unique, et édite séparément les deux versions (il suit en cela l’exemple de Oder et Hoppe, qui ont édité le CHG en donnant séparément le texte des principaux manuscrits).

Deux autres manuscrits ont été découverts depuis la parution des deux Teubner. Il s’agit du manuscrit d’Einsiedeln (Einsidlensis 304) (7) et du manuscrit de Vérone (Veronensis 658) (8), qui seront tous deux intégrés à la prochaine édition de la CUF.

Notes

 
1 Valérie Gitton-Ripoll, « Contribution de la prosopographie à une possible datation de l’Ars veterinaria de Pélagonius », Revue de Philologie LXXIX, 1, p. 69-93.
2 Pelagonii veterinaria ex Richardiano codice excripta et a mendis purgata ab Josepho Sarchianio nunc primum edita, Florence, 1826.
3 Karl Wilberg a traduit Pélagonius en allemand, à partir de l’édition de Ihm, pour sa thèse de médecine vétérinaire : Die Pferdeheilkunde des Pelagonius, Berlin, 1943.
4 Joseph von Eichenfeld, « Fragmente lateinischer Hippiatrika », Jahrbücher der Literatur, Vienne, 26, 1824, p. 25-34.
5 Pelagonii artis veterinariae quae extant. Recensuit praefatus commentatus est Maximilianus Ihm, Leipzig, 1892.
6 L’édition moderne est le Corpus Hippiatricorum Graecorum, éd. Eugen Oder et Karl Hoppe, Leipzig, 1924 (tome I) et 1927 (tome II).
7 Une édition diplomatique en a été faite par Pierre-Paul Corsetti en 1989 : « Un nouveau témoin de l’Ars veterinaria de Pélagonius », Revue d’Histoire des Textes, XIX, p. 31-57 ; et une édition commentée par Valérie Gitton-Ripoll, Pélagonius, Ars veterinaria, thèse de doctorat, volume I, Lyon, 1999.
8 Vincenzo Ortoleva, « Un nuovo testimone frammentario di Pelagonio e alcune considerazioni sulla tradizione manoscritta e sul testo dell’Ars veterinaria », Res Publica Litterarum 21, 1998, p. 13-44.