Louis Lécluse du Thilloy (1711- 1792)

Nouveaux élémens d’odontologie, contenant l’anatomie de la bouche
ou la description de toutes les parties qui la composent et de leur usage ;
et la pratique abrégée du Dentiste
Paris : Delaguette, 1754

Présentation par Micheline RUEL-KELLERMANN
Docteur en chirurgie dentaire et en psychopathologie clinique et psychanalyse
Membre titulaire de l’Académie nationale de chirurgie dentaire
Secrétaire générale de la Société française d'histoire de l’art dentaire (SFHAD)
micheline@ruel-k.net

Les nouveaux élémens d’odontologie apportent eux aussi une nouvelle pierre à l’édifice inauguré, moins de trente ans auparavant par Fauchard. C’est l’ouvrage d’un homme étonnamment polyvalent auteur de nombreuses publications tant dentaires que de littérature poissarde et qui simultanément joue la comédie de Paris à Lunéville ou Ferney et prend soin des dents des personnages les plus illustres.

Loin d’être une œuvre mineure, un de ses mérites et pas des moindres est d’avoir compilé et réuni les connaissances anatomiques des meilleurs auteurs ; un autre de ses mérites est d’être une lecture critique de Fauchard et de Bunon.

Éléments biographiques

Bien que d’une façon générale les noms soient sujets à des variations orthographiques, le nom de Lécluse bat tous les records. Tantôt il s’avère être Fleury dit Lécluse, de Lécluse, de L’Écluse ou encore Lécluze ; ses prénoms sont tantôt Louis, Henri ou Nicolas.

La vie de cet homme aussi doué qu’intelligent a été d’une prodigieuse activité dans des domaines très diversifiés ; elle s’est tristement terminée.

Il est lié depuis son plus jeune âge avec Simon Favart de deux ans son aîné, pâtissier et auteur de vaudevilles et avec Jean-Joseph Vadé, de sept ans son cadet, chansonnier et auteur lui aussi.

Il fait ses débuts d’acteur en 1736 au Théâtre de la Foire, berceau de l’Opéra Comique. Il excelle dans les rôles de comique et chante fort bien. Le théâtre est fermé en 1745. Son directeur, Favart et lui-même sont engagés par le Comte de Saxe pour jouer dans sa troupe personnelle aux armées durant les campagnes des Flandres. Il soigne en même temps le Maréchal et ses troupes (cinq campagnes consécutives faites dans la dernière guerre en Flandres où plus de 80000 bouches m’ont passé par les mains), déclare t-il dans l’Avertissement (p. vi-ij). Le Comte de Saxe le tenant en haute estime lui fera octroyer un carrosse à quatre chevaux.

Depuis 1739, et peut-être avant, il est également dentiste de Stanislas 1er Leszczynsky (1677-1766), beau-père de Louis XV et se rend fréquemment à Nancy ou à Lunéville.

La paix signée en 1748, il s’installe à Lunéville et y exerce ses deux activités, montant sur les planches devant les personnes de la Cour où probablement il rencontre Voltaire pour la première fois.

Toujours à Lunéville, en 1750, il écrit et publie à Nancy son Traité utile au public, où l’on enseigne la méthode de remédier aux douleurs et accidents qui précèdent et accompagnent la sortie des premières Dents des Enfans.  Il obtient l’approbation de Bagard, premier médecin du Roi, pour son élixir anti-scorbutique déjà approuvé en 1747 à Bruxelles par Chicoineau au Sieur Lécluze, Chirurgien Dentiste de Monseigneur le Comte de Saxe, Maréchal-Général des Camps & Armées du Roi, &c. Il quitte Lunéville fin 1752. Non sans avoir fait fabriquer à Troyes un instrument original, une langue de carpe.

Revenu à Paris, il est rue du Four-Saint-Eustache ; il est reçu Expert pour les dents le 1er janvier 1753 et cette même année, Louis XV lui donne l’autorisation d’imprimer les Nouveaux éléments d’Odontologie qui paraissent l’année suivante. En 1755, il publie toujours à Paris sa  Dissertation sur le préjugé pernicieux concernant la dent œillère écrite durant son séjour à Lunéville et des  Éclaircissements essentiels pour parvenir à préserver les dents de la carie et à les conserver jusqu’à l’extrême vieillesse

Lécluze se retrouve exerçant à Genève. En 1760 il est appelé par Voltaire à Ferney pour soigner les dents de sa nièce Melle Denis afin de la rendre en mesure de monter sur la scène du théâtre de Tournay. Des critiques acerbes de Fréron pimenteront le séjour de Lécluze chez un hôte enchanté de ses divers talents.

Revenu à Paris, il est inspecteur d’orviétan pour tout le royaume de 1772 à 1775.

Il publie en 1782  Art du Dentiste et Anatomie de la Bouche.

Non content de pratiquer ses activités de dentiste et d’acteur, il est l’auteur d’œuvres poissardes dont la première écrite en 1748, Léclusade ou le Déjeuné de la Rapée remporte un vif succès et sera maintes fois rééditée.

Et pour enrichir encore cette brillante polyvalence, il se fait entrepreneur de spectacles en 1778, il a 67 ans. Le Théâtre de la Foire, après une longue interruption, renaît de ses cendres pour la Foire de Saint Laurent. Il y présente des spectacles puis décide de construire son propre théâtre, un théâtre en bois, le Théâtre à quatre sous de L’Écluze. Fortement endetté, ruiné et poursuivi, il se réfugie au Temple, lieu d’asile pour les insolvables. Il se tire de cette situation en négociant son privilège de théâtre qui avait une indiscutable valeur. Le théâtre prend le nom de « Variétés amusantes ». Il en est le directeur et redevient acteur. Le théâtre est transféré en 1785 au Palais Royal qui deviendra la Comédie française. Lécluze n’est plus autant apprécié et le déclin inexorable s’amorce.

Sans précision aucune, on sait seulement que Lécluze meurt en 1792 dans une profonde misère.

L'ouvrage

Les nouveaux élémens d’Odontologie contenant l’Anatomie de la Bouche ; ou la Description de toutes les Parties qui la composent, & de leur usage ; & la Pratique abrégée du Dentiste, avec plusieurs observations par  M. Lecluse, Chirurgien-Dentiste de sa Majesté le Roi de Pologne, Duc de Lorraine & de Bar, Chirurgien-Dentiste, Pensionnaire de la ville de Nancy ; & reçu à Saint Côme.

Les nouveaux élémens de 224 pages se composent de deux grandes parties.

Le Traité utile au public de 42 pages est présenté en fin d’ouvrage.

Nouveaux élémens d’odontologie

La première partie

Elle est consacrée à l’Anatomie de la Bouche.

Dans son Avertissement, Lécluse reproche aux célèbres M. Fauchard & le feu sieur Bunon, entre autres, d’avoir supposé gratuitement des connaissances qu’on aurait dû puiser dans leurs Livres. C’est pour épargner aux jeunes gens, l’embarras d’une étude où l’on peut s’égarer sans guide, que j’ai cru devoir suppléer à ce qui manque aux meilleurs Livres que nous ayons sur l’Art du Dentiste ; je veux dire, l’Anatomie de la Bouche. J’ai débarrassé ce petit Traité, de tout ce qui est étranger au Dentiste ; je me suis renfermé dans ma sphère, & je me borne exactement à faire connaître toutes les parties qui peuvent intéresser la Bouche par leur voisinage ou leur dépendance. J’abandonne les différentes distributions des vaisseaux & des rameaux nerveux, lorsqu’ils sont au-delà des parties supérieures ou inférieures de la Mâchoire. J’en dis assez, pour que le Dentiste puisse opérer suivant la rectitude des fibres, sans être exposé à couper des muscles ou des vaisseaux, & pour le mettre en état d’éviter tous les accidents de cette nature, ou d’y remédier promptement en connaissance de cause ; cette exposition Anatomique, est autant le fruit de mon expérience, que de mes recherches. J’ai disséqué, j’ai vu par moi-même, & j’ai toujours fait marcher ensemble la Pratique & la Théorie (p. v- vj).

Les 96 pages sont divisées en quatre chapitres, le premier traite de l’Ostéologie, le second de la Myologie, le troisième de l’Angiologie et de la Névrologie, et le quatrième de la Sarcologie.

Sans aucune figure, cette anatomie descriptive de la bouche, indiscutablement novatrice pour un ouvrage d’odontologie est pour l’essentiel une compilation claire dont la lecture est un peu aride. Les références annoncées sont l’Exposition anatomique de la structure du corps humain (Paris 1732) de Jacques-Bénigne Winslow (1669-1760) qui avait déjà lui-même mis en ordre les découvertes anatomiques éparses dans divers ouvrages et qui a été édité 32 fois sans aucune illustration; également, The anatomy of human body (Oxford 1698) de Guillaume Cowper (1666-1709), plagiat de l’Anatomia corporis humani (Leyde 1682) de Godefroi Bidloo et de ses nombreuses planches illustratives.

Lécluse a disséqué et probablement vérifié ce qu’il avançait.

La deuxième partie

Elle s’intitule : Pratique Abrégée du Chirurgien Dentiste, où l’on trouve une méthode aisée de nettoyer les Dents, et les moyens de remédier à plusieurs maladies de la Bouche, omises dans les Traités d’Odontalgie.

Les 118 pages sont divisées en quatre chapitres, les références à Fauchard, Bunon et occasionnellement à Mouton sont complétées par ses méthodes personnelles et la description minutieuse des instruments employés connus et ceux créés par lui même.

: Sur les dents de lait 

Connaissant leur temps de chute, la prévention des malocclusions est posée d’emblée : le dentiste sçaura sacrifier à propos & avec toute la prudence possible une petite molaire ou une canine de celles qui se renouvelleront, si elles sont mal placées, et si la mâchoire n’a pas assez de circonférence pour contenir toutes ses dents dans un bel ordre (p. 99). Ce qui évitera d’avoir des dents mal arrangées qui s’ébranlent par leur rencontre avec celles qui leur sont opposées ; de sorte qu’elles se poussent réciproquement, l’une en dedans, l’autre en dehors, par les divers mouvements que fait la mâchoire inférieure dans ses fonctions (p. 100).

Pour prouver l’existence des racines de dent de lait niée par B. Martin ou Cl. Geraudly, Lécluze dit avoir tiré une dent de lait à une dame de Nancy, environ vers sa vingtième année : cette dent était entre les deux grandes incisives de la mâchoire supérieure et ne voyant pas qu’il s’agit d’une dent surnuméraire en rajoute sur sa conception de la résorption : Ce cas arrive lorsque la couronne de la Dent seconde n’a pas rencontré l’extrémité de celle de lait dans les divers mouvements de la mâchoire (p. 103). En accord avec Fauchard ou Bunon, il ne l’est plus quant à l’explication du processus de résorption et croit devoir conclure que c’est assez que la racine de la dent de lait vacille imperceptiblement du dedans au dehors de la mâchoire, par l’effet de la force du levier, dans le tems de la trituration, pour s’user sur les inégalités de la couronne de la dent qui la renouvelle & qui lui résiste sans être endommagée (p. 112-113). Mais si cette résorption est incomplète par le glissement de la seconde dent à côté de son alvéole, ce qui ne peut détruire la racine, un mauvais arrangement de la dent est certain (p. 119).

II : Conduite et régime que l’on doit faire observer pour la conservation des dents

- Les conseils concernant les enfants sont empruntés à Bunon sans qu’il soit cité.

- Dans sa Nouvelle méthode de nettoyer les Dents, tout en recommandant la pratique de M. Fauchard, il critique sa façon de mettre la tête de la personne sur laquelle il opère sous son bras, ( …) attitude assez désagréable, sur-tout pour les Dames (p. 124-125). Au contraire de Fauchard qui conseille de sonder les Dents avant de les nettoyer, pour s’assurer de leur état et même de remédier aux dents cariées, il estime avec raison, plus sûr de ne faire cette recherche, qu’après que les Dents sont dépouillées du tartre qui souvent remplit & couvre les caries (p. 127-128).

- De l’âge où l’on doit limer les Dents des jeunes personnes lorsqu’on le juge nécessaire : Ordinairement les Dents de l’enfant sont inégales en longueur ; on ne doit les égaliser qu’à l’âge de seize ans ou environ  (p. 133).

- De la Carrie  : les causes sont multiples : dents trop pressées ou cassées sur un corps dur ou par quelque coup ou par l’effet de la lime conduite sans précaution, et aussi d’une salive âcre & chargée d’acide, ou d’une humeur provenant du vice du sang & de la limphe qui s’arrête autour des dents & dont les particules communiquent à celles de l’émail des impulsions qui en détachent les parcelles les unes des autres (p. 134-135).

III : De la fluxion et de la méthode curative

- Reprochant à Fauchard de n’avoir pas pris la peine de décrire la nature de la Fluxion, ses causes, ses diagnostics, ses pronostics & la méthode curative, il va essayer d’y remédier.

 On appelle Fluxion, toute matière morbifique ou superflue qui s’est amassée ou fixée tout à coup dans une partie du corps . Cette matière qui commence à se former, ou qui provient de l’humeur peccante déjà formée ailleurs, ne pouvant être expulsée par la partie solide à cause de son inaction, produit une enflure, une chaleur extraordinaire, & de la rougeur au visage ; elle occasionne le battement des artères, le ptyalisme, l’insomnie, la fièvre des douleurs pulsatives, l’engorgement des vaisseaux, des glandes, & de leurs canaux excrétoires (p. 146-147).

 Les Dents & les alvéoles carriés ou les fractures peuvent aussi produire le même effet, par l’irritation que la carrie ou la fracture fait aux parties qui l’environnent (p. 148). Les facteurs favorisant étant la Pléthore, le Scorbut, la suppression des règles, la saignée négligée dans les grossessesLa Fluxion de cause froide attaque ordinairement les personnes cachectiques, elle est de plus longue durée que celle de cause chaude qui s’attaque plutôt aux personnes jeunes & vigoureuses  accompagnée de douleurs violentes mais de peu de durée (p. 149-150).

Mais il faudra distinguer la Fluxion phlegmoneuse de l’érésipélateuse pour lesquelles le traitement diffèrera.

La Curation de la Fluxion  : elle ne doit pas être abandonnée aux soins de la nature, sur-tout lorsque les amygdales & les glandes parotides se gonflent ; il faut la résoudre dans son commencement, & réprimer promptement l’humeur qui la rend phlegmoneuse. Le premier soin sera d’aider la circulation des liqueurs, & de prévenir l’extrême engorgement des vaisseaux, par  quelques saignées (p. 153-154). Suivront selon les indications : lavements émollients & laxatifs.

Si le malade est tourmenté de grandes douleurs, de fièvres violentes ou de veilles continuelles, on modèrera les mouvements du sang avec quelques Juleps rafraîchissants, dans lesquels on ajoutera un grain de laudanum ou bien deux ou trois gros de Syrop de pavot blanc, selon l’état du malade & la prudence du Médecin qui fera réitérer & augmenter la dose, si la première ne suffit pas  (p. 154). À noter cette prise en compte de la douleur. Les applications locales seront des résolutifs faits avec du lait chaud, ou encore des cataplasmes. Et si la Fluxion est oedémateuse : des compresses trempées dans l’eau-de-vie la dessècheront ou encore seront utilisés des esprits volatils des sels ammoniac & d’urine, ou de crâne humain (p. 155-160).

Mais lorsque le pus est formé, & que le phlegmon ne perce pas naturellement, il faut l’ouvrir avec le Scalpel, dans l’endroit le plus bas de l’abcès, & en évacuer promptement la matière, pour ne pas lui donner le tems de communiquer sa malignité aux parties voisines et de former des sinus fistuleux (p. 160-161).

IV : Des maladies des gencives

 Elles sont celles que la sortie des Dents occasionnent le gonflement, l’Epoulis ou accroissement qui est souvent dangereux, le Paroulis ou abcès dont les suites sont très-fâcheuses, les ulcères, les fistules, le Scorbut, la gangrène & le sphacele (p. 163). Lécluse trouve ces maladies si bien expliquées par M. Fauchard que je ne peux que renvoyer le Dentiste à la lecture de son Livre (p. 164). Mais ce dernier ne s’était pas étendu sur le Scorbut, en dehors de ses effets buccaux. Lécluse s’y hasarde et fait du scorbut : moins une maladie simple qu’une complication de maladies qui ont pour cause l’altération et l’épaississement du sang & de la lymphe, chargés l’un et l’autre d’un sel grossier. Les fluides acquièrent ce vice par la respiration d’un air marin extrêmement froid, ou trop renfermé, ou par le grand usage des aliments salés, secs & de mauvaise qualité, & par l’abondance de vin, de la bonne chère, &c. (p. 171). Ces maladies attaquent communément les gens de mer, ceux qui habitent des lieux froids ou trop aquatiques  ainsi que les personnes mélancoliques, ou attaquées d’affections hypocondriaques & d’affections hystériques (p. 171-172). Le scorbut est une entité morbide encore très large au milieu du XVIIIème siècle.

- Curation de ces Maladies

Les quatre opérations de la Pratique Chirurgicale sont rappelées, la Sinthese ou réunion, la Dierese ou séparation, l’Exhérese ou retranchement des choses superflues, & la Prothese ou addition aux parties qui manquent (p. 181). La technique de l’exérèse est décrite ainsi : il n’est pas moins nécessaire de couper les portions excédentes des gencives avec des ciseaux pointus, soit courbes, soit droits, & de les scarifier avec la pointe d’une lancette enveloppée d’une bandelette depuis le milieu de sa chasse jusqu’à la pointe, tant pour la mieux affermir que pour ne point effrayer la personne sur laquelle on opère (p. 183-184). A noter l’empathie de l’opérateur pour le patient.

Trois pages sur la bridure des mâchoires selon Fauchard où Lécluse se montre moins acharné que lui à réduire par la force un trismus.

- Sur les Dents artificielles

Il suffit d’avoir lu l’Ouvrage de M Fauchard pour sentir la nécessité de réparer promptement les ruines de la bouche, qui intéressent tant la santé ; & ceux qu’il n’aurait pû persuader, cèderont sans doute aux nouvelles raisons rapportées par M Mouton dans son Odontotechnie (p. 206).

Lécluse n’ayant rien à dire sur la prothèse elle-même, s’en prend à signaler  les quelques méprises échappées à M Mouton (p. 207). Critiquant Mouton, il en profite pour faire sa propre mise au point.

Ainsi ne pouvant admettre le ressort des mâchoires nécessaire à la perfection du son, cher à Mouton , Il précise que la Mâchoire supérieure reste immobile dans les mouvements de la bouche. De même : Le ressort particulier de l’alvéole n’a jamais chassé la Dent, lorsque la gencive ou la sertissure charnue lui manque ; Elle est seulement chancelante et moins ferme. Et un peu plus loin il explique La dent n’ayant plus d’adhérence au périoste & à la gencive, elle est en partie expulsée de l’alvéole par le gonflement de cette membrane commune (p. 210-211).

Cette deuxième partie se termine par des recettes de sa composition, une eau pour les hémorragies, une lotion dessicative pour le scorbut ; puis les planches illustratives présentent les deux instruments inventés :

Le premier est un gratte-Langue en or ou en argent qui peut par une petite pince à l’une des extrémités recevoir une petite éponge pour enlever le limon des dents les plus éloignées des incisives (p. 217).

Le second est un levier en forme de Pélican avec une branche courbe dont l’extrémité a la forme d’un repoussoir ; ce qui deviendra une langue de carpe (p. 222).

Conclusion

Tout en reconnaissant l’intérêt de la première partie des Nouveaux élémens consacrée à l’anatomie qui est une compilation opportune des connaissances du moment, la seconde partie intitulée Pratique abrégée du Dentiste est tout à fait bien nommée. Très influencé par le Chirurgien-dentiste de Fauchard et le connaissant parfaitement, Lécluse nous en donne une version simplifiée, bien structurée, d’une lecture bien plus agréable. Ses nombreux apports personnels sont non seulement intéressants, mais ils témoignent souvent d’une sensibilité pour le vécu du patient, qu’il s’agisse de sa peur ou de sa douleur qui se traduisent dans des précautions techniques ou thérapeutiques réelles qui n’apparaissent guère chez Fauchard avant tout préoccupé d’efficacité et de son image professionnelle. Qu’il s’agisse de Bunon ou de Lécluse, fervents admirateurs de l’auteur de l’œuvre inaugurale de l’Odontologie, tous deux se sont appliqués à enrichir leurs écrits en donnant des conseils utiles au Dentiste pour mieux écouter et aborder le patient et par la même optimiser le déroulement et les suites de l’intervention. Tiennent-ils cette attitude pour l’un à sa fréquentation des enfants et pour l’autre à la douleur des blessés des champs de bataille ?

Traité utile au Public

Déplorant l’état dentaire de la plupart des personnes habitant la Lorraine, Lécluse justifie la publication de ce petit Traité d’une trentaine de pages.

Son contenu est un résumé de l’ouvrage de Bunon avec un emprunt à Bernardin Martin sur les nourrices qui seront préférées plutôt brunes que blondes. Par contre, on est en droit de s’étonner que ces auteurs ne soient jamais cités et que les Anciens soient, pour l’heure, ses seules références, tels Hippocrate ou Paul d’Égine.

On en retiendra cependant une ébauche d’approche de ce que l’on pourrait actuellement identifier à une sorte de parodontite juvénile. Après avoir conseillé de supprimer sucreries, acides et fruits verts, il ajoute : Presque tous les Enfans de la Campagne en ont la bouche en désordre ; s’ils ont les Dents blanches, ils doivent cette propreté au gros pain qu’ils mangent ; mais le limon qui se forment la nuit, s’insinuant par la mastication entre la Dent & la gencive, fait une compression aux vaisseaux sanguins et lymphatiques, & conséquemment une opposition au passage des liqueurs ; ces liqueurs trouvant obstacle à leur circulation, dilatent les vaisseaux par leurs efforts, & forment par leur filtration abondante, une tension qui rompt les parois délicates de ces mêmes vaisseaux : de là vient la source des maladies des gencives, & la perte des Dents (p. 31).

Bibliographie

Pierre BARON. « Louis Lécluze (1711-1792), dentiste, acteur, auteur, entrepreneur de spectacles », Bulletin de l’Académie nationale de chirurgie dentaire 2005, n°48 p.105-123.
Georges DAGEN (Montcorbier). « L’Aventureuse Vie du sieur LÉCLUSE DE THILLOY », Documents pour servir à l’histoire de l’art dentaire en France et principalement à Paris. La Semaine dentaire, 1925, p. 135-168.
Carlos GYSEL. Histoire de l’Orthodontie, p. 460, 480-490. Ed : Société belge d’Orthodontie, 1997, Bruxelles