PrésentationMode d’emploiServices associésRéutilisations

Nosologie méthodique.

Lyon : Gouvion. 1772

Consulter ce document en ligne
Gilles Barroux
pour le projet ANR Philomed
Professeur agrégé de philosophie et directeur au Collège International de Philosophie (2010-2016)
barroux.gilles@wanadoo.fr
13/03/2012

Né à Alès le 12 mai 1706, un jour marqué, dit-on, par une éclipse de soleil, François Boissier de Sauvages fit son chemin en menant des études approfondies, développant un goût aussi prononcé pour les lettres que pour les sciences et, particulièrement, les mathématiques. De l’étendue et de la variété de ses goûts, nous retenons une remarquable qualité d’écriture, dont il fit montre dès la publication de sa thèse de licence, l’Amour peut-il être guéri par les plantes ?, soutenue en 1724 dans l’enceinte de l’Université de Montpellier. Boissier de Sauvages nous laisse une œuvre conséquente : celle d’un homme lettré qui propose de nouveaux modèles pour appréhender la nature et la diversité des maladies. Il est surtout celui qui ouvre la porte, au sein de l’Université de Montpellier, au développement d’une nouvelle conception physiologique et médicale générale de l’économie animale, le vitalisme, tout en reprenant et renouvelant une tradition héritée d’Hippocrate qui consiste à classer et identifier par ce biais les maladies.

La Nosologie méthodique (1772) – ouvrage qui a occupé presque trente années de la vie de l’auteur – s’impose comme un document fondamental pour comprendre les débats entre scientifiques, philosophes et médecins portant sur les critères de classification des maladies. Ces dernières peuvent-elles être appréhendées comme des espèces susceptibles d’être rassemblées dans des classes, des genres, des ordres, à l’image des plantes ? Le discours préliminaire de la Nosologie est, de ce point de vue, un exemple intéressant de la circulation entre concepts philosophiques et médicaux. Les deux éditions connues et disponibles du texte traduit du latin en français datent de 1772 : Nicolas et Gouvion. Il s’agit donc d’éditions posthumes, aucune n’ayant été publiée, à notre connaissance, du vivant de l’auteur. L’édition de Gouvion, plus estimée des médecins qui ont lu Sauvages, paraît plus proche du texte original.

Une lecture attentive de la Nosologie méthodique permet de faire l'expérience de la richesse de ses sources et de ses centres d'intérêt : historique, philosophique, scientifique autant qu'anthropologique.

En premier lieu, cette œuvre est l’aboutissement d’un travail de trente années. C’est au début des années 1730 que vient à l’esprit du jeune Boissier de Sauvages, à l’occasion d’un séjour à Paris, l’idée d’écrire un livre proposant une approche de toutes les maladies à la manière des botanistes, en classant celles-ci comme les naturalistes procèdent pour les espèces auxquelles ils s’intéressent. Il s’agit des Nouvelles classes des maladies dans un ordre semblable à celui des Botanistes, comprenant les genres et les espèces, édité à Avignon en 1732. Si le fait de répertorier les maladies, par exemple les multiples fièvres, constitue une tradition déjà bien ancrée chez les médecins depuis l’Antiquité, si le siècle précédent a connu un modèle en son genre avec l’illustre Sydenham, surnommé l’Hippocrate anglais, l’apport de Boissier de Sauvages réside dans l’affirmation d’une dimension analogique concernant le procédé de classification. Il s’agit de considérer les maladies comme des êtres qui possèdent leur nature propre, et qui peuvent, ainsi, être aisément identifiés. Chaque classe regroupe genre, espèce, ordre, et occasionne un tableau qui doit être cohérent, clair, et un outil systématique pour chaque médecin. Par exemple, tout malade qui présente quelque kyste, tumeur ou autre excroissance doit conduire le médecin à chercher dans la classe des vices à quel ordre appartient le tableau clinique en présence. Cette organisation nosologique inscrit les opérations du diagnostic et du pronostic dans une logique générale où le moins de place doit être laissé au hasard...

Cette entreprise n’a cessé d’alimenter le débat qui, tout au long du XVIIIe siècle, interrogeait la pertinence d’une classification systématique des maladies. Rappelons qu’en parallèle, une discussion analogue traversait le milieu des botanistes (ce dont rend un compte on ne peut plus explicitement l’article Botanique de Daubenton dans l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert). Le travail de Boissier de Sauvages témoigne à quel point la médecine, pour se constituer et s’affirmer comme science à part entière, a besoin de modèles empruntés à d’autres disciplines.

En second lieu, l’intérêt de la Nosologie réside dans le caractère hétéroclite des matériaux utilisés par Boissier de Sauvages. Dans le discours préliminaire, l’auteur commence par définir les outils et les sciences qui contribuent à rendre possible cette nosologie. Parmi ces outils, l’un d’eux ressort de manière incontestable : l’idée de méthode. La méthode est, étymologiquement, une poursuite (grec ancien : meterkomai) ; elle consiste dans le fait d’ordonner, par l’action de l’esprit, diverses idées, divers jugements et divers raisonnements, et de les disposer de la manière la plus propre à faire connaître ce sujet. Elle implique également que nul être ne doit se trouver indéterminé dans la mesure où les critères de désignation et de classification doivent posséder cette universalité ainsi que cette transparence propres à ne pas créer d’exception ou à en créer le moins possible. Cette visée de l’universalité ferait de la méthode, sous la condition de la rigueur absolue de cette dernière, une science. Cette méthode fait l’objet d’une subdivision savante de la part de Boissier de Sauvages, rendant compte des différents procédés en cours chez les médecins antérieurs et contemporains de l’auteur.

Sans expliciter le contenu de toutes ces précisions, définitions et divisions, ce qui retient l’attention, c’est la convocation systématique de trois sciences ou disciplines extérieures à la médecine pour assurer l’efficience même de la méthode nosologique. Les trois principales lois de la nosologie consistent à « distinguer d’une manière purement historique leurs espèces et leurs genres, à bannir de l’Histoire qu’on en donne toute hypothèse philosophique, et à tirer leurs caractères des symptômes qu’elles présentent constamment » (Discours préliminaire, p. 90). Ces lois s’articulent avec les trois sortes de connaissances humaines  suivantes : historique (la science des faits), philosophique (connaissance des causes et des principes), mathématique (connaissance de la quantité et de la mesure). Autrement dit, la Nosologie, bien plus qu’une somme des maladies contemporaines de l’auteur recensées et répertoriées, s’impose comme un témoignage convaincant des passerelles, articulations et emprunts qui relient en un vaste faisceau des sciences pourtant fort différentes dans leur mode de constitution.

 

Eléments de bibliographie :

Barbaste (Docteur), Étude biographique, philosophique, médicale et botanique sur François Boissier de Sauvages, Montpellier, 1851

Boissier de Sauvages, François, Vocabulaire de la Nosologie de M. de Sauvages, contenant tous les termes techniques qui s'y trouvent avec leur explication, leur étymologie et leurs renvois au corps même de l'ouvrage, Paris, 1775

Boissier de Sauvages, François, Ecrits divers, texte revu par Gilles Barroux, Dijon, Association Corpus-EUD, 2011

Dagognet, François, Le catalogue de la vie, étude méthodologique sur la taxinomie, Paris, PUF, 2004

Dagognet, François, Nosologie (article), dans Dictionnaire de la pensée médicale, sous la direction de D. Lecourt, Paris, Presses Universitaires de France, 2004

Grasset, Joseph, Le Médecin de l'amour au temps de Marivaux. Etude sur Boissier de Sauvages, d'après des documents inédits, Montpellier, 1896

Grmek, Mirko Drazen, Histoire de la pensée médicale en Occident, tome 1, de l’Antiquité au Moyen Age, tome 2, De la Renaissance aux Lumières, tome 3, Du romantisme à la science moderne, Paris, Seuil, 1997

Hombres-Firmas, L.-A., Notice biographique sur François Boissier de La Croix de Sauvages,... professeur en la Faculté de Montpellier, Nîmes, 1838