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Myrothecium spagyricum ; sive, Pharmacopoea chymica, occultis naturae arcanis, ex hermeticorum medicorum scriniis depromptis abunde illustrata...

Tolosae Tectosagum : Apud Petrum Bosc. 1628

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Bernard Joly
pour le projet ANR Philomed
Professeur émérite de philosophie et d’histoire des sciences à l’Université de Lille 3
bernard.joly@univ-lille3.fr
13/11/2012

Pierre Jean Fabre (1588-1658) est sans doute l’un des alchimistes français les plus prolixes du XVIIe siècle. Originaire de Castelnaudary, il obtint son doctorat de médecine à Montpellier en 1614, non sans mal puisqu’une première version de ses thèses fut refusée pour cause de paracelsisme et d’empirisme, avec injonction de suivre la doctrine d’Hippocrate et de Galien. De retour dans sa ville natale, il y exerça cependant la médecine selon les principes spagyriques, c'est-à-dire alchimiques, inspirés de l’œuvre de Paracelse. Ses premiers ouvrages rendent compte de cette activité médicale et justifient, théoriquement aussi bien que pratiquement, cette volonté d’offrir à la médecine des bases plus sûres que celles de la tradition galénique en la fondant sur l’alchimie, qui n’était rien d’autre que la chimie de l’époque. C’est ainsi qu’après avoir publié le Palladium spagyricum (Toulouse, 1624), énergique défense des théories alchimiques, il fait paraître la Chirurgica spagyrica (Toulouse, 1626), suivie d’un traité de pharmacologie chimique, le Myrothecium spagyricum, publié avec un recueil de ses guérisons les plus spectaculaires, Insignes curationes (Toulouse, 1627), et enfin un Traicté de la peste selon la doctrine des médecins spagyriques (Toulouse, 1629). Il complètera cette série par un ouvrage sur les cures thermales, l’Hydrographum spagyricum (Toulouse, 1639). Par la suite, son œuvre s’oriente vers une défense argumentée de la « philosophie chimique », qu’il considère comme étant la seule et véritable philosophie naturelle. Il confère ainsi à l’alchimie une dimension universelle, en faisant la clé qui permet de décrypter aussi bien les mystères de la religion (Alchymista christianus, Toulouse, 1632) que les allégories de la mythologie antique (Hercules piochymicus, Toulouse, 1634). Après la publication d’un ouvrage de synthèse en français, l’Abrégé des secrets chymiques (Paris, 1636), puis d’un « Rempart de l’alchimie » (Propugnaculum alchymiae adversus quosdam misochymicos, Toulouse, 1645), son œuvre culmine avec la publication d’un vaste ouvrage encyclopédique, Panchymici, seu, Anatomia totius Universi Opus (Toulouse, 1646), qui eut à l’époque un certain succès puisqu’il fut réédité à Francfort en 1651 et qu’il faisait partie des lectures alchimiques de Newton. La doctrine de Fabre est récapitulée et complétée dans le Manuscriptum ad Fridericum rédigé en 1653 mais qui ne fut publié qu’en 1692 dans les Miscelanea curiosa de Nuremberg.

Le Myrothecium spagyricum, sive Pharmacopoea Chymica, occultis naturae arcanis, ex Hermeticorum Medicorum scriniis depromptis abunde illustrata, est un traité sur les vertus et la préparation de médicaments par les moyens de la chimie. Il traite de manière originale un sujet d’une grande banalité dont il entend renouveler entièrement les fondements en s’appuyant sur les acquis d’une tradition « hermétique » ignorée d’Hippocrate et de Galien. Hermès Trismégiste et Démocrite apparaissent ainsi, dès les premières pages de l’ouvrage, comme les véritables fondateurs d’une science chimique que la tradition universitaire aurait oubliée. L’ouvrage, qui fait 352 pages in 8°, est divisé en neuf livres. Après une explication générale de l’importance de l’introduction de l’art chimique dans la préparation des médicaments en sept courts chapitres, le livre premier se poursuit en présentant la manière de tirer parti de diverses substances animales, telles que le sang, le crâne, les os, la chair ou l’urine de l’homme, puis de certains animaux comme la vipère, le loup, la taupe, l’hirondelle et autres. Le livre second concerne les médicaments tirés d’une cinquantaine de végétaux, comme l’hellébore, la rhubarbe, la menthe ou le thym, tandis que le troisième s’occupe des préparations à base de minéraux, qu’il s’agisse des métaux, à commencer par l’or et l’argent, ou d’autres substances comme le soufre, le sel, le vitriol, l’antimoine ou les pierres précieuses. Les livres quatre à neuf adoptent un système de classification fondé non plus sur la nature des substances utilisées, mais sur le type de médicament préparé, qu’il s’agisse d’huiles, d’eaux, de sirops, de pilules, d’onguents et d’électuaires.

Chacun des chapitres comporte deux parties : tandis que la première présente les diverses opérations par lesquelles peuvent se préparer les médicaments à partir des substances considérées, la seconde énumère les usages que l’on peut en faire pour guérir toute sorte de maladies. Il faut cependant remarquer que l’ouvrage déborde les ambitions des nombreux « cours de chymie » qui commencent à fleurir à l’époque. Il ne se contente pas, en effet, de donner des recettes, mais il propose une réflexion théorique sur le « purum naturae », pure substance de la nature qui se trouve au cœur de toute chose, contenant ses semences et favorisant son développement. Seules les opérations de la chimie, et en particulier la distillation, permettent d’accéder à cette substance et à l’intégrer aux divers médicaments. Se trouve ainsi mise en évidence la suprématie de l’alchimie, qui domine toute la philosophie de la nature et donne aux médecins qui s’en inspirent l’assurance de disposer d’une lumière qui éclaire tout leur art.

Bibliographie

Allen Debus, The chemical philosophy. Paracelsian science and medicine in the sixteenth and seventeenth centuries, New-York, Science History Publication, 1977, 2 vol.

Bernard Joly, La rationalité de l’alchimie au XVIIe siècle, avec le texte latin, la traduction et le commentaire du Manuscriptum ad Fridericum de Pierre-Jean Fabre, Paris, Vrin, 1992 ; seconde édition revue et corrigée, Paris, Vrin, 2013.

Bernard Joly, « L'ambiguïté des paracelsiens face à la médecine galénique », in Armelle Debru (éd.) Galen on pharmacology. Philosophy, history and medicine, Leyde, Brill, 1997, pp. 301-322.

Bernard Joly, « Profession médicale et savoir alchimique : luttes et enjeux du moyen âge au XVIIe siècle », Spirale,  Revue de recherches en Education, n° 13, 1994, pp. 17-42, http://spirale-edu-revue.fr/IMG/pdf/2_JOLY_SPI13_Fr.pdf

Didier Kahn, Alchimie et paracelsisme en France (1567-1625), Genève, Droz, 2007.