XXXIIe congrès - Anvers, 2 au 7 septembre 1990

par R. Mayer

Après Paris (1982), Le Caire (1984), Dusseldorf (1986) et Bologne (1988), c’est Anvers qui recevait, cette année, le Congrès de la Société internationale d’histoire de la médecine. Anniversaire à souligner, c’est en 1920 — il y a donc exactement 70 ans — que se tenait, à Anvers même, le tout premier congrès de la Société, fondée par le Pr Jean-Joseph Tricot-Royer (1875-1951), grand-père de l’actuel président du Comité d’organisation.

Anvers, ville au passé glorieux, est aujourd’hui, à maints égards, une cité riche, vivante et accueillante. Le Congrès tenait ses assises au Centre socio-culturel de l’Elzenveld. Situé au coeur de la cité, à peu de distance de la cathédrale Notre-Dame, il est la propriété du Centre public d’Aide sociale d’Anvers et il est installé dans les locaux de l’ancien hôpital médiéval de Sainte-Elisabeth. Ce dernier, fondé au XIIe siècle, a été récemment rénové: un hôpital moderne y fut réinstallé, alors que les magnifiques locaux anciens étaient aménagés en salles de conférence, tout en conservant les structures médiévales d’origine et les beaux jardins intérieurs. C’est donc dans un cadre superbe et doté de tout le confort nécessaire que se déroula ce congrès, où trente-cinq pays étaient représentés cette année, par plus de 300 participants, venus entendre 200 conférences et communications centrées sur cinq grands thèmes: XIXe siècle, Le livre médical, Art et médecine, Psychiatrie et, enfin, Magie, médecine et religion.

La cérémonie d’ouverture débuta le lundi 2 septembre à9 heures par l’allocution du président du congrès, le Dr Jean-Pierre Tricot — par ailleurs président en exercice de la Société belge d’histoire de la médecine — suivie de l’adresse, prononcée en latin, français, allemand et anglais, par le Pr Hans Schadewaldt, président de la SIHM et d’un exposé du Pr Christian de Duve, Prix Nobel de médecine. Cette introduction fut immédiatement suivie de la séance plénière, avec les conférences de J. Middleton (USA), Magic and religion, de H. Hasquin (Belgique), De la "Cité de Dieu" â la "Cité des Hommes", ou Le renversement des valeurs au Siècle des Lumières et d’un exposé de L. Voet (Belgique), Printing and sciences: the vital interaction in the l6th Century.

L’après-midi, dans deux salles différentes, les premières communications scientifiques débutèrent tout d’abord sur le thème XIXe siècle, où — après une conférence de J. Hutchinson (Canada), Medical opponents of the Red Cross, évoquant les critiques de Jean-Charles Chenu et de Léon Le Fort, ainsi que celles de Florence Nightingale, qui estimaient que les soins aux blessés devaient rester l’affaire des militaires — on put entendre une série de communications, dont nous avons retenu particulièrement William Beaumont, M. D. : medicine and self-made man in l9th century America (C. De Haven Pitcock, USA), Continuing medical education l9th century style: the role of the new Sydenham Society in the education of doctors in North West

England in 1866 (W. J. D. Mc Kinlay, Grande-Bretagne), Professionnal and economic data on the activity of a country physician from the South of France in 1869 (C. F. Roques et coll., France et The history of the first isolation of iodine and its principal uses since then (M. A. Smith, Grande-Bretagne).

Sur le thème Le livre médical, la même après-midi débuta par un excellent exposé de Jean-Pierre Tricot sur Les éditions médicales plantiniennes, rétrospective passionnante de l’apport de l’imprimeur anversois Christophe Plantain et de ses successeurs, les Moretus, qui — malgré leur notoriété — n’atteignirent cependant jamais le même impact scientifique et médical que leur aïeul, exposé après lequel se succédèrent diverses communications, dont nous citerons L’illustration du "Traité de matière médicale" de Dioscoride: du manuscrit à l’imprimé (A. Touwaide, Belgique), Le code médicinal d’Athos de 1626 et ses sources (V. D. Vassilev, Bulgarie), ainsi que Une révolution conceptuelle: l’étude des plantes médicinales américaines au XVI’ siècle (C. Viesca Trevino et M. Ramos de Viesca, Mexique).

Le lendemain mardi, dès le matin, Art et médecine et Magie, médecine et religion étaient au programme. Le premier thème débuta par une conférence de Thierry Appelboom (Belgique) sur le sujet — magistralement traité et illustré — L’art peut-il aider à comprendre l’histoire de la médecine? L’auteur y démontra, à l’aide de plusieurs exemples, que l’iconographie permet de retrouver dans le passé de nombreuses maladies, telle la spondylarthrose ankylosante chez les Médicis, la polyarthrite chronique évolutive chez Pierre-Paul Rubens, ou encore l’artérite de Horton chez Ambroise Paré! Cet exposé fut suivi de six communications dont "La Specola", Florence, and the anatomical waxes (R. Hilloowala et J. Renahan, USA), The seals of the Gallo-Roman oculists (A. Neetens, Belgique), Corot’s "gout" and a "gipsy" girl (R. Panush et coll., USA) et Voir l’oeuvre de Vincent Van Gogh (1853-1890) avec les yeux de médecin (Ph. Wéry, Belgique), où l’auteur montra d’abord en quoi les sujets majeurs du peintre sont le reflet de sa propre psychopathologie, pour évoquer ensuite les grands thèmes qui l’alimentent : anxiété et mort, religion et travail. Dans la deuxième salle, la première séance consacrée au thème Magie, médecine et religion avait à son programme — après la conférence d’ouverture de Samuel Kottek (Israel) sur Names, roots and stones in Jewish lore; between magic, theology and medicine — toute une série de brèves communications dont nous citerons uniquement Prehistoric trephining as a magic-religious ritual (D. Campillo, Espagne) et "The Evil Eye" in Jewish thought (A. Shoham, Israel).

L’après-midi du même mardi, la deuxième séance consacrée au XIXe siècle, nous permit d’entendre tout d’abord un exposé de Giorgiana Feldberg (Canada), Divided loyalties: early European and North American medical responses to Koch’s tuberculin, nous rappelant que cette année 1990 est celle du centenaire de la description par Robert Koch, en août 1890, de cette fameuse "tuberculine" — première application pratique après l’identification du bacille de la tuberculose — en qui Koch, avait mis tant d’espoirs thérapeutiques qui furent autant de déceptions. Cet exposé fut suivi de plusieurs communications, dont On the history of the Vienna chair for the history of medicine (K. Holubar, Autriche), occasion de rappeler que l’enseignement de l’histoire de la médecine à Vienne fut — après Paris, Cracovie et Berlin — l’un des plus anciens d’Europe, et d’évoquer les noms d’Henri d’Attenhofer, Joseph Eyerel et — surtout— de Romeo Seligmann, ansi que Brain research at Leipzig University during the l9th century (I. Kästner, Allemagne). Dans la deuxième salle, sur le thème Le livre médical, l’exposé de Thomas G. Benedek (USA), Medical autobiography and the development of the satirical medical encomium in the l6th century, était suivi de sept communications dont nous avons retenu Magic and superstition in a XVIth century health guide for women (Ch. Boot, Allemagne) et The last 100 years in the history of the ancient Alexandrian library under Arab physicians (K. El Hadidy, Egypte).

Le mercredi fut consacré tout entier à la traditionnelle excursion. Elle emmena les participants visiter les villes de Gand et de Bruges et leurs trésors historiques, en particulier, à Bruges, le Musée Memling, installé dans l’ancien hôpital Saint-Jean merveilleusement rénové, qui contient les oeuvres maîtresses de Hans Memling et en particulier la célèbre châsse de Sainte-Ursule.

Le jeudi, dès le matin, les sessions scientifiques reprenaient, dans deux salles simultanément, où étaient traités les thèmes Psychiatrie et Médecine, magie et religion. Sur le premier thème, la conférence initiale de Gerald N. Grob (USA), The impact of world war II on American psychiatry, fut suivie de communications très diverses, qui traitèrent aussi bien de la psychiatrie à Boston à la fin du XIXe siècle et des débuts de cette discipline dans la colonie allemande du Togo que de l’utilisation de certains paramètres physiques pour le diagnostic de troubles émotionnels ou, encore, de l’importance des expériences religieuses en matière de psychothérapie! Sur le second, la conférence de S. Byl (Belgique) traita de L’étiologie divine dans l’Antiquité classique, exposé riche en exemples tirés des textes anciens et démontrant comment la maladie, dans l’Antiquité, fut ressentie comme une conséquence de la colère des dieux, alors que, dès l’époque chrétienne, elle est au contraire le fait des démons, identifiés aux dieux païens. Si la science transforma ces conceptions au cours des siècles, l’étiologie divine peut parfois resurgir encore de façon émotionnelle, ainsi qu’on a pu le voir récemment chez certains, assimilant le SIDA à une punition de Dieu! Citons encore, parmi les communications qui suivirent, Euphémismes et dénominations des "pudenda" en grec ancien (G. M. Cootjans, Belgique), ainsi que Biologie, médecine et astrologie dans l’oeuvre du théologien Yves de Paris, (C. Gysel, Belgique), et Les recommandations pour sevrer les nourrissons, données par les symboles astrologiques dans les calendriers populaires des XVe et XVIe siècles (A. Mössmer, Allemagne).

Suite des séances scientifiques le jeudi après-midi, où se tenait simultanément, dans les deux salles principales, la fin des exposés sur les thèmes XIXe siècle d’une part, et Magie, médecine et religion d’autre part. Sur le premier sujet, après la conférence d’Eric Fierens (Belgique) sur L’imagerie médicale au seuil de la méthode expérimentale, où — distinguant "imagerie" et "iconographie" — l’orateur démontra l’intérêt de ce nouveau système d’information, donnant pour exemple le peintre Géricault, qui veut "faire du vrai", tant dans le "Radeau de la Méduse" que dans ses "Portraits de Fous", se succédèrent des exposés sur Les traitements de la fièvre jaune au XIX’ siècle (J.P. Bocquet et coll., France), où l’on vit comment l’ignorance de l’agent causal permit la floraison de procédés aussi pittoresques qu’inefficaces, allant des sangsues à la quinine, sur Comment une lithotritie malheureuse causa la mort d’un Empereur (P. Broos, Belgique), relation médicale des misères endurées par Napoléon III de Sedan jusqu’à sa mort — provoquée par deux tentatives de lithotritie pratiquées par Sir Henry Thompson — Sur la notion de contagion au XIXe siècle (L. O. Standaert, Belgique), et, enfin, sur Les causes de la cécité en France de 1800 à 1815 d’après les dossiers d’aveugles postulant à l’Hospice des Quinze- Vingts sous le Consulat et l’Empire (Z. Weygand, France). Quant au second thème, la conférence initiale de Spyros Marketos et Jean Lascaratos (Grèce) sur Greek doctors who played a major role in the political life of the 19th century, précédait une série de communications d’intérêt assez variable.

Mais, ce même jeudi après-midi, dans une troisième salle, se tenait encore une session sur le sujet Antisepsie et bactériologie au XIXe siècle, dont l’exposé initial, tenu par John Kirkup (Grande-Bretagne), avait pour titre Thermal sterilisation and the surgical instrument revolution, 1883-1893, et relatait les découvertes successives de Semmelweiss (1847), Pasteur (1864) et Lister (1867). Il fut suivi de plusieurs communications intéressantes, dont nous citerons Médecine hospitalière et pratique chirurgicale au Québec à la fin du XIXe siècle: le cas de l’Hôpital Notre-Dame (D. Goulet et O. Keel, Canada), L’antisepsie en Espagne et la diffusion de la méthode de Lister (C. Lopez de Letona et J. Riera, Espagne), Des principes antiseptiques de Lister au traitement antiseptique de Carrel (B. Marc, France), exposant l’évolution qui se fit dans les idées et les applications pratiques, de l’année 1867, où parut l’article de Lister "La nouvelle méthode de traitement des fractures ouvertes et abcès", à l’année 1915, où Alexis Carrel mit au point un véritable traitement antiseptique codifié.

La dernière journée du congrès, le vendredi, débuta le matin par deux séances simultanées consacrées l’une à la Psychiatrie et l’autre à la Médecine arabe. La première débuta par la conférence de Dora B. Weiner (USA) sur Les sources scientifiques de l’aliénisme: l’expertise de Philippe Pinel en histoire naturelle, où elle souligna tout particulièrement, en l’illustrant de nombreux exemples, la vigueur de pensée de Ph. Pinel qui — membre de l’Académie des sciences — analyse et critique les mémoires qui lui sont soumis en les trouvant bien trop rarement rédigés selon la "méthode sévère" dont il prône l’utilisation ! Ce très bel exposé, dont la tenue et la rigueur ne le cédaient en rien à la méthodologie souhaitée par Pinel, fut suivie de diverses communications, dont nous retiendrons Le regard du Baron Jaromir Mundy (1822- 1894) sur la colonie d’aliénés de Gheel (P. Delavenne, Canada), relatant l’histoire de cette forme de placement "familial" qui remonte au Moyen Age et qui a donné lieu — particulièrement depuis Esquirol — à une abondante littérature, L’empreinte du Grand-Duché du Luxembourg dans l’histoire de la neuropsychiatrie au XIX’ siècle (Y. de Smet, Luxembourg), ainsi que Franz Anton Mesmer: du magnétisme animal à la préhistoire de l’hypnose (M. Puttemans et coll., Belgique). La seconde séance du vendredi matin, consacrée, elle, à La médecine arabe, avait à son programme successivement — après la conférence initiale de Fand S. Haddad (USA), sur Latin translations of Arabic medical texts that went through more than one edition, une douzaine de brèves communications traitant aussi bien de la phytothérapie dans l’Egypte ancienne que de l’histoire du paludisme au Maghreb, ou encore de l’histoire du choléra dans la Tunisie contemporaine, en passant par l’évocation d’un graphologue arabe méconnu, "Le très savant Ibn Sallam El Joumahi" (XVe siècle), qui fut une véritable encyclopédie et qui consacra tout un chapitre de son livre "La clé des songes et de la physiognomonie" à l’étude du caractère de l’homme d’après son écriture...

Enfin, l’après-midi de cette même dernière journée de vendredi, deux grandes séances avaient encore lieu, toutes deux consacrées à la Médecine du XIXe siècle, dont nous ne citerons que la conférence initiale de Georgette Legée (France) qui —avec son enthousiasme habituel — retraça, sur le sujet Physiologie et médecine en France dans la première moitié du XIXe siècle, un tableau très vivant des travaux des principaux chercheurs de l’époque, mettant l’accent surtout sur la personnalité et la carrière de Pierre Flourens (1794-1867) et rappelant qu’il prôna une méthodologie stricte ainsi que la nécessité d’analyser l’observation — si souvent complexe — par l’expérience, capable, elle, de reproduire les symptômes morbides.

Quelles conclusions apporter maintenant au retour de ce congrès? Disons qu’il fut, cette année, caractérisé par la richesse et l’excellent niveau des exposés, tranchant quelque peu sur celui de Bologne, qui fut à ce point de vue nettement inférieur. C’est de bon augure pour l’avenir de la Société internationale qui souhaite voir s’améliorer toujours plus les prestations scientifiques de ses membres. Notons encore que le congrès fut. bien entendu, agrémenté de nombreuses manifestations annexes, que nous ne relaterons pas en détail. Signalons cependant un superbe concert donné en la cathédrale d’Anvers, ainsi que la visite des maisons Pierre-Paul Rubens et —surtout — de la demeure où vécurent et travaillèrent durant trois siècles les fameux imprimeurs Plantin-Moretus. Cette dernière — merveilleusement conservée avec ses meubles, ses tableaux d’époque et, surtout, ses ateliers d’imprimerie avec leurs presses et leurs caractères d’origine — suscita l’admiration unanime des visiteurs.

Terminons en soulignant combien la parfaite organisation de ce congrès, jusque dans les moindres détails, due au Dr Jean-Pierre Tricot, président du Comité d’organisation, et à son secrétaire général, le Dr Robrecht Van Hee, rendit le séjour d’Anvers particulièrement agréable à tous les participants et signalons encore que le prochain congrès de la Société internationale d’histoire de la médecine se tiendra en 1992, à Grenade, la première semaine de septembre.