Introduction

Depuis longtemps, l’histoire et la légende ont fait d’Ambroise Paré un personnage exemplaire de cette période de troubles et de renouveau que fut la Renaissance. Les chroniques, les mémoires, les romans ont fixé les traits du restaurateur de la chirurgie française, du "protestant" sauvé par Charles IX lors de la Saint-Barthélemy, du praticien autodidacte "très heureux d’apprendre de tout le monde, et de vieillir toujours en apprenant".

La vie du Chirurgien de quatre rois de France, comme l’a montré Paule Dumaître, est aussi riche que sa légende. Pourtant, si ses œuvres connaissent, au XVIe siècle et au XVIIe siècle encore, un succès dont attestent le nombre d’éditions et les traductions, en latin et dans diverses langues, les évolutions de la chirurgie et de la médecine les font ensuite méconnaître. Il ne reste guère, pour distinguer Maître Ambroise, que ses innovations dans le traitement des plaies ; sur ses Œuvres plane le soupçon : le grand ouvrage qui concerne non seulement l’art chirurgical mais aussi la médecine, voire la philosophie naturelle, a-t-il pu être écrit par un praticien sans formation académique ?

La réception des Œuvres d’Ambroise Paré peut guider aujourd’hui notre lecture. C’est bien l’ambition totalisante de ce grand livre en langue française qui a été soulignée par les contemporains, pour la louer ou la condamner. Dans l’histoire de la littérature médicale en langue vernaculaire, qui commence, non sans débats, d’affirmer sa légitimité scientifique, les traités et les Œuvres de ce barbier, devenu, par son talent, premier chirurgien du royaume, occupent une place singulière : parce qu’elles apportent une caution "royale" à ceux qui déjà ont compris que la divulgation des savoirs est une condition nécessaire à leur progrès, et, plus encore, parce qu’elles offrent, hors de la médecine académique, la première "collection" chirurgicale en français.

À cet égard, Paré est à la chirurgie ce que Ronsard est à la poésie : le poète du roi et le chirurgien du roi ont tous deux construit, pour la postérité, le bâtiment de leur œuvre. Celui qui a découvert, à l’Hôtel-Dieu et sur les champs de bataille, les corps tuméfiés, brûlés, déchirés, devient peu à peu, "par la main et par la plume", un écrivain qui commente sa méthode, qui organise et étend sa matière avec l’art d’un chirurgien rationnel mais aussi avec l’art d’un conteur qui ne cache pas son plaisir d’écrire. Le grand livre, offert à Henri III et aux jeunes chirurgiens, en 1575, puis augmenté encore en 1579 et 1585, est le fruit de quarante années de labeur qui ont métamorphosé "l’amas de tous ses travaux" en "chef d’œuvre". Le terme est choisi par Paré ; il n’en est de meilleur pour définir une conception de la chirurgie qui ne sépare plus science et pratique, qui ne sépare pas observation, expérience et écriture.

Plus encore que ses innovations chirurgicales, sa généreuse curiosité, qui l’a conduit, au grand dam de la Faculté, vers les "hauts points de philosophie et médecine", caractérise sa démarche.