L. 6.  >
À Claude II Belin,
le 28 octobre 1631

Monsieur, [a][1]

J’ai reçu les deux vôtres dernières : l’une avec une thèse [2] qui est fort bonne et que je vous renverrai quand il vous plaira, l’autre aujourd’hui ; desquelles toutes deux je vous remercie bien humblement, et auxquelles je vous vais brièvement répondre. Il n’y a eu ici, de mémoire d’homme, aucun médecin gagé pour la peste, [3] Messieurs de la police s’étant toujours contentés de quelques barbiers [4] assez ignorants, qui naturam pestis non intelligunt [1] et qui prennent le chemin de ne l’entendre jamais. Quant aux qualités occultes [5] et à votre lecture de Fernel, [6] Fracastor, [2][7] Puteanus, [3][8] et autres que vous me mandez avoir lus, je ne doute nullement de votre croyance ni de votre capacité. Si j’ai parlé contre ces qualités supposées, j’ai cru le devoir faire tanquam in figmenta vanissima[4] sans néanmoins avoir eu aucun désir, nec verbo, nec scripto, lædere quemquam, multo minus virum eruditissimum et amicissimum cuius doctrinam veneror et suspicio[5] Je serais très marri de vous avoir offensé et ne pense point l’avoir fait. Je ne crois point des qualités occultes en médecine et pense que vous n’y en croyez guère plus que moi, quoi qu’en aient dit Fernel et d’autres, de qui toutes les paroles ne sont point mot d’Évangile. Je les puis détruire par plus de cinquante passages d’Hippocrate [9] et de Galien, [6][10]11] à point nommé et par l’expérience même, qui témoigne que ce sont bourdes de tout ce que les Arabes [12] en ont dit. Même leur chef, Avicenne, [7][13] en a reconnu la vanité, disant que proprietates illæ occultæ sunt figmento persimiles, et commentum hominum ab innumeris quæstionibus sese illarum præsidio relevantium[8] En notre religion chrétienne, je crois, comme tous devons croire, beaucoup de choses que nous ne voyons point, quæque sub sensum non cadunt ; [9] mais c’est par le moyen de la foi, qui nous y oblige, et quæ est rerum non apparentium[10] Mais en fait de médecine, je ne crois que ce que je vois, et ut ait ille Plautinus, Manus nostræ sunt oculatæ, credunt quod vident[11][14][15] Fernel était un grand homme, mais ses arguments pour telles qualités ne sont point des démonstrations mathématiques. Je l’estime le plus savant et le plus poli des modernes, mais comme il n’a pas tout dit, aussi n’a-t-il pas dit vrai en tout ce qu’il a écrit ; et si le bonhomme, qui est mort trop tôt à notre grand détriment, eût vécu davantage, il eût changé bien des choses à ses œuvres, et principalement en ce point-là ; ce que je ne dis pas de moi, mais de sa vie propre que j’ai céans manuscrite, qui m’apprend beaucoup de choses de cet excellent homme, qui et in aliis non leviter lapsus est[12] Quant à ce que me mandez que vous me priez de croire que sus nunquam Minervam docebit[13][16][17] je vous reconnais en cela passionné, qui en venez jusqu’aux injures. Ce n’a point été mon intention de vous offenser, et sais bien que je ne l’ai point fait, combien que je ne me souvienne qu’à peine de ce que j’ai mis dans ma lettre, en ayant écrit quantité d’autres depuis et me l’étant dictée currente calamo[14] Je vous ai répondu brièvement et librement à la vôtre, absque ullo convicio ; [15] je n’y ai taxé personne, si ce n’est quelque ignorant barbier ou charlatan. [16][18] Tant s’en faut que vous ayez occasion de vous en fâcher, je fais bien un autre état de vous et ne vous puis encore assez priser pour votre mérite : si liberius forte loquutus sim, adversus impostores qui artis nostræ veritati et dignitati imponunt, detur quæso hæc licentia philosophicæ libertati et animo veritatis studioso[17] Ne croyez pas pour cela que je vous méprise, je vous tiens pour Minerve et au delà, mais j’ai de quoi montrer (absque iactantia dixerim[18] que je ne suis point du tout dépourvu de ses faveurs, après l’huile que j’y ai usée, et une bonne partie de ma santé que j’y ai prodiguée. Je vous tiendrai néanmoins toujours pour mon maître et réputerai à grande faveur d’apprendre de vous, pourvu que ce soit sans ces mots odieux, sus Minervam, qui sont tout à fait indignes, à mon jugement, d’être proférés entre deux amis, de l’un à l’autre. Quant à vos autres mots que ce qu’en avez écrit, ç’a été discendi potius quam disputandi animo[19] Je vous assure que je me soumets tout à fait à votre censure, et tant s’en faut que je veuille disputer, que je ne désire qu’apprendre. Je ne me suis point mêlé de faire le maître envers vous, mais j’ai peur que n’ayez bien conçu le sens de ma lettre, la lisant avec passion et en colère. Je ne crois pas vous avoir offensé, et si je l’ai fait, ç’a été par imprudence ; c’est pourquoi je vous prie de m’en excuser. J’ai reçu la thèse et vous en remercie. Si celui de qui elle vient la voulait changer contre d’autres, des meilleures qui se soient faites depuis 20 ans, j’en donnerais quatre à choisir contre une vieille que je n’aurais pas, encore que les vieilles ne soient si bonnes ni si bien faites que les modernes. S’il veut les vendre, je les achèterai à l’argent ou en donnerai quelques livres ; sinon je < le > lui renverrai. M. Seguin le jeune [19] vous baise les mains et vous remercie. Je voudrais bien savoir l’auteur de votre livre de variolis et morbillis[20][20] pour savoir si je ne l’ai point. Il n’y a rien ici de nouveau, sinon Institutionum medicinæ D. Sennerti, Germani doctiss. lib. v[21][21][22] depuis peu ici imprimé pour la quatrième fois, qui est du prix de quatre livres. Nous ne sommes pas ici en trop bonne intelligence avec les chirurgiens [22][23] ni les apothicaires, [23][24][25] ceux-là étant trop glorieux, et ceux-ci trop avides de gagner et faire des parties de prix excessif. Néanmoins, ceux-là sont plus paisibles, beneficio frequentioris phlebotomiæ [26] quam hic exercemus, quæ lucrum et laudem eis conciliat ; [24] mais ceux-ci enragent contre le Médecin charitable [27][28] et ses sectaires, [25] qui font préparer les remèdes à la maison à peu de frais ; d’où leurs finesses sont décousues, [26] longe valere iussis fictitio illo lapide bezoardico, cornu unicornis, confect. de hyacintho et alkermes, similibusque nugis, decipiendæ dumtaxat plebeculæ idoneis[27][29][30][31][32] Néanmoins, ils ont depuis peu présenté à notre doyen [33][34] quelques articles de paix, [28] lesquels s’imprimeront si notre Faculté les admet, et en ce cas je ne manquerai de vous en envoyer une copie. [29] Si vous trouvez en votre ville un Cardan [35] latin, De Utilitate ex adversis capienda[30] ou bien quelque tome de Thomas Erastus, [31][36] quel qu’il soit, je vous prie de me l’acheter, comme aussi des vieilles thèses de médecine. Je vous envoie une thèse de médecine, non pas pour dire comme vous, ut sus Minervam doceat, mais pour vous faire connaître ce que je pense de la maladie de laquelle elle traite, et pour vous prier de croire que je suis et serai à jamais, Monsieur, votre très humble et affectionné serviteur.

Patin.

De Paris, ce 28e d’octobre 1631.

J’ai oublié à vous dire ci-dessus que durant les grandes pestes de 1582 et 1583, [37] un médecin de cette ville, fort savant, nommé M. Malmédy, [38] qui était un illustre buveur, se jeta volontairement dans l’hôpital de la peste de ce temps-là, sans aucuns gages, où il gagna néanmoins beaucoup, et n’est mort que plus de 20 ans après de pure vieillesse. [32] Le médecin Senelles, [39] qui était dans la Bastille [40] pour l’horoscope du roi, [33][41][42][43] où il se promettait que le roi mourrait au mois de septembre, est condamné à perpétuité, et ses biens confisqués au roi, [34] sa charge de médecin par quartier donnée à un de nos compagnons nommé M. Barralis, [44] qui est très honnête homme. [35][45] Le roi est à Château-Thierry, [36][46] où le duc de Lorraine [47][48] le vient trouver. [37] Pour le paquet de M. Seguin, si vous pouviez faire en sorte qu’on me l’adressât, ce serait bien le meilleur, ou bien nous mander en quel lieu il abordera. À Dieu, Monsieur. [38]


a.

Ms BnF no 9358, fos 9‑10 ; Triaire no vi (pages 18‑24) ; Reveillé-Parise, no vi (tome i, pages 8‑12).

1.

« qui n’entendent pas la nature de la peste ».

Les barbiers étaient les barbiers chirurgiens, que méprisaient les chirurgiens (v. infra note [22]) dits de robe longue (ou de Saint-Côme, à Paris). Travaillant dans des boutiques à l’enseigne des trois bassins, les chirurgiens barbiers étaient des artisans qui faisaient la barbe et assuraient les menues opérations de chirurgie. La principale et la plus lucrative était la saignée, dont l’exécution était prescrite par un médecin. La dépendance et la soumission des barbiers chirurgiens à l’égard de la Faculté de médecine était totale. Ils lui versaient une redevance annuelle en même temps qu’ils lui renouvelaient leur serment, le jour de la Saint-Luc (18 octobre, v. notes [46] des Décrets et assemblées de 1650‑1651 dans les Commentaires de la Faculté de médecine de Paris) :

« Vous jurez d’obéir au doyen et à la Faculté dans toutes les choses licites et honnêtes, de rendre aux maîtres de la Faculté honneur et révérence, comme il est juste que des écoliers obéissent à leurs précepteurs ; que, chacun de votre côté, vous agirez contre ceux qui pratiquent illicitement ; que vous aiderez en cela la Faculté de toutes vos forces (la Faculté regarde comme pratiquant illicitement tous ceux qui ne sont pas approuvés par elle) ; que vous ne pratiquerez à Paris ni dans les faubourgs avec personne qui ne soit docteur ou licencié de la Faculté ; que vous n’administrerez, ni à Paris, ni dans les faubourgs aucune médecine laxative, ou altérative ou confortative, {a} et que vous ne prescrirez rien de ce qui concerne l’opération manuelle. » {b}


  1. Fortifiante.

  2. Étymologiquement la chirurgie est l’opération manuelle (kheirourgia, en grec, de kheir, la main, et ergon, le travail), strictement réservée aux véritables chirurgiens qui, à Paris, étaient ceux de Saint-Côme.

Sauf quand il s’agissait de panser simplement, les barbiers n’osaient guère se lancer dans une périlleuse concurrence avec les chirurgiens. Leurs prescriptions illicites de médicaments, de connivence avec des apothicaires indélicats, étaient la cause principale de leurs démêlés avec les médecins. Comme le disait ici Guy Patin, la docte Faculté abandonnait (sans doute bien volontiers) les soins des pestiférés à ces « laquais bottés » de barbiers.

2.

Girolamo Fracastoro, dit Fracastor (Vérone 1483-Caffi, près de Vérone, 1553) avait étudié la physique et les mathématiques, puis la médecine à Padoue. À 19 ans, il y professait la dialectique, lorsque la guerre vint interrompre tout enseignement public. Bartolomeo Alviano, général des troupes de la République de Venise, l’accueillit, et l’attacha à sa fortune. Voulant soustraire Fracastor au tumulte des armées, son mécène lui procura une chaire dans l’Académie de Pordenone qu’il venait de fonder dans le Frioul.

Après la bataille d’Agnadel (14 mai 1509), où les Vénitiens furent complètement défaits par les Français, une épidémie de peste ravagea le pays. Fracastor se retira non loin de Vérone, dans sa maison de Caphi, au pied du mont Baldo, sur la rive du lac de Garde. Il y composa l’ouvrage qui lui a valu l’immortalité :

Syphilis, sive Morbus Gallicus.

[Syphilis, ou le Mal français]. {a}


  1. Rome, Anronius Bladus Asulanus, 1531, in‑4o de 8 feuilles, dédié au cardinal Pietro Bembo (v. remarque 1, note [67] du Naudæana 1) ; Vérone, 1530, in‑4o, pour la toute première édition, sous le titre de Syphilidis, sive de morbo Gallico libri tres [Trois livres de la Syphilide (Histoire de Syphilis), ou du mal français].

    Jacqueline Vons, en collaboration avec Jacques Chevalier, Danielle Gourevitch et Concetta Pennuto, en ont donné une excellente édition bilingue sous le titre de La Syphilis ou le mal français ; Syphilis sive morbus gallicus (Paris, Les Belles Lettres, 2011), qui détaille notamment les corrections apportées par Jules-César Scaliger.


Cette épopée poétique a donné son nom moderne à la vérole : parce qu’il a outragé Apollon (v. note [8], lettre 997), les puissances divines frappent Syphilis, un berger séduisant, d’une maladie douloureuse et hideuse ; à la suite de longues souffrances lui conférant un aspect à la fois repoussant et misérable, Syphilis guérit grâce à un nouveau médicament, le bois de gaïac (v. note [8], lettre 90).

Les mésaventures de Syphilis ne composent qu’une partie de l’ouvrage. On y lit aussi celles d’un jeune Lombard, connu de Fracastor, qui mourut de la maladie : v. note [19] du Borboniana 6 manuscrit. Une lecture attentive du poème ne permet pas de connaître l’opinion exacte de son auteur sur l’antiquité de la syphilis en Europe (v. note [9], lettre 122). Il l’y a néanmoins décrite comme répandue en Italie par les armées françaises.

Fracastor a fort heureusement complété ses allégories poétiques par un extraordinaire traité en prose : De sympathia et antipathia rerum liber unus ; De contagionibus et contagiosis et eorum curatione liber tres [Un livre sur la sympathie et l’antipathie des choses ; Trois livres sur les contagions, et les maladies contagieuses et leur traitement] (Venise, 1546, in‑4o pour la 1re édition). Ce livre capital énonce clairement que la vérole est un mal nouveau (morbum novum, v. note [19] du Borboniana 6 manuscrit), ce qui reste discuté ; mais bien plus et avec une netteté inouïe, il met en avant la contagion comme mécanisme en jeu dans la propagation de ce que Fracastor a le premier appelé des infections : maladies provoquées par la transmission de particulæ minimæ et insensibiles [particules minuscules et imperceptibles] (v. note [6], lettre 7) ; il fut le premier à donner leur sens moderne à ces deux mots et à propager les conceptions nouvelles qu’ils portaient, pour en tirer des recommandations prophylactiques. Voilà ce que Guy Patin tenait pour de ridicules « qualités occultes » prônées par le plus brillant génie médical de la Renaissance. On a malheureusement plus admiré les jolis vers de sa Syphilis que la fécondité de ses observations et de ses déductions pathologiques.

V. notes :

3.

Guillaume Dupuis, surnommé Puteanus Blangyacus parce qu’il était né à Blangy-le-Château (Calvados) dans la seconde moitié du xvie s., s’établit à Romans (Isère) puis à Grenoble pour y pratiquer et professer la médecine. Guy Patin a plus tard cité son livre sur les médicaments purgatifs (v. note [52], lettre 104).

4.

« comme contre les fictions les plus vaines ».

5.

« ni en parole, ni en écrit, de blesser quiconque, et surtout pas l’homme le plus érudit et le plus aimable, dont je vénère et admire la doctrine [Fernel]. »

6.

Entraient ici en scène les deux héros antiques (sinon mythiques) de Guy Patin et de presque tous ses confrères de l’époque. Seuls en effet s’étaient écartés de cette vénération aveugle les médecins chimistes, tels Van Helmont (v. note [11], lettre 121), qui se référaient à Paracelse (v. note [7], lettre 7), et que Patin tenait ouvertement pour impies et hérétiques.

7.

Avicenne est le nom occidentalisé du médecin persan Abu Ali Ibn Sina (Afshana près de Bokhara, {a} 980-Hamadan 1036). Son éducation, commencée dès l’âge de cinq ans à Bokhara où son père le conduisit, fut terminée à 18 avec un tel succès qu’elle le plaça au niveau de ses maîtres dans toutes les branches des connaissances humaines qu’on cultivait alors : il étudia la philosophie sous Abu Narsalfarabi, la médecine sous le nestorien {b} Abu Sahal Mosichi et l’histoire naturelle dans les livres d’Aristote. Il abandonna la métaphysique de cet auteur après l’avoir lue un grand nombre de fois sans la comprendre. Il entreprit alors une carrière médicale à éclipses, alternant entre le plus insigne renom et le bannissement. L’abus des plaisirs mina sa constitution ; il mourut d’une prise de mithridate auquel son domestique avait ajouté une dose trop forte d’opium.

Les ouvrages d’Avicenne forment deux classes, dont l’une comprend ce qui a rapport à la philosophie et l’autre tout ce qu’il a écrit sur la médecine, dont la plus grande partie forme le Canon ou Règle. {c} Sa thérapeutique, beaucoup plus riche que celle des Grecs, est ce qu’il y a de plus remarquable : on y trouve une défense résolue de la saignée et l’introduction de nombreux médicaments dérivés des plantes et des minéraux (Castel in Panckoucke).

Guy Patin rejetait tout cela (à l’exception du séné) sous le qualificatif méprisant d’« épicerie arabesque ». Il allait même jusqu’à accuser futilement Avicenne de n’avoir pas lui-même écrit les livres qu’on lui attribue, mais de les avoir simplement traduits d’autres auteurs.


  1. V. note [2] de la lettre de Vopiscus Fortunatus Plempius le 13 décembre 1656.

  2. V. notule {c‑iii}note [8], lettre 125.

  3. V. note [11], lettre 11, pour ses deux éditions latines de Venise, 1555 et 1564.

8.

« ces propriétés occultes sont tout à fait semblables aux fictions, et une invention des hommes qui par leur secours se sont soulagés d’innombrables questions. »

9.

« et qui ne tombent pas sous le sens ».

10.

« et qui n’appartient pas aux choses visibles. »

11.

« Et comme a dit ce passage de Plaute : “ Nos mains ont des yeux, elles croient ce qu’elles voient ” » : Semper oculatæ manus sunt nostræ, credunt quod vident (Plaute, Asinaria, acte i, scène 3, vers 202). V. note [6], lettre latine 392, pour un autre recours à cette citation, son contexte et le commentaire d’Érasme.

L’un des inspirateurs de Molière, Plaute (Maccius Plautus) est un poète comique du iiie s. av. J.‑C. (Sarsina, Ombrie vers 254-Rome 184) qui a produit de nombreuses comédies, tirées des auteurs grecs, dont 21 nous sont parvenues. Asinaria (la Comédie des ânes), citée ici, conte l’histoire de deux esclaves qui ont détourné la somme destinée à acheter des ânes pour favoriser les amours de leur jeune maître avec une courtisane.

Michel de Marolles, abbé de Villeloin, dit dans ses Mémoires que Guy Patin avait rédigé des « animadversions » [commentaires] sur Plaute (v. notule {c}, note [72], lettre 183) : elles sont restées manuscrites et il n’en subsiste aucune trace que je connaisse.

12.

« qui n’est pas le seul à s’être lourdement trompé. »

La « vie propre » de Jean Fernel manuscrite, que Guy Patin avait en mains, ne pouvait être la Vita Fernelii, connue de tous, qui a été écrite par Guillaume Plancy et publiée en 1607 avec l’Universa Medicina [Médecine universelle] de Fernel (v. note [1], lettre 80).

13.

« jamais un pourceau n’en remontrera à Minerve » : un élève ne peut pas donner de leçons à son maître.

Claude ii Belin avait employé ce proverbe latin, sus Minervam pour morfondre Guy Patin en l’accusant d’impertinence à son égard (et à celui de Fernel) sur le sujet des qualités occultes. {a} Érasme l’a commenté (Adages, no 40) : {b}

Tristissimum apud Latinos auctores adagium, υς την αθηναν, i. Sus Minervam, subaudiendum, docet aut monet, dici solitum, quoties indoctus quispiam, atque insulsus eum docere conatur, a quo sit ipse magis docendus ; aut, ut Festi Pompeii verbis utamur, cum quis id docet alterum, cuius ipse est inscius.

[Un pourceau, sous-entendu, donne la leçon ou en remontre à Minerve. C’est le plus amer adage qu’on trouve chez les auteurs latins. On a l’habitude de le dire chaque fois que quelque insipide ignare entreprend d’instruire celui qui pourrait lui en apprendre infiniment plus ; ou, pour employer les mots de Festus Pompeius, quand quelqu’un enseigne à un autre ce dont lui-même est ignorant]. {c}


  1. V. note [7], lettre 3.

  2. Patin, ses correspondants et maints auteurs qu’ils ont cités ont puisé dans les Adages d’Érasme, recueil de locutions et de proverbes antiques, grecs et latins, que le plus brillant humaniste de la Renaissance (v. note [3], lettre 44) a publié pour la première fois à Paris en 1500, et n’a pas cessé d’enrichir jusqu’à sa mort (1536), en leur donnant le sous-titre de Chiliades [Milliers] : l’édition de Bâle, 1523, en comptait 4 582. Celle-ci est la première de mes 171 notes qui font référence à ce monument inégalé de la littérature érudite, dont la lecture est une inépuisable source de distrayant savoir et d’émerveillement. Les Adages sont rédigés en latin, mais une très bonne traduction française en a été publiée par les Belles Lettres (Paris, 2011, 5 440 pages), sous la direction de Jean-Christophe Saladin.

  3. V. note [4], lettre de Charles Spon, datée du 13 août 1657, pour un autre équivalent grec.

Cicéron a prisé l’expression :

Minerve (Pallas ou Athéna des Grecs) est la « déesse de la sagesse et des arts, la seule des enfants de Jupiter, qui ait mérité de participer aux prérogatives attachées au rang suprême de la divinité. […] En effet, quand les mythologistes nous disent qu’elle était née de Jupiter sans le secours d’une mère, cela signifie que Minerve n’était autre chose que la vertu, la sagesse, le conseil du souverain maître des dieux » (L’Encyclopédie).

On dit « parler latin devant les cordeliers, pour dire vouloir faire parade de sa science devant ceux qui en savent davantage, ce qui répond au proverbe latin, Sus docet Minervam » (Furetière).

14.

« au fil de la plume. » V. note [10], lettre 5, pour le passage de la lettre du 18 octobre 1631 qui avait provoqué la colère de Claude Belin.

15.

« et sans aucune invective ».

16.

Charlatan : « faux médecin qui monte sur le théâtre en place publique pour vendre de la thériaque et autres drogues, et qui amasse le peuple par des tours de passe-passe et des bouffonneries, pour en avoir plus facilement le débit. Ce mot vient de l’italien ceretano, qui a été fait de Cæretum, qui est un bourg proche de Spolete en Italie, d’où sont venus premièrement ces imposteurs qui courent de ville en ville, comme témoigne Calepin [v. note [17], lettre 193]. Ménage le dérive de circulatanus, qu’il croit qu’on a dit pour circulator » (Furetière).

Gilles Ménage :

« Circulator est expliqué dans les gloses anciennes par οχλαγωγος, et αγυρτης, qui signifient un charlatan. Le P. Labbe {a} a désapprouvé cette étymologie : “ Charlatan, dit-il, ne vient pas de ce qu’il forme des cercles ou des assemblées en rond, mais des caroles, qui signifient des théâtres dressés au milieu des rues et places publiques pour danser, et ensuite débiter ses drogues et tromper les simples. ” Les Annales de Nangis en la Vie de Philippe le Hardi roi de France : “ Le comte d’Artois manda les dames et les damoiselles du pays pour faire tresches et karoles avec les femmes des bourgeois (d’Arras) qui s’étudiaient en toutes manières de danser et d’espinguier, etc. ” Le P. Labbe qui accuse les autres de s’être trompés, s’est ici trompé, et très lourdement. Outre que l’analogie ne permet pas que charlatan vienne de caroles, caroles n’a jamais signifié des théâtres dressés au milieu des rues ; il a toujours signifié, et signifie encore des danses ; tresches signifiait la même chose. »


  1. Philippe Labbe, jésuite, v. note [11], lettre 133.

Les ennemis de la circulation du sang, découverte par William Harvey (v. note [12], lettre 177), se sont fait un malin plaisir à jouer sur ce sens originel de circulator, charlatan. Guy Patin qualifiait de charlatanerie tout ce qui, en médecine, s’écartait si peu que ce fût du dogmatisme hippocrato-galénique, avec les minimes retouches que Jean Fernel et quelques rares autres y avaient apportées, au xvie s.

17.

« si par hasard je parle trop hardiment contre des imposteurs qui abusent de la dignité et de l’authenticité de notre art, je demande que cette permission soit concédée à la liberté philosophique et à un esprit épris de vérité. »

18.

« je le dirai sans flagornerie ».

19.

« dans l’esprit d’apprendre plutôt que de disputer. »

20.
De variolis et morbillis Tractatus a nullo antea editus Marcello Donato Mantuano Medico Philosopho et Equite Authore. Eiusdem de radice purgante quam mechioacan vocant. Ad Altissimum Carolum Archiducem Austriæ.

[Traité sur la variole et la rougeole, jamais publié jusqu’alors. Par Marcellus Donatus, {a} médecin, philosophe et chevalier de Mantoue. Du même, sur la racine purgative qu’on appelle méchoacan. {b} Dédié à Son Altesse, le duc Charles d’Autriche]. {c}


  1. Marcello Donati (Corregio 1538-Florence 1602), médecin du duc de Mantoue et Monferrat.

  2. Rhubarbe blanche d’Amérique.

  3. Mantoue, Philoterpses et Clidanus Philoponos, 1569, in‑4o pour la 1re édition.

21.

« les 5 livres de Institutions médicales de Daniel Sennert, Allemand très savant » :

Institutionum medicinæ Libri v. Authore Daniele Sennerto Vratislauiensi, Doctore Medico in Academia Vvittebergensi et in eadem Professore publico. Vltimvm avcti, recogniti iamque ter editi in Germania, nunc primum in Gallia.

[Cinq livres des Institutions {a} médicales de Daniel Sennert, natif de Breslau, docteur et professeur public de médecine en l’Université de Wittemberg. Dernière des trois éditions publiées en Allemagne, revue et augmentée, paraissant pour la première fois en France]. {b}


  1. Guy Patin lui-même traduisait Institutiones par Institutions, à prendre alors dans le sens didactique de « principes » ou « méthode ».

  2. Paris, sans nom, 1631, in‑4o ; Wittemberg, 1611, pour la 1re édition.

Daniel Sennert (Sennertus, Breslau [v. note [6], lettre de Charles Spon, datée du 24 avril 1657] 1572-Wittemberg 21 juin 1637), fils d’un cordonnier, avait étudié la médecine et pris, en 1601, le grade de docteur à Wittemberg (Saxe). L’année suivante, il remplaça Jessenius, professeur de cette Université, et acquit bientôt une réputation telle que l’électeur de Saxe le mit au nombre de ses médecins en 1628. Cependant, Sennert conserva la liberté de continuer ses leçons publiques à Wittemberg, où il fut le premier à introduire l’étude de la chimie. Après 35 années consacrées à l’enseignement, Sennert mourut de la peste, qui l’avait épargné déjà dans le cours de sept épidémies successives.

Tiraillée entre les courants antagonistes de son époque, sa doctrine médicale était pour le moins contrastée : d’un côté, il croyait encore à la transmutation des métaux, admettait les qualités occultes dans la cause des maladies et dans l’action des médicaments, et recommandait aux médecins l’étude de l’astrologie ; d’un autre côté, il dénonçait avec vigueur les fautes de Paracelse (v. note [7], lettre 7) et de ses adhérents, relevait les jongleries des alchimistes, blâmait les noms nouveaux que Paracelse avait introduits sans nécessité dans la médecine et la chimie, refusait de croire à l’existence d’un remède universel, s’élevait avec force contre l’usage de tenir secrète la préparation des substances héroïques que les médecins inventaient, et reprochait avec force aux galénistes orthodoxes de ne rejeter les médicaments chimiques que parce qu’ils n’avaient pas été connus des Anciens. Sennert fut le premier à tenter de concilier les principes de Galien avec ceux de Paracelse. Il s’éleva aussi contre plusieurs dogmes fondamentaux du péripatétisme, et fut en conséquence accusé d’hérésie et de blasphème ; mais il échappa aux conséquences fâcheuses d’une inculpation alors si grave, en rangeant à son avis huit facultés de théologie, dont il invoqua les lumières et la décision (A.-J.-L. Jourdan in Panckoucke).

Parmi quelques autres, la note [9] de la lettre latine 341, sur la fièvre hongroise (typhoïde), donne une belle idée du talent médical de Sennert. Il figure parmi les médecins dont les ouvrages ont connu le plus grand nombre d’éditions au xviie s. Guy Patin ne partageait pas toutes ses idées, mais l’estimait profondément, au point d’avoir procuré lui-même la première impression complète de ses œuvres (v. note [12], lettre 44).

22.

Les chirurgiens formaient alors un corps de praticiens tout à fait distinct des médecins. Les lettres de Guy Patin sont emplies des querelles qui opposaient les deux professions. Il y avait deux sortes de chirurgiens : les chirurgiens « tout court », ou chirurgiens de robe longue (et, à Paris, chirurgiens de Saint-Côme) formaient la catégorie supérieure, et les chirurgiens-barbiers (v. supra note [1]), la catégorie inférieure. Les médecins méprisaient les chirurgiens, qui méprisaient les barbiers ; et la haine était généralement la rançon du mépris. Toutefois, les médecins avaient besoin des uns comme des autres. En pansant, tranchant ou brûlant, les chirurgiens soignaient la « pathologie externe » (plaies, fractures, maladies de la peau et des yeux). Il leur arrivait aussi d’évacuer les liquides épanchés dans la plèvre ou dans le péritoine. Les lithotomistes étaient spécialistes exclusifs de la taille vésicale (v. note [11], lettre 33).

À la Faculté de médecine (qui ne délivrait aucun diplôme de chirurgie), les dissections anatomiques étaient accomplies par un chirurgien opérateur placé sous les ordres d’un médecin, dit régent d’anatomie (v. note [10], lettre 8), qui, du haut de sa chaire, lui disait quoi et comment faire.

La confrérie des chirurgiens portait à Paris le nom de Saint-Côme (v. note [1], lettre 591) parce qu’elle s’était établie dans les dépendances de l’église Saint-Côme et Saint-Damien, située à l’angle des rues de la Harpe et des Cordeliers (aujourd’hui boulevard Saint-Michel et rue de l’École de Médecine, dans le vie arrondissement). Les chirurgiens y étaient indépendants de la Faculté de médecine : sans son contrôle, on y enseignait (en français) et on y délivrait des maîtrises qui autorisaient à pratiquer sous l’enseigne des trois boîtes surmontées d’une bannière aux images de saint Côme et saint Damien. Le plus ardent désir de « ceux de Saint-Côme » était d’obtenir les mêmes prérogatives que la Faculté de médecine (« ceux de Saint-Luc »), qui s’acharnait à refuser que ces ignares de chirurgiens pussent, sans même lire le latin, conférer les grades de bachelier et de licencié, donner à leur assemblée le nom de Collège, enfin et surtout, porter la robe et le bonnet.

Dans sa Manuductio ad medicinam (1660, v. note [32], lettre 458), Johann Daniel Horst a fort bien résumé (pages 239-242) en quoi consistait l’art chirurgical au xviie s. (et le tout sans anesthésie) :

Cum sine Chirurgicis administrationibus in multis morbis nil Laude dignum præstare possimus, restat, ut de Chirurgia quoque agamus. Occupata autem est Chirurgia vel in solutorum unione, vel in continuorum solutione, vel superfluorum extirpatione, vel deficientium recuperatione ; idque urendo, secando, fasciando, reponendo, consolidando, auferendo, reponendo, etc. […] Quinque itaque sunt Chirurgiæ operationes : συνθεσις, διορτωσις, διαθρεσις, εξαιρεσις, et deficientium restitutio. Ad primam spectat fasciatio, splenionum injectio, ferularum adaptatio, illaqueatio et collocatio. In ossium coaptatione extensio notanda, luxatorumque debita repositio. Huc spectat Intestinorum, Umbilici prominentis, uterique prolapsis repositio, atque ani procidentis cura. Sæpe quoque suturis opus est. Quoas alteram depressa elevanda, contorta dirigenda. Tertia complectitur sectionem et ustionem. Ita sæpe abscessus, fistulæ, etc. aperiuntur, vinculum sub lingua secatur, ut et aliæ partes p.n. vel ab ortu conjunctæ. Ad hanc Chirurgiæ operationem spectat quoque scarificatio, varicum et aneurismatis sectio, paracentesis, suffusionum punctio, laryngotomia, sectio in empyemate, sebaceum, ossium divisio, Cauteria, Vasorum Venæ nempe et Arteriæ incisio, sanguinis missio. […] Quarta autem Chirurgiæ operatio res noxias et inutiles extrahit […]. Ultima Chirurgiæ operatio occupatur in nasi, aurium, labiorumque mutilatorum restauratione.

[Puisque sans les secours chirurgicaux, nous ne pouvons rien faire de louable contre quantité de maladies, il reste à parler aussi de la chirurgie. Elle consiste soit à réunir ce qui est désuni, soit à désunir ce qui est uni, soit à retrancher ce qui est superflu, soit à réparer ce qui est déficient ; et ce en brûlant, coupant, liant, replaçant, consolidant, enlevant, etc. […] Il existe donc cinq opérations de chirurgie : réunion, redressement, disposition, exérèse et réparation des déficiences. La première concerne le bandage, la pose de compresses, la mise en place d’attelles, la ligature et le replacement ; avec une extension notable à la réduction des fractures osseuse et des luxations. Pour les viscères, c’est la cure de la hernie ombilicale, du prolapsus de l’utérus et de l’anus ; on a aussi souvent besoin des sutures. La deuxième sorte d’opérations consiste à relever ce qui est enfoncé, à remettre droit ce qui est désaxé. La troisième comprend la section et la cautérisation. Souvent ainsi, on ouvre les abcès, les fistules, etc., on coupe le frein de la langue, tout comme d’autres parties soudées dès la naissance ou après elle. À ce genre d’opération chirurgicale ressortissent aussi la scarification, la résection des varices et des anévrismes, la paracentèse, la ponction des épanchements, la laryngotomie, l’incision de l’empyème, la désunion des os, les cautères, l’incision des vaisseaux, veines et artères, la saignée. […] La quatrième opération de chirurgie extrait du corps les choses nuisibles et inutiles […]. La dernière opération de chirurgie s’occupe à réparer les mutilations du nez, des oreilles et des lèvres].

23.

Les apothicaires, nos actuels pharmaciens, exerçaient « cette partie de la médecine qui consiste en la préparation des remèdes. À Paris les apothicaires prennent aussi la qualité de marchands épiciers {a} et droguistes. Ce mot vient du grec apotheca, qui signifie boutique » (Furetière).


  1. V. note [15], lettre 544, pour les épices prises dans le sens de drogues aromatiques.

Les apothicaires de Paris entraient dans la carrière par un apprentissage de quatre années, commencé entre les âges de 14 et 25 ans. Devenus compagnons, ils accédaient à la maîtrise avec la permission et sous le contrôle de la Faculté de médecine. Ils exerçaient sous la stricte surveillance de la Faculté, qui visait en vain à garantir leur totale soumission aux prescriptions de ses docteurs régents. Guy Patin les exécrait comme autant de cupides, complices de médecins sans scrupule, qui avantageaient la médecine chimique et ses préparations (parties) aussi compliquées que coûteuses : cette « polypharmacie » était l’une de ses plus féroces bêtes noires. Son rêve, fondé sur la médecine botanique, était de ruiner les apothicaires en mettant les remèdes végétaux les plus simples à la portée directe du public, sans en passer par les échoppes des « épiciers arabesques ». La suite des lettres fournit maints exemples des disputes qui opposèrent vivement les médecins aux pharmaciens, et dont Patin fut l’un des plus ardents agitateurs.

24.

« à cause de la très fréquente saignée que nous pratiquons ici, qui leur procure estime et profit ».

25.

Sectaire : « qui est entêté de l’opinion de quelque docteur, de quelque maître, qui suit son parti » (Furetière).

Philibert Guybert (vers 1579-1633) docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1611 fut auteur du premier et très célèbre ouvrage de médecine publié pour l’usage du public :

Le Médecin charitable. Enseignant la manière de faire et préparer à la maison, avec facilité et peu de frais, les remèdes propres à toutes les maladies, selon l’avis du médecin ordinaire. Avec un préservatif assuré contre la peste, composé et préparé par la Faculté de Médecine de Paris, assemblée à cet effet. À côté de chaque remède est coté combien il peut coûter. {a}


  1. Lyon, Claude Armand, 1626, in‑8o ; première édition sous le titre de Le Médecin charitable et profitable au public (Paris, Jean de Bordeaux, 1623, in‑8o).

Recommandé et patronné par les médecins, ce livre devint une arme redoutable contre les apothicaires. Philippe Albou a écrit une intéressante Histoire des « Œuvres charitables » de Philibert Guybert (Histroire des sciences médicales, 1998, xxxii, pages 11‑26). Le Médecin charitable connut un succès prodigieux et atteignit en peu d’années sa centième édition.

Tout cela était en parfait accord avec les grandes idées de Patin et du parti de la Faculté de médecine de Paris auquel il adhérait, et où il militait avec ferveur. Guybert fut frappé d’apoplexie et mourut le 21 juillet 1633, longiore vita dignissimus [tout à fait digne d’avoir vécu plus longtemps] (Guy Patin, Coll. Fr., page 56a).

Au tout début du xviiie s., un chirurgien anonyme (Liste funèbre des chirurgiens de Paris… pages 39‑42) a donné un point de vue éclairant sur le rôle qu’a joué le Médecin charitable dans la manière de soigner à Paris au xviie s. :

« Que si les médecins n’ont pas tiré de grands avantages d’avoir fait exclure les chirurgiens du corps de l’Université, ils n’ont pas mieux réussi dans l’acharnement qu’ils ont eu à chagriner les apothicaires, qui voulaient faire, comme ils font encore, les petits médecins, parce qu’ils avaient le secret de la médecine enfermé sous la clef des ordonnances latines et des hiéroglyphes {a} galéniques et chimiques. Pour réussir dans son dessein, la Faculté fit composer un livre par un de ses docteurs nommé M. Philibert Guybert, auquel il donna le titre de Médecin charitable, dans lequel toutes les compositions galéniques se trouvent exactement détaillées ; et en publiant ce livre, tous les docteurs de la Faculté convinrent entre eux de donner à l’avenir leurs ordonnances en français. Cela fit, à la vérité, un grand tort aux apothicaires ; mais ces Messieurs s’en firent à eux-mêmes un très considérable parce que, révélant par là tout le secret de leur manœuvre, on reconnut qu’ils cachaient sous un idiome mystérieux des préparations que de simples femmes pouvaient exécuter avec facilité, comme elles le font dans la plupart des maisons ; ce qui est cause que l’on n’a plus recours aux médecins et aux apothicaires chez les simples bourgeois pour les maladies qui ne menacent pas d’un grand danger ; et que quand un chirurgien a fait deux ou trois saignées, prescrit au malade le régime ordinaire, les lavements, la tisane, et quelques purgations, dont les ingrédients se prennent à juste prix chez l’épicier, {b} il n’en fait mention ni de médecin, ni d’apothicaire. D’ailleurs, la facilité que donnèrent par là les médecins de Paris à composer les remèdes qu’ils prescrivent, donna lieu aux médecins des facultés étrangères {c} et à toutes sortes de charlatans de se rendre recommandables à leur préjudice, en distribuant eux-mêmes aux malades des remèdes de leur composition, dont le public, qui veut être trompé en toutes choses, concourt à vanter l’excellence, n’estimant que ce qui lui est inconnu. D’où il arrive que, dès qu’une maladie se rend un peu rebelle aux premiers remèdes, on congédie le médecin ordinaire et l’on appelle les charlatans. Ce n’est donc à présent que chez les princes, les grands seigneurs, les prélats, les gens distingués dans la Robe, chez les maltôtiers ou gens d’affaires, et chez d’autres particuliers dont les grands biens font toute la distinction, que les médecins se soutiennent par leur verbiage ; car, comme ces personnes qui vivent dans l’opulence semblent faites pour être les dupes de tout ce qu’il y a dans le monde de forfant, {d} de frivole et d’inutile, il est bien juste qu’ils le soient aussi en fait de médecine, qui est de tous les arts le plus séduisant et le plus trompeur. »


  1. Écrits mystérieux.

  2. V. note [4], lettre 14.

  3. Provinciales ou hors de France.

  4. Malhonnête.

26.

« Découdre, se dit figurément en morale, et signifie, interrompre la suite d’une affaire, la prospérité d’une fortune » (Furetière).

27.

« leurs injonctions à être longtemps en bonne santé par cette pierre factice de bézoard, cette corne de licorne, ces confections d’hyacinthe et d’alkermès, et par des bagatelles semblables, sont tout juste propres à tromper le petit peuple. »

28.

Le doyen de la Faculté de médecine de Paris était alors René Moreau, né en 1587 à Montreuil-Bellay en Anjou (v. notule {d}, note [53] du Borboniana 7 manuscrit), mort à Paris le 17 octobre 1656 : élu en novembre 1630, et qui allait, suivant la coutume, être renouvelé pour un an en novembre 1631.

René était fils de Mathieu Moreau, médecin du duc d’Alençon. Reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1619, il fut un des maîtres de Guy Patin, qui lui vouait une admiration sans bornes. Simon ii Piètre (v. note [5], lettre 15) protégea René Moreau, lui confia l’instruction de ses enfants et lui donna en mariage (1619) sa nièce Anne, fille de son frère Philippe Piètre (Lehoux), avocat au Parlement de Paris (v. note [36] des Affaires de l’Université en 1650-1651 dans les Commentaires de la Faculté de médecine). De 1632 à sa mort, René Moreau occupa la chaire royale de médecine et de chirurgie. Il était premier médecin de l’Hôtel-Dieu de Paris depuis 1618.

Guy Patin a souvent mentionné dans ses lettres les consultations qu’il faisait avec René Moreau et a parlé de son fils, Jean-Baptiste, qui fut lui aussi docteur régent puis doyen de la Faculté de médecine de Paris (v. note [12], lettre 155). Versé à la fois dans l’histoire de l’art et dans la connaissance des langues étrangères, René Moreau s’attacha d’une manière spéciale à cultiver l’hygiène (avec son commentaire sur la Schola Salernitana, v. note [4], lettre 12), dont peu de personnes s’occupaient alors ; mais en quoi il influença beaucoup Patin.

V. note [51] de l’annexe sur le ms BIU Santé no 2007, pour le portrait de Moreau et le distique de Guy Patin qui l’illustre.

29.

Conclu le 15 octobre 1631, un Règlement pour les apothicaires de Paris (v. note [19], lettre 7) a été imprimé (sans lieu, ni nom, ni date, in‑4o).

30.

Hieronymi Cardani Mediolanensis Medici De Utilitate ex adversis capienda libri iiii. Ex quibus in omni fortuna, rebus secundis et adversis, diligens lector mirabilem ad tranquille feliciterque vivendum (quantum in hac misera miserorum mortalium conditione fieri potest) utilitatem percipiet : præterea magnam multarum, variarumque rerum scientiam, usum et prudentiam, Theologus, Iureconsultus, Medicus et Philosophus, sibi comparabit. Defensiones eiusdem pro filio coram præside provinciæ et senatu habitæ. Ioannis Baptistæ Cardani Mediolanensis Medici, De Abstinentia ab usu ciborum fœtidorum libellus exiguus, quem moriens explere non potuit.

[Quatre livres de Hieronymus Cardanus, médecin de Milan, {a} sur le Profit à tirer des infortunes. Le diligent lecteur y comprendra le merveilleux profit à tirer de toutes circonstances, qu’elles soient propices ou adverses, pour vivre paisiblement et heureusement (dans la mesure où notre malheureuse condition de misérables mortels le permet). En outre, le théologien, le juriste, le médecin et le philosophe y trouveront une grande connaissance, et le sage emploi de nombreuses et diverses choses. Défenses que l’auteur a prononcées en faveur de son fils devant le gouverneur et le tribunal de la province. Le petit livre sur l’Abstinence par l’emploi d’aliments fétides, que Ioannes Baptista Cardanus, {b} médecin de Milan, n’a pas pu terminé avant de mourir]. {c}


  1. Jérôme Cardan (Gerolamo Cardano, Pavie 1501-Rome 1576), philosophe et médecin, qui exerça et enseigna tour à tour, avec le plus grand succès, dans plusieurs universités d’Italie : Milan, Pavie, Bologne, Rome.

  2. V. note [4], lettre 109, pour Giovanni Battista Cardano, fils aîné de Jérôme, dont la condamnation à mort et l’exécution, en 1560, ont suscité l’écriture de ce livre.

  3. Bâle, Henricus Petrus, 1561, in‑8o de 1 162 pages.

Éclectique à l’extrême, Cardan donne la complète image de l’érudit fantasque et paradoxal au xvie s. On le connaît aujourd’hui surtout pour ses travaux mathématiques (notamment la résolution de l’équation du troisième degré) et mécaniques (le mode ingénieux de transmission qui a immortalisé son nom), mais les très nombreux livres qu’il a laissés touchent aussi à la philosophie, la morale, la dialectique, la physique, la géométrie, l’arithmétique, l’astronomie, l’astrologie, la médecine, l’histoire naturelle, la musique, l’anatomie, l’histoire, la grammaire et l’éloquence (A.-J.-L. Jourdan in Panckoucke).

V. note [96] du Faux Patiniana II‑7 pour quelques éclairages sur la vie intime de Cardan, tirés de ses propres écrits. La correspondance de Guy Patin a surtout parlé de deux de ses ouvrages.

31.

Thomas Lieber, dit Éraste (Erastus, Baden en Suisse 1524-Bâle 1583) étudia à Bâle, où il se consacra d’abord à la théologie ; sa pauvreté et une paralysie de la main droite allaient lui faire abandonner les lettres, quand un généreux protecteur lui apprit à écrire de la main gauche et lui fournit tous les secours nécessaires pour entreprendre le voyage d’Italie. Éraste se rendit à Bologne, puis à Padoue ; après la philosophie, il y étudia la médecine et au bout de neuf années, obtint à Bologne les honneurs du doctorat. Pour se conformer à l’usage, il abandonna alors son véritable nom pour prendre celui d’Éraste : erastos en grec, comme lieber en allemand, signifie aimable, amoureux.

À son retour en Allemagne, il devint médecin des princes de Henneberg ; mais peu de temps après, l’Université d’Heidelberg lui accorda une chaire, qui ne tarda pas à être suivie du titre de médecin et conseiller de l’électeur palatin, Frédéric iii. Il se retira en 1580 à Bâle où il fut nommé professeur de morale en 1583, année de sa mort. Éraste s’est principalement rendu célèbre par les attaques qu’il dirigea contre les innovations de Paracelse (v. note [7], lettre 7), ce qui lui valait la profonde admiration de Guy Patin. Il combattit avec force les rêveries de l’astrologie judiciaire, mais eut cependant la faiblesse de soutenir l’existence des sorciers et la réalité des possessions. Ses controverses théologiques eurent moins de succès que ses discussions médicales (J. in Panckoucke et G.D.U. xixe s.).

32.

Siméon de Malmédy, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1564 (Baron) et professeur royal de philosophie grecque et latine de 1572 à 1584 (année de sa mort d’après la liste des professeurs au Collège de France), a laissé quelques ouvrages de poésie et d’érudition en latin, et une histoire de la Maison de Croï en français (1566). Il participa à la dispute philosophique entre Jacques Charpentier et Ramus (v. note [51], lettre 97).

Guy Patin devait ici se souvenir de ce passage des Mémoires-journaux de Pierre de L’Estoile (édition de Paris, 1875, tome 1, pages 364‑365) :

« La peste, en ce temps, {a} rengrèg {b} à Paris ; et pour y remédier, Messieurs les prévôts de Paris et des marchands, avec quelques conseillers de la Cour, députés par icelle, s’assemblent souvent en la salle de la chancellerie, bien empêchés à y donner quelque bon ordre et provision. Enfin, ils créent un officier qu’ils appellent le prévôt de la santé, qui va rechercher les malades de la peste par tous les quartiers de la ville, et par certains satellites {c} qu’il a en sa charge, les fait porter à l’Hôtel-Dieu, au cas qu’ils ne veuillent et n’aient le moyen de demeurer en leurs maisons. Malmédy, liseur du roi aux mathématiques, philosophe et savant médecin, entreprend la visitation et cure générale cure des pestiférés, et fait bien son devoir et son profit. Tentes et loges sont dressées vers Montfaucon, les faubourgs de Montmartre et Saint-Marcel, où se retirent plusieurs pestiférés, qui y sont passablement nourris et pansés.

On commence à bâtir à Grenelle, lieu champêtre, à l’endroit des Minimes, de l’autre côté de la rivière de Seine, vers Vaugirard, que l’Hôtel-Dieu achète de l’abbé < de > Sainte-Geneviève et autres particuliers auxquels ladite ferme appartenait. Et pour les frais nécessaires pour les bâtiments, afin d’y loger les malades de peste et les y panser et traiter, contribuent tous les habitants de Paris, les uns de gré par forme d’aumône, et les autres par cote imposée sur eux. La contagion {d} et mal furent grands, et plus effroyables toutefois que dangereuse, car il ne mourut point, à Paris et aux faubourgs, en tout ledit an 1580, plus de trente mil personnes. Et fut néanmoins l’effroi tel et si grand que la plupart des habitants de Paris ayant quelque moyen vida hors la ville, et les forains n’y vinrent environ six mois durant ; de façon que pauvres artisans et manœuvres criaient à la faim, et jouait-on aux quilles sur le pont Notre-Dame et en plusieurs autres rues de Paris, même dans la grande salle du Palais. Cette peste, par contagion venant de Paris, s’épandit par maints villages, bourgs et bourgades, et petites villes d’alentour, où il mourut grand peuple de cette maladie ; et y fut plus cruelle et dangereuse qu’à Paris. »


  1. Juillet 1580.

  2. Augmenta.

  3. Sergents.

  4. La peste (v. note [6], lettre 7).

33.

V. note [3], lettre 20, pour la Bastille.

Louis xiii (Fontainebleau 27 septembre 1601-Saint-Germain-en-Laye 14 mai 1643), prénommé le Juste (pour être né sous le signe de la Balance), était alors, comme Guy Patin, âgé de 30 ans. Fils de Henri iv et de Marie de Médicis, il n’avait que 9 ans lors de l’assassinat de son père (14 mai 1610), quand sa mère prit la régence du royaume. La minorité de Louis xiii avait été marquée par des troubles de toute nature, agitations dans les Églises réformées, luttes d’influence entre les grands, révolte des princes (Condé, Conti et Bouillon), que la régente avait apaisée par le traité de Sainte-Menehould (15 mars 1614), mais aux dépens de la fortune publique et de l’autorité royale. À la fin de la même année, on avait assemblé les états généraux à Paris (pour la dernière fois avant 1789) sans résultat immédiat (v. note [28] du Borboniana 3 manuscrit). Louis xiii venait d’être déclaré majeur, c’est-à-dire âgé de 13 ans, mais le pouvoir était resté à la reine mère et à son ministre Concini (v. note [8], lettre 89).

Le 28 novembre 1615, on avait marié Louis à l’infante Anne d’Autriche, fille aînée du roi d’Espagne, Philippe iii. L’assassinat public de Concini, maréchal d’Ancre, le 24 avril 1617, avait mené Louis xiii à déclarer « Maintenant, je suis roi ! ». Il était en fait demeuré sous l’influence de sa mère et du connétable Charles d’Albert, duc de Luynes, qu’il avait pris pour favori, mais qui mourut de maladie le 15 décembre 1621, au moment où son influence commençait à décliner.

Le 24 avril 1624, la reine mère avait introduit le cardinal de Richelieu au Conseil, qui était devenu principal ministre d’État le 21 novembre 1629, après s’être acquis l’entière confiance du roi, tout aussi habilement que glorieusement (prise de La Rochelle aux protestants en 1628, v. note [27], lettre 183). Un an plus tard (Journée des Dupes, 11 novembre 1630, v. note [10], lettre 391), Marie de Médicis avait été obligée à l’exil (v. note [28], lettre 7). Depuis lors, ménageant habilement l’esprit ombrageux de Louis xiii, Richelieu avait pu exprimer sans presque aucune contrainte ses visions politiques, tant intérieures (mise à raison des fiefs protestants) qu’étrangères (opposition résolue aux Habsbourg d’Autriche et d’Espagne).

La plus grande préoccupation des Français était alors la stérilité du couple régnant ; elle assombrissait singulièrement l’avenir du trône qui, en cas d’infortune, eût échu à Monsieur, Gaston d’Orléans, le frère de Louis xiii.

34.

Charles Senelles, un des médecins du roi (dont on ne sait rien d’autre), avait été arrêté au retour d’un voyage qu’il avait fait en Lorraine et d’où il rapportait des lettres de Mme du Fargis, une des dames d’Anne d’Autriche, que ses intrigues avaient fait exiler. Ces lettres étaient injurieuses pour Richelieu et prévoyaient l’éventualité de la mort du roi. On joignit la cause de Senelles à celle de Duval, autre médecin de Louis xiii, arrêté « pour avoir fait, dit Richelieu dans ses Mémoires (livre 22, page 334), des jugements, pronostics et nativités sur la vie du roi. »

Senelles et Duval furent traduits devant la chambre de l’Arsenal sous l’inculpation de crime de lèse-majesté. Ils furent condamnés aux galères à perpétuité ; leurs biens furent confisqués. La dame du Fargis, condamnée à être décapitée, fut exécutée en effigie. D’après M. Topin (Louis xiii et Richelieu, Didot, Paris, 1876), Senelles fut amnistié conditionnellement en 1643 et sa condamnation transformée en exil. Il n’en jouit pas longtemps : selon la correspondance de Poussin, publiée par M. Quatremère de Quincy, Senelles mourut, à peine arrivé en Provence, son pays natal (Triaire).

35.

Barthélemy Barralis (Gap 1579-Paris 3 juin 1659), docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1617, avait été médecin ordinaire de la reine Margot (première épouse de Henri iv, v. note [4], lettre latine 456) et accédait à cette fonction auprès de Louis xiii (Baron). Il a laissé les :

Paradoxes de la peste, où il est montré clairement comme on peut vivre et demeurer dans les villes infectées, sans crainte de la contagion. {a} Traduits en français de l’italien de Sylvestre Facio par B. Barralis, docteur régent en la Faculté de médecine de Paris. {b}


  1. La peste, v. note [6], lettre 7.

  2. Paris, Fleury Bourriquant, 1620, in‑8o ; ouvrage composé sous forme de dialogues répartis en sept journées, dédié à « Monsieur Hérouard [v. note [30], lettre 117] chevalier, seigneur de Vaugrigneuse, conseiller au Conseil d’État et premier médecin du roi ».

Dans les Commentaires de son décanat, Guy Patin a détaillé le cursus académique de Charles Barralis, fils de Barthélemy, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1652.

36.

Château-Thierry, au sud du département de l’Aisne, est située sur la Marne, aux confins de l’Île-de-France, de la Picardie et de la Champagne. La ville est dominée par son ancien château médiéval, où Louis xiii se plut à séjourner, de 1631 à 1635, dans une galerie construite au xvie s.

Comme dans la plupart des chroniques des temps monarchiques, les déplacements du roi sont rapportés avec grande précision dans les lettres de Guy Patin. À cela deux raisons principales : 1. avec le roi (en dehors de ses participations aux campagnes militaires) se déplaçait la cour, c’est-à-dire certes les courtisans et toute l’activité commerçante qui allait avec eux, les meubles royaux et tout le déménagement incessant qu’il fallait en faire, mais surtout le Conseil du roi qui gouvernait la France et par qui passaient toutes les affaires importantes de l’État ; 2. la personne du roi était un symbole d’immense valeur pour les Français, et il leur importait de savoir ce que Sa Majesté faisait et où elle se tenait, avec confiance qu’à cet endroit tout était mis en œuvre pour La protéger. Là où était le roi était le cœur de la France. La démonstration la plus frappante en a été donnée au début de la Fronde, par l’émotion terrible que suscita à Paris le départ de la régente et de ses enfants pour Saint-Germain-en-Laye, dans la nuit du 5 au 6 janvier 1649.

37.

Au xvie s., l’union des deux duchés de Lorraine et de Bar avait donné naissance à l’État lorrain, qui fit partie du Saint-Empire jusqu’en 1542, quand il prit son indépendance pour passer seulement sous sa protection. Les Trois-Évêchés (Metz, Toul et Verdun, v. note [52], lettre 150) y formaient une enclave rattachée au royaume de France. Nancy était la capitale, où résidait son souverain, le duc de Lorraine et de Bar.

Il s’agissait alors de Charles iv (Nancy 1604-Birkenfeld 1675), petit-fils de Charles iii (v. note [35] du Borboniana 4 manuscrit). Élevé à la cour de Louis xiii, il s’était emparé du pouvoir en 1624, à la mort de son oncle, Henri le Bon. En 1631, engagé du côté des Impériaux dans la guerre de Trente Ans (1618-1649), le duc menait une politique antifrançaise, accueillant le frère du roi, Gaston d’Orléans, et lui offrant en mariage sa sœur Marguerite (le mariage eut lieu en 1632). Cette conduite valait à Charles iv la colère de Richelieu, et après plusieurs sommations (traité de Vic-sur-Seille puis de Liverdun en 1632), Louis xiii allait en 1633 lui prendre Nancy et diverses autres places. Le duc de Lorraine se rendait alors auprès du roi pour lui faire sa soumission et obtenir son pardon, mais il n’en continua pas moins à jouer sur la rivalité qui déchirait ses deux souverains, l’empereur germanique et le roi de France. Pendant le cours d’une vie fort agitée, Charles iv perdit et recouvra plusieurs fois son duché. La paix des Pyrénées (1659) le lui rendit, bien que Nancy restât occupée par les troupes françaises jusqu’en 1663. La suite des lettres de Guy Patin est souvent revenue sur les faits et gestes de ce duc dont les audaces et les prétentions dépassèrent toujours les capacités. Son testament s’achève sur ces vers désenchantés :

« Il fut brave comme César,
Et malheureux comme Pompée ;
Il se vit toujours maltraité
Par sa faute et par son caprice ;
On le déterra par justice,
On l’enterra par charité. »

38.

Il n’a jusqu’ici été question dans les missives de Guy Patin que d’érudition et de bibliophilie, essentiellement médicales, mais cette longue 6e lettre aux Belin élargit le propos et donne le ton de tout ce qui a suivi.

D’abord, avec le sus Minervam, Guy Patin se montre sous son véritable jour d’âpre et hardi querelleur, fier et sûr de ses convictions, ne craignant pas d’aller jusqu’à perdre la confiance et l’amitié de ceux qui n’entendaient point sa sincérité. Ses partis pris, souvent barbelés, font la faiblesse de Patin, mais son charme vient de la manière qu’il avait de les défendre. Claude ii Belin fut le premier de ses correspondants à y succomber.

Ensuite apparaissent les premières allusions aux affaires politiques qui vont peu à peu prendre de l’ampleur et donner beaucoup de leur sel aux Lettres.

Unie autour du roi et de l’État, la France catholique était alors partagée en deux courants : celui des dévots, issus de la Ligue (v. note [20], lettre 15), ennemis déterminés du protestantisme qu’ils souhaitaient éradiquer, partisans de l’union catholique européenne autour de la papauté, et des Habsbourg d’Espagne et d’Autriche ; et celui des bons Français, plus accommodants avec les protestants, partisans du gallicanisme pour contrer l’hégémonie catholique ultramontaine qui mettrait la France à la merci des influences étrangères.

On verra vite que Guy Patin appartenait au second parti, notamment au travers de ses vifs assauts contre les religieux dépendant directement de Rome (moines et jésuites). Menée par Richelieu, la politique étrangère de la France a suivi les bons Français, tout en ménageant autant que possible, à l’intérieur, les dévots : empêcher la réunion des Habsbourg d’Espagne et d’Autriche avec les États pontificaux en attaquant le nœud géographique de leur convergence, à savoir le Milanais (avec le duché de Mantoue et le marquisat de Montferrat, v. note [11], lettre 18) et la Valteline (v. note [7], lettre 29).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 28 octobre 1631

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0006

(Consulté le 18/04/2024)

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