L. 651.  >
À André Falconet,
le 16 novembre 1660

Monsieur, [a][1]

Dieu soit loué que vous êtes mieux. [2] L’automne s’en va et l’hiver approche fort. Je ne sais quels remerciements vous faire pour vos fromages de Roche [3] et vos marrons, [4] je vous ai déjà trop d’obligations d’ailleurs, et de longtemps. Pour votre vin de Condrieu, [5] je vous en rends grâces ; tam teneor dono, quam si dimittar onustus[1][6] On m’a déjà donné du vin de Beaune [7] et de Mâcon. [8][9] J’ai peur que le vin nouveau ne vous incommode jusqu’à tant que vous soyez fortifié et refait entièrement. Je vous remercie de la peine que vous voulez prendre de visiter le bon P. Théophile Raynaud, [10] que je salue de tout mon cœur. Je vous prie de l’assurer de mes très humbles services et de lui demander quand sera achevé son Antiphona, et quand il mettra au jour la deuxième partie de ses Heteroclita spiritualia[2] Je serais ravi de pouvoir entretenir ce bon père deux ou trois heures. La plus grande joie que j’aie en l’esprit, c’est d’avoir autrefois entretenu familièrement de grands hommes, desquels j’ai eu même les bonnes grâces, tels qu’ont été jadis MM. Coëffeteau, [3][11][12] Nicolas de Bourbon, [13] Nicolas Piètre, [14] Seguin, [15] Moreau, [16] les deux Cousinot, [17][18] de Saumaise, [19] André Du Chemin, [20] Charles [21] et autres hommes incomparables ; absit ut oblivioni tradam duos Iesuitas erudissimos, ac ex suis primos, Iacobum Sirmundum et Dionysium Petavium, omni laude mea maiores[4][22][23]

Ceux de Reims [24] ne veulent point être réformés, ils pestent contre ce recteur [25] qui est bien résolu et qui les a amenés au Parlement. Ils disent dans leurs plaintes que c’est au Conseil du roi à les réformer, et non pas au Parlement ; ils commencent à sentir leur mal. Omne infirmum natura querulum est ; [5][26] cette Académie et les autres méritent bien d’être réformées, il y a trop d’abus partout, etc. Votre M. Guillemin [27] mourra asthmatique [28] et hydropique, [29] et Meyssonnier [30] mourra fou et in peccato suo morietur[6][31] Je serai pourtant bien aise d’avoir son Almanach qui me fera peut-être rire ; au moins n’ai-je point envie d’en pleurer, car je suis fort accoutumé à voir des ouvrages de fou et leurs rêveries. Il faudra le joindre, s’il vous plaît, au S. Georgius Cappadox ou aux trois tomes de l’Histoire de M. Devenet [32] faite par le P. de Bussières, [7][33] et les donner à l’homme de M. Troisdames. Le roi [34] et le cardinal Mazarin sont au Bois de Vincennes. [35] Variæ quæruntur artes rei faciendes : [8] on dit qu’il s’en va faire doubler plusieurs offices de finances et même, on a fait un quadriennal de trésorier de l’Épargne, [36] si bien qu’ils ne serviront plus que de quatre en quatre ans. Là-dessus, on fait courir le bruit que c’est pour bâtir le Louvre. [37] On dit qu’ils menaceront bien des gens de nouvelles créations d’offices, afin qu’ils se rachètent. Je vous baise très humblement les mains, à Mlle Falconet et à notre bon ami M. Spon, et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 16e de novembre 1660.

Je viens d’apprendre que M. Blondel [38] a conté son fait à M. le premier président[39] qui lui a répondu qu’il le fera maintenir, et qu’il le faut ainsi afin qu’il achève de ranger les chirurgiens [40] à leur devoir. [9]


a.

Bulderen, no ccxvi (tome ii, pages 158‑160).

1.

« je vous suis aussi reconnaissant de ce cadeau que si je m’en allais comblé » (Horace, Épîtres, livre i, lettre 7, À Mæcenas, vers 18).

2.

Théophile Raynaud :

3.

Nicolas Coëffeteau (Saint-Calais, Sarthe 1574-Paris 1623) entré dans l’ordre des dominicains à l’âge de 14 ans, fut nommé professeur de philosophie sept ans après, puis docteur en théologie et prédicateur de Henri iv, puis de Louis xiii. Ayant participé avec zèle aux controverses religieuses de son temps, Coëffeteau fut nommé évêque de Marseille en 1621, mais une mort prématurée l’empêcha de prendre possession de son siège. Sa traduction de Florus lui valut une grande réputation (Michaud).

V. note [2] du Traité de la Conservation de santé, chapitre xi, pour son Tableau des passions humaines (Paris, 1620).

4.

« sans oublier deux jésuites très érudits, et les premiers des leurs, Jacques Sirmond [v. note [7], lettre 37] et Denis Petau [v. note [6], lettre 54], que je place très haut dans mon estime. »

Dans les précédentes éditions, le dernier médecin nommé est Chasles, ce qui est fort surprenant : le seul Chasles qu’on trouve dans la liste des docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris au xviie s. (Baron) se prénomme Hugues, et Guy Patin n’en a jamais parlé que comme d’un grand ivrogne (mort en octobre 1655, v. note [25], lettre 417). J’ai considéré qu’il s’agissait de Claude Charles (mort en juin 1631, v. note [10], lettre 7), gendre du Grand Piètre, dont une transcription négligente a transformé le patronyme en Chasles.

5.

Invalidum omne natura querulum est [Tout être faible est par nature querelleur] (Sénèque le Jeune, La Colère, livre i, xiii, 3). V. note [8], lettre 647, pour les statuts de l’Université de Reims, auxquels travaillait Guy Patin.

6.

« et il mourra dans son péché » : Sed unusquisque in peccato suo morietur [Mais chacun mourra dans son péché] (2e livre des Rois, 14:6).

7.

V. notes :

8.

« Ils cherchent divers artifices pour parvenir à leur fin [trouver de l’argent] ».

9.

V. note [2], lettre 649, pour le maintien, contre son gré, du doyen Blondel à la tête de la Faculté de médecine de Paris.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 16 novembre 1660

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(Consulté le 06/05/2024)

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