L. 793.  >
À André Falconet,
le 26 septembre 1664

Monsieur, [a][1]

Nous avons ici un honnête homme bien affligé, c’est M. de La Mothe Le Vayer, [2] célèbre écrivain et ci-devant précepteur de M. le duc d’Orléans, âgé de 78 ans. Il avait un fils unique d’environ 35 ans, [1][3] qui est tombé malade d’une fièvre continue, [4] à qui MM. Esprit, [5] Brayer [6] et Bodineau [7] ont donné trois fois le vin émétique, [8][9] et l’ont envoyé au pays d’où personne ne revient. J’ai aujourd’hui été à nos Écoles pour entendre la harangue de M. Le Conte [10] pour l’acte du sieur de Bourges. [2][11] Il est fort savant et fort sage, mais il devient vieux ; tout ce qu’il a dit est l’ouvrage d’un esprit qui vieillit, c’est une pitié que d’en venir là. La vieillesse est une grande dame, qui ne vient jamais sans grand train. Il vaudrait mieux n’être pas si savant et < n’>être < pas > déréglé ; [3] et néanmoins, à tout prendre, c’est un abîme de science et d’érudition. Je ne sais quel remède on apportera à un grand désordre qui est de deçà : jour et nuit on vole et on tue ici alentour de Paris ; on dit que ce sont des soldats du régiment des gardes et des mousquetaires ; [12] mais pourquoi tuer des gens qui vont et qui viennent, des boulangers, des paysans, des marchands et des gens qui s’en retournent dans leur pays ? Nous sommes arrivés à la lie de tous les siècles.

Mme la duchesse d’Orléans [13] s’est trouvée mal à Villers-Cotterêts. [4][14] Son médecin l’a mise au lait d’ânesse. [15] Elle est fluette et délicate, et du nombre de ceux qu’Hippocrate [16] dit avoir du penchant à la phtisie. [17] Les Anglais sont sujets à leur maladie de consomption [18] qui en est une espèce, une phtisie sèche ou un flétrissement de poumon, ex morbis materiæ [5] dans Fernel. [19] Vale[6]

De Paris, ce 26e de septembre 1664.


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no cxxi (pages 360‑362) ; Bulderen, no cccxxviii (tome iii, pages 1‑2) ; Reveillé-Parise, no dcxliii (tome iii, pages 484‑485).

1.

L’abbé François ii de La Mothe Le Vayer : v. note [33], lettre 390.

2.

Jacques de Bourges, natif de Paris, ne pouvait pas être le fils de Jean ii, qui avait été reçu docteur régent en 1651. Jacques a soutenu ses trois actes en 1664 :

3.

Une négation m’a paru justifiée ici, pour donner du sens à la phrase.

4.

Villers-Cotterêts, dans le Valois (Aisne), à 80 kilomètres au nord-est de Paris, possède toujours un château, bâti par François ier, qui servait alors de villégiature au duc d’Orléans.

5.

« par maladies de la matière » (v. note [6], lettre 463). Fernel a donné dans sa Pathologie (v. note [1], lettre 36), au chapitre x (Les Maladies et symptômes des poumons, leurs causes et leurs signes) du livre v (Des Maladies et symptômes de chaque partie) une description saisissante de la tuberculose (page 374), qu’on appelait alors phtisie, ou consomption (principalement en Angleterre d’où la duchesse d’Orléans, Henriette-Anne, était native ; v. notes [9], lettre 93 et [6], lettre 463) :

« C’est une ulcération de poumon par laquelle le corps se va consumant peu à peu. Quand elle commence, on tousse souvent, et en toussant on crache quelque chose de sanglant sans aucune douleur ; quelquefois cela s’arrête, et à force de tousser, il sort de la matière sordide, {a} puis purulente ; lors vient une petite fièvre qui continue sans intermission ; laquelle étant finalement devenue hectique, {b} s’augmente à la façon des autres aussitôt qu’on a mangé. L’ulcère croissant de plus en plus et devenant sordide, on crache le pus, et se fait ce qu’a dit Hippocrate : Du crachement de sang vient le crachement de pus. Le pus étant sincère, {c} ne nage point sur l’eau comme l’autre, quand on l’y jette ; mais s’il est pur, il descend et s’arrête au fond. Et néanmoins, toutes les fois que l’ulcère, enduit de la viscosité du pus, vient à être renouvelé, ou par le travail, ou par l’impériosité de la toux, ou par un transport de colère, on retourne à cracher du sang. Quand le mal est confirmé et déjà invétéré, il sort quelquefois une portion pourrie du poumon et le crachat rend une odeur puante étant jeté sur les charbons, ou bien de soi-même ; et souvent, il infecte, par son expiration contagieuse, ceux qui ne s’en donnent pas garde. Les cheveux tombent et ce, par faute de nourriture. Tout le corps étant desséché et la fièvre s’augmentant, les ongles des mains se courbent, {d} les joues deviennent livides {e} par la vapeur maligne qui monte là ; les extrémités des côtes se relèvent en haut à force de sécheresse jusqu’à ce qu’enfin tout le corps étant consommé se dessèche et que la chaleur naturelle s’éteigne, n’ayant plus d’humidité qui la fomente. »


  1. Sale.

  2. V. note [8], lettre 98.

  3. Franc.

  4. Hippocratisme digital.

  5. Plombées.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 26 septembre 1664

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0793

(Consulté le 07/05/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.