L. latine 15.  >
À Johann Caspar I Bauhin,
le 4 janvier 1648

[Universitätsbibliothek Basel, cote G2 I 9:Bl., page 56 ro‑vo | LAT | IMG]

Très éminent Monsieur, [a][1]

Je réponds à votre lettre récemment reçue, que l’un de vos étudiants, Pierre Amiet, m’a remise. [1][2] Tant en son propre nom qu’à cause de vous, je lui ai promis toute mon attention et lui ai offert mon entière soumission. C’est un jeune homme intelligent et vertueux, qui n’est pas inculte ; à bien des égards, il est digne de votre affection et de la faveur de tous les honnêtes gens. Sachez donc qu’il m’est hautement recommandé. Hormis les Opuscula et les Institutionum medicarum Epitome de notre ami Caspar Hofmann, nous n’avons ici rien de neuf. [2][3][4] Pierre Ravaud, libraire de Lyon, [5] prépare une nouvelle et belle édition des œuvres complètes de feu M. Daniel Sennert ; il ne s’y est attelé que depuis un mois et en a obtenu le privilège du roi très-chrétien[3][6] Il recherche partout les exemplaires les plus riches et les mieux corrigés des titres qui ont été publiés en Allemagne. [4] Les Lyonnais apportent beaucoup plus de soins à imprimer leurs ouvrages que nos Parisiens, qui sont de vrais asini ad lyram[5][7] et de misérables et stupides grippe-sous. J’espère donc que cette prochaine édition de Lyon sera bien plus exacte et correcte que celle qui a paru à Paris voilà six ans. [8] J’apprends même qu’on espère des héritiers du très éminent auteur quelques textes inédits qui pourraient enrichir et illuminer cette nouvelle parution ; Dieu fasse qu’il en soit ainsi ! [6] Nos Parisiens, comme ils l’ont fait il y a six ans, auraient certes pu accomplir cette tâche, quoique moins bien et moins soigneusement ; mais presque anéantis par la longueur de la guerre et accablés par ses misères, ils sont dans une telle torpeur et un tel engourdissement qu’ils osent à peine respirer. Notre Riolan se prépare pour une nouvelle édition de son Anthropographia, qui sera in‑fo, augmentée de moitié, enrichie de nombreuses observations et de quelques nouveaux traités, sur la circulation du sang en particulier, et pour celle d’un Manuale anatomicum appliqué à la compréhension des maladies internes ; mais il ne sera pas achevé avant la fin du mois d’août. [7][9][10][11] On attend ici impatiemment d’Italie la seconde partie du Famiano Strada de bello Belgico, qui est certes un loyolite de Rome, mais très illustre écrivain et historien hors pair. [8][12] Un médecin français nommé Samuel Sorbière, qui exerce en Hollande, a fait imprimer un opuscule anatomique de venis lacteis et de circulatione sanguinis ; [9][13][14][15][16] j’espère y voir ce que notre ami, excellent homme qui m’est très cher, aura mis ou inventé de neuf, par-dessus Aselli et Harvey, très savants esprits et fins observateurs, sur ces difficiles controverses. [10][17][18][19][20] Je voudrais, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, que vous saluiez de ma part votre collègue M. Platter, [21] mon ancien ami, et vous en prie instamment. Je n’en ai pas plus à vous dire. Vale, très éminent Monsieur, et aimez-moi, moi qui suis, en toute sincérité,

votre Guy Patin, docteur en médecine de Paris.

De Paris, ce 4e de janvier 1648.


a.

Lettre autographe de Guy Patin que conserve l’Universitätsbibliothek Basel, cote G2 I 9:Bl. 56 ro et vo, avec au vo :

1.

L’Universitätsbibliothek Basel, cote Diss 24:31, conserve une thèse médicale que Petrus Amandus Amietus Helvet. Gallus [Pierre Amand Amiet, Suisse romand] avait écrite et disputée à Bâle le 24 avril 1646, sous la présidence de Johann Caspar i Bauhin, De Ephialte [De l’Incube (v. note [42] d’Une thèse de Guy Patin : « L’homme n’est que maladie » (1643)] ; cet élève de Bauhin n’a pas laissé d’autre trace que j’aie su trouver.

2.

V. notes [10], lettre 140, pour les « Opuscules » de Caspar Hofmann (Paris, 1647, publiés par les soins de Guy Patin), et [26], lettre 150, pour son « Abrégé des Institutions médicales » (ibid. 1648), dédié à Robert Patin.

3.

V. note [20], lettre 150, pour cette nouvelle édition lyonnaise des Opera de Daniel Sennert (1650), supervisée par Charles Spon, et pour son privilège obtenu le 21 novembre 1647 au prix de quelques difficultés.

4.

Les ouvrages séparés de Daniel Sennert (1572-1637) avaient d’abord été publiés à Wittemberg entre 1609 et 1642, et plusieurs fois réédités pour la plupart. Ses œuvres complètes avaient été réunies pour la première fois en 1641 (Paris, avec probable contrefaçon à Venise). En raison de ses nombreux défauts de copie et d’impression, Guy Patin dénigrait ici avec vigueur celle de Paris, à laquelle il avait pourtant prêté lui-même son concours.

5.

« ânes devant une lyre » (v. note [5], lettre 439).

6.

Guy Patin était parfaitement au courant de tous les préparatifs de cette nouvelle édition puisque c’était Charles Spon, son ami et correspondant assidu, qui en assurait la supervision médicale (v. entre autres les lettres du 7 février et du 22 mars 1648).

7.

V. notes [25], lettre 150, pour l’Encheiridium anatomicum [Manuel anatomique (et pathologique)] (Paris, 1648) de Jean ii Riolan, et [25], lettre 146, pour la nouvelle édition de son « Anthropographie » (Opera anatomica vetera…, ibid. 1649) avec ses nombreuses additions vindicatives.

8.

V. note [11], lettre 152, pour les deux décades historiques de Famiano Strada « sur la guerre de Flandre » (Rome, 1632 et 1647).

9.

V. note [26], lettre 152, pour le Discours sceptique… attribué Samuel Sorbière, mais écrit par Pierre Gassendi, « sur les veines lactées et sur la circulation du sang » (Leyde, 1648).

10.

Gaspare Aselli (Gasparo Aselli, Gasparus Asellius, Crémone 1581-Milan 1625), médecin et professeur d’anatomie à Pavie, fut, en 1622, le premier à observer les veines lactées (lactifères ou chylifères) du mésentère lors de vivisections animales. Après sa mort, sa découverte, qui allait réformer l’anatomie et la physiologie, a été publiée sous le titre de :

De Lactibus seu Lacteis Venis, quarto vasorum mesaraicorum genere, novo invento… Dissertatio qua sententiæ Anatomicæ multæ, vel perperam receptæ convelluntur, vel parum perceptæ illustrantur.

[Dissertation… sur les lactifères ou veines lactées, quatrième genre, nouvellement découvert, des vaisseaux mésentériques, {a} qui ébranle les nombreuses sentences anatomiques, qu’on tient à tort pour acquises, ou qui éclaire celles qu’on a peu comprises]. {b}


  1. Après les artères, les veines et les nerfs.

  2. Milan, Jo. Baptista Bidellius, 1627, in‑4o de 79 pages, avec illustrations ; réédition à Leyde, Iohannes Maire, 1640, in‑4o.

En 1651, Jean Pecquet (Experimenta nova anatomica [Expériences anatomiques nouvelles], v. note [15], lettre 280) donna tout son sens à la découverte d’Aselli en décrivant les voies du chyle. Le De Lactibus seu Lacteis Venis et l’Exercitatio anatomica de motu cordis et sanguinis [Essai anatomique sur le mouvement du cœur et du sang] de William Harvey (Francfort, 1628, v. note [12], lettre 177) sont les deux socles de la révolution anatomique et physiologique qui prit son essor au xviie s. Moins passéiste qu’à son ordinaire, Guy Patin saluait ici les insignes mérites de ces deux pionniers.

Le grand Harvey a néanmoins catégoriquement nié la découverte d’Aselli, refusant d’admettre (contrairement à Jean ii Riolan) l’existence de vaisseaux lactés (lymphatiques et chylifères) formant un système distinct des vaisseaux sanguins : v. note [1], lettre latine 45.

s.

Universitätsbibliothek Basel, G2 I 9:Bl. 56 ro.

Tuæ nuper acceptæ respondeo, Vir præstantssime, quam mihi tradidit auditor
quondam tuus Petrus Amietus, cui tam propriâ causâ quam tuâ, omnem operam polliticus sum, et
omne obsequium obtuli. Ingenuus est et modestus, nec indoctus adolescens, tuo amore et omnium
bonorum favore multiplici nomine dignus : scias ergo illum esse mihi commendatissimum.
Præter Caspari Hofmanni, amici nostri Opuscula, et Epitomem ejus Instit. Medicinæ,
nihil hic habemus novi. Omnium Operum Dan. Sennerti, του μακαριτου, novum et
elegantem editionem meditatus Bibliopola quidam Lugdunensis, Petrus Ravaud, ad quam
ab uno mense se accingit, ex quo à Christianissimo rege privilegium impetravit : et in eam
rem undequaque sibi venatur emendatissima et locupletissima exemplaria Germanicæ
editionis : quoniam verò Lugdunenses Typographi in suis libris excudendis majorem et diligen-
tiorem operam adferunt quàm nostri Parisini, meri ad lyram asini, miseriq. et inepti
lucriones, spero fore proximam hanc editionem Lugdunensem longè puriorem et emendatiorem
fore, Parisiensi illâ quæ hîc ante sex annos prodijt : imò ab ipsius Clariss. Au[cto]ris heredibus,
ut audio, sperat etiam aliquid nunquam editum antehac, ex quo possit nova isthæc editio
locupletari et illustrari : quod utinam contingat ! Potuissent quidem istâ provinciâ
defungi Parisienses nostri, ut ante sex annos fecebant, quamvis non æquè bene aut accuratè,
sed adeo torpent atq. frigent belli diuturnitate penè enecti, et ejusdem iniquitate confossi,
ut vix spirare valeant. Noster Riolanus ad novam suæ Anthropographiæ edition[em]
se apparat, quæ erit in folio, dimidia sui parte adauctior, multis Observationibus illustrata,
et novis aliquot tractatibus, præsertim verò de Circulatione sanguinis, et Manuali quodam
Anatomico, ad morbis internos accommodato : cujus tamen operis editio ante Augustum,
finem non videbit. Avidè hîc expectatur ex Italia pars 2. de bello Belgico Famiani
Stradæ
, Loyolitæ quidem Romani, sed nobilissimi scriptoris et egregij historici. Medicus
quidam Gallus, dictus Samuel Sorbiere, apud Batavos Medicinam faciens, Opusculum
Anatomicum prælo commisit de venis lacteis et de Circulatione sanguinis ; in eo me
visurum spero quid supra Asellium et Harvæum, acutos sanè viros et eruditos, conjecerit
aut excogitarit novi, super istis difficilibus controversijs amicus noster, vir optimus,
et mihi carissimus. Collegam tuam D. Platerum, amicum olim meum, nisi grave Tibi
fuerit, nomine meo salutes velim, et enixè rogo. Plura non suppetunt. Vale, Vir
præstantissime, et me ama, qui

Tuus sum ære et libra Guido Patinus,
Doctor Medicus Parisiensis.

Parisijs 4. die Ianuarij, 1648.

Universitätsbibliothek Basel, G2 I 9:Bl. 56 vo.

Clarissimo Viro
D.D. Casparo Bauhino,
Doctori Medico egregio,
et Professori eruditissimo,
Basileam

1648. Januar. 15.
DD. Guido Patinus


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Caspar I Bauhin, le 4 janvier 1648

Adresse permanente :
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(Consulté le 05/05/2024)

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