L. 234.  >
À Charles Spon,
le 21 juin 1650

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 21 juin 1650

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0234

(Consulté le 29/03/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Je vous ai écrit ma dernière datée du mardi 14e de juin. Depuis ce temps-là, nouvelles nous sont arrivées que les Espagnols ont assiégé Le Catelet [2] en Picardie et Porto-Longone [3] en Italie. [1] Depuis ces premières nouvelles, les Espagnols ont pris Le Catelet, qu’ils pourront fortifier, et sont alentour de Saint-Quentin [4] qu’ils ne prendront point si aisément. On croit bien qu’ils prendront Piombino, [5] mais non pas Porto-Longone, à cause de 2 500 hommes qui sont dedans. [2] Ils ont eu bon marché du Catelet et l’ont pris fort aisément à cause d’un gouverneur tout nouveau, qui n’y était que depuis trois semaines, nommé M. de Vandy, [6] qui n’y avait nul crédit et pour qui les soldats ne voulurent point combattre, faute d’argent. [3] On dit que l’armée des Espagnols est de 25 000 hommes, mais qu’ils n’ont guère de blé non plus que d’argent, ce qui les empêchera d’entrer plus avant jusqu’après la récolte des blés ; et en attendant, il se pourra faire que le Mazarin [7] remontera sur sa bête et qu’il les rechassera en leur frontière, unde malum pedem attulerunt[4][8] On dit ici que M. de Bouillon [9] est si fort dans Bordeaux [10] que ni le peuple de la ville, ni le parlement n’en sont point les maîtres, et qu’ils ne l’en pourraient chasser quand ils le voudraient. [5] Je ne sais point quel ordre on apportera à tant de malheurs qui nous menacent. M. Ravaud [11] a obtenu deux sentences au Châtelet [12] à son profit. Il est obligé par la seconde à donner caution pour ce qui pourrait par ci-après être ordonné par le Parlement, en suite de l’appel que les libraires de la rue Saint-Jacques [13] ont fait de la première sentence rendue au Châtelet par le lieutenant civil. [14] Je me suis offert à lui d’être sa caution, ce que je ferai de bon cœur. Je pense que vous ne me désavouerez point de ce petit office que je suis bien aise de lui rendre. Je sais bien que le titre de fideiussorius, dans le droit, est appelé le titre des sots[6] mais il me semble que je ne lui puis dénier cette petite faveur puisque je ne lui en refuserais point une plus grande, combien qu’à vrai dire je ne sache point au vrai jusqu’où va l’importance du fait, ni de quelle somme pourra être ce qu’en ordonne le Parlement en cas que ledit Ravaud y perdît son procès. Quelqu’un me pourrait dire Fideiube, præsto noxa est[7][15] à quoi je réponds qu’il faut faire pour son ami ce que l’on ne ferait point pour tout le reste du monde. Ledit sieur Ravaud dit que ses affaires sont en bel état, qu’il pourra dans douze jours partir d’ici pour Calais, [16] Angleterre, Zélande, Anvers, Allemagne, etc. Quibus singulis locis[8] Dieu le veuille bien assister et si bien conduire qu’il retourne sain et sauf à Lyon après un si grand voyage.

Ce 19e de juin. Pour réponse à la vôtre du 13e de juin, que j’ai reçue ce matin et de laquelle je vous remercie très humblement, je vous dirai que j’attendrai le Calvinus et le de Pace de M. Morus [17] à votre commodité. [9] J’espère que le livre imprimé à Genève intitulé Fulcimentum gladii Christianorum regum et magistratuum viendra jusqu’ici et en ce cas, que je l’aurai si je veux. [10][18] J’ai vu le fils de M. Bauhin [19] plusieurs fois et lui ai prêté plusieurs livres, [20] bons, rares et chers, afin qu’il n’en fît ici aucune dépense, n’y étant que pour quelque temps. Le Theatrum botanicum de son aïeul [21] ne sera de longtemps achevé, j’apprends que ce sera un grand et long ouvrage. [11] Il est vrai que M. de Saumaise [22] a fait imprimer en Hollande un traité de Transsubstantiatione, mais cela n’est point nouveau, il y a plus de deux ans. C’est un in‑8o d’environ 25 feuilles, je pensais qu’il eût été imprimé à Genève aussi. Si vous le désirez, j’en ai un céans que je vous offre, j’en recouvrerai un autre en quelque façon ou tout au moins, j’en ferai venir un de Hollande. Il a été écrit contre M. Grotius, [23] mais un an ou environ après sa mort. [12][24] Nous n’avons point encore de certaines nouvelles que M. de Saumaise soit parti pour aller en Suède, mais c’est chose certaine qu’il doit partir bientôt. Un médecin d’Utrecht [13][25][26] m’a mandé que l’on imprime en Suède quelques traités de feu M. Vossius, [27] sous l’autorité de la reine [28] et par les soins du jeune Vossius, [29] son fils, qui y est. Les Espagnols n’ont point assiégé La Fère, [30] mais le Mazarin a été jusque-là pour faire passer des troupes. [1] Pour le sieur Contarini, [31] je pense bien qu’il voudrait avoir fait la paix générale, mais elle n’a pas été si prête d’être faite. [14] La Lorraine, [32] le Portugal, la Catalogne [33] et, qui est beaucoup plus que tout cela, la mauvaise volonté de nos ministres, qui ne haïssent rien tant que la paix et qui veulent pêcher en eau trouble afin d’enrichir leurs nièces, [34] sont les vraies causes que la paix n’a point été faite. Si vous désirez avoir le Stadium medicum de M. Pallu, [15][35] je vous en chercherai un. Le fils de M. Moreau [36] est tout à fait guéri, Dieu merci, dont je suis très réjoui, vu que c’est un jeune homme très considérable en toute façon, tant pour Monsieur son père [37] que pour lui-même, et pour notre Faculté aussi, de laquelle j’espère qu’il sera un jour un bel ornement : Si qua fata aspera rumpas, Tu Marcellus eris ; [16][38][39] c’est-à-dire s’il se défait de quelque petite débauche à laquelle on dit qu’il s’accoutume, dont je prie Dieu qu’il lui en fasse la grâce. L’Assemblée du Clergé [40] n’a encore rien fait de nouveau, sinon que l’on dit que deux choses ont ici renchéri depuis leur arrivée, savoir les putains et les perdreaux. Le bruit de la prison du Mazarin était faux et ne l’ai jamais cru, aussi est-il bientôt évanoui ; [17] joint qu’il n’a garde d’être arrêté, il est en trop bonne posture à la cour puisqu’il est maintenu et défendu de la reine [41] et du duc d’Orléans ; [42] et néanmoins il est tellement chargé de la haine publique, tant à la cour même qu’à Paris et dans les provinces, que je ne puis m’empêcher que je ne me souvienne de l’histoire du marquis d’Ancre, [43] qui en fut à la fin très mauvais marchand. Pour les œuvres latines de Balzac, [44] je les ai céans, elles ne me contentent pas fort et ne sont si bonnes que je l’espérais ; mais une chose particulièrement m’y fâche, c’est qu’en la page 211, il commence son Liber adoptivus composé de plusieurs bonnes pièces dont il n’est pas l’auteur ; tant mieux, puisqu’elles sont bonnes, mais il devait à la fin de chaque poème ajouter le nom de l’auteur. Celle qui est en page 213 est de Muret, [45] ce que je reconnus en lisant les six derniers vers de la page 215[18] Après tout, son français, combien que trop hyperbolique, est encore meilleur et plus agréable que son latin. On parlait ici du retour du roi [46] à Paris et que delà, il pourrait aller à Bordeaux. Tout cela est aujourd’hui renversé : le roi ne revient plus, on dit qu’il est nécessaire qu’il demeure en Picardie afin d’empêcher que les Espagnols ne fassent point plus grand progrès et qu’ils n’approchent point de plus près de Paris. Outre Le Catelet, ils ont pris Guise [47] et l’ont brûlée en y mettant le feu en douze endroits. [19] On croit qu’ils s’en vont assiéger Saint-Quentin, et s’ils le prennent, il y aura bien du malheur, d’autant que la place est bonne et qu’elle peut être merveilleusement fortifiée ; à quoi ils ne manqueront point si elle tombe entre leurs mains. Le maréchal de Gramont, [48] malcontent d’un refus que lui a fait le cardinal Mazarin pour un bénéfice que la reine lui avait accordé, s’est retiré en son gouvernement de Bayonne, [49] où dit-on qu’il est malgré tout. [20] Il y a ici quantité de fièvres malignes [50] et pourprées avec des assoupissements, desquelles il faut être bien fort et bien heureux pour en échapper. [21]

Ce 20e de juin. Le greffier du Châtelet m’a ce matin apporté l’acte de caution que j’avais promis à M. Ravaud, [6] et que j’ai signé afin qu’il pût avancer ses affaires et son voyage. Dieu le veuille bien conduire et vous conserver en bonne santé avec tout ce qui vous appartient. On dit ici que ceux de Bordeaux [51] ont donné arrêt contre M. de Lavie, [52] avocat général, pour avoir manqué d’accomplir sa légation, ou plutôt commission de deçà, vers le Mazarin ; et même que sa maison a été pillée par la populace, indignée contre lui de s’être laissé gagner par le Mazarin. [22] M. le duc d’Orléans et M. le garde des sceaux [53] s’en vont demain à Compiègne. [54] La Cour de Parlement a aujourd’hui ordonné que Mme d’Aiguillon [55] mettra dans ce même jour son neveu, le duc de Richelieu, [56] en liberté, sur peine de cent mille livres d’amende ; dont l’exécutoire sera délivré demain si elle n’obéit à l’arrêt d’aujourd’hui. Je voudrais qu’il lui en eût coûté cent mille livres, elle en a bien d’autres qu’elle a gagnées bien à son aise autrefois avec son oncle. [23][57] Je vous baise les mains de tout mon cœur et suis, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce mardi 21e de juin 1650.

Le bruit de l’emprisonnement du Mazarin avait pour fondement le voyage que firent à la cour M. le duc d’Orléans et M. le garde des sceaux : Gaston avait promis en un Conseil que les frondeurs avaient tenu de delà d’aller à Compiègne et d’y faire arrêter le Mazarin ; la duchesse d’Orléans, [58] qui avait été du Conseil et qui hait fort ce Mazarin, le dit à quelqu’un comme une chose faite. Voilà d’où vient le bruit, mais Gaston n’eut point le courage de faire ce qu’il avait promis. La reine le flatta tant et pleura si tendrement pour ce chien de favori qu’il se rendit à ses larmes. La duchesse d’Orléans, sa femme, lui en a fait de vilains reproches et remontré comme il était cause par sa lâcheté de la ruine de la France. [16] Une autre fois, le Mazarin pourra être arrêté. On tient ici que c’est un malheureux qui ne traîne que son lien. [24] Je doute néanmoins si ce voyage avait été fait à ce dessein comme on dit.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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