L. 782.  >
À André Falconet,
le 30 mai 1664

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 30 mai 1664

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0782

(Consulté le 19/04/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Le roi [2] est à Fontainebleau [3] où toute la cour se va rendre. On parle ici d’une trêve entre l’empereur [4] et le Turc. [1][5] Les parents de M. Fouquet [6] sont ici en grande alarme et ont peur de l’issue du procès. La haine que M. Colbert [7] lui porte poussera les choses bien loin. N’avez-vous rien ouï dire de nouveau d’une Histoire de Lyon en deux tomes in‑fo faite par un jésuite de votre pays, laquelle est bien avancée, mais non parfaite ? Je crois que l’auteur s’appelait le P. de Saint-Aubin, [8] ou le P. Bollioud. [2] Mme de Nemours-Vendôme [9] est ici morte de la petite vérole, [10] elle laisse deux belles filles à marier. [11][12][13][14][15] C’est elle qui était veuve de celui [16] que M. de Beaufort [17] tua d’un coup de pistolet en duel l’an 1652, [18] et qui était son beau-frère. Elle est ici morte le 19e de mai. Le sieur des Fougerais, [19] Brayer [20] et Rainssant [21] l’ont assistée jusqu’au bout avec un nommé M. Du Four, [22] huguenot, [23] qui était autrefois médecin de M. de Vendôme, [24] son père, durant ses voyages d’Italie. [3]

Je viens de recevoir votre lettre datée du 16e de mai, pour laquelle je vous remercie. Je souhaite une vigoureuse santé à Mlle Falconet, [25] pour à laquelle parvenir je tiens trois choses très nécessaires, nempe dietam legitimam, assiduum lactis usum sed asinini, et catharsim frequentem, eamque benignam ex foliis orient. cum pauco rheo ; nisi in dissentis, docte Trebati[4][26][27][28][29][30] M. Morisset [31] n’avance rien en ses affaires et ne nous rend pas nos registres, je ne sais enfin ce qu’il fera ni ce qu’il deviendra. Je ne vis jamais un homme si mal conseillé et si malencontreux. On cherche ici un médecin pour la charge de médecin de M. le Dauphin, [32] mais sourdement on dit qu’elle est à 20 000 écus ; [5] je n’ai garde d’y penser, ni pour moi, ni pour mes enfants. Curia dat curas, tribuat Iudæus Apella, non ego, qui didici cum Dios securum agere ævum ; [6] paix et peu, panem et circenses[7][33]

Il a couru ici un bruit que le roi sortirait de Fontainebleau à cause de la petite vérole, [34] mais ce bruit se trouve faux. Mlle d’Alençon, [35] sœur de Mme la duchesse de Savoie, [36] est ici malade de la petite vérole. M. le comte de Montausier [37] s’en va de la part du roi à Lyon vers M. le cardinal-légat [38] pour l’amener et accompagner jusqu’à Fontainebleau. J’apprends que l’on imprime en Hollande un beau recueil de tout ce qui a été jusqu’ici fait pour la défense de M. Fouquet, mais qu’il y aura plusieurs volumes in‑12, et que l’on parle aussi d’y imprimer un recueil d’épitaphes du cardinal Mazarin ; [39] peut-être que ce dernier en attirera un autre pour le cardinal de Richelieu, [40] pour lequel plusieurs curieux en firent de fort beaux alors, pour l’amitié que l’on avait pour le bonnet rouge qui avait été le Iupiter mactator de son siècle. [8][41]

M. de Guise [42] est ici fort malade ; on dit tout bas que c’est ex ulceribus ac hypersarcosi vesicæ[9] il y a ischurie et strangurie. [43][44] Nous avons ici un de nos médecins prêt à se faire tailler [45] pour la pierre dans la vessie, c’est celui qui donne tant de vin émétique [46] par Paris, per fas et nefas[10] qu’on lui en a donné le surnom ; on dit qu’il le fait pour gagner les bonnes grâces des apothicaires [47] et pour plaire à Guénault. [48] Il est un de ceux qui en ordonnent le plus, mais il n’en prend jamais ; il lui serait peut-être bon pour sa pierre, mais il n’en a pas assez bonne opinion ; s’il y croyait, il y a de l’apparence qu’il en prendrait, c’est qu’il a peur de sa peau. Pour moi, je n’en prendrai jamais, nam me vestigia terrent[11][49][50] Il est mort ici depuis quatre jours un vieux chirurgien fameux de la place Maubert, [51] nommé Ménard, [52] qui était habile homme et bien riche, âgé de 87 ans. [12]

Le Conseil du roi a envoyé depuis peu de jours plusieurs taxes pour divers partis, dont se sont mêlés les chefs de ces familles : Mme d’Aiguillon [53] en est, quelques présidents à mortier comme MM. de Maisons, [13][54][55] Le Coigneux, [56] de Bailleul, [57] etc., La Brisse, [58] partisan, Lambert, [59] maître des comptes, frère et héritier de feu M. Jean-Baptiste Lambert, [60] commis de M. de Fieubet, [61] trésorier de l’Épargne, [62] lequel Lambert mourut il y a 20 ans, âgé de 37 ans, riche de quatre millions. [14] Je l’avais traité malade longtemps et il mourut maigre, sec et tout exténué, comme je le lui avais souvent prédit. Son rein droit était tout ulcéré et rempli d’un tas de petites pierres dont mon fils Charles [63] garde quelques-unes comme autant de curiosités médecinales. [64][65] On a taxé aussi les héritiers de M. Garnier, [66] trésorier des Parties casuelles, [67] qui a laissé dix enfants, et à chacun plus d’un million de biens ; voilà bien de l’argent dont il reviendra une partie au roi. Faxit Deus ut posthac misellus, imo miserrimus populus sublevetur, tot tributis, tot ærumnis, a tot annis oppressus iniquis tyrannorum et publicanorum artibus[15] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 30e de mai 1664.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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