L. 980.  >
À André Falconet,
le 11 avril 1670

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 11 avril 1670

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0980

(Consulté le 16/04/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Nous avons ici des malades que l’hiver a fort incommodés et qui s’attendent au lait d’ânesse, [2] duquel je n’ai pas encore osé me servir qu’il n’ait fait un peu plus chaud et que le soleil n’ait amendé par sa chaleur la crudité du suc des herbes qui sont sur la terre. Je viens d’apprendre que l’empereur [3] veut chasser tous les juifs [4] de ses provinces et dominations, et que cela se verra avant la Saint-Jean. Le parlement de Metz en a fait brûler un tout vif depuis trois mois, dont les juifs en ont fait de grandes plaintes au roi qu’ils ont tout exprès envoyés ici. [1][5][6][7][8] par des députés On parle ici d’un certain M. de Varillas [9] qui sait beaucoup de choses et qui écrit fort bien, qui s’en va nous donner l’histoire de quelques-uns de nos rois. On dit qu’il commencera par Henri ii[10] François ii[11] Charles ix [12] et Henri iii[13] mais qu’il en demeurera là sans toucher à Henri iv [14] ni aux deux suivants, Louis xiii et Louis xiv[2] Durum enim est ac periculosæ plenum opus aleæ historiam sui temporis conscribere : [3] M. le président de Thou, [15] qui a si bien fait, n’y a réussi qu’aux dépens de la vie de son pauvre fils aîné ; [16] il fait dangereux de tomber entre les mains d’un tyran irrité. Après que le premier tome aura été produit, il donnera les autres rois, dont il commencera l’histoire à Charles v [17] et ensuite, il donnera Charles vii[18] Louis xi[19] Charles viii[20] Louis xii[21] François ier[22] Ô que l’histoire de ces six rois sera belle s’il en dit ce qui est vrai et qui n’est pas commun, comme la maladie de Charles vi qui fut si longtemps fou que la France en pensa passer à Henri v[23] roi d’Angleterre, [4] et des amours de Charles vii qui tenait bien de son père du côté de l’esprit, mais qui fut bien plus heureux que lui à chasser les Anglais de son royaume par le moyen d’un bâtard d’Orléans, comte de Dunois, [24] et de cette brave Pucelle d’Orléans, [25] dans l’histoire de laquelle il y a bien du roman. Tout y est incertain, je m’en rapporte à ce qu’en ont dit Étienne Pasquier, [26] M. du Bellay, [27] Denis Lambin, [28] du Haillan, [29] feu M. Naudé [30] et plusieurs autres, qui disent qu’elle ne fut point brûlée à Orléans [31] et que l’on jeta dans le feu un billot au lieu d’elle, et qu’elle fut renvoyée en son pays de Barrois. [5] Après Charles vii viendra Louis xi, qui fut un étrange compagnon, habile mais rude et méchant, qui fit empoisonner son frère, [32] qui supposa un enfant qui régna après lui sous le nom de Charles viii. Ce Louis xi [33] fut un dangereux maître qui fit bien des fautes et surtout, qui nous laissa perdre les 17 provinces du Pays-Bas [34] qui étaient le patrimoine de Marie, [35] fille unique de Charles, ce malheureux duc de Bourgogne [36] qui fut tué devant Nancy [37] l’an 1477 (il la fallait marier à un prince du sang), qui fut l’aïeul de François ier[6] Après Louis xi, parut sur le théâtre Charles viii, jeune homme sans science et expérience, qui se laissa trop gouverner et qui mourut bientôt après. Louis xii suivit, qui fut le Père du peuple, optimus bonorum, je l’appelle ainsi quia optimus ille qui minimis urgetur. Duo duntaxat vitia illi obiiciuntur, quod fuerit mulierosus et avarus[7] dont l’un suit de près l’humanité, et l’autre la nécessité. Pour François ier, nous lui devons ceci qu’il a rendu la France savante, et qu’il a fait et fondé les professeurs du roi. [38] Dieu veuille leur pardonner à tous, tant qu’ils sont.

Toutes les villes frontières de notre Picardie sont pleines de gendarmerie sans en savoir le pourquoi, non plus que quand le roi partira pour aller en Flandres : [39][40]

Prudens futuri temporis exitum
caliginosa nocte premit Deus
[8]

Il vient de sortir de céans un honnête homme qui dit que le dessein du roi est si fort caché que personne n’y peut rien connaître. On s’étonne de ce que les cardinaux sont si longtemps dans le conclave [41] sans faire un pape. Je pense que les brigues de ces gens-là et les finesses politiques les plus rusées ne manquent pas d’être mises en œuvre pour une affaire de telle importance, et que la malice des hommes s’y est autant employée et aussi bien occupée que le Saint-Esprit duquel ils se targuent ; même, je crois que ce bon Seigneur fera bien sagement de ne s’y rencontrer, de peur de tomber en mauvaises mains.

Ce 9e d’avril. Le roi vint hier à Paris de Saint-Germain-en-Laye [42] et le même jour, y retourna. Il y a fait quelques visites et entre autres, il fut au Louvre [43] où il prononça sur le dessein du bâtiment et sur l’ordre qu’il veut être gardé pour en achever le bâtiment, à quoi on va travailler tout de bon[9] On dit partout que le voyage est certain, bien que la cause en soit inconnue ; car de dire que c’est une promenade pour le roi et pour toute la cour, on répond que ce n’est point encore là un temps propre pour s’aller promener si loin. Il vaut mieux dire que personne ne sait ce grand secret que le roi et tous ceux à qui il l’a révélé. C’est un mystère et une énigme duquel le temps nous apprendra la vérité. [10] Je vous prie de dire à M. Spon qu’il y a bien deux mois que je lui mandai que M. Sorbière, [44] son ancien ami, était hydropique [45] et asthmatique. [46] Je ne l’ai vu qu’une fois depuis ce temps-là. Aujourd’hui je puis vous dire qu’il est mort. Je viens de recevoir son billet d’enterrement et demain on fera son convoi à Saint-Eustache. [47]

Je viens d’apprendre que le voyage du roi est remis au 5e de mai à cause du mauvais temps. M. de La Hoguette, [48] neveu de M. l’archevêque de Paris, [49] a tué de guet-apens un gentilhomme, parent de M. le chancelier[50] Ce meurtrier est en prison, son oncle n’en a pu obtenir la grâce. [11] Il est mort depuis peu de jours un grand serviteur de Dieu nommé M. de Saint-Pavin, [12][51] grand camarade de des Barreaux, [52] qui est un autre fort illustre israélite, si credere fas est[13][53] On parle ici d’un sermon que le P. Bourdaloue [54] a fait ces dernières fêtes, touchant un curé d’Angleterre et un certain adultère à qui on donna absolution. On dit que le sieur Vallot [55] est hydropique et asthmatique, et de plus, qu’il a une maladie que Rabelais [56] dit être incurable à cause des années passées, qui est la vieillesse. [14]

Le curé de Saint-Nicolas [57] n’a pas voulu donner l’absolution à M. de Saint-Pavin qu’il n’ait auparavant jeté dans le feu son testament, à cause de la vie scandaleuse qu’il a menée, et qu’il n’ait fait des legs pieux du bien qui lui restait. Hier mourut ici le commandeur de Jars, [58] âgé de 76 ans. [15] je vous baise très humblement les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 11e d’avril 1670.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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