Épître dédicatoire : Aux miens

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Épître dédicatoire : Aux miens

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=7002

(Consulté le 18/04/2024)

 

La présente édition de la Correspondance française de Guy Patin n’aurait jamais vu le jour si, voici 14 ans, mon frère Yves ne m’avait fait connaître cet écrivain et si mon épouse, Frédérique, n’avait toléré l’entrée de son encombrant fantôme sous notre toit.

Je te vois encore Yves, vers l’été 2000, me dire que tu trouvais grand plaisir à lire trois vieux petits livres dénichés chez quelque antiquaire : c’était l’édition van Bulderen des Lettres choisies de feu M. Guy Patin… (La Haye, 1715, 3 volumes in‑12, vBibliographie). Tu étais convaincu que le personnage et sa plume devaient m’intéresser. Je t’avais répondu que « ton Patin » était une très illustre médiocrité dans l’histoire de la médecine française, connu comme le dernier et le plus obstiné de nos anticirculationnistes – ces opposants historiques à la découverte de la circulation sanguine que William Harvey avait publiée en 1628. En m’assurant que j’y trouverais bien plus que cela, tu me prêtas tes trois in‑12. De fait, je fus ébloui, c’est-à-dire émerveillé, mais sans bien cerner tous les détails des contours. Aucune note n’éclairait l’exubérante richesse des lettres : faits, personnages, raisonnements, emploi abondant d’un latin qui n’était pas de cuisine, tout me laissa sur la frustration de n’avoir pas bien compris la plus grande partie des propos, mais en me convainquant que des trésors innombrables étaient enfouis là. Je me mis donc en tête de comprendre entièrement ce qu’avait écrit mon ancien collègue ; d’abord en médecine bien sûr, mais aussi dans toutes les autres matières et en allant aussi loin qu’il me serait possible.

C’était en décembre 2000 et depuis lors, je n’ai guère connu de semaine sans labourer assidument Patin. J’y ai consacré presque tous mes loisirs et un peu de mon temps de professeur, puisqu’il s’avéra après quelques années qu’il s’agissait d’un projet légitime et original de recherche académique.

Le plus difficile, mais aussi le plus gratifiant, a été pour moi de réapprendre le latin dont j’avais abandonné l’étude à la fin de ma première, en 1965, et de me débarrasser des approximations et des sornettes qui dupent la plupart des esprits quant à l’histoire et aux mentalités du xviie siècle. Bien des fois, Yves, je m’y serais noyé si tu ne m’avais éclairé de ta profonde érudition. Peu à peu, nos conversations sur ces sujets prirent de l’épaisseur, et il arriva même à ton reconnaissant émule de reprendre son bienveillant maître sur certains de ses commentaires. Dieu merci, Patin, comme moi, connaissait fort mal le grec. Quand il s’y hasardait quand même, si mes rudiments et le Bailly n’y suffisaient pas, tu étais aussi à mes côtés pour me tirer d’affaire.

À mesure que j’avançais, Patin et son siècle ont envahi mon bureau, ma bibliothèque, mon disque dur et surtout mon esprit. Frédérique et nos trois enfants auraient pu en prendre ombrage ; mais non, tous ont tenu cet engouement pour mon accaparante mais innocente marotte, peinant à croire que j’arriverais jamais au bout, mais m’encourageant toujours à m’y obstiner. Renonçant à noircir des pages avec mes souvenirs familiaux liés à Guy Patin, je me contenterai de quelques éclairs fugaces : Frédérique fouillant ses livres d’horticulture pour me trouver ce qui ressemble le plus aujourd’hui à la poire de bon-chrétien que Patin cueillait dans son verger de Cormeilles ; Alice me prêtant son œil et son crayon d’architecte pour situer exactement la maison que Patin habitait rue et place du Chevalier du Guet ; Marie, la journaliste, me rassurant sur mes capacités de paléographe quand elle ouvrit avec moi les deux boites contenant les copies des trois manuscrits que j’avais commandées à la BnF (mss Fr no 9357 et no 9358, et Baluze no 148), couvertes de ce qui m’apparaissait alors comme une impénétrable cursive, aussi uniforme que barbelée ; Jean, le médecin, confrontant son avis au mien sur les diagnostics modernes de quelques-uns des multiples cas décrits par Patin ou ses comparses ; Charles Valat, notre petit-fils, qui avant l’âge de trois ans, a identifié le nom et l’effigie de Guy Patin comme étant ceux d’un membre de la famille.

Du fond du cœur, merci à tous de m’avoir permis ce long patinage. Votre bienveillance ne peut s’expliquer que par votre profonde affection ; soyez certains de sa réciprocité et de mon éternelle reconnaissance.

Loïc Capron.

De Paris, le 5 janvier 2015.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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