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Observations de Guy Patin et Charles Guillemeau sur les us et abus des apothicaires (1648) : ii  >

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Observations de Guy Patin et Charles Guillemeau sur les us et abus des apothicaires (1648) : II

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8155

(Consulté le 29/03/2024)

 

De l’antimoine [a][1][2]

Voici l’idole des chimistes [3] et de tous les souffleurs qui se mêlent de la médecine. Le savant Mercurial[4] qui fut en son temps l’honneur des médecins d’Italie, a nommé l’antimoine un médicament diabolique, de l’invention de Paracelse, [5] qui le mit au jour non pas pour purger, mais plutôt pour égorger les malades. [1] Assurément, les chimistes d’aujourd’hui ne sont pas plus fins ni plus habiles que ceux qui vivaient il y a soixante ans, qui est à peu près le temps auquel Mercurial écrivait et enseignait à Padoue [6] ces vérités importantes ; tellement que l’antimoine dont on use à présent, quelque subtile préparation qu’en puissent faire ces nouveaux et prétendus philosophes, est aussi bien poison qu’il fût jamais. Il y a 82 ans que la très illustre Faculté de médecine de Paris fut assemblée, l’an 1566, par l’autorité de Messieurs du Parlement, pour donner son avis sur l’antimoine, qui fut déclaré poison par un décret solennel. [2][7] Aussi l’est-il en effet, et je ne pense pas qu’il me soit difficile de le prouver ici, comme je me le propose, pour montrer combien il est dangereux de s’en servir en la médecine, puisque nous avons tant d’autres remèdes excellents, et qui sont tenus pour infaillibles contre toute sorte de maladies.

Premièrement donc, je tiens pour certain que les anciens Grecs n’ont point connu l’antimoine pour être purgatif[8] et que le tetragonum d’Hippocrate, [9] lib. de Morbis internis[10] ne fut jamais l’antimoine des chimistes d’aujourd’hui. Pour Galien, lib. 9 de Simpl. medic. facult., il se peut faire qu’il l’ait connu sous le nom de stimmi, ou stibium ; [11] mais il ne lui attribue qu’une faculté astringente, rafraîchissante et desséchante. Dioscoride, [12] cap. 59, lib. 5, ne reconnaît l’usage de l’antimoine qu’en tant que l’on s’en sert aux remèdes externes, à cause de son astriction ; [13] outre la propriété qu’il a d’empêcher les excroissances de la chair, de nettoyer les ordures des plaies et d’en procurer la cicatrice ; ce qui est encore le sentiment de Pline. [3][14] D’où je tire cette conséquence que pas un des Anciens n’a connu la faculté purgative de l’antimoine et qu’aucun d’eux, aussi, ne s’en est servi pour en purger les malades, car ils en ont tous usé tantôt comme d’un remède externe, tantôt comme d’un fard, et quelquefois même, ils l’ont pris pour un poison.

Les Grecs et les Arabes [15] lui ont donné divers noms qu’il n’est pas besoin que je rapporte ici. J’aime mieux parler de son essence, et dire que c’est un fossile ou, si vous voulez, un suc congelé, tel à peu près que la marcassite ou que la pierre de plomb. [4][16] Thomas Erastus l’appelle un mixte, participant de la nature du verre, et qui reluit comme lui. [17] Fallope le met au rang des fossiles, [18] qui tiennent de la nature du métal et de la pierre : du métal à cause qu’il se fond ; et de la pierre pource qu’il est friable et qu’il se peut mettre en poudre. À quoi j’ajoute que Cesalpinus, très docte Italien, [19] le séparant des métaux, le nomme une pierre semblable au plomb. [5] Que si quelqu’un me demande de quels lieux on tire l’antimoine, je lui répondrai : avec Pline, qu’il se trouve d’ordinaire dans les mines d’argent ; avec Matthiole[20] qu’il y en a en divers endroits d’Italie, surtout au territoire de Sienne, [21] outre qu’on en apporte beaucoup d’Allemagne à Venise, après avoir été fondu dans les forges et réduit en masses ; [6] avec Fallope, qu’on le tire quelquefois des mines d’argent et que, souvent même, dans sa veine propre, il ne se rencontre que de l’antimoine ; avec Ramnusius, dans sa Relation du voyage d’Afrique, qu’il s’en trouve abondamment au pied du mont Atlas, [22] du côté qui regarde le midi ; [7][23][24] et avec plusieurs autres auteurs, qu’en divers lieux d’Afrique, il y en a beaucoup dans les minières de plomb, d’avec lequel il est distingué par le moyen du soufre. Quant aux espèces d’antimoine, l’on en met de deux sortes, à savoir le mâle et la femelle, dont la dernière est préférable à l’autre, pour être plus luisante, plus friable et plus rayée. Les plus experts et les mieux versés dans les matières métalliques tiennent qu’il n’est point de meilleur antimoine que celui qui brille davantage, qui paraît le plus croûteux, quand il est rompu, qui n’a ni terre ni ordure quelconque et que l’on met aisément en pièces. [8][25][26] Pour ce qui est de l’ancienne façon de le préparer, elle n’est aujourd’hui en usage que parmi les orfèvres, les fondeurs, les potiers d’étain, les faiseurs de miroirs, et chez tels autres ouvriers qui, selon que leurs desseins sont divers, le préparent diversement aussi ; de quoi je donnerais des exemples s’ils n’étaient fréquents dans les écrits de plusieurs auteurs, principalement de Dioscoride et de Pline.

Depuis que l’antimoine a été introduit dans la médecine par les souffleurs de la damnable secte de Paracelse, [27] il n’est pas à croire en combien de façons ces maîtres fourbes l’ont accommodé ; car il se voit tous les jours que, pour le bien préparer, à ce qu’ils disent, ils font des efforts pour en tirer les fleurs, [28] le verre, [29][30] le régule, [31] le soufre, [32] et ainsi du reste. Tantôt ils le calcinent diversement ; tantôt ils en font ce qu’ils appellent en leur jargon Crocus metallorum, ou foie d’antimoine ; [9][33][34] tantôt ils en tirent le régule, tantôt ils le rendent diaphorétique, [35] tantôt ils en font un bézoard minéral, [10][36] et tantôt ils le déguisent en d’autres façons étranges, dont les exemples se peuvent voir dans les écrits de Béguin[37] de Quercetanus[38] de Crollius [39] et de semblables architectes du plus pernicieux de tous les métiers. Mais quelque teinture que s’étudient de lui donner les plus célèbres chimistes d’Allemagne, d’Italie et d’Angleterre, toutes les préparations qu’ils font de cette drogue, enchérissant à l’envi les uns sur les autres, sont très dangereuses, puisque la mort s’en ensuit en la plupart de ceux qui en prennent. [40] Eux-mêmes aussi ne peuvent s’empêcher d’avouer que l’antimoine donné en substance, quelque bien préparé qu’il soit, est toujours pernicieux et nuisible, pour la vénénosité qu’il retient, sans qu’il leur soit possible de l’effacer par les degrés mystérieux de leur feu chimique. Je dirai bien plus encore : c’est que l’usage de la seule infusion qui s’en fait n’est non plus assuré que le reste, puisque partout où l’antimoine se mêle, il y a qualités vénéneuses, et du poison même.

D’alléguer au reste qu’il y ait en lui quelque faculté purgatrice, c’est vouloir démentir les plus célèbres auteurs. Dioscoride, lib. 5 cap. 83, Pline et Galien, lib. 6 de San. tuen.[3] n’en parlent que comme d’un remède altératif, et Mercurial, lib. 2 de Compos. medic., cap. 8[1] avoue que les Anciens n’usaient du tout point d’antimoine à purger les corps, mais seulement pour embellir les yeux et pour noircir les soucils. Depuis ce temps-là, les orfèvres et les fondeurs de métaux l’ont employé dans leurs ouvrages, ayant reconnu qu’il se pouvait fondre par la force du feu, comme, en effet, il contient en soi quelque partie sulfurée ; d’où vient qu’il sent le soufre, principalement quand il est brûlé. En lui se cachent encore je ne sais quels atomes d’argent, qui sont comme imperceptibles et que le feu est seulement capable de séparer. Davantage, il participe fort de la nature du mercure ou du vif-argent en diverses choses, [41] et particulièrement en ce qu’il arrache de tout le corps, avec une prompte violence, quantité d’humeurs différentes, crasses, visqueuses, lentes, séreuses, et liquides, tant par en haut que par en bas. Lui seul aussi purge tous les métaux ensemble de toute sorte d’ordures ; principalement l’or, dont il sépare le cuivre, et qu’il purifie sans aucun déchet et sans l’altérer en rien ; au lieu qu’il corrompt et détruit tous les autres métaux. Mais il ne faut pas oublier surtout qu’il a une merveilleuse affinité avec le plomb, et même qu’apparemment, il en est la matière car il se convertit en lui, dont il semble faire une quatrième espèce, comme Cardan le remarque, lib. 5 de Subt. ; [11][42] ce qu’on reconnaît visiblement quand on le cuit dans un vaisseau de terre. À raison de quoi, Grévin, savant médecin de Paris, lib. 2 de Venenis, cap. ult. quod est de Stibio, tient que l’antimoine étant de la nature du plomb, en qui il se transforme, ayant même faculté que lui, doit par conséquent être mis au rang des venins et des poisons mortifères. [12] Ceux qui font des cloches, pour leur donner un son plus retentissant et plus agréable à l’ouïe, ont accoutumé, durant la fonte, d’y mêler quelque portion d’antimoine ; comme encore les miroitiers ou polisseurs de miroirs. À quoi j’ajoute que, par ce mélange, les potiers d’étain trouvent que leur vaisselle approche du son de celle d’argent. Ces ouvriers-là demeurent d’accord que l’antimoine hâte la fonte de tous les métaux quand il y est mêlé ; d’où vient que ceux qui font des boulets pour le canon et pour les autres armes à feu y ajoutent de l’antimoine, sans lequel ils ne pourraient fondre le fer, selon le rapport de Matthiole. [13] De toutes lesquelles propriétés et de ces effets que je viens d’alléguer, Messieurs les chimistes tirent cette belle conséquence que l’antimoine servant à nettoyer, à déterger et à purger les métaux, principalement l’or, peut servir de même à purifier le sang, ainsi qu’ils parlent en leur jargon, et à purger les humeurs de notre corps ; comme s’il y avait une vraie et légitime proportion entre l’épurement des métaux et la purgation du corps humain ; ou comme si ce qui purge l’un devait être employé à purger l’autre. De même, ces nouveaux naturalistes, toujours enfumés, pour n’avoir jamais étudié que sur leur creuset, à la vapeur du charbon, et qui, bien souvent, à force de le souffler, ont réduit en cendre le patrimoine d’autrui et le leur propre, s’ils en ont jamais eu, se font accroire, tant ils sont vains, d’être les seuls philosophes qui, d’un esprit clairvoyant, pénètrent jusque dans les plus secrets mystères de la Nature. Mais jugez un peu, je vous prie, s’ils ne raisonnent pas bien, si leur conclusion est en bonne forme et si elle n’est pas appuyée des fondements d’une logique préférable à celle d’Aristote : [43] l’antimoine, disent-ils, purge l’or, purifie les autres métaux, sert à les fondre, donne un son retentissant aux cloches, aide à la fonte du fer et à faire des boulets de canon ; donc, il est bon et fort propre à purifier les humeurs du corps humain ; donc, il mérite d’être appelé cette médecine universelle et ce grand secret de la Nature, en vain jusques ici recherché par tant de monde, pour purger avec assurance toute sorte de mauvaises humeurs en toutes les maladies, et quelque endroit du corps qu’elles se rencontrent. Ne voilà pas bien débuter [14] pour des gens si raffinés, qui enchérissent, à ce qu’ils disent, sur toute la philosophie des Anciens, et qui veulent impudemment faire passer Hippocrate, [44] Platon, [45] Aristote et Galien [46] pour des rêveurs, à cause qu’ils n’ont pas été, comme eux, alchimistes, c’est-à-dire vendeurs de fumée ?

Or, sans m’amuser à considérer ici l’antimoine comme cru et tel qu’il a été connu des Anciens, il me suffit de le prendre au sens des chimistes, contre lesquels je soutiens que ce qu’ils appellent antimoine préparé est un vrai poison dont il ne faut nullement user en médecine pour la guérison des maladies. Il n’en est pas de même de l’antimoine cru, qui n’empoisonne jamais personne ; de sorte que nous appelons seulement poison et prétendons être tel celui que les chimistes préparent et dont ils se servent tous les jours, après qu’il a passé par leurs fourneaux, pour en tuer inhumainement les pauvres malades qui leur demandent secours. Le docte Mercurial, lib. 2 de comp. medic. cap. 8, dit qu’il y a environ cent ans que Paracelse commença d’user de ce médicament diabolique, non pas pour purger les corps, mais pour égorger les hommes. La dose en laquelle ils le donnent est depuis deux grains jusqu’à quatre ; Mais je vous conseille, conclut-il, de n’user jamais de cette drogue pource que, encore qu’elle semble servir quelquefois, on voit néanmoins fort peu souvent ceux qui en réchappent, dont le nombre est fort petit, parvenir à une première vieillesse. Ce que démontre encore Thomas Erastus par divers exemples produits en termes exprès contre Paracelse ; outre que j’ai vu moi-même plusieurs fois mourir misérablement ceux qui en avaient usé ; et voilà ce qu’en écrit Mercurial. [15] Ioannes Crato[47] qui a eu l’honneur d’être premier médecin de trois empereurs qui ont régné tout de suite en Allemagne, pays natal de Paracelse et de la plupart des chimistes qui l’ont suivi, au conseil qu’il donne pour se garantir de la peste[48] parle ainsi de l’antimoine : [16] Puisqu’il est certain que les corps diffèrent extrêmement les uns des autres, soit en leur tempérament, soit en leurs propriétés individues, je désire qu’un chacun soit averti que, pour se préserver de la peste, il faut avoir recours aux plus habiles médecins, tant sur le fait de la saignée que de la purgation, et non pas à ceux qui, non moins imprudemment que témérairement, donnent en tel cas de l’antimoine et du précipité, [17][49] sous prétexte qu’ils purgent tout le corps et que, même, ils en tirent toute sorte d’impuretés. Je sais bien que quelques-uns se persuadent que l’antimoine est un singulier alexipharmaque contre la peste ; mais d’autant qu’il ne diffère pas beaucoup de l’arsenic, [50] que la Nature l’abhorre comme un poison et qu’il tire les bonnes humeurs autant que les mauvaises, il se peut faire que, dans une si violente agitation de tout le corps, et une si grande évacuation que fait l’antimoine par haut et par bas, la Nature soit quelquefois soulagée jusque là-même que la pourriture qui cause la peste diminue par le fort desséchement que tout le corps en reçoit. Mais, pour tout cela, je ne croirai jamais que ce remède ne soit extrêmement dangereux ni qu’il se puisse donner à tout le monde avec assurance, étant véritable et très certain que l’antimoine et le précipité sont deux poisons pestilents et tout à fait dommageables. Que si l’on m’allègue que quelques-uns (bien qu’en fort petit nombre), pour en avoir pris, n’en sont pas toutefois morts, il ne s’ensuit pas de là pourtant qu’il en faille donner à tout le monde. C’est tout ce que j’ai à dire là-dessus en faveur de ceux qui sont dignes de cet avertissement, pour en faire leur profit. Et voilà ce qu’est l’avis de Craton.

Henricus Smetius in Miscell. medic. [51] reconnaît en l’antimoine une qualité violente, vénéneuse, et si ennemie de l’estomac que ce n’est pas sans danger qu’il vide par haut et par bas tout ce qui est dans le ventricule, [52] ou qui joint les parties voisines, étant le plus pernicieux de tous les vomitifs, après le précipité. [18]

Thomas Erastus, premier professeur en médecine à Heidelberg, lib. de occult. phar. Potest. cap. 65 et 66[5] dit que l’antimoine lui est d’autant plus suspect qu’il semble approcher de la nature du verre et que, provoquant le vomissement avec violence, il purge indifféremment toute sorte d’humeurs, bonnes et mauvaises ; qu’ainsi agissant par une qualité vénéneuse, commune et maligne, plutôt que par aucune vertu particulière, ses effets sont vénéneux et tellement ennemis de nos corps que, pour en troubler toute l’économie, il ne faut qu’une petite quantité de cette drogue homicide. Le même auteur ajoute à cela que les plus fins d’entre les chimistes n’attribuent cette malignité qu’à ce qu’ils appellent verre d’antimoine, sans avouer le même des autres préparations, qu’il soutient néanmoins être naturellement mauvaises, comme tirées d’une très mauvaise cause ; d’où il conclut que ceux-là ne sont point médecins, mais cruels et impitoyables bourreaux, qui donnent à leurs malades de l’antimoine, de quelque façon qu’il soit préparé.

Jacques Grévin, lib. 2 de venen. cap. ult., cité ci-dessus, après avoir prouvé clairement que l’antimoine est un venin, avertit les magistrats de prendre bien garde à ceux qui en donnent, n’y ayant point de poison avec lequel on puisse plus finement et plus couvertement tuer une personne, soit en quantité, soit en qualité, puisqu’il n’en faut que la grosseur d’un pois pour lui ôter la vie, et que d’ailleurs, pour être insipide et sans odeur, il peut être mêlé facilement dans un bouillon ou dans du vin et des confitures. [19]

Notre grand Fernel, honneur de la Faculté de Paris et premier médecin du roi Henri ii[53][54] lib. 5 meth. med., cap. 14[55] après avoir rapporté plusieurs remèdes purgatifs qu’il dit avoir été abolis, ou comme superflus, ou comme nuisibles, met l’antimoine au nombre de ceux qui mettent la Nature en désordre. [20] Louis Duret[56] à bon droit nommé le Génie d’Hippocrate, pour avoir été, comme il est encore, une des plus vives lumières de l’École de Paris, nomme l’antimoine des chimistes un remède pernicieux et pestilent ; de quoi demeurent d’accord encore les plus savants hommes des autres écoles, et particulièrement M. Ranchin[57] médecin de Montpellier, en son traité de la lèpre, Opusc. pag. 473, où il avoue que l’antimoine est un médicament violent, délétère et vénéneux ; ce qu’il confirme aussi dans sa Pharmacie, pag. 937[21] Petrus Monavius, Ep. Medic. pag. 312, est encore de ce même avis en ses Épîtres médicinales où, parlant de l’antimoine : C’est, dit-il, un médicament purgatif, venimeux, malin et mortel ennemi de la Nature, à quoi sert de preuve cette violente émotion de tout le corps avec laquelle il purge par haut et par bas, bien qu’on n’en ait pris qu’en fort petite quantité. J’omets les accidents très cruels qui s’en ensuivent, comme la subversion du ventricule, la perte de l’appétit, la diminution des forces ; le mauvais pouls, les éblouissements, la surdité, l’aveuglement, les tranchées insupportables, et autres événements pareils ; d’où il se voit que, de quelque façon qu’il soit préparé, il n’est aucunement à propos d’en user, vu que telles préparations ne diminuent en rien sa malignité, et qu’au contraire, elles l’augmentent encore davantage par le feu dont se servent ordinairement ceux qui le préparent[22][58] Ferdinandus Epiphanius[59] savant médecin italien, in Theor. med. et philos. pag. 270, après avoir bien examiné la nature et les qualités de l’antimoine, conclut que toutes les préparations des chimistes ne sauraient empêcher que ce soit un poison très dommageable ; sur quoi, il rapporte que les médecins de Naples l’appellent Antimonium plusquam Dæmonium, c’est-à-dire une drogue plus dangereuse et plus maligne qu’un démon, pour les cruels accidents qui en arrivent ; d’où il conclut qu’un médecin sage et craignant Dieu ne s’en doit jamais servir pour six raisons qu’il allègue, qui me semblent ne pouvoir être réfutées. [23]

Caspar Hofmannus[60] médecin des plus savants d’Allemagne et premier professeur en l’Université de Messieurs de Nuremberg, qui est à Alrdorf[61] soutient dans un livre qu’il a fait, de Medicam. Officin. cap. 90 lib. 3 de Stibio, que l’antimoine est toujours poison, de quelque sorte qu’on le prépare, et que l’infusion même en est vénéneuse. Il en dit autant en un autre endroit, cap. 18, lib. 1 eiusd. op. p. 42, où il l’appelle le Crocus Metallorum, qui est l’antimoine préparé, un venin minéral, plus dangereux, de beaucoup, que les purgatifs qui sont tirés des végétaux. Outre ceci, dans la préface de ce même livre, pleine d’invectives très justes contre les remèdes métalliques des chimistes et contre leurs diverses préparations, qu’ils fortifient de termes nouveaux pour mettre à couvert leur ignorance, il appelle leur mercure de vie, mercure de mort, et le safran des métaux, safran diabolique. En suite de quoi, il réfute judicieusement les grands abus que commettent les chimistes lorsqu’ils se servent d’une médecine toute métallique, au mépris des végétaux ; en cela, certes, d’autant plus malicieux qu’ils ne peuvent ignorer que leur usage ne soit très innocent, très utile au public et incomparablement plus assuré que les faux remèdes de tous ces ouvriers de mort, qui les composent de vif-argent, de vitriol [62] ou d’antimoine, suivant les préparations diverses que Paracelse, Crollius, Quercetanus, Turneiserus, [63] Béguin et autres souffleurs très ignorants ont enseignées. [24]

Après de si puissantes autorités que je viens de rapporter contre l’antimoine, n’est-il pas à croire que si quelqu’un en évite la malignité, il en doit plutôt remercier la Fortune [64] que l’art ou l’adresse des charlatans qui le distribuent ? Ainsi le reconnaît, avec les auteurs déjà cités, le savant Cornelius Gemma, professeur de médecine à Louvain ; [25][65] et ainsi l’avouent plusieurs plusieurs chimistes mêmes, tels que sont Duncanus Bornettus, de Præparat. medicam. chym. p. 89 ; [66] Josephus Quercetanus, lib. de Medic. spag. præp. cap. 10 ; [26] Angelus Sala, de Anatomia antimonii, cap. 3 ; [27][67] Alexander à Suchten, [68] de Secret. antim., cap. 2 ; [28] Hieronymus Reusnerus, [69] de Scorbuto, exercit. 7 ; [29] et infinis autres dont je ne parle point ici pour n’être ennuyeux.

Mais à tant de témoignages irréprochables, tirés des meilleurs auteurs, je veux ajouter de fortes preuves et des raisons invincibles pour montrer que cette drogue ou, pour mieux dire, ce poison est nuisible au dernier point et inutile, par conséquent, pour être fait médicament purgatif. Les raisons que j’ai à produire sont les suivantes.

i. L’antimoine des chimistes est un nouveau remède que Paracelse a mis en usage au dernier siècle ; tellement qu’il ne faut pas douter qu’on ne le doive tenir pour suspect, soit pour sa nouveauté, soit pour ses mauvais effets, que je ne répète point, pour en avoir amplement parlé ci-dessus.

ii. L’expérience fait voir que ceux qui en usent hâtent leur mort par la violence de ce poison, qui agit rarement sans qu’il y ait ou rupture de quelques vaisseaux, ou exulcérations des intestins ou du ventricule. [30] Qui peut donc douter qu’il ne soit vénéneux et nuisible ?

iii. L’antimoine tient de la nature du plomb et en est aussi une espèce, qui a la même force que lui quand on le brûle ; d’où il faut conclure, avec Grévin, qu’il doit être mis au nombre des poisons. [31] Comme en effet, en le cuisant, il se convertit en plomb, il s’ensuit de là qu’il est plus vénéneux que le plomb même, pour être d’une matière plus inégale et moins compacte, ainsi qu’il se prouve facilement par la vilaine senteur et la puante fumée qui s’en exhale lorsqu’on le brûle, de laquelle il faut bien se prendre garde, comme remarque Béguin, lib. 2 de Calcinat. Antimon. ; [32] et partant, il est effectivement poison.

iiii. Nous appelons poison tout ce qui, étant une fois entré dans le corps, force à tel point la Nature qu’il la surmonte et la détruit enfin, tant par la dissipation de la chaleur naturelle que par la consomption [70] des esprits. Or est-il que l’antimoine fait tout cela et que, par ses opérations contagieuses, il se découvre mortel ennemi des principes de la vie. Donc il est poison, et très dommageable.

v. Dioscoride, Pline et tous les autres bons auteurs demeurent d’accord que c’est un poison que l’argent-vif, de la nature duquel l’antimoine approche tout à fait et, par conséquent, de ses qualités naturelles ; ce qu’on reconnaît à cause qu’il gagne le haut comme lui, [33] qu’il produit les mêmes effets en beaucoup de choses et que, d’ailleurs, s’il n’avait les qualités de l’argent-vif, il ne purgerait point, comme il fait, avec précipitation et violence, par haut et par bas, tant de sortes d’humeurs différentes, crasses, lentes, visqueuses et séreuses. L’antimoine est donc venin ou, du moins, une drogue vénéneuse.

vi. Bien que l’antimoine ne soit point exactement rendu verre par les souffleurs, si est-ce [34] qu’on ne peut nier qu’après qu’il est préparé par eux, il n’ait une grande affinité avec le verre. Comment donc la chaleur naturelle du corps humain peut-elle délayer et dissoudre cette dureté du verre et la siccité qui lui est naturelle ? Il faut néanmoins que cela se fasse en chaque médicament avant qu’il attaque les mauvaises humeurs pour les chasser ; autrement, il dégénérerait en venin. Que si cette raison, bien que certaine et indubitable, ne peut satisfaire à l’obstination des chimistes qui, de peur d’en être convaincus, ne la veulent pas comprendre, qu’ils cèdent au moins au jugement des sens et que l’expérience l’emporte. Pour la rendre indubitable, l’on n’a qu’à faire avaler à un chien du verre subtilement broyé, qui produira dans le corps de cet animal les mêmes effets que l’antimoine préparé produit d’ordinaire ; d’où vient que Thomas Erastus n’assure pas sans raison que l’antimoine lui est très suspect, pour être participant de la nature du verre. [5]

vii. De dire que l’opération de l’antimoine se fait avec trop de précipitation et de violence, ce n’est nullement en faire accroire, puisqu’il se voit par épreuve que, dans une demi-heure ou environ, il tire du corps une grande quantité de sérosités et cause, en même temps, d’horribles symptômes, voire plus étranges, que ne fait aucune autre sorte de poison, quand même il serait pris en grande quantité, et qu’il y aurait aussi du mercure mêlé parmi.

viii. L’antimoine évacue, indifféremment et sans aucun triage, toute sorte d’humeurs, bonnes et mauvaises ; mais il fait vider surtout par haut et par bas beaucoup de sérosités, par un effort excessif et qui fatigue cruellement le malade ; tellement que, pour empêcher un si mauvais effet, aucun chimiste jusques ici n’a pu, avec toute son industrie, réduire ce beau remède à suivre le mouvement ou de la Nature, ou des humeurs, ou de la maladie. Car, étant donné sans distinction en toutes sortes de maladies, en tout temps, en tout âge et en tout sexe, il déploie incontinent ses forces, attaque sans aucun choix toutes les humeurs et agit si rudement sur les séreuses qu’il les tire aussi tôt d’un corps tabide [71] que d’un hydropique, [72] d’un sain que d’un malade, et d’un bilieux [73] que d’un mélancolique [74] ou d’un pituiteux, [75] s’attachant toujours aux sérosités, sans tirer l’humeur la plus aisée à vider. Comment donc les chimistes osent-ils impudemment assurer qu’il tire et purge l’humeur peccante ? La santé ne consiste-t-elle pas en un parfait tempérament des humeurs ? Cela étant, est-il possible que l’antimoine ne renverse pas cette symétrie naturelle lorsque, avec autant de précipitation que de violence, il fait sortir et vider, avec l’humeur peccante, toutes les autres humeurs qu’il rencontre ?

ix. Un médecin, s’il est sage, ne se doit servir, à purger ses malades, d’aucun remède dont il ne soit maître. Or est-il que personne ne peut maîtriser ni retenir l’antimoine depuis qu’une fois il est entré dans le corps ; car il est de lui comme d’un torrent impétueux à qui l’on oppose en vain quelque digue, puisqu’il l’emporte aussitôt par violence et par la rapidité de son cours.

x. La dernière raison que j’ai à produire est que les fondements des chimistes ne sont pas moins faibles que leurs défenses car, en premier lieu, ils disent que les Anciens, parlant des venins, n’ont fait aucune mention de l’antimoine, bien qu’après tout, pour le soutenir, ils n’apportent aucune autorité qui soit valable. Ils ajoutent à cela l’expérience de quelques particuliers qui sont réchappés d’en avoir pris et à qui ce poison a fait grâce de la vie ; mais tous ces fondements sont ruinés par Jacques Grévin, médecin fameux, lib. 2 de Venen. ca. ult. quod est de Antim.[35] dont j’ai parlé ci-devant. Que les chimistes cessent donc de vanter un si malheureux remède s’ils ne désirent pas que l’on croie qu’en faisant l’éloge de l’antimoine (quoiqu’il ne serve qu’à tuer le monde), comme quelques peuples l’ont fait autre fois de la fièvre quarte, jusques à lui dresser des autels, [36][76] ils veulent que l’on loue aussi la surdité, l’aveuglement, le rhumatisme, le crachement de sang, la paralysie, la goutte, et tels autres accidents funestes que ce poison cause et qui, par des sentiers effroyables, conduit à la mort ceux qui en usent.

Je sais bien, Messieurs les empiriques, [77] que, suivant votre coutume, vous alléguez pour réponse à ce que je viens de mettre en avant certaines raisons frivoles, et qui ne sont pas moins impertinentes que vous êtes ridicules et dignes de pitié tout ensemble. Je sais, dis-je, qu’à la fin vous m’avouerez que l’antimoine est un poison de soi, que les préparations qui en ont été faites jusques ici n’ont pu détruire ses qualités vénéneuses ; que peu de gens sont capables de les corriger, et même de le donner comme il faut, peu de malades propres à le prendre et peu de maladies convenables aux effets qui s’en ensuivent ; qu’avec tout cela, néanmoins, vous ne laisserez pas d’assurer que (et voici l’écueil où vous faites naufrage) c’est un excellent remède quand il est préparé d’une certaine façon particulière, que le commun des chimistes n’entend pas et qui est comme une connaissance infuse d’en haut aux véritables artistes. Mais, ô les plus fourbes de tous les hommes ! êtes-vous donc si peu charitables que de vouloir tenir cachée une chose que vous croyez devoir être si salutaire à tout le public ? D’où vient que vous l’en frustrez inhumainement et que, la médecine étant un don de Dieu, vous ne daignez en faire part à ses créatures ? Hippocrate et Galien, bien que païens, en ont-ils usé de cette sorte ? Nenni sans doute, et votre silence m’oblige à dire que vous ne pouvez comme eux faire des largesses de science ni donner, encore moins, ce que vous n’avez pas et ce que vous n’eûtes jamais. Car, de nous vouloir persuader que, par une particulière révélation, vous possédez le mystérieux secret de préparer l’antimoine, dont vous faites votre grand œuvre, de vouloir, dis-je, nous faire accroire que vous avez apprivoisé ce Lion furieux (terme dont vous usez ordinairement), c’est n’être pas moins visionnaires que vos confrères les chercheurs de la pierre philosophale ; [78] ou si vous voulez encore, c’est imiter leur beau jargon, quand ils se vantent d’avoir dompté le lion vert par une force extraordinaire, qui n’est donnée qu’aux seuls enfants de la science. [37] Mais à Dieu ne plaise que nous soyons si fous que d’ajouter foi à toutes ces belles fables, ni que vous soyez si éloquents aussi que de nous les faire prendre pour des vérités indubitables. Que ne dites-vous plutôt (et vous ne mentirez pas) qu’il n’y a que fourberies et qu’impostures en tout ce que vous contez de votre antimoine ? qu’assurément vous n’en avez point d’autre préparation que celle de Crollius ou de Béguin et de Semini, [38][79] qui ont dupé tant de monde, et sur l’adresse desquels vous enchérissez par une tromperie qu’on peut nommer salutaire ? Car ceux d’entre vous qui ont quelque étincelle de jugement ou tant soit peu de conscience, ayant à traiter des corps qu’ils jugent trop faibles pour être à l’épreuve de leur remède, et qu’ils ne veulent pas tuer, leur donnent de la poudre Cornacchini[39][80] ou telle autre drogue, qu’ils font passer néanmoins pour antimoine, afin que l’on croie, tant ils sont vains, qu’ils ont en effet apprivoisé cette bête enragée.

Ce sont les beaux tours de souplesse et les secrets stratagèmes dont vous avez accoutumé d’user méchamment, pernicieux empiriques, afin qu’avec une malice aussi noire qu’elle est insupportable, pour la vanité qui s’y trouve jointe, vous persuadiez aux esprits crédules que, du plus contagieux de tous les poisons, vous en tirez le plus excellent de tous les remèdes. Mais si vous prenez bien garde au mal que vous faites, vous trouverez qu’il est du nombre des plus grands crimes que vous sauriez jamais commettre, car vous êtes cause qu’à votre exemple, les autres charlatans, [81] vos semblables, donnent impunément de l’antimoine aux pauvres malades, et qu’avec ce poison, ils font une infinité d’homicides, dont vous répondrez un jour devant Dieu. Amendez-vous donc, si vous me voulez croire ; sinon, assurez-vous qu’avec toutes vos finesses, quand bien < même > elles seraient capables de vous garantir des châtiments d’ici-bas, vous ne pourrez éviter les foudres vengeurs de la justice divine. [40][82][83]

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