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De Jan van Beverwijk,
le 30 juillet 1640

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Jan van Beverwijk, le 30 juillet 1640

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=9061

(Consulté le 29/03/2024)

 

[Beverwijk a, page 161 | LAT | IMG]

Guérison d’un coma débutant avec convulsion et cécité, en lien avec une suppression d’urine par un calcul.

[Beverwijk a, page 162 | LAT | IMG]

Jan van Beverwijk adresse ses salutations [1] à Guy Patin, docteur en médecine de Paris.

Très distingué et très excellent Monsieur, [a][1][2]

Seb. Hogendicius, savant jeune homme, m’avait écrit de Padoue, [3] d’où il est récemment revenu après y avoir reçu le bonnet de docteur. Il me disait qu’en passant à Paris, il avait présenté ses salutations à un médecin fort renommé, le très distingué Patin, et qu’il me ferait bientôt parvenir une lettre de sa part. [2][4] Je l’ai attendue depuis longtemps déjà avec immense impatience ; enfin, le très noble Clotovicius m’a remis la tant désirée. [3] J’y ai couvert de baisers la candeur de votre esprit, qui a la blancheur de la neige, et surtout admiré votre extraordinaire érudition. Vous avez tout à fait raison de déplorer le triste sort que réserve le calcul à ceux qui cultivent les muses les plus raffinées. Pour ma part, je préférerais avoir quelque autre ressemblance avec de grands hommes, qu’en cette lithiase érasmienne, qui m’est bien peu ερασμιος hélas ! [4][5][6][7] Permettez-moi d’en venir à bout en juge stoïque : Heracleotes Dionysius, cum a Zenone fortis esse didicisset, a dolore dedoctus est. Nam cum ex renibus, comme écrit Cicéron, laboraret, ipso in ejulatu clamitabat falsa esse illa quæ antea de dolore ipse sensisset[5][8][9][10]

[Beverwijk a, page 163 | LAT | IMG] Cela pourrait nous ramener à la vie paisible de ceux qui sont fort assidus aux livres ; mais les affaires politiques et médicales me privent largement de ce loisir. À l’instar du grand Érasme, si pourtant je puis en tirer gloire, je souffre de lithiase urinaire. Voilà bien ce qu’a chanté Martial : [11]

Carmina quod scribis Musis et Apolline nullo,
Laudari debes, hoc Ciceronis habes
[6]

Je souhaiterais plutôt être le dernier des poètes, que le premier des calculeux ; et il me semble ne pas être très loin de ces deux extrêmes. Personne n’admire les vers que j’ai écrits, bien qu’ils soient grecs, mais dans la susdite veine cicéronienne ; non plus que tous les calculs que j’ai fabriqués, notamment le dernier, qu’il m’a fallu extraire moi-même du gland. [7] Je le remue si bien là-dedans que j’arrache son invisible racine, radicitus, imo etiam eradicitus[8][12] Il est vraiment étonnant de voir comme les maîtres de notre métier ont accompli peu de progrès en ce domaine. Faisant confiance à Hippocrate et Galien, [13][14] tous ceux qui sont venus après ont dormi paisiblement sur leurs deux oreilles et, sans chercher plus loin, se sont rangés à l’avis de leurs prédécesseurs. Pendant tous ces siècles, une infinité d’auteurs n’en ont rien écrit d’autre que ce qu’on en avait déjà dit avant eux, jusqu’à écœurer les lecteurs. [Beverwijk a, page 164 | LAT | IMG] Crambe recocta[9][15] Les chimistes s’y sont frottés, et non sans bonheur. [16] En suivant leurs traces, je ne scrute pas soigneusement toutes choses à leur manière, mais j’emploie autant que possible tout ce qu’il y a de bon conseil chez les plus éminents médecins ; et parmi eux le très distingué Moreau, votre collègue, [17] et (qu’il me soit permis de l’ajouter) Naudé, notre grand ami commun. [18] J’ai vu, lu et trouvé excellent son Syntagma de Studio militari, dont il m’a fait cadeau. Et pourquoi ne l’approuverais-je pas, quand les meilleurs et les plus savants l’ont fait, et quand Bourbon l’a loué, ce fameux poète dont je reconnais tout particulièrement le talent et les vers pénétrants ? [10][19] Rien ne surpasse pourtant le jugement de Grotius. Ô l’incomparable ornement de sa patrie, même s’il semble n’être pas né pour la servir ! [11][20] Le très distingué Heinsius a pu se montrer le plus grand de tous les poètes et des amis quand il écrivait, voilà 26 années, ces deux vers, parmi d’autres, à mettre sous son portrait :

Depositum cœli, quod jure Batavia mater
Horret, et haud credit se peperisse sibi
[12][21]

Pour le livre français que vous m’offrez, je le recevrai Batavice[13][22][23] si vous le remettez au R.P. Mersenne qui a coutume d’envoyer ses courriers au seigneur, ou premier conseiller, de Zuilichem, qui est fort mon ami. [14][24][25][26]

[Beverwijk a, page 165 | LAT | IMG] Je vous remercie beaucoup pour votre portrait et le tiens pour l’une des plus agréables choses que je possède. [27] Notre Lipse a eu raison d’écrire que natura nos trahi ad simulachra et effigies magnorum virorum noscendas, et illa corpora, seu hospitia, quibus cœlestis se animus inclusit[15][28] Il semble aussi que les nobles pensées incitent aux vertus érudites, comme jadis les trophées de Miltiade agitèrent l’esprit de Thémistocle. [16][29][30][31] Ainsi et suivant la louable coutume des Anciens, je conserve dans ma bibliothèque les portraits peints ou gravés de doctes personnages ; et parmi eux, il y a aussi désormais le vôtre, aux côtés d’Érasme, de Grotius et d’autres héros des lettres. L’éminent artiste qui gravait le mien est mort en laissant son œuvre inachevée. Je n’ai pas songé depuis à en faire faire un autre. Je dois pourtant vous en offrir un, ainsi qu’aux amis qui m’ont envoyé le leur, comme le souvenir et le rappel d’une amitié qu’il convient de choyer. Mon Thesaurus sanitatis en est déjà à sa quatrième édition, je l’ai écrit en néerlandais et ne m’étonne donc pas qu’on ne l’ait pas expédié dans votre pays ; tout comme le livre en même langue que j’ai publié l’an dernier de Excellentia fœmini sexus, que j’avais d’abord écrit en latin, en hommage à une très fameuse héroïne, Anna Maria van Schurman, qui est une jeune fille admirablement savante. [17][32][33] Avec d’autres lettres, j’ai publié la sienne [Beverwijk a, page 166 | LAT | IMG] de vitæ termino[18] D’autres choses suivront sous peu et j’espère avoir bientôt l’occasion de partager cela avec vous. J’ai jadis mis au jour un Encomium medicinæ, qui est une œuvre de jeunesse, auquel j’ai ajouté mon < adversus > Montanum ελεγχομερον. [19][34] Aucun des deux n’est digne de vous être mis sous les yeux. Ce que vous me mandez amicalement n’est pas toujours vrai : vous avez raison d’admettre que quand un rein est obstrué, l’autre cesse aussitôt de fonctionner ; mais je ne tiens pas cela pour absolu puisque, comme vous, j’ai très souvent observé le contraire. [35] J’ai seulement tenu cela pour digne de remarque, l’ayant vu plus d’une fois, tout comme Vallesius et d’autres qu’il cite ; et c’est là-dessus que Pereda le blâme sans raison. [20][36][37] En réponse au cas de Miron, [38] je vous en rapporterai deux autres qui me semblent tout à fait remarquables.

À la page 120, j’ai écrit que ceux que la suppression d’urine a plongés dans le coma ne s’en réveilleront pas, parce que la qualité vénéneuse de l’urine leur a imprégné le cerveau ; si toutefois elle ne s’y est pas encore profondément implantée, mais a seulement provoqué un endormissement, le malade somnolent peut recouvrer la santé après qu’on a rétabli l’écoulement de l’urine. [21][39] Un homme de la cinquantaine, gravement affligé de douleurs néphrétiques et arthritiques, est toujours en vie alors qu’il était moribond voilà deux ans. Il était frappé [Beverwijk a, page 167 | LAT | IMG] d’une suppression absolument complète d’urine, avec vomissement continu et très vives douleurs aux deux hypocondres, [40] qui s’étendaient jusqu’aux lombes. Au cinquième jour, après avoir reçu clystères, [41] cataplasmes, [42] décoctions et poudres diurétiques, [43] il n’a émis qu’une petite quantité d’urine, s’écoulant goutte à goutte. Le même matin, j’ai pris soin d’appliquer trois fois une petite ventouse un peu au-dessous des deux régions douloureuses ; [44] ce qui, m’a-t-il affirmé plus tard, lui a fait sentir une attraction manifeste et comme une mobilisation de ses calculs. Dans l’intervalle, il avait été affligé d’une respiration difficile, d’une raucité de la voix et d’une somnolence, mais de façon temporaire. Il se plaignait que l’urine lui avait déjà dépassé la poitrine et lui gagnait le cou, pour l’égorger. Tandis qu’au soir venant, je le vis dormir presque assis, je craignis moi aussi, comme j’avais souvent vu, que ne vînt pour lui :

Nox hæc perpetuo una dormienda[22][45]

Ceux qui se tenaient à son chevet ayant coutume de prendre le sommeil pour un présage de salut, je les avertis donc qu’un immense péril menaçait le malade et qu’il se tenait déjà inter sacrum saxumque ; [23][46] car pour ceux que l’anurie plonge dans le sommeil,

     παντεσσιν επι ξυρου ισταται ακμης
Η μαλα λυγρος ολεθρος Αχαιοις ηε βιωναι.

[Beverwijk a, page 168 | LAT | IMG]

     cunctis sita res in cuspide ferri est,
Vivantne, an tristi exitio absumantur Achivi.
 [24][47]

Mettant pourtant fin à la plupart de leurs plaintes et de leurs querelles, même avec leurs familiers, ils ne sont pas dans l’inquiétude de s’en aller ; ils s’éteignent paisiblement, et comme dit le poète,

Illis dura quies oculos, et ferreus urget
Somnus, in æternam clauduntur lumina noctem
[25][48]

Pourtant, peu après avoir pris deux fois d’un apozème [49] et, de grand matin, onze gouttes d’huile de genévrier dans du vin du Rhin, [26][50][51] notre malade a rejeté un calcul oblong et pointu, qu’a suivi une grande quantité d’urine fort sanglante. La douleur de l’hypocondre droit disparut alors, mais elle persista au côté gauche, avec des vomissements continus et violents (l’urine s’écoulait en abondance et librement, fort teintée de sang et contenant ce qui ressemblait à des petits fragments d’uretère) ; et ce jusqu’au onzième jour où, se réveillant le matin, il déclara être délivré de toute douleur, ne se plaignant plus que d’une dysurie, signe que le mal était déjà descendu dans la vessie. C’est pourquoi, en vue d’abattre le pont que se ménageait l’ennemi, [Beverwijk a, page 169 | LAT | IMG] je prescrivis à nouveau de la poudre diurétique ; et trois heures après, il expulsa deux calculs de la taille d’un pois et, après le même intervalle de temps, deux autres presque de même taille. Les vomissements cessèrent alors sur-le-champ, ainsi que les autres symptômes ; et surtout, sa funeste léthargie [52] se dissipa avec la menace qu’elle faisait peser sur lui, car elle a pour parent, pour frère, celui qui est souvent, comme dit Coluthus, θανατοιο συνεμπορος, mortis comes[27][53] Pour son bonheur, le péril s’éloigna, et il efface maintenant les dernières flétrissures de sa triste langueur, en enfant du Rhin qui fait la fierté de son père, dont il est le courtier. [28]

Alors que nous voyons fréquemment survenir ce genre de coma quand l’urine cesse de s’écouler, il est fort rare que l’anurie engendre la convulsion, [54] et j’ignore si quelqu’un a jamais écrit là-dessus (bien qu’Hippocrate semble l’avoir envisagé dans ses Coaques, quand il dit que la suppression d’urine, surtout si elle s’accompagne de maux de tête, menace le malade de convulsion). [29][55][56] Il en va de même pour la cécité, [57] mais j’ai vu un enfant frappé de ces deux symptômes, et en guérir : le petit garçon d’un magistrat de Dordrecht, âgé de cinq ans, tandis qu’il n’avait émis aucune urine depuis trente-six heures, tomba en d’horribles convulsions en poussant de grands cris et perdit la vue dès la première crise ; huit jours durant, [Beverwijk a, page 170 | LAT | IMG] il en fut misérablement torturé et subit environ vingt-cinq paroxysmes, mais on finit par lui extraire un calcul de la verge, que des médications avaient permis de pousser jusque-là, ce qui s’accompagna d’un abondant écoulement d’urine ; après quoi, néanmoins, il a encore convulsé à quatre reprises. Le neuvième jour au matin, tandis qu’il était encore aveugle, j’ai prescrit une purgation, [58] et il a retrouvé la vue dans la soirée. Par la suite, il l’a de nouveau perdue, quand les convulsions le reprenaient, la recouvrant chaque fois peu après. Ensuite, et depuis déjà quelques années, il est demeuré indemne de ces maux. Dans ce cas, me semble-t-il, ce n’est pas l’urine qui a imprégné la substance cérébrale, comme chez les comateux ; mais ce sont ses émanations qui, par leur qualité maléfique, ont piqué et irrité les méninges, ce qui a provoqué l’excitation du cerveau, qui a lutté pour les chasser car il sentait qu’elles étaient nuisibles pour lui ; d’où sont venus ces mouvements convulsifs. Il en ressort donc clairement que nulle obstruction urinaire ne pouvait rendre compte de la cécité, qui se dissipait aussi subitement qu’elle était venue. [30]

Voilà, très célèbre Monsieur, ce qu’il m’a semblé devoir répondre à votre très savante lettre, qui vous rend digne d’une repartie agréable. J’ai décidé de la confier à un imprimeur, avec les miennes et celles d’autres gens. C’est pourquoi je souhaiterais qu’à votre exemple, plusieurs amis de votre ville, cet entrepôt de toute la science, [Beverwijk a, page 171 | LAT | IMG] eussent à cœur de devoir bien mériter de moi et du public ; et en tout premier, le très excellent M. Moreau, à qui je ne doute guère que le R.P. Mersenne a remis ma réponse. Vale, très méritant Monsieur, et continuez de me gratifier, moi qui suis votre plus attentionné serviteur, de votre affection et de vos si doctes écrits, comme vous avez commencé de le faire.

À Dordrecht, le 30 juillet 1640. [31][59][60]


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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