L. latine reçue 16.  >
De François Rassyne,
le 27 décembre 1656

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De François Rassyne, le 27 décembre 1656

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=9067

(Consulté le 20/04/2024)

 

[Ms BIU Santé no 2007, fo 331 ro | LAT | IMG]

Très distingué Monsieur, [a][1][2]

Grâce à notre ami M. Dehors, curé de Saint-Gervais, [1][3] j’ai récemment éprouvé l’immense joie d’être rassuré sur votre bonne santé ; je prie pour qu’elle vous soit prospère et heureuse pendant tout le cours de votre vie, et surtout pendant cette prochaine année. Je connais votre grand cœur qui, s’il a une fois concédé une faveur à quelqu’un, est toujours disposé à la lui accorder de nouveau, ainsi qu’à n’importe quel autre, surtout parmi ceux qui se consacrent au salut des hommes et au prestige de la médecine. C’est pourquoi je vous écris volontiers ces lignes, tout comme j’ose en outre y demander instamment votre avis.

La très honnête épouse d’un très honnête homme, âgée de 33 ans, est décédée avant-hier. Elle avait fort heureusement accouché 36 jours auparavant, hormis que l’arrière-faix complet ne sortit pas avec l’enfant ; [2][4] mais il fut pourtant entièrement expulsé par morceaux le premier ou second jour après la délivrance ; si bien que rien d’anormal n’est survenu et qui plus est, après l’écoulement des lochies, [3][5] tout a semblé bien se passer pour la défunte femme, comme il convient à la suite d’une naissance. Par exemple, le vingtième jour après l’accouchement, elle mangeait des aliments solides. Une douleur est apparue dans l’aine droite, qui s’est peu à peu étendue du bas vers le haut, avec quelque rénitence autour de la région du foie, [4] jusqu’à être à la fin suivie par une grande oppression et une difficulté à respirer, avec chaleur des parties internes, lipothymie, [5] refroidissement des extrémités, pouls très faible, un peu de soif ; ensuite, rougeur des joues, toux et au surplus, fièvre ininterrompue qui s’exacerbait ordinairement le soir et la nuit, mais qui s’adoucissait un peu à l’approche du jour. [6] Le médecin qu’on appelait se rangeait tantôt à un avis, tantôt à un autre, soupçonnant tantôt une indigestion provoquée par des huîtres [7] et de la saucisse qu’elle avait mangées, tantôt cette suffocation qui provient de la matrice. [6][8] On a lavementé de manière répétée, [9] toujours de la même façon, mais une seule fois en y mettant l’émétique antimonial, [10] sans aucun effet ni soulagement de la malade. Ensuite, après consultation d’un médecin de Beauvais, elle a tiré un peu plus de profit d’une saignée de la saphène. [11][12] Néanmoins, [Ms BIU Santé no 2007, fo 331 vo | LAT | IMG] un point de côté douloureux et un crachement de sang sont survenus le lendemain ; ceux qui étaient à son chevet ont cru à une authentique pleurésie ; [13][14] seul un médecin stibial, philosophant au delà de la mesure ordinaire, a cru à une hépatite. [7][15] Après qu’on eut plus tard saigné la veine basilique, [16] la douleur céda certes immédiatement ; mais en toussant, cette femme hémoptysique ne cessa pas de cracher du sang pur et vermeil. À ce stade de la maladie, la patiente a refusé pendant quelques jours tous les remèdes qu’on lui présentait, et je ne sais combien de médicaments on lui a proposés en tout. Après quoi, du pus se mêla aux crachats, la toux opiniâtre persista, une oppression pesante apparut. Tandis qu’au début la douleur avait intéressé le côté droit, une très intense sensation de suffocation siégeait alors au côté gauche. Quand apparut un gonflement du visage et de toute l’habitude du corps, vous auriez dit une authentique leucophlegmasie, [17] on fit prendre tous les deux jours à la malade une infusion de séné avec du sel de prunelle et de la manne ; [18][19][20] des déjections aqueuses s’ensuivirent, mais les symptômes s’aggravèrent sans discontinuer et elle décéda rapidement, au 16e jour de sa maladie.

Jusqu’à la fin, tout ce que j’ai dit m’a été chaque jour rapporté, je dirais presque que j’ai vu tout cela de mes propres yeux.

À l’ouverture du cadavre, [21] pour laquelle les parents de la défunte malade m’avaient sollicité, mais contre le gré de son médecin ordinaire, qui y assistait en personne, on a trouvé dans la cavité de l’abdomen jusqu’à une pinte de Paris d’eau transparente, principalement autour de la rate, qui apparut pourtant être en excellent état ; le foie ne l’était pas moins, présentant une constitution saine, n’étant déformé par aucune tumeur, aucune induration ni aucune putréfaction, tant extérieurement qu’intérieurement. Mon confrère était fort inquiet car il prédisait qu’on allait trouver la rate enflée ou gorgée d’eau, et une corruption entière et complète du foie. Aussitôt qu’on a introduit le scalpel dans la partie gauche du thorax, il a jailli une grande abondance d’humeur séreuse, semblable à la lavure des viandes. [8] Le poumon du même côté était flasque ; mais le droit adhérait aux côtes inférieures, il était de couleur plombée tirant sur le rouge, et comme frappé de la foudre ; quand le chirurgien a essayé de le séparer de la plèvre, une grande quantité de pus blanc a fait irruption. Dans son péricarde, le cœur [Ms BIU Santé no 2007, fo 332 ro | LAT | IMG] était également immergé dans les eaux. Autrement, la matrice était parfaitement saine et si contractée qu’on ne pourrait en trouver une plus contractée chez une vierge. Voilà ce dont je désire que vous m’expliquiez les causes et le mécanisme. S’il m’est permis de dire quelque chose en préambule, je vous rappellerai d’abord que cette femme était υδαταινουση, [9][22][23][24] ses règles lui duraient sept jours. Ses lochies avaient été pareillement abondantes, comme elles le furent aussi en cet ultime accouchement qui l’a tuée. Vingt jours s’étaient écoulés quand la maladie s’est déclarée, et peut-être alors en une femme qui s’était régalée d’abondants aliments, à la fois digestes et nourrissants ; chez qui il restait un excès de sang ou à qui la purgation a fait venir les menstrues ; [25] et en raison de l’excessive constriction des vaisseaux de l’utérus, la menstruation s’est faite par les veines hypogastriques et honteuses en montant vers les parties supérieures, [10][26] surtout autour du cœur et du poumon ; d’où cette pesante oppression et la lipothymie ; laquelle, puisqu’elle est survenue soudainement, avait plutôt exprimé un accablement qu’une disparition des forces (c’est pourquoi il ne fallait guère se priver de la phlébotomie) ; mais étant donné que le poumon était affaibli depuis longtemps, car cette femme était essoufflée quand elle hâtait le pas, c’est là que l’abcès s’est fixé. Pour m’exprimer comme Hippocrate, ce phlegmon a été engendré par le sang et par voie de conséquence, [27] une pleurésie s’est constituée, s’étendant vers l’hypocondre ; et en raison de la sanie [11][28] qui suintait tant du poumon que des membranes qui ceignent les côtes, une adhérence s’est établie entre ces parties, à moins qu’elle n’eût préexisté ; de là sont aussi venus le crachement de sang et de pus. Il reste pourtant la difficulté d’établir comment une hydropisie s’est ajoutée : ne croiriez-vous pas qu’elle est venue du poumon enflammé, et peut-être aussi ulcéré par certaines membranes qui ont fait couler goutte à goutte le sérum du sang sanieux dans la cavité de la poitrine, [29] ce qui a provoqué cette hydropisie du thorax dont parle Hippocrate au 2e de Morbis ; [12][30] Fernel n’a pas dit autre chose en affirmant que la matière de l’ascite provient du foie fendu. [13][31] J’ai vu jadis à Montpellier le poumon et le thorax emplis d’une pareille humeur quand on a ouvert le cadavre d’un de mes très chers collègues qui était mort de péripneumonie. [32] Je suis donc d’avis que chez cette femme une portion de pituite [33] plus déliée s’est écoulée par débordement dans le ventre au travers d’obscurs soupiraux ou au travers des artères, [Ms BIU Santé no 2007, fo 332 vo | LAT | IMG] ainsi que dans le reste du corps, après qu’elle eut traversé le cœur. Je n’en dirai pas plus, mais je voudrais découvrir ce que vous en pensez, en vertu de votre bonté et de cette science qui vous vaut la soumission de la république médicale. Je suis surtout curieux que vous écriviez si (comme avait répété mon confrère) d’autres affections, hormis un abcès ou un ulcère, peuvent provoquer la formation de pus dans cette partie ; car si je ne me trompe, je me souviens avoir entendu M. Moreau dire que toute suppuration provient du sang, [14][34] et que donc du pus véritable ne peut provenir de quelque autre humeur que ce soit, bien que la pituite puisse engendrer une matière qui a l’apparence du pus. [15][35][36] En attendant, s’il vous plaît, vous aviserez mon frère qu’on vient de réimprimer les ouvrages de Duret sur les Coaques, et lui direz où et à quel prix ils s’achètent, pour qu’il prenne soin de me les envoyer. [16][37][38][39] Vale, très éminent Monsieur.

Votre très dévoué François Rassyne, médecin de Gisors, [40]

le 27e de décembre 1656.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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