À André Falconet, le 16 décembre 1664, note 4.
Note [4]

De fait, il s’agissait des intrigues de la comtesse de Soissons (Olympe Mancini) avec le marquis de Vardes (v. note [2], lettre 579) autour des amours de Louis xiv et de Mlle de La Vallière.

Saint-Simon (Mémoires, tome iii, page 297) :

« Rien n’est pareil à la splendeur de la comtesse de Soissons, de chez qui le roi ne bougeait avant et après son mariage, et qui était la maîtresse de la cour, des fêtes et des grâces, jusqu’à ce que la crainte d’en partager l’empire avec les maîtresses la jetât dans une folie qui la fit chasser avec Vardes et le comte de Guiche. »

Mme de La Fayette (Histoire de Madame Henriette d’Angleterre, pages 60‑61) :

« La comtesse de Soissons ne doutait pas de la haine que La Vallière avait pour elle ; et ennuyée de voir le roi entre ses mains, le marquis de Vardes et elle résolurent de faire savoir à la reine {a} que le roi en était amoureux. Ils crurent que la reine, sachant cet amour et appuyée par la reine mère, {b} obligerait Monsieur et Madame {c} à chasser La Vallière des Tuileries, et que le roi, ne sachant où la mettre, la mettrait chez la comtesse de Soissons, qui par là s’en trouverait la maîtresse ; et ils espéraient encore que le chagrin que témoignerait la reine obligerait le roi à rompre avec La Vallière ; et que, lorsqu’il l’aurait quittée, il s’attacherait à quelque autre dont ils seraient peut-être les maîtres. Enfin, ces chimères ou d’autres pareilles leur firent prendre la plus folle résolution et la plus hasardeuse qui ait jamais été prise : ils écrivirent une lettre à la reine, où ils l’instruisaient de tout ce qui se passait. La comtesse de Soissons ramassa dans la chambre de la reine un dessus de lettre du roi son père. {d} Vardes confia ce secret au comte de Guiche afin que, comme il savait l’espagnol, il mît la lettre en cette langue. Le comte de Guiche, par complaisance pour son ami et par haine pour La Vallière, entra fortement dans ce beau dessein. Ils mirent la lettre en espagnol ; ils la firent écrire par un homme qui s’en allait en Flandre et qui ne devait point revenir ; ce même homme l’alla porter au Louvre à un huissier pour la donner à la señora Molina, première femme de chambre de la reine, comme une lettre d’Espagne. La Molina trouva quelque chose d’extraordinaire à la manière dont cette lettre lui était venue ; elle trouva de la différence dans la façon dont elle était pliée ; enfin, par instinct plutôt que par raison, elle ouvrit cette lettre et après l’avoir lue, elle l’alla porter au roi. Quoique le comte de Guiche eût promis à Vardes de ne rien dire à Madame, il ne laissa pas de lui en parler […].

Le roi fut dans une colère qui ne se peut représenter ; il parla à tous ceux qu’il crut pouvoir lui donner quelque connaissance de cette affaire, et même il s’adressa à de Vardes comme à un homme d’esprit, et à qui il se fiait. Vardes fut assez embarrassé de la commission que le roi lui donnait ; cependant, il trouva le moyen de faire tomber le soupçon sur Mme de Navailles et le roi le crut si bien que cela eut grande part aux disgrâces qui lui arrivèrent depuis. » {e}


  1. Marie-Thérèse.

  2. Anne d’Autriche.

  3. Le duc et la duchesse d’Orléans, dont Mlle de La Vallière était fille d’honneur.

  4. Philippe iv, roi d’Espagne.

  5. V. note [2], lettre 792.

Tout cela s’était passé au début de mars 1662 et l’affaire avait mis bien du temps à être entièrement élucidée, pour aboutir au châtiment mérité des comploteurs.

Intime de la reine mère, Mme de Motteville a elle aussi narré (Mémoires, page 530) ce scandale qui mit toute la cour sens dessus dessous :

« On apporta à la señora Molina, Espagnole et première femme de chambre de la reine, une lettre qui parut de la reine d’Espagne, dont le dessus était écrit de sa propre main, et qui s’adressait à la reine. La Molina, qui avait servi dans le palais d’Espagne, connut aussitôt ce caractère, et voyant le paquet mal plié, elle s’étonna de ce qu’il était en quelque façon différent des autres. On le lui apporta de la part du comte de Brienne, secrétaire d’État ; mais pour l’ordinaire, toutes les lettres de Madrid venaient par les courriers de l’ambassadeur d’Espagne, et celui-ci, par cette raison, et pour n’être pas fait comme les autres, lui parut étranger. Elle avait ouï dire que le roi d’Espagne était malade, et craignant de donner mal à propos quelque inquiétude à la reine, quoique ce ne fût pas sa coutume d’ouvrir ses lettres, Dieu, qui eut soin de son innocence, lui inspira le désir de voir ce qu’il y avait dans celle-là. L’ayant donc ouverte, elle la trouva d’un caractère français, fort différent de celui qui paraissait sur le dessus, écrite en mauvais espagnol et mêlée de phrases françaises. […] La Molina m’a conté, presque dans le même moment, qu’après que le roi eut lu la lettre, il devint rouge et parut surpris de cette aventure, car il ne croyait pas qu’il pût y avoir personne dans son royaume assez hardi pour se mêler de ses affaires malgré lui. Dans le trouble où il fut, il demanda brusquement à la Molina si la reine avait vu cette lettre ; et lui ayant dit plus d’une fois que non, le roi la mit dans sa poche et la conserva soigneusement. L’étroite liaison que j’avais avec la duchesse de Navailles, qui passait dans l’esprit du roi pour une extravagante réformatrice du genre humain, fit qu’il me soupçonna d’avoir écrit cette lettre ; mais comme j’étais aussi fort amie de la Molina, et que si elle avait eu le malheur de lui déplaire il l’aurait sans doute renvoyée en Espagne, il suspendit son jugement là-dessus, et dans cette incertitude, sa colère n’éclata contre personne. Nous lui verrons punir justement les auteurs de cette pauvre invention, qui se trouvèrent être ceux qu’il honorait le plus de sa confiance et de ses faveurs. Ils lui furent aussi infidèles que les personnes qu’il soupçonnait de lui manquer de respect étaient zélées pour son service. »

Le marquis de Vardes avait « manqué personnellement au roi en chose essentielle, qui ne le lui pardonna jamais » (Saint-Simon, tome ii, page 814). La comtesse de Soissons fut exilée de mars 1665 au début de 1666. Emprisonné le 13 décembre, Vardes sortit de la Bastille deux semaines plus tard pour être renvoyé dans son gouvernement d’Aigues-Mortes. Le roi l’y fit de nouveau arrêter au début de mars 1665, et emprisonner à Montpellier. Il fut libéré en mars 1667 (v. note [4], lettre 904).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 16 décembre 1664, note 4.

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(Consulté le 19/04/2024)

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