À Charles Spon, le 20 mars 1649, note 92.
Note [92]

La Copie du billet imprimé à Saint-Germain-en-Laye, qui a été semé dans Paris par le chevalier de La Valette, tendant à faire soulever les Parisiens contre le Parlement (sans lieu ni nom, 1649, petit in‑fo de 8 pages ; attribué à Anthyme-Denis Cohon, évêque de Dol, v. note [10], lettre 165) met bien en lumière l’analyse inquiète qu’on faisait à Saint-Germain des événements révolutionnaires qui secouaient Paris, avec la profonde haine de la cour pour les frondeurs, non pas le peuple mais la Robe et la noblesse qui l’avait rejointe :

« Pauvre peuple de Paris, que je plains ta simplicité et ton aveuglement ! Dis-moi les sujets de plainte que tu as de l’administration de la reine : a-t-on diminué le paiement des rentes depuis la régence ? t’a-t-on chargé de nouveaux impôts ? Il me semble plutôt que tu as eu des décharges de million à la fois, et des grâces et des soulagements au delà de ce que la nécessité de soutenir deux puissantes guerres pouvait permettre. […]

Le Parlement emporté par les factieux veut bâtir une puissance nouvelle, et jusqu’à présent inconnue dans ce royaume, sur les ruines de la royauté. Il veut de l’État du monde le plus monarchique en composer un gouvernement de deux cents têtes. Et tu n’adhères pas seulement à ce détestable projet, tu le soutiens au péril de ton repos, au hasard de tes biens, de l’honneur de ta famille, de leur subsistance et de ta propre vie. Quelle fin peut avoir cette affaire, si tu t’opiniâtres à la soutenir, qu’un gouffre de misères et de calamités, que l’horreur des guerres civiles, que l’effusion de beaucoup de sang français et l’avantage des ennemis de l’État ? Car enfin, quelle raison peut donner la souveraine puissance à des gens ordinaires, qui n’ont rien par-dessus les autres que la fortune d’avoir pu acheter des charges bien chèrement ? Et crois-tu, quand Dieu ne prendrait pas en main la cause d’un roi mineur qu’on veut opprimer, quand le roi n’aurait pas pour te ranger en ton devoir toutes ces braves troupes qui ont mis si bas notre ennemi auparavant si formidable, crois-tu, dis-je, que le duc d’Orléans, le prince de Condé, tant de princes et grands du royaume, tout l’ordre ecclésiastique et tant de généreuse noblesse puissent jamais souffrir la domination illégitime de gens qui leur sont en toutes façons si fort inférieurs ? Ouvre les yeux, pauvre peuple ! vois dans quel précipice on t’engage […].

Faut-il que tu sacrifies tout pour l’intérêt d’un petit nombre de séditieux ? Que t’importe que les présidents de Novion et Blancmesnil n’aient pu avoir la coadjutorerie de l’évêché de Beauvais pour un de leurs proches ? Et pourquoi t’intéresser à la vengeance qu’ils veulent prendre de l’éloignement de leur oncle ? T’imagines-tu que Broussel eût fait si fort son tribun s’il eût pu obtenir pour son fils la compagnie aux gardes qu’il poursuivait ? Que te soucies-tu si le président Viole n’a pu être admis en la charge de chancelier de la reine ? Et prendrais-tu Coulon {a} pour un grand législateur, lui qui fait vanité publique d’être un dissolu en toutes débauches, et qu’on a souvent délibéré de chasser du Parlement pour l’infamie de sa vie et pour la prostitution qu’il faisait lui-même de sa famille ? T’a-t-on offensé quand on n’a pu satisfaire Guiry sur la charge qu’il voulait d’introducteur des ambassadeurs ? Et crois-tu que les barbes vénérables de Vialar et de Bachaumont, et d’autres jeunes fols de cette portée, qui se nomment eux-mêmes par raillerie les petits pères du peuple et les tuteurs des rois, soient fort propres à réformer l’État ? Enfin, rien ne se meut dans cette grande machine que par des ressorts intéressés. Cependant, tu y prêtes ton bras comme si elle ne travaillait que pour ton avantage, quoique ce ne soit qu’à ta destruction : crois-tu que le parti en soit devenu beaucoup plus juste ou plus fort, pour y voir quelques princes à la tête ? Ils donnent leur assistance pour prolonger tes misères, et non pas pour les finir ; ils te sacrifieront pour avoir plus avantageusement leur compte et ne se soucieront pas fort des otages qu’ils ont donnés. N’as-tu pas l’exemple du prince Thomas qui reprit toutes les places du Piémont sur les Espagnols quoique sa femme et ses enfants fussent entre leurs mains ? Le prince de Conti est un jeune prince qui a de bonnes intentions, mais que son beau-frère {b} a débauché sous prétexte de lui faire acquérir de la gloire. Le duc de Longueville n’est avec toi que parce qu’on lui a refusé Le Havre, après qu’on lui avait déjà donné Caen et le comté de Ious. {c} Attends-tu des conseils fidèles et de durée d’un homme qui a manqué à son maître, qui lui avait fait l’honneur de l’appeler dans les siens, qui lui avait fait tant de grâces et qui a tourné casaque aussi souvent que l’occasion s’en est offerte ? La rhétorique naturelle du duc d’Elbeuf pourra-t-elle te persuader qu’il prenne autre intérêt en cette affaire que d’avoir le gouvernement de Montreuil qu’on a refusé avec raison à une personne de sa condition, et qui a si longtemps porté l’écharpe rouge ? {d} Le duc de Bouillon veut Sedan, et serais-tu si enragé que de contribuer à donner une entrée sûre aux ennemis pour ravager la Champagne par leurs courses et venir jusqu’à tes portes quand l’envie leur en prendrait ? Le coadjuteur veut se venger de ce qu’on a rabattu le vol trop hautain qu’il prenait, voulant joindre le commandement temporel au spirituel, c’est-à-dire le gouvernement de Paris à l’archiépiscopat. Ce sont là les arcs-boutants qui appuient ta désobéissance ; le motif de leur mécontentement est parce qu’ils veulent des places. Cependant, si je ne me trompe, il me semble que ce cardinal qu’ils déchirent et noircissent tant, n’en a aucune, et qu’il s’en est défendu toujours aussi vivement que les autres les ont recherchées. Je vois qu’il a bien su contribuer à accroître le royaume de places et de provinces entières, mais il n’a su encore donner les mains à prendre aucun établissement pour lui ; et il fait voir un exemple de modération à présent inconnu dans cet État, qu’un premier ministre, après six ans d’heureuse administration, ne se trouve avoir ni charge de la Couronne, ni gouvernement de province, ni place, ni autre bien que quelques abbayes pour soutenir sa dignité.

[…] mais considère plus que tout cela, que pour plaire aux factieux du Parlement tu te jettes dans la rébellion, que tu prends les armes contre le souverain que Dieu t’a donné et que tu cours risque de perdre son amour, et peut-être pour jamais sa présence, qui a toujours fait la meilleure partie de ton bonheur. »


  1. V. note [39], lettre 294.

  2. Le duc de Longueville.

  3. Sic pour Jouy ?

  4. L’écharpe rouge était celle des alliés de l’empereur.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 20 mars 1649, note 92.

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(Consulté le 19/04/2024)

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