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À Jan van Beverwijk,
le 19 juillet 1640

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Jan van Beverwijk, le 19 juillet 1640

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1037

(Consulté le 28/03/2024)

 

[Beverwijk a, page 152 | LAT | IMG]

Guy Patin, natif de Beauvaisis, docteur en médecine de Paris, adresse ses profondes salutations [1] à Jan van Beverwijk, patricien et médecin de Dordrecht.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Il y a déjà longtemps qu’un jeune homme de Dordrecht, [2][2] fort intelligent et savant, m’est venu voir et m’a très poliment salué de votre part ; il m’a donné de vos nouvelles qui n’ont guère peiné à attiser mon affection pour vous. J’ai eu à cœur de vous la manifester sans retard et de vous prier qu’en retour vous exprimiez quelque témoignage de votre bienveillance à mon égard. À mon tour, je brûle du désir et de m’adresser à vous, dont la réputation m’était depuis longtemps familière, et de vous connaître plus intimement. J’ai maintes fois feuilleté avec grande ardeur vos livres qu’on m’a procurés ; je les ai de bon cœur montrés à votre jeune compatriote, rangés en bonne place dans mon cabinet de travail. [3] [Beverwijk a, page 153 | LAT | IMG] Il s’agit en particulier de votre dernier, de Calculo : [3] je ne l’ai pas sitôt eu en mains que je l’avais lu tout entier, tant il m’est apparu savant et érudit, et assurément digne d’être usé par les doigts de tous ceux qui s’occupent tant soit peu de médecine ; surtout quand aujourd’hui, par je ne sais quel mauvais sort, tant de gens souffrent de lithiase urinaire, [4] et en tout premier, presque tous ceux qui vénèrent les muses les plus raffinées et les plus gracieuses. Nous en avons pour très brillant témoignage votre Érasme, qu’on peut vraiment dire ερασμιος, [4] de très loin le prince de la meilleure littérature, qui s’est si souvent plaint de ce mal terrible et cruel en ses lettres, qui valent leur pesant d’or ; à tel point qu’avec grande finesse, il l’appelait son bourreau. [5][5][6] Notre très illustre de Thou, fort méritant auteur des Historiæ sui temporis[6][7] en a même dit plus là-dessus dans ses éloges de Claude Dupuy, [7][8] de Jan van Heurne, [8][9] et d’autres encore. Je vous l’avoue pourtant sincèrement, ce qui m’a fait le plus apprécier ce dernier fruit de votre génie est l’immense joie d’y avoir trouvé, enchâssé là comme une gemme, le nom du très distingué M. Gabriel Naudé, qui est de loin le plus cher de mes amis. [9][10] Je me réjouis que vous ayez fait mention de cet homme [Beverwijk a, page 154 | LAT | IMG] à qui me lie, depuis longtemps déjà, une très solide et sincère affection, dénuée de tout fard ; et pendant tout le temps qu’il a vécu en Italie, il a tant daigné me faire honneur qu’il m’a rendu une abondance de services, non seulement par les savantes lettres qu’il m’écrivit, emplies d’érudition sur toutes sortes de sujets, mais aussi par les excellents opuscules, à tenir pour des œuvres chéries des Muses, qu’il m’envoya avec son plein amour. De ceux-là, il en est un qui vaut tous les autres, c’est son tout dernier Syntagma de studio militari[10] que les savants hommes me semblent unanimement applaudir, notamment Nicolas Bourbon, ancien professeur royal de langue grecque et très éminent juge en la matière. [11] Cet homme aime en effet profondément les lettres et tous les lettrés ; je lui avais réservé la primeur de ce livre dès que son auteur me l’avait envoyé, il en a parcouru les pages, et n’a pu que le louer au plus haut point et l’honorer volontiers de son propre suffrage ; et ce par une extrêmement élégante épigramme (genre où Nicolas Bourbon brille et excelle), écrite à la louange de Naudé, dont j’ai sur-le-champ envoyé une copie à Rome pour notre ami. [11] J’ai su le rude jugement [Beverwijk a, page 155 | LAT | IMG] qu’a porté sur lui le très noble et distingué Hugo Grotius, que les Suédois ont envoyé comme ambassadeur auprès du roi très-chrétien, et que la terre presque tout entière admire pour son extraordinaire érudition. [12][12][13] René Moreau a aussi lu cet ouvrage qui vaut de l’or ; jadis mon précepteur et désormais mon collègue, je puis véritablement dire de lui que c’est une bibliothèque ambulante ; [14] il l’a lu, dis-je, et l’a loué pour la puissance de sa pénétration. En somme, tout le monde admire ce livre, pour sa remarquable érudition, et pour la science qui y est enfouie et qu’on y lit partout. C’est pourquoi je souhaite vivement qu’un homme de si vaste science, qui est mon très grand ami, tout comme le vôtre, vive les années de Pylos [13][15] et jouisse longtemps d’une bonne santé, afin qu’il continue à honorer la république des lettres et à orner l’art médical. Il le connaît absolument à fond, mais son immense esprit, né pour des exercices distingués, ne trouve guère d’intérêt à embrasser les limites de cette science, dont le pourtour s’étend à l’infini ; même si dès à présent, étant instruit et parfaitement rodé, il possède l’encyclopédie de toutes les connaissances, non sans provoquer la stupéfaction des princes empourprés d’Italie. Mais pour revenir e diverticulo ad viam[14][16] [Beverwijk a, page 156 | LAT | IMG] et de mon ami Naudé à votre opuscule de Calculo, je ne puis, croyez-moi bien, que le louer au plus haut point, étant donné que les malades souffrant de lithiase, tout comme les médecins qui les soignent, en tireront grand profit. Je vous exhorte donc, très distingué Beverwijk, à continuer d’embellir et d’augmenter, par les fruits de vos très doctes veilles, la gloire de notre art contre les calomnies des souffleurs et des charlatans appartenant au troupeau de Paracelse. [15][17][18] Ce faisant, vous mériterez la bienveillance de tous les honnêtes gens et la gloire de votre renom se répandra en tous sens par la terre entière. J’ai en outre appris de mon jeune et intelligent visiteur que vous allez bientôt publier un ouvrage sur les plantes et les médicaments domestiques ; [16] c’est pourquoi je lui ai montré un livre publié en français sur le même sujet, dont je vous envoie la page de titre. Si vous pensez qu’il pourra vous être d’une quelconque utilité, il me sera très agréable que vous vous en usiez comme s’il était de vous. [17][19][20] Vous vous attaquez vraiment à un sujet qui est à la fois fort plaisant et parfaitement digne de votre talent, mais aussi extrêmement utile à l’exercice de notre métier : si, grâce à vous et par votre aide, les médecins n’ont plus besoin des marchandises qu’on fait venir de loin et qu’on importe des derniers confins du monde, ils pourront se mettre à soigner les maladies avec des médicaments qui sont vite et simplement produits chez eux. [Beverwijk a, page 157 | LAT | IMG] Continuez donc, très distingué Beverwijk, à illuminer la médecine et à la développer par le pouvoir que vous donne un esprit toujours en éveil. Antoine Mizauld, natif de Montluçon, eut jadis à peu près le même dessein dans son Hortus medicus et auxiliaris ; [18][21] il y a décrit quantité de remèdes faciles à se procurer et à préparer, dont les bienfaits libéreraient et soulageraient le peuple de la tyrannie des pharmaciens. [22] Ceux-là pensent qu’à moins de l’avoir payé au prix fort, absolument aucun médicament n’est efficace contre les maladies. On peut, aussi bellement que justement, leur répondre par ces vers d’Hésiode : [23]

Νηπιοι ουδε ισασιν οσω πλεον ημισυ παντος,
ουδ οσον εν μαλαχη τε και ασφοδελω μεγ ονειαρ.

Stulti neque sciunt quanto plus dimidium sit toto,
Neque quam magnum in Malva et Asphodelo bonum
[19][24][25]

Continuez, dis-je, et si je puis vous servir si peu que ce soit, je ferai en sorte que jamais vous ne manquiez de mon aide, de mes conseils et de mon affection pour vous. Du reste, je vous envoie mon portrait, à la seule condition que vous m’envoyiez aussi le vôtre ; [20][26][27] je le tiendrai pour un splendide cadeau [Beverwijk a, page 158 | LAT | IMG] et j’en chérirai l’original comme mes yeux. [21][28] Vive, mon cher Beverwijk, et aimez toujours celui qui demeurera entièrement disposé à tout pour vous,

Guy Patin, docteur en médecine de Paris, natif de Beauvaisis.

De Paris, le 19e juillet 1640.

Très distingué Monsieur,

Après avoir entièrement lu votre opuscule de Calculo, quelques vétilles me hantent l’esprit, et j’en attends et désire de vous l’éclaircissement.

Quel livre avez-vous donc écrit sur la conservation de la santé ? J’ai vu les deux éditions du livre de Fatali vitæ termino, in‑8o et in‑4o[22] j’ai vu le traité de Calculo, j’ai vu l’Idea medicinæ Veterum, considérée par les non-médecins, [23] mais je n’ai jamais vu votre livre sur la conservation de la santé, et n’en ai jamais entendu parler. [24]

[Beverwijk a, page 159 | LAT | IMG] Qu’avez-vous donc écrit, et où cela, contre notre Michel de Montaigne [25][29] (que Juste Lipse, jadis la gloire et le remarquable ornement de votre Flandre, appelait le Thalès français), [26][30][31] pour la défense de notre médecine, qu’il jugeait être très méprisable ? Je n’ai jamais entendu parler de ce livre de vous.

Pour ce qui est dit aux pages 5 et 6 de votre livre de Calculo sur le fonctionnement combiné des deux reins, [27] parmi quantité d’autres cas observés de toutes parts dans ma pratique médicale, qui contredisent ce genre de combinaison et affaiblissent le jugement de Louis Duret, de Forestus, de Riolan et d’autres encore, [28][32][33][34] j’en ai vu un l’an dernier qui est tout à fait digne de vous être rapporté. Vers la fin février, le très noble et excellent Jacques Miron, conseiller au Parlement de Paris, [29][35] doté d’une texture fragile et d’une faible santé, tomba en une fièvre continue, [36] qui s’est transformée en lente symptomatique, telle que l’a exactement décrite Jean Fernel, qui fut jadis la très brillante lumière de notre École, vers la fin du chapitre xvi du livre iv de sa Pathologie ; [30][37] elle provenait d’un énorme abcès rompu dans le mésentère, [38] avec quelques funestes symptômes, mais principalement une diarrhée bilieuse et séreuse[39] une insomnie perpétuelle, des hémorroïdes [40] et une fonte de tout le corps. Après avoir tenu la chambre pendant presque cinq mois, durant lesquels, jour après jour, pugnatum est arte medendi, mais à la fin, exitium superavit opem quæ victa jacebat[31][41] le noble conseiller périt d’une mort lente, sans nul tourment ni douleur, [Beverwijk a, page 160 | LAT | IMG] telle qu’Auguste lui-même  n’aurait jamais pu en souhaiter et espérer une plus paisible, sans torture ni supplice, et qu’il avait coutume d’invoquer sous le nom d’ευθανασια. [32][42][43][44] Douze heures après sa mort, on a ouvert son cadavre en ma présence et celle de nombreux autres. [45] Entre autres observations dignes de remarque, que j’ai soigneusement consignées (le moment venu, je vous en enverrai la liste complète que j’ai dressée à l’intention de sa famille), il y eut celle-ci de particulière : on a trouvé le rein droit (dont l’indisposition l’avait tant de fois affligé de coliques néphrétiques pendant plus de dix ans) [46] entièrement pourri et atrophié, et on a découvert dans ses calices et son bassinet un calcul oblong et oblique, anguleux et ayant, pour ainsi dire, la forme d’un cimier de casque. Depuis déjà fort longtemps, sans aucun doute, ce rein était non seulement pourri et gâté, mais aussi entièrement ruiné et tout à fait corrompu par la gangrène ; il ne fonctionnait plus du tout et avait perdu sa faculté propre de filtrer le sang et de sécréter le sérum. [33][47] Comment l’aurait-il pu en effet avec cet énorme calcul qui obstruait sa voie excrétrice, et avec sa propre substance corrompue à un tel point de pourrissement qu’il n’avait plus de ressemblance avec un rein que par la forme et la membrane, et qu’au lieu de parenchyme rénal, [Beverwijk a, page 161 | LAT | IMG] il ne renfermait plus qu’un pus pur et très noir ? Et pourtant, durant tout le cours de sa maladie, jamais le patient n’a souffert de suppression d’urine. [48] C’est ce que j’ai très souvent et facilement observé depuis quinze années dans cette ville fort peuplée et très féconde en calculs. Il n’est donc pas toujours vrai que quand un rein est obstrué, l’autre cesse aussitôt de fonctionner, étant donné que grâce à leur autre rein, quantité de malades urinent jusqu’à l’ultime moment de leur vie.

Je vous soumets tout cela, très distingué Beverwijk, et attends que vous me disiez par lettre votre jugement sur ces questions, si vos très chers travaux vous en laissent le loisir et si vous avez à cœur de m’écrire. Vale, encore et encore.

Votre très affectueux et très obéissant Guy Patin, natif de Beauvaisis, docteur en médecine de Paris.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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