Congrès 2006

XIIe journées annuelles
Paris, 23-24 mars 2006

Campus de Jussieu
Salle de conférences de l'Institut Jacques Monod
(au pied de la tour 42, rez-de-chaussée)
2, place Jussieu
75005 PARIS

Programme préliminaire

Jeudi 23 mars, Colloque : Les cellules et leur mémoire
Institut Jacques Monod et Société d'Histoire et d'Épistémologie des Sciences de la Vie
Matin
   Président : Claude Debru (Ecole Nomale Supérieure)
09h30-10h00  Michel Morange (Ecole Normale Supérieure)
10h00-10h45  Nicole Le Douarin (Académie des Sciences)
10h45-11h15  Pause
11h15-11h45  Charles Galperin (Université Lille III, REHSEIS)
11h45-12h30  Jacqueline Deschamps (Hubrecht Laboratory)
Après-midi
   Président : Michel Meulders (Université Catholique de Louvain)
14h00-14h45  Edith Heard (Institut Curie)
14h45-15h30  Guillaume Balavoine (Centre de Génétique Moléculaire)
15h30-16h00  Pause
16h00-16h45  Jean-Paul Renard (INRA)
16h45-17h30  Steven Rose (Open University)
17h30-18h00  Jean Gayon (Université Paris 1, IHPST)
Vendredi 24 mars 2006 : Thèmes libres
Société d'Histoire et d'Épistémologie des Sciences de la Vie
09h00   Accueil des participants
09h15   Ouverture de la journée, par le Président de la Société, Michel Morange
09h30 Victor Petit L’individualité biologique
10h10   Pause
10h30 Christophe Malaterre Le néo-vitalisme au XIXe siècle : une seconde école française de l’émergence ?
11h10 Christian Bange L'étude des réseaux de sociabilité établis parmi les botanistes au XIXème siècle -Méthodes d'études et premiers résultats.
14h30 Christiane Nivet Contribution de G.J. Mendel aux événements révolutionnaires de 1848
15h10 Laurent Loison Yves Delage (1854-1920) et l’hétérogénéité du néolamarckisme français
15h50   Pause
16h10 Olivier Perru La symbiose chez les insectes : Umberto Pierantoni identifie les mycétomes de plusieurs espèces d’Homoptères
16h50 Frédéric Wieber Eléments pour une histoire de la biochimie théorique des protéines : origines et développement de la méthode dite de mécanique moléculaire
17h30   Assemblée générale
Résumés des interventions
Laurent Loison
Yves Delage (1854 – 1920) et l’hétérogénéité du néolamarckisme français

Résumé
Entre 1859 et les années 1940, de vives controverses opposeront les biologistes évolutionnistes sur les modalités du processus évolutif. Deux grandes tendances vont traverser cette longue période de crise : le (néo)darwinisme et le (néo)lamarckisme.

Après l’édification de la synthèse moderne, dont l’achèvement est marqué par la parution en 1942 du livre de Julian Huxley, Evolution : the Modern Synthesis, le néolamarckisme fera figure de perdant honteux. Et comme l’a justement fait remarquer Jacques Roger, « l’histoire des sciences a ceci de commun avec l’histoire militaire qu’elle préfère parler des vainqueurs plutôt que des vaincus ». Il existe donc, surtout en comparaison de l’historiographie néodarwinienne, relativement peu d’études approfondies du courant néolamarckien. C’est à cette tâche que nous consacrons nos recherches, dans le cadre d’une thèse de doctorat.

Nous désirons ici traiter le cas d’Yves Delage (1854-1920), biologiste français classiquement rattaché au courant néolamarckien. Après avoir donné quelques éléments de biographie, nous nous intéresserons spécifiquement à la façon dont ce zoologiste reconnu concevait le processus évolutif. Puis, nous nous pencherons sur les controverses nombreuses qui l’opposèrent à d’autres néolamarckiens de l’époque. Ceci nous permettra de discuter la place qu’il faut attribuer à cet auteur au sein du néolamarckisme français.

Christophe Malaterre
Le néo-vitalisme au XIXème siècle : une seconde école française de l’émergence ?

Résumé
L’objectif de cette contribution est d’effectuer un rapprochement entre la position néo-vitaliste française de la fin du XIXème siècle et l’apparition de la notion d’émergence à la même époque en Angleterre, notamment dans son usage pour qualifier les propriétés des organismes vivants.

Le mot ‘vitalisme’ apparaît dans le sillage de l’école de médecine de Montpellier dans la seconde moitié du XVIIIème : il préconise une étude ‘holiste’ des organismes vivants, aussi bien pour leur propriété vitale que pour la maladie, sans cependant prendre aucun parti métaphysique quant à la nature du ‘principe vital’ qu’il implique. L’école (Barthez, Bordeu, Bérard, Alquié, Lordat) cherche ainsi une position intermédiaire entre les mécanistes qui considèrent le corps comme une machine (Boerhaave, Hoffmann) et les vitalistes animistes, dualistes, expliquant la propriété vitale par la présence d’une âme (Stahl). A cette même époque, l’école de médecine de Paris (Corvisart, Broussais, Laënnec, Magendie, puis Bernard) préconise au contraire une approche dite ‘organiciste’ de la médecine : la maladie est le fait du dysfonctionnement d’un organe particulier et non de l’organisme dans sa totalité. La rivalité entre les deux écoles bat son plein dans la première moitié du XIXème siècle, et conduit à une dérive des montpelliérains vers des positions vitalistes proches de celles des dualistes (Lordat). De son côté, l’école de Paris remporte de francs succès grâce à son approche expérimentale de la médecine. Elle reconnaît néanmoins au vivant une spécificité liée à son organisation prise comme un tout, conception somme toute holiste de la vie ; c’est cette conception ‘néo-vitaliste’ qui se retrouve aussi bien chez Bernard que, bien des années plus tard, chez Canguilhem. En parallèle de cela, la fin du XIXème siècle voit naître un courant de protestation s’opposant farouchement au positivisme et au déterminisme mécanique, et se traduisant par une résurgence d’un vitalisme fort, parfois dualiste, à la fois sous une forme biologique (résurgence de l’animisme de Stahl, entéléchie de Driesch) et métaphysique (élan vital de Bergson, puissance vitale de Nietzsche).

C’est dans ce contexte qu’apparaît l’émergence en philosophie, d’abord la notion, puis le mot. En France, dans le sillage de Ravaisson, des philosophes ou mathématiciens comme Lachelier, Boutroux ou Boussinesq cherchent à montrer les limites du mécanisme pour redonner au phénomène vital et à la liberté humaine une plus large autonomie. Ces auteurs développent l’idée d’une nature en évolution permanente, génératrice d’une nouveauté imprédictible. Précurseurs de la notion d’émergence en France, ils sont souvent cités comme l’école française de l’émergentisme (Fagot-Largeault 2002). La notion d’émergence transparaît plus nettement dans les travaux de philosophes anglais s’intéressant à des problématiques de composition causale (Mill, Lewes), et c’est en Angleterre que le mot apparaît dans son acception philosophique. La notion d’émergence est alors développée dans les années 1920 par plusieurs philosophes anglais (Alexander, Morgan, Broad) comme alternative à la fois au mécanisme classique et au vitalisme résurgent. Ancrée dans une métaphysique de monisme matérialiste, cette notion est caractérisée par une approche holiste et ambitionne de capturer la nouveauté et l’irréductibilité de propriétés apparaissant à différents niveaux de la nature (composés chimiques, organismes vivants, psychisme).

De ce que nous en avons mis en lumière, on peut dégager que l’émergentisme (anglais) appliqué aux organismes vivants n’est pas sans rappeler le ‘néo- vitalisme’ (français) soutenu aussi bien par Bernard que Canguilhem : dans les deux cas, le vivant est considéré comme irréductible aux lois physico-chimiques sans pour autant donner lieu à un dualisme métaphysique. Ce néo-vitalisme pourrait alors être considéré comme une seconde école française de l’émergence, une émergence certes tronquée aux seules considérations des propriétés des organismes vivants, mais ancrée dans la médecine et la biologie.

Frédéric Wieber
Éléments pour une histoire de la biochimie théorique des protéines : origines et développement de la méthode dite de mécanique moléculaire.

Résumé
Si les protéines ont été étudiées à partir du 19° siècle par des méthodes chimiques diverses (chimie analytique, organique, physico-chimie), la construction d’une biochimie théorique de ces objets moléculaires spéciaux s’est déroulée, plus récemment, via l’application de concepts et pratiques d’une chimie théorique et computationnelle dont l’avènement est postérieur à la seconde guerre mondiale. Ce processus de reconfiguration du champ de la chimie des protéines, à partir de 1960 environ, est lié au développement des méthodes de mécanique moléculaire et de dynamique moléculaire. Au cours de notre communication, nous souhaiterons discuter des origines et du développement de la première de ces deux méthodes d’étude théorique des molécules, en décrivant notamment le type de modélisation moléculaire qu’elle implique et le statut épistémologique de cette forme de théorisation, en soulignant aussi l’effectivité accrue que l’ordinateur a offert à un tel mode de calcul de certaines propriétés des molécules organiques. Nous souhaiterons enfin montrer pourquoi une telle étude est selon nous essentielle à une meilleure compréhension de l’évolution de certaines pratiques en biochimie des protéines et en biologie structurale. Nous voudrons ainsi souligner la spécificité historique du champ interstitiel de la biochimie des protéines.