Congrès 2017

XXIIIe journées annuelles
Strasbourg, 20-21 avril 2017

Les prochaines journées annuelles de la Société d'histoire et d'épistémologie des sciences de la vie (SHESVIE) se tiendront les jeudi 20 et vendredi 21 avril 2017 à Strasbourg. Ces journées sont organisées dans le cadre du congrès de la SFHST qui se tiendra du 19 au 21 avril 2017. Elles se dérouleront à l’Université de Strasbourg.

La première journée du jeudi 20 avril 2017 sera consacrée à un colloque interdisciplinaire dont le thème est le suivant : Écologie, homme, environnement en histoire des sciences. L'argumentaire et le programme définitif (ainsi que les résumés associés) de ce colloque se trouvent ci-dessous. Cette journée sera suivie d'une Assemblée générale et d'un Conseil d'administration.

La seconde journée, le vendredi 21 avril 2017, sera l'occasion du congrès annuel de la SHESVIE, donnant lieu à des communications libres. Le programme définitif (et les résumés associés) de ce congrès se trouve ci-dessous.


Jeudi 20 avril 2017
Colloque : « Écologie, homme, environnement en histoire des sciences »

Lieu : Université de Strasbourg, Faculté de médecine, bâtiment Forum, salle F301

Argumentaire

La société d’histoire et d’épistémologie des sciences de la vie propose deux demi-journées de symposium autour de l’histoire et de l’épistémologie de l’écologie. Les communications devront lier l’histoire de l’écologie (19è-20è siècles) si possible à l’épistémologie, mais surtout à des domaines touchant l’histoire des sociétés et les problématiques d’environnement. En effet, divers signaux d’alarme au niveau mondial (notamment la COP 21) ont présenté l’actualité dramatique de la dégradation de l’environnement et les solutions technologiques, économiques et humaines à mettre en place pour y remédier. Or, la question du rapport entre l’étude et le développement de l’écologie depuis le XIXe siècle (à partir des sciences comme la botanique et la zoologie) d’une part, les questions d’environnement et de société d’autre part, ont une histoire, notamment en occident. Dès 1896, Svante Arrhénius s’était préoccupé du réchauffement de la température terrestre en fonction de l’augmentation du gaz carbonique atmosphérique, avec des outils scientifiques relativement performants pour l’époque. Ce fut la première modélisation de l’effet de serre. Il y eut une controverse scientifique sur le sujet dans les premières années du 20e siècle.

Ce symposium pourra donc accueillir :

  • des communications sur la constitution de l’écologie comme science de l’oikos, donc de l’habitat, de l’environnement, et sur l’histoire de l’approche des écosystèmes.
  • des communications en histoire de l’écologie qui puissent ouvrir à des dimensions sociétales et environnementales.
  • des communications sur les controverses scientifiques autour de l’environnement.

Programme définitif

09h00-09h30 Bernard Feltz La science, les rapports homme-nature et la crise écologique
09h30-10h00 Loïc Péton L’abîme marin, traits anthropomorphiques et crises
10h00-10h30 Victor Lefèvre Un épisode décisif de la constitution de l’écologie des écosystèmes : l’organicisme clementsien
    Pause
11h00-11h30 Antoine C. Dussault L’arrière-plan théorique du programme de recherche sur la santé écosystémique
11h30-12h00 Jean-Pierre Llored Écologie et Chimie : Étude historique et épistémologique de quelques influences mutuelles
    Déjeuner
16h00-17h00   Assemblées générales ordinaire et extraordinaire de la Shesvie
17h00-17h30   Conseil d’Administration de la Shesvie

Résumés associés

Bernard Feltz
La science, les rapports homme-nature et la crise écologique
Dès le 17ème siècle, la physique galiléenne institue un nouveau rapport à la nature que Descartes va thématiser en termes de dynamique mécaniste. Ce rapport va s’imposer à la culture moderne jusque la fin du vingtième siècle. Le concept d’écosystème (Tansley, 1935) va conduire à une analyse des cycles de divers éléments (Odum 1959) et à des procédures de modélisation mathématique qui vont mettre en évidence le caractère fini des stocks aussi bien énergétiques que de matières premières. Ainsi, à partir des années 1970, l’écologie scientifique impose un nouveau rapport à la nature où l’espèce humaine est un élément de l’écosystème. Les théories de l’évolution biologique rejoignent l’écologie scientifique pour conduire à une conception de l’humain comme élément de l’écosystème. Ce deuxième rapport à la nature ouvre au concept de développement durable. Cependant l’écologie scientifique reste dans un rapport fonctionnel à la nature. Celle-ci n’est respectable que dans la mesure où elle sert l’humain. C’est pourquoi l’écologie radicale prétend aller plus loin que l’écologie scientifique, pour dénoncer la primauté de l’humain sur la nature. La Deep Ecology (A. Naess, A. Leopold) de même que les tenants de l’Hypothèse Gaia (J. Lovelock) s’inscrivent dans un refus de l’anthropocentrisme. Une quatrième position vise à modifier profondément le rapport à la nature, à respecter la nature pour elle-même, tout en maintenant le primat de la subjectivité : ce rapport s’inscrit dans une prise en compte des apports de l’écologie scientifique tout en intégrant les dimensions esthétique et symbolique de la nature. Mon exposé vise à une explicitation du rôle de la science dans chacun des quatre rapports humain-nature évoqués ci-dessus. Une analyse finale abordera la question du lien de la crise écologique avec la crise de la modernité.
Loïc Péton
L’abîme marin, traits anthropomorphiques et crises
L’intérêt des savants occidentaux pour l’étude de la mer et de ses profondeurs prit de l’ampleur au cours du XIXe siècle. Cette période fut marquée par la théorie de l’influent naturaliste britannique Edward Forbes (1815-1854) qui découpa en zones le fond marin et exposa que la vie marine habitait seulement les couches superficielles de l’océan. L’abîme était perçu comme trop hostile, cela malgré des mentions d’existence de vie profonde par d’autres auteurs. Puis, dans les années 1860, l’idée d’une vie présente en tous lieux s’imposa en Occident en étant amplement diffusée. Mais le discours soulignant abondamment l’existence de « vie partout » refléterait aussi un idéal de « progrès » humain alors érigé lors des expositions universelles : les capacités, exposées, des êtres marins feraient alors écho aux possibilités humaines sublimées par la technologie. Ainsi, ma présentation met en avant certaines facettes de l’approche des abîmes marins, notamment des théories et des représentations qui servent à les décrire et les définir. Dans un volet philosophique, nous interrogerons les traits anthropomorphiques de celles-ci et nous ferons un rapprochement avec le contexte actuel de « crise » de la biosphère et de la biodiversité propre à l’Anthropocène, notamment en abordant la question suivante : l’Homme, qui perçoit à juste titre un environnement en crise, n’est-il pas avant tout « en crise » avec lui-même ? Que peut nous apprendre sa façon de percevoir la vie marine ?
Victor Lefèvre
Un épisode décisif de la constitution de l’écologie des écosystèmes : l’organicisme clementsien
Selon la plupart des historiens de l’écologie, la science écologique aurait des racines darwino-linnéennes sur lesquelles se seraient greffés à partir des années 1930 des apports de la cybernétique, de la systémique, et de la thermodynamique pour donner naissance à l’écologie des écosystèmes. Cette historiographie classique néglige souvent un épisode décisif de l’histoire de la discipline, la théorie de la succession écologique élaborée au début du XXe siècle par Frederic Clements (1904, 1905, 1916). En accord avec Eliot (2011), nous montrerons que le travail de Clements d’une part fut en rupture avec l’histoire naturelle et d’autre part participa à la constitution d’un nouveau paradigme disciplinaire, l’écologie des écosystèmes. En introduisant le concept de biome, entité fonctionnellement intégrée préfigurant l’écosystème, Clements incita les écologues à changer d’objet d’étude et à se consacrer à des problèmes nouveaux : explication de la succession écologique et de la stabilité des entités écologiques ainsi que détermination de leurs normes de bon fonctionnement. Dans la mesure où l’écologie des écosystèmes conserve ces problèmes, son développement ultérieur, entrepris notamment par Arthur Tansley (1935), Raymond Lindeman (1942), Georges Hutchinson (1948), et Eugene Odum (1953) aux moyens des outils de la cybernétique et de la thermodynamique, doit davantage s’interpréter comme un raffinement conceptuel au sein du paradigme initié par Clements plutôt que comme un rejet de celui-ci. Nous montrerons en revanche que la manière organiste d’aborder ces problèmes propre à Clements et son école a eu une postérité contrastée au sein de l’écologie des écosystèmes.
Antoine C. Dussault
L’arrière-plan théorique du programme de recherche sur la santé écosystémique
Mon objectif sera de présenter le programme de recherche sur la notion de santé écosystémique qui s’est cristallisé durant les années 1990 dans les travaux des écologues-économistes David Rapport et Robert Costanza et à expliciter son arrière-plan théorique. Je débuterai par une brève chronologie des origines de ce programme de recherche et de sa réception en éthique de l’environnement comme idée autour de laquelle pourrait s’articuler de manière prometteuse le projet de réaliser d’une forme de symbiose mutualiste entre les activités humaines et le fonctionnement des écosystèmes. J’enchainerai avec la présentation de « l’indice VOR » élaboré par Robert Costanza caractérisant la santé écosystémique comme le produit mathématique de la vigueur (V), l’organisation (O) et la résilience (R) d’un écosystème. Ma contribution originale consistera à montrer l’ancrage de cet indice dans le travail théorique de l’écologue des écosystèmes Robert Ulanowicz sur la notion d’ascendance. Ce travail théorique, qui prolonge celui d’Eugene Odum sur les tendances caractérisant le développement normal des écosystèmes, infère de la tendance que semblent typiquement avoir les réseaux d’interactions écologiques à susciter des boucles auto-catalytiques, l’idée selon laquelle les écosystèmes formés par ces réseaux seraient caractérisés par une forme d’orientation téléologique dirigée vers l’augmentation de leur vigueur et de leur niveau d’organisation. Je terminerai en identifiant deux défis théoriques auxquels la notion santé écosystémique se révèle faire face compte tenu de son ancrage dans les travaux d’Ulanowicz : 1) L’objection de la contingence et de l’historicité, qui met en doute la possibilité de lois générales décrivant la dynamique des écosystèmes ; et 2) L’objection de la téléologie hérétique, qui rappelle l’incompatibilité de l’idée d’une téléologie se déployant à un niveau supra-organismique d’organisation avec la biologie darwinienne orthodoxe.
Jean-Pierre Llored
Écologie et Chimie : Étude historique et épistémologique de quelques influences mutuelles
La chimie a influencé le développement de l’écologie par le biais d’instrumentations, de savoirs et de savoir-faire permettant de quantifier et de modéliser les impacts sanitaires et environnementaux liés aux activités humaines. L’écologie, en retour, influence l’évolution des innovations et des réglementations chimiques. Une première partie de la conférence vise à mettre en évidence ces influences mutuelles entre l’histoire de l’écologie et l’histoire de la chimie.
Il s’agira ensuite d’étudier, avec un regard d’historien et d’épistémologue, comment se mettent en place, depuis les années 90, des travaux mobilisant, à la fois, un nouveau domaine de la chimie appelé ” chimie verte ”, la toxicologie, la biologie cellulaire, les biotechnologies, l’écologie, la physique, la médecine, l’informatique et les sciences de l’ingénieur ? Ce faisant, nous étudierons comment, au sein de ces projets pluridisciplinaires, circulent et se transforment, graduellement, la signification et l’utilisation pratique de méthodes et concepts comme l’analyse du cycle de vie, la méthodologie QSAR, l’éco-conception et les essais in silico.
Pour finir, nous montrerons comment cet échange fortifié entre l’écologie, la chimie verte, et les autres domaines de pratiques scientifiques et technologiques qu’il mobilise, participe à la fabrication, renouvelée, de l’écologie comme science de l’oikos et de la chimie comme science-industrie de la transformation des matières. Nous soulignerons comment l’écologie et la chimie ne cessent, depuis longtemps, et encore davantage de nos jours, de mettre en évidence le haut degré relationnel des corps produits par les sciences et les techniques, des êtres vivants, et de leurs propriétés.

Vendredi 21 avril 2017
Congrès de la Société d'épistémologie et d'histoire des sciences de la vie

Lieu : Université de Strasbourg, Faculté de médecine, bâtiment Forum, salle F113

Argumentaire

Chaque année, la SHESVIE propose une journée de congrès, consacrée aux communications libres des membres de la société. La Société d’Histoire et d’Épistémologie des Sciences de la Vie se veut un lieu de discussion, d’études et d’ innovation pour les personnes intéressées par les sciences de la vie, enseignants, chercheurs, étudiants, soucieuses d’envisager les divers aspects de leur développement historique qu’ils soient scientifiques, sociaux ou philosophiques.

En 2017, la SHESVIE s’associe au congrès de la SFHST et propose, dans ce cadre, deux demi-journées ’symposium SHESVIE’. Comme nous proposons déjà deux demi-journées axées sur l’histoire de l’écologie et de l’environnement, où pourront trouver place les disciplines qui ont donné naissance à l’écologie, comme la botanique et la zoologie, nous suggérons que, dans ce symposium SHESVIE, ouvert à tous, les communications libres des membres et sympathisants de notre société se limitent aux domaines suivants :

  • Histoire et épistémologie de la physiologie animale; histoire du cerveau et des neurosciences.
  • Histoire de la médecine.
  • Histoire et épistémologie de la biologie cellulaire et moléculaire.
  • Histoire et épistémologie de la génétique.
  • Histoire de la microbiologie ; histoire et épistémologie de l’immunologie.

Nous associerons volontiers à ces domaines biologiques des communications en histoire de la paléontologie, de la paléobotanique, de la paléoanthropologie. Il est également suggéré aux auteurs de centrer leurs propositions sur la période qui va de la fin du XVIIIe siècle à la fin du XXe siècle. Nous espérons que cette proposition large permettra aux historiens des sciences de la vie qui le souhaitent de communiquer des aspects originaux et novateurs de leurs recherches.

Programme définitif

09h00-09h30 Charles Galpérin La génétique du développement des membres chez les vertébrés au tournant du XXIe siècle
09h30-10h00 Olivier Perru L’idée de métamorphose au 19e siècle, un obstacle épistémologique à l’évolution biologique ?
10h00-10h30 Nicola Bertoldi Existe-t-il une main invisible de l’évolution ? Les fondements individuels des phénomènes biologiques collectifs
    Pause
11h00-11h30 Mathilde Lequin Lucy : de la bipédie aux bipédies dans la lignée humaine
11h30-12h00 Dominique Vidal La découverte du rôle de la puce comme vecteur de la peste par Paul-Louis Simond (1858-1947) médecin des troupes coloniales et pasteurien : une découverte qui dérange
12h00-12h30 Mathieu Arminjon La « redécouverte » des déterminants sociaux des maladies (1950-1970). Éléments pour une histoire épistémologique et politique de l’épidémiologie sociale
    Déjeuner
14h00-14h30 Jennifer Bernard Lynn Margulis, architecte de la théorie endosymbiotique
14h30-15h00  Jean-François Thurloy 1710, Pourfour du Petit et la mise en évidence du faisceau pyramidal
15h00-15h30 Céline Cherici La stimulation cérébrale profonde: une nouvelle frontière dans le champ de la psychiatrie ?

Résumés associés

Charles Galperin
La génétique du développement des membres chez les vertébrés au tournant du XXIe siècle
Nous nous proposons tout d’abord de distinguer le mode développement de la drosophile et celui des vertébrés. Chez ces derniers, le développement se déroule essentiellement selon l’axe antérieur-postérieur ou proximal-distal, dans des séquences qui dépendent du temps. Les structures se construisent dans un ordre successif : par exemple l’humérus avant les doigts. Nous suivrons le rôle joué par la famille des gènes HOX. Les domaines d’expression de ces gènes doivent obéir à une coordination parfaite et ce grâce à une propriété unique : « les gènes sont organisés le long du chromosome dans une suite qui reflète le temps et le lieu de leur activation au cours du développement ». Grâce à quels mécanismes ? Comment le groupement des gènes peut-il coordonner les activités de transcription ? Nous suivrons les données expérimentales et la réflexion conceptuelle qui aboutiront en 2003 au concept de régulation globale ou de paysage régulateur.
Olivier Perru
L’idée de métamorphose au 19e siècle, un obstacle épistémologique à l’évolution biologique ?
Très présente dans la littérature gréco-latine, l’idée de métamorphose se retrouve au 19e siècle dans la poésie de Lautréamont, dans Ainsi parla Zarathoustra de Nietzsche, et en 1912, dans La métamorphose, de Kafka. La métamorphose en littérature ou en philosophie caractérise la volonté de transformation de l’humain ; un anthropocentrisme de la figure animale de la métamorphose la situe dans la ligne d’un mouvement volontaire ou psychologique, ce qu’elle n’est pas dans la nature. Par contre, la rapidité est attribuée à juste titre à la métamorphose - sauf si on observe la néoténie.
En sciences, la généralisation de l’idée de métamorphose au 19e siècle (Cf. La Métamorphose des Plantes, de Goethe) conduit à relativiser la réalité diverse des transformations biologiques, tout étant ramené au même phénomène et à une même origine. A partir de Von Baer et surtout avec Haeckel, l’évolution du vivant se structurera autour de la métamorphose. C’est Haeckel qui formulera le plus nettement la « loi » de récapitulation de la phylogenèse par l’ontogenèse, laquelle s’avère fausse, en particulier chez l’axolotl. L’idée générale de métamorphose souligne son caractère individuel avec la possibilité de conservation d’un caractère « ancestral », mais elle véhicule parfois la possibilité de transformations universelles. Or contrairement à la position d’Haeckel, la métamorphose ne récapitule pas la transition évolutive vers la diversité des animaux terrestres. Elle canalise plus qu’elle ne diversifie et détermine certaines transformations. Le développement est plus semblable entre les amniotes et les gymnophiones qu’avec les autres amphibiens, la métamorphose des amphibiens ne dit rien de l’évolution biologique.
Nicola Bertoldi
Existe-t-il une main invisible de l’évolution ? Les fondements individuels des phénomènes biologiques collectifs
Forgée par Adam Smith (1759) et donc étroitement associée au cadre théorique de l’économie classique et néoclassique, la métaphore de la « main invisible » incarne un véritable topos de l’histoire des idées, à savoir la conviction que toute forme d’ordre social devrait être considérée comme le résultat d’interactions entre des individus qui poursuivent leurs propres intérêts. Une telle idée semble constituer également le présupposé fondamental de la théorie de l’évolution telle qu’elle a été formulée par Charles Darwin (1859). Selon Darwin, en effet, l’apparition de nouvelles espèces biologiques est causée par l’accumulation progressive, au cours de plusieurs générations, de mutations individuelles spontanées qui s’avèrent être plus adaptées que d’autres aux changements des conditions environnementales. Bien qu’une telle analogie puisse paraître justifiée à la lumière des sources dont Darwin s’est explicitement inspiré (Bowler 1983), sa pertinence reste à démontrer : dans quelle mesure un concept qui a été développé afin d’expliquer les conséquences inattendues des actions volontaires des hommes en société pourrait-il s’appliquer à des phénomènes naturels ? Afin de répondre à cette question, ma contribution tâchera d’identifier des critères qui permettent de tracer un parallèle entre l’histoire de la pensée économique et celle de la biologie de l’évolution. Dans ce but, elle se concentrera sur deux tentatives majeures de reformuler la théorie de Darwin, qui visent à expliquer l’émergence de phénomènes collectifs (le comportement social et la spéciation) à partir de caractéristiques individuelles, à savoir la socio-biologie de E. O. Wilson (1975) et la théorie des équilibres ponctués de Stephen J. Gould (2007).
Mathilde Lequin
Lucy : de la bipédie aux bipédies dans la lignée humaine
En 1974, la découverte du squelette fossile A.L. 288-1, plus connu sous le nom de Lucy, ouvre une nouvelle page de l’histoire de la paléoanthropologie. Avec ce spécimen, attribué en 1978 à la nouvelle espèce Australopithecus afarensis, l’évolution locomotrice s’impose comme un objet de débat majeur dans cette discipline. Le critère de la bipédie conquiert alors son indépendance par rapport à celui de l’outil, tandis qu’il en était auparavant perçu comme la condition de possibilité (voir par exemple la description d’Homo habilis en 1964). En portant sur les modalités de la bipédie pratiquée par Lucy (bipédie semblable à la nôtre ou différente et conjuguée à un comportement arboricole), le débat très vif suscité par cette découverte substitue à la question de la bipédie celle des bipédies. Il fait ainsi émerger l’hypothèse d’une diversité locomotrice dans la lignée humaine, toujours discutée actuellement. Dans cette communication, nous dresserons un bilan critique des interprétations conflictuelles de ce squelette fossile. En dépit des découvertes fossiles majeures qui se sont succédées en paléoanthropologie depuis lors, impliquant de mettre en perspective la découverte de 1974, nous montrerons que le débat sur Lucy est fondateur dans la mise en place du cadre interprétatif qui continue à être utilisé pour la locomotion des homininés. Nous dégagerons les enjeux épistémologiques inhérents à ce débat, en mettant en évidence leur persistance dans le cadre actuel.
Dominique Vidal
La découverte du rôle de la puce comme vecteur de la peste par Paul-Louis Simond (1858-1947) médecin des troupes coloniales et pasteurien : une découverte qui dérange
La peste, une maladie mythique, a ravagé le monde antique puis l’Europe du Moyen-âge, et elle a inspiré nombre d’écrivains, de Boccace à Camus. Les découvertes de Louis Pasteur et Robert Koch sur les maladies infectieuses ont conduit à une rupture technologique majeure dans la lutte contre les maladies transmissibles. Elle s’est accompagnée d’une concurrence scientifique acharnée entre les chercheurs, allemands et français, mais aussi japonais et britanniques ; ce sont les pastoriens qui ont gagné la bataille de la peste en découvrant, coup sur coup, l’agent de la peste avec Yersin en 1894, et la transmission par la puce du rat avec Simond en 1898. Ce dernier naquit dans un petit village de la Drôme. Après son engagement comme médecin de marine, il passera par l’Institut Pasteur, et c’est dans le corps des médecins des troupes coloniales qu’il fit sa découverte ; d’abord moquée et mise en doute cette avancée scientifique dérange. Elle fut pourtant une ouverture majeure pour la compréhension de la transmission des maladies infectieuses par des arthropodes et pour les mesures de prévention et d’hygiène pour lutter contre la peste. Elle ne fut reconnue par la communauté scientifique internationale que plusieurs années après sa publication.
Mathieu Arminjon
La « redécouverte » des déterminants sociaux des maladies (1950-1970). Éléments pour une histoire épistémologique et politique de l’épidémiologie sociale
Les récents développements touchant aux déterminants sociaux des maladies ne manquent pas de diviser le champ des humanités médicales. Pour certains, toute approche visant à mesurer l’impact de l’environnement physique et social sur la santé ne constituerait, au final, qu’une forme plus ou moins renouvelée de stratégie biopolitique. Parallèlement, le retour de la question des déterminants sociaux de la santé coïncide avec l’émergence d’une critique du modèle biopolitique visant à promouvoir des « politiques de la vie » alternatives ; à prendre en compte la réflexivité des acteurs dans le développement des sciences ; voire à conceptualiser les modalités d’une « résistance biologique ». Je me propose d’aborder ce débat à partir du cas de l’épidémiologie sociale définie comme l’étude de « la distribution sociale et des déterminants sociaux de la santé ». Ma communication montrera que les origines, les objets épistémiques et la visée normative de l’épidémiologie sociale semblent effectivement en faire le prototype même du « biopouvoir ». Je me propose d’esquisser une analyse épistémologique et politique des développements de l’épidémiologie sociale en France, aux États-Unis ainsi qu’en Angleterre. Celle-ci me permettra de montrer que l’épidémiologie sociale est étroitement liée à l’apparition, au tournant des 1970, d’une pratique sociale de la preuve scientifique en rupture avec le régime de politisation des sciences de la vie qui caractérisait la médecine sociale du XIXe siècle. Cette analyse historique me mènera finalement à préciser les enjeux épistémologiques, critiques et politiques liés à la mise au jour des déterminants sociaux des maladies.
Jennifer Bernard
Lynn Margulis, architecte de la théorie endosymbiotique
Lynn Margulis est présentée comme la chercheuse ayant reformulé et porté la théorie endosymbiotique, à la fin des années soixante, de son dénigrement à son acceptation par la communauté scientifique dans les années quatre-vingt. Pourtant, la contribution de Margulis n’est ni nouvelle, ni décisive en termes d’expérimentation concluante. La controverse qui eut lieu dans les années soixante-dix fut close en grande partie grâce à un nouveau champ de la biologie auquel elle adressait de vives critiques, la phylogénie moléculaire. Plus encore, les spécificités de sa version de la théorie n’ont pas été étayées en cinquante ans de recherches. Je montrerai que malgré ces critiques, l’apport original de Margulis réside dans la contextualisation de l’origine des mitochondries et des chloroplastes dans un scénario de l’évolution de la vie sur Terre, qui, en convoquant toutes les disciplines biologiques, fit émerger cet épisode de l’histoire du vivant comme sujet transversal étudié et débattu au niveau international, dont les résultats multidisciplinaires contribuèrent, en retour, à l’étayage de la théorie.
Jean-François Thurloy
1710, Pourfour du Petit et la mise en évidence du faisceau pyramidal
En 1710, parait à Namur, une lettre, signée François Pourfour du Petit, chirurgien des armées, dans laquelle, il rapporte le cas de plusieurs soldats qui blessés à l’orbite oculaire par des coups d’épée ou ayant reçu des coups à la tête présentent une paralysie du côté opposé de la blessure. Partant d’une idée simple selon laquelle toutes commotions sont accompagnées d’épanchements de sang, dû à la rupture des vaisseaux sanguins, d’inflammations, il recherche ces signes dans le cadavre. Mais force est de constater que le cerveau du côté de la blessure ne présente aucune altération. En revanche, du côté opposé, il remarque parfois des abcès, des inflammations. Il émet donc l’hypothèse que c’est du côté opposé de la blessure qu’il faut rechercher les causes de la paralysie. Fin anatomiste, aidé par son scalpel, mêlant observations et expériences, il n’aura de cesse d’interroger les cerveaux. Reproduisant expérimentalement chez le chien, les mêmes altérations cérébrales, qu’il a observé chez l’homme, il aboutit à l’idée selon laquelle, les fibres médullaires, constituant toute la partie corticale cérébrale, s’inversent au niveau des corps pyramidaux de sorte qu’une blessure au côté gauche produira une paralysie au côté droit et une blessure du côté gauche produira une paralysie du côté droit. La mise en évidence du faisceau pyramidal sanctionne la volonté d’un homme de faire progresser les connaissances anatomiques de son époque en adoptant la démarche d’une médecine expérimentale.
Céline Cherici
La stimulation cérébrale profonde: une nouvelle frontière dans le champ de la psychiatrie ?
La stimulation cérébrale profonde agit sur le cerveau par le biais d’impulsions électriques, prenant ainsi en charge un certains nombre de symptômes de type parkinsonien. Or depuis peu, cette technique est également appliquée à certains troubles psychiatriques et comportementaux tels que les troubles obsessionnels compulsifs. Ceci nous pousse à nous poser certaines questions : notre cerveau est-il une machine électrique au sein de laquelle nous pouvons moduler le comportement pathologique? Cette question semble recevoir une réponse positive dans certaines pratiques contemporaines. Ceci, à son tour, soulève la question suivante: est-il encore logique de faire la différence entre la psychiatrie et la neurologie?
Nous nous appliquerons à retracer l’historicité de cette problématique.