Les Œuvres complètes
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On lui pardonnera son style horriblement barbare, car on peut l’expliquer par l’ignorance générale de cette époque telle qu’on n’en connaît quasiment pas de plus obscure. Et cependant, quelle ignorance crasse des choses est la sienne ! Beaucoup d’exemples le prouvent, mais il suffit de mentionner son assertion selon laquelle l’utérus est divisé en sept cavités. Matteo Corti (Mattheus Curtius) avait même osé dire publiquement, avant la publication des ouvrages de Vésale, que tout ce qui était bon chez Mondino était de Galien, et que ce qui venait de lui était faux. Combien sèches et laconiques sont les remarques d’Achillini, nous l’avons appris en lisant ce très rare opuscule  d’un bout à l’autre ! Quant aux Commentaires de Berengario sur Mondino, ils sont certes très prolixes, mais bons, ma foi, et ils témoignent manifestement d’une connaissance indubitable de l’anatomie, associée à une pratique personnelle de l’art, et la langue latine de cet homme n’est pas à mépriser. Bien plus, il fut le premier sans doute à se préoccuper de faire tailler dans le bois des figures par lesquelles il pouvait placer une image des parties du corps sous les yeux des lecteurs. Alors que dans son grand Commentaire sur Mondino publié à Bologne en 1521, il avait inséré dix-neuf planches, dans son Isagoge paru deux ans plus tard, il en inclut vingt-deux. Nous devons avouer que ces planches sont grossières, mais nous les reconnaissons comme étant les premières, et nous les admirons d’autant plus que telles quelles, elles ont fourni les premiers rudiments à une si noble pratique. Mais à partir de là, à nouveau rien. Albrecht Dürer, docte géomètre et peintre habile, employa son art à un travail indispensable et de la plus grande utilité, lorsque, en 1534, il décrivit les justes proportions des corps en quatre livres, mais entièrement occupé à en tracer les traits, il ne décrivit guère la fabrique des parties. Après lui un seul nom est parvenu jusqu’à nous, celui du premier homme qui ait essayé de saisir la structure [du corps humain] en images ; il s’agit du médecin strasbourgeois, Walter Hermann Ryff qui, en 1541, publia dix-neuf planches in folio, imprimées dans l’officine du libraire Balthasar Pistor. Il dit que sur ces planches tous les membres[6]du corps humain ont été représentés au vif le plus exactement possible par les traits du dessin. Il est un fait que les images de Carpi sont inférieures à celles-ci, qui sont plus riches, suivent l’ordre des parties, et montrent même les plus petites, au moyen de lignes apposées et de lettres dessinées ; et surtout elles expliquent exactement les parties de la tête et de l’encéphale, sans qu’elles soient des copies des illustrations de Vésale déjà publiées[7]. En un mot, elles auront préludé à la naissance d’un art qui sera porté à sa perfection en peu de temps. Les illustrations que Johann Dryander de Hesse avait promises en 1537 n’ont pas paru, excepté celles qu’il a empruntées à l’Isagoge de Carpi, auxquelles il en a joint une qui vise à montrer le trajet des vaisseaux pulmonaires, et deux autres représentant les muscles superficiels. Il a dessiné ensuite, en 1541, le squelette des os du thorax, l’estomac, les intestins, la rate, le foie, les reins, les organes génitaux, après la publication des premières planches de Vésale et de Ryff, qu’il a copiées.

Nous devions commencer notre préface par ces quelques remarques, pour montrer clairement la supériorité de Vésale par rapport à tous les autres. Elles permettent de voir combien il a surpassé tous les auteurs que la mémoire des temps a retenus parmi les mortels depuis la naissance de la médecine jusqu’à son époque, et de juger par une équitable comparaison et en bonne foi des vrais mérites du grand homme.

André Vésale est né à Bruxelles, capitale du Brabant, en 1514,

×Au sens de « parties du corps ».
×Allusion aux Tabulæ anatomicæ sex.