Les Œuvres complètes
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Vésale resta sur son ordre dans la ville auprès de l’ambassadeur de Venise Bernardo Navagero dont l’état de santé réclamait ses soins ; partout et toujours, Vésale pratiqua l’anatomie et la chirurgie autant qu’il le pouvait.

Il résulte de tout cela que, poussé par la réputation maintenant bien établie de Vésale, le très sage sénat de Venise, veillant toujours à donner ce qu’il y avait de meilleur pour son académie de Padoue, invita notre auteur, âgé à peine de vingt-deux ans, à faire des leçons publiques d’anatomie et de chirurgie, à les démontrer et à les pratiquer, en lui offrant un salaire somptueux. Il s’acquitta honorablement de cette fonction comme professeur public à l’école de Padoue pendant près de sept années. Peu après [sa nomination à Padoue], appelé à Bologne par les autorités publiques pour illustrer l’enseignement de l’anatomie, il fut reçu dans la maison de Giovanni Andrea Albio (Johannes Albus), professeur de médecine, et il y acheva un squelette d’homme et un de singe[28]. Plus tard, le grand duc Côme de Toscane, gloire et protection des arts et des lettres, lui offrit une rétribution de six cents couronnes par an, et l’appela à Pise, pour lui confier l’enseignement public de l’anatomie et de la chirurgie ; et il ordonna de lui céder des cadavres, même en les dérobant dans les cimetières, en fonction de ses désirs et de ses recherches. Dans les démonstrations publiques à Padoue, il observa l’ordre qu’il devait décrire plus tard dans son grand ouvrage d’anatomie, consacrant toujours au minimum trois semaines entières à la dissection. À Bologne, au cours du même hiver, il fit de même dans le même espace de temps. Ensuite, toujours le même hiver, il alla à Pise. Il avait l’habitude de commenter les livres de Galien ; il les avait déjà lus trois fois aux étudiants, avant d’oser noter une seule erreur chez cet auteur ; bien plus, il élevait Galien au rang de second prince de la médecine, après Hippocrate, l’appelant le premier des professeurs et le coryphée de la dissection, un rare miracle de la nature, un très grand admirateur de la nature, et l’auteur de tous les biens. Cependant à force d’être constamment occupé à disséquer des cadavres, et de toujours comparer ce qu’il observait avec Galien, il commença peu à peu à noter ce qu’il comprenait autrement et à en faire un grand volume. Ensuite, il se consacra le plus possible à l’anatomie de singes, et pendant qu’il examinait des singes caudés et des singes sans queue, il observait quotidiennement plusieurs choses dignes d’être notées ; toutes ces choses ayant été bien pesées, il fut enfin obligé de conclure que Galien avait appliqué à tort aux humains des descriptions assez soignées de singes, en se fiant à leur similitude, et qu’il n’avait jamais décrit de corps humains à partir de leur examen. Il pensait que plus il y serait attentif, plus clairement il verrait les choses : aussi, il commença à se méfier de tous les autres auteurs, sachant que la source de tout ce qu’ils connaissaient était Galien. Et il forma le projet de faire renaître l’anatomie à travers sa propre activité. Tandis qu’il réfléchissait à la manière dont il pourrait réaliser avec succès un si grand projet, il se rendit compte qu’il n’y arriverait jamais, s’il ne faisait pas une toute nouvelle description anatomique, à partir de ce qu’il avait trouvé lui-même, en comparant ce qu’il avait observé dans les cadavres avec les descriptions des traités d’anatomie [antérieurs],

×Cf. R. Eriksson, Andreas Vesalius’ First Public Anatomy at Bologna, 1540, an eye-witness report by Baldasar Heseler, medicinæ Scolaris, together with his notes on Matthaeus Curtius’ lectures on Anatomia Mundini, Uppsala-Stockholm, 1959.