Les Œuvres complètes
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et s’il ne publiait pas l’ensemble, réuni en un seul livre. En effet, il trouvait tant de défauts dans les traités d’anatomie, qu’il ne voyait personne qu’il pût suivre comme un chef à qui se fier, s’il ne voulait pas, à force de corrections partout, abuser de la patience du lecteur. Au contraire il était raisonnable de décrire seulement ce qu’il avait trouvé au moyen de ses yeux en qui il avait toute confiance. Alors qu’il agitait ces pensées qui tourmentaient son esprit nuit et jour, et qu’il s’ouvrait bien naturellement de ce projet à d’autres, il trouva immédiatement des hommes des plus distingués qui l’encouragèrent à tenter l’épreuve : parmi ceux-ci, il adresse un éloge particulier à Marcantonio de Gênes, professeur à Padoue, et à Wolfgang Herwort, patricien d’Augsbourg, pour avoir été les premiers à l’inciter à entreprendre l’ouvrage[29].

Il commença donc à reprendre les certitudes auxquelles il était parvenu par la pratique de la dissection, à les ordonner et enfin à les consigner, non seulement en faisant une description complète de la fabrique du corps humain, mais en mettant ce dernier sous les yeux au moyen de planches dessinées. Il était fermement convaincu que l’anatomie et par conséquent la chirurgie qui lui est associée doivent être considérées comme les parties les plus nobles de la médecine ; et il était affligé qu’on les cultivât à son époque en les séparant de l’art qui s’occupe de soigner les maladies. C’est pourquoi son premier essai fut de représenter en images ces parties du corps dans lesquelles surviennent blessures, ulcères, tumeurs, luxations, fractures et contusions, et qui sont soignées par l’exercice de l’art de la chirurgie, en se moquant des autres médecins uniquement occupés de prescrire des sirops ; il publia donc des Images anatomiques en 1539 à Venise[30], seulement à titre de spécimens et comme un essai ; mais d’autres les mirent immédiatement à la disposition du public, dans une forme corrompue, ornées de titres plus pompeux, en imaginant que Vésale, qui résidait alors en Italie et était loin de l’empire, ne reviendrait jamais ; les plagiaires avaient donc estimé qu’ils pouvaient en toute liberté s’approprier les fruits du travail d’autrui. On vit à cette époque des planches anatomiques apparaître en divers lieux. Après ces planches anatomiques, Vésale acheva son Epitome [ou Résumé] des sept livres du grand ouvrage et la dédia au Sérénissime prince Philippe, fils de Charles Quint ; et quelques mois après la publication du grand ouvrage, il put enfin la donner au public. Il l’avait composée seulement avec l’intention d’en faire un index du grand ouvrage et d’être utile principalement aux chirurgiens. Mais si on regarde leurs qualités artistiques ou la vérité de ce qui y est représenté, les figures qui sont montrées sont assurément les plus belles qui aient jamais été produites. La série des muscles dessinés dans l’Epitome est justifiée uniquement par leur place, leur situation et leurs relations à l’endroit où ils sont placés dans le corps même : un chirurgien peut ainsi avoir une vraie représentation des parties du corps et savoir avec certitude en quel lieu du corps il va trouver chacune d’elles, de telle sorte qu’il puisse guider sa main avec sûreté et sans erreur, en accord avec sa connaissance des parties. Il termina ensuite en peu de temps son ouvrage d’anatomie, ouvrage incomparable, destiné à ne jamais périr, qui sera considéré pendant des siècles comme le plus brillant qui fût jamais publié jusqu’à ce jour par un mortel. Le discours disert décrit avec une généreuse amplitude non seulement tout ce qui est nécessaire pour que la fabrique du corps soit parfaitement comprise, mais aussi exposée au regard par une habile présentation.

×Cf. Fabrica I, p. 35, www.biusante.parisdescartes.fr/vesale/?e=1&p1=01036&a1=f&v1=00302_&c1=13.
×Boerhaave et Albinus considèrent donc les Tabulæ anatomicæ sex comme un traité de chirurgie, avec une erreur sur la date de publication. Il semble bien qu’ils n’aient point vu l’ouvrage, qui est absent des Opera omnia de 1725.