Les Œuvres complètes
[*****v]

le plus ignare en toutes choses, un transfuge, un impie, un ingrat, un monstre d’ignorance, l'exemple d’impiété le plus pernicieux qui ait jamais empoisonné l’Europe de son haleine pestilentielle, dont toutes les erreurs, pour les appeler par leur nom, demanderaient un travail infini [pour les corriger]. Tout cela n’était que paroles, mais révélatrices d’un esprit malfaisant. Dans le but d’attirer dans son camp Cornelius Baarsdorp, archiatre de l’empereur, contre Vésale, il lui offrit le squelette d’un enfant, en espérant qu’avec l’aide du bon Baarsdorp, l’empereur serait irrité contre Vésale. Bien plus, la rage alla si loin dans cette affaire d’anatomie, que cet homme furibond osa, oh pudeur ! implorer publiquement l’empereur en personne en demandant que Sa Majesté impériale confondît Vésale. Lors de la confrontation, il vit qu’il ne pouvait pas défendre les écrits galéniques contre Vésale ; c’est pourquoi il en vint à un tel état de démence qu’il affirma, dans un commentaire ridicule et complètement infantile, que les hommes du temps de Galien étaient constitués autrement que ceux de son temps.

Bartolomeo Eustachi, un homme sage, dont l’admiration pour le grand Galien ne fut jamais égalée, négligea avec raison ces inepties contre Vésale, jugeant sagement que la cause était trahie et plus que desservie avec un défenseur tel Dubois. Cependant l’influence de ce dernier, qui était très grande, fit tellement de tort à Vésale qu’une très méchante rumeur concernant ses livres parvint aux oreilles de l’empereur et d’autres hommes haut placés, et qu’une très injuste censure fut exercée à leur égard. Lorsque cela fut porté à la connaissance de Vésale, l’esprit du meilleur des hommes fut profondément blessé au point que, déjà appelé à la cour, et sur le point de quitter l’Italie pour se mettre en route, il fut pris d’un accès de colère et brûla en une heure ses Observations anatomiques sur les livres de Galien, fruit d’un travail intense, qu’il avait consignées dans un immense volume, ainsi qu’un livre complet de formules de médicaments, une grande quantité d’informations qu’il avait rassemblées sur la matière médicale, l'exemplaire des livres de Galien, dans lequel, au cours des dissections, il avait l’habitude de noter ce qu’il observait de nouveau ou de singulier, et aussi une Paraphrase où il comparait les écrits des Arabes avec ceux de Galien et de tous les autres Grecs dans ces parties de l’art médical que Rhazès traitait en plusieurs livres séparés[41]. Il se repentira ensuite de cette décision prise dans un accès de colère, toutes les fois où il se souviendra des plaisirs que lui avait procurés son travail et des beaux résultats qu’il avait obtenus. Quelle perte, hélàs ! Quel soin, quelle méthode il employa pour reconnaître et examiner les plantes, avec quelle attention, quelle minutie et quelle rigueur il s’appliqua à explorer leurs vertus médicinales, tout cela est visible dans le livre sur La racine de Chine, où il traite de salsepareille, de tormentille, de chamaedrys, de rhubarbe, de térébenthine, et surtout dans son livre sur la Chirurgie, où il fait également beaucoup d’observations, dans un ordre admirable et dans le respect de la vérité. Plus tard, lorsqu’il voulut se livrer à de nouveaux travaux pour récupérer les annotations perdues, il en fut empêché par sa vie à la cour.

Cependant Vésale répondait modérément à toutes ces attaques lorsque l’occasion se présentait, excepté peut-être une fois, et il n’adressait pas de réplique acerbe à Dubois : cependant, à la longue, il fut poussé à dire ouvertement qu’il ne reconnaissait aucun maître en anatomie, puisque Dubois disait que Galien ne s’était jamais trompé et que lui, Vésale, le réfutait partout ; ensuite, dans le petit livre sur La racine de Chine, malgré la variété des sujets traités, il a inséré de très nombreux arguments, de toute provenance, pour prouver que l’apport original de Galien en anatomie

×Cf. Lettre sur la racine de Chine (Ep. rad. Ch.), op. cit., p. 196 (=195): Quod uero attinet ad Annotationes, quæ in ingens uolumen excreuerant, illæ cum integra in decem libros Rhazes ad Almansorem regem paraphrasi, multo diligentius quam illa quæ in nonum librum prostat a me conscripta, et libri cuiusdam de medicamentorum formulis apparatu (in cuius materiam multa meo iudicio non inutilia congesseram) una die mihi interierunt, cum omnibus Galeni libris, quibus ego in discenda anatome usus eram, quosque, ut fit, uarie commaculaueram. Quum enim aulam aditurus, Italiam relinquerem, atque illi quos nosti medici, de meis libris omnibusque quæ hodie promouendis studijs eduntur, apud Cæsarem, et alios quosdam magnates pessimam fecissent censuram, ea omnia cremaui, etsi non semel interim, eius petulantiæ me pœnituerit ... (« Mais, pour ce qui est de mes Annotations, qui avaient fini par former un énorme volume, avec une Paraphrase complète des dix livres de Rhazès adressés au roi Almansor, que j’avais rédigée avec bien plus de soin que celle qui a été publiée sur le neuvième livre, et un livre en préparation sur des formules de médicaments (j’avais réuni beaucoup d’informations qui étaient loin d’être inutiles, à mon avis, en vue de la matière de ce livre), tout cela a péri en un seul jour, avec tous mes livres de Galien, dont je m’étais servi pour enseigner l’anatomie, et que j’avais beaucoup annotés, à mon habitude. Après que j’eus quitté l’Italie pour venir à la cour, et que ces médecins que tu connais, devant l’Empereur et d’autres princes, ont fait une critique extrêmement mauvaise de mes livres et de tout ce qui est publié aujourd’hui pour promouvoir les études, j’ai tout brûlé, mais, depuis lors, plus d’une fois, j’ai regretté d’avoir été impulsif... »).