Les Œuvres complètes
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De Thou fait un grand éloge de Vésale à cette occasion. Plus tard, après que Charles Quint eut abdiqué de ses fonctions impériales et royales en 1555, Vésale vécut comme médecin à la cour de Philippe II, roi d’Espagne, dont il gagna la plus grande reconnaissance. En effet à la suite d’un coup à la tête, le fils du roi, Don Carlos, était tombé dans un tel état de léthargie qu’on pensait qu’il avait rendu son dernier soupir. Le roi amena Vésale - qui était détesté par les Espagnols - auprès du prince ; Vésale indiqua presque immédiatement la cause du mal et l’unique remède et, sur l’ordre du roi, il l’appliqua, en faisant une incision dans le péricrâne[52] ; le prince recouvrit immédiatement la santé, au grand désespoir des médecins espagnols, qui auparavant et ouvertement avaient méprisé Vésale devant le roi, disant qu’il connaissait peu de choses de la surface externe du corps, et rien des maladies internes. Il eut dès lors tant de succès à la cour qu’il avouait ne devoir envier aucun autre médecin en Europe ! Mais alors qu’il jouissait de sa prospérité, subitement, le sort renversa la destinée du grand homme. Il soignait un noble espagnol, et regrettant de ne pas bien comprendre la cause de sa mort, il demanda aux amis du mort la permission d’ouvrir le corps afin de rechercher la cause de la maladie et de la mort. Cela lui fut accordé ; quand le thorax fut ouvert, le cœur semblait encore palpiter. Les proches du mort accusèrent Vésale d’homicide auprès des juges, et d’impiété auprès du tribunal de l’Inquisition espagnole. Sa science le desservit : en effet l’ignorance ne pouvait servir d’excuse au plus grand des anatomistes, qui passait à juste titre pour l’interprète le plus perspicace des signes de la vie et de la mort. L’Inquisition voulut appliquer à l’accusé la peine capitale. Et ni par son autorité ni par ses prières, le roi ne put sauver son ami André qui lui avait été cher pendant vingt-deux années. Vésale se rendit enfin devant le roi et devant toute la cour qui intercédait en sa faveur, avec la promesse d’expier son crime en entreprenant un pèlerinage à Jérusalem. Il s’exila donc à Venise en 1564, et de là, avec Giacomo Malatesta de Rimini, capitaine des forces territoriales de la Sérénissime république de Venise, il embarqua pour Chypre puis navigua vers Jérusalem. De là, il fut invité à revenir à Padoue par le sénat vénitien qui lui offrait une très généreuse rétribution pour remplacer dans les leçons d’anatomie Falloppio mort quelque temps auparavant. Il revint donc, mais des vents contraires le jetèrent sur l’île de Zakynthos, où dans un lieu désert, sans ressources, manquant de tout secours, il termina misérablement sa vie au mois d’octobre de la même année, âgé de cinquante ans à peine ; et son cadavre aurait été jeté en pâture aux bêtes sauvages, si par hasard, à cette saison, il ne s’était trouvé un orfèvre qui le reconnut et lui éleva un modeste tombeau près de l’église Sainte Marie , avec l’inscription suivante :

Tombeau d’André Vésale de Bruxelles
qui mourut aux ides d’octobre
de l’an 1564,
âgé de cinquante ans,
alors qu’il revenait de Jérusalem.

Et c’est ainsi que la cruelle tyrannie des prêtres exposa à un genre de mort horrible un Homme qui ne fut égalé dans aucun autre siècle, dont la mémoire méritera toujours la reconnaissance de la médecine, aussi longtemps que celle-ci veillera à la santé de chacun.

×En avril 1562, l’Infant Don Carlos fut victime d’un traumatisme crânien après une chute, les médecins espagnols s’opposèrent à la trépanation proposée par Vésale, mais devant l’aggravation de l’état du prince, acceptèrent une incision frontale, qui permit l’évacuation du pus. L’enfant guérit. Cf. A. Burggraeve, op. cit., p. 41-43, d’après le récit en espagnol de H. Moréjon, ibid, p. 417-422.