Société d’histoire de la pharmacie : séance du 8/6

Le mercredi 8 juin 2016, se tenait une séance de la Société d’Histoire de la Pharmacie, présidée par le professeur Olivier Lafont, dans la salle des Actes de la faculté de pharmacie de Paris (4, avenue de l’Observatoire). Au cours de cette réunion, cinq intervenants ont pris la parole :

Salle des Actes (4, avenue de l'Observatoire)
Salle des Actes (4, avenue de l’Observatoire)
  • Alain LEGRAND, membre de la SHP : Michel Eugène Chevreul (1786-1889) : un chimiste aimé des peintres.
  • Florence SIROT, lauréate du prix Maurice Bouvet et Henri Bonnemain doté par la Société d’Histoire de la Pharmacie, en 2015 : Fonction, lieu et produits officinaux dans les dictionnaires de langue française.
  • Josette FOURNIER, membre de la SHP : Charles Davila (1828-1884), une jeunesse en France.
  • Quentin GRAVIER, doctorant à la Faculté de pharmacie de l’université de Rouen : Échange de lettres autour des Médicaments du Roy.
  • Olivier LAFONT, président de la SHP : Ce que Pomet pensait de Lémery révélé par le projet d’édition de 1699 de son Histoire des drogues.

Michel Eugène Chevreul (1786-1889) : un chimiste aimé des peintres, par Alain Legrand

La séance débuta avec la conférence d’Alain Legrand sur l’un des pères de la chimie organique ou plutôt, comme ce dernier aimait lui-même se qualifier, sur un « chimiste-philosophe ».

Statue de Chevreul (Jardin des plantes, Paris) Source : Medic@
Statue de Chevreul (Jardin des plantes, Paris). Source : Medic@

Michel Eugène Chevreul (1786-1889) est né à Angers, dans une famille de chirurgiens. Au cours de sa vie, il connut quatre règnes, deux Empires, quatre Révolutions et trois Républiques ! Il fut élève de Louis-Nicolas Vauquelin (1763-1829) au Muséum d’Histoire naturelle, en 1803 ; puis préparateur bénévole, en 1804 ; professeur de chimie au Lycée Charlemagne, en 1813 ; directeur des teintures à la manufacture des Gobelins, de 1824 à 1883 ; professeur de chimie organique au Muséum d’Histoire naturelle, à la suite du décès de Louis-Nicolas Vauquelin, en 1830 ; et enfin, directeur du Muséum d’Histoire naturelle, jusqu’en 1879. À partir de 1879, alors qu’il avait atteint l’âge de 93 ans, il resta directeur honoraire du Muséum et continua à habiter dans la maison du Muséum, jusqu’à sa mort en 1889. Il fut membre de diverses académies, dont celle des sciences, à partir de 1826. Son centenaire fut célébré en grandes pompes. Une statue a été érigée en son honneur au Jardin des Plantes, à Paris.

Ce grand savant laissa derrière lui d’importants travaux. Il est surtout connu pour ses recherches sur les corps gras (Étude sur les corps gras, 1813-1823, médaille Copley 1857), mais ses travaux sur la perception des couleurs sont aussi remarquables. À la fin de sa vie, il se captiva pour les procédés photographiques et la construction de la tour Eiffel.

Cercle chromatique de Chevreul
Cercle chromatique de Chevreul. Source : Medic@

En tant que directeur de la manufacture des Gobelins, Michel-Eugène Chevreul a effectué des recherches sur la stabilité des teintures, la classification et la perception des couleurs, la découverte du contraste simultané et la fabrication des colorants. En effet, les teinturiers n’obtenaient pas les couleurs attendues. Il a découvert que ce n’était pas un problème chimique, mais un problème optique. Les couleurs sont influencées par leur environnement.

« Des couleurs juxtaposées s’influent réciproquement d’une certaine manière » (Michel-Eugène Chevreul)

Ses recherches dans ce domaine inspirent les artistes impressionnistes comme Eugène Delacroix (1798-1863) qui entretient une correspondance avec lui ; Georges Seurat (1859-1891), pionnier du pointillisme ; Paul Signac (1863-1935) ; et Vincent Van Gogh (1853-1890).

Fonction, lieu et produits officinaux dans les dictionnaires de langue française, par Florence Sirot

Florence Sirot, diplômée en pharmacie, a présenté sa thèse de doctorat intitulée Fonction, lieu et produits officinaux dans les dictionnaires de langue française, soutenue à l’université Claude Bernard – Lyon 1, en 2014, et pour laquelle elle a reçu le prix Maurice Bouvet et Henri Bonnemain décerné par la Société d’Histoire de la Pharmacie.

Dictionnaire de la langue françoise, ancienne et moderne (1732), de Pierre Richelet. Source : Gallica
Dictionnaire de la langue françoise, ancienne et moderne (1732), de Pierre Richelet. Source : Gallica

En effectuant une recherche méthodique dans les dictionnaires de langue française des différents termes pharmaceutiques attachés à l’officine, la chercheuse a remarqué une évolution du sens de la fonction de l’apothicaire/pharmacien, du lieu officine/pharmacie et des produits officinaux, à travers les époques.

Dans une partie de son étude, elle a évoqué les femmes et leur place dans l’apothicairerie. La formation d’apothicaire était réservée aux hommes, mais on note la présence de « femmes-apothicaires » dans les dictionnaires et dans les archives, comme l’épouse de l’apothicaire par exemple. Effectivement, la veuve pouvait exercer à l’officine, avec un apprenti. Les religieuses étaient également autorisées à exercer l’apothicairerie dans les hôpitaux de charité.

Intérieur d'une apothicairerie au XVIIe siècle. Source : Medic@
Intérieur d’une apothicairerie au XVIIe siècle. Source : Medic@

Charles Davila (1828-1884) : une jeunesse en France, par Josette Fournier

Josette Fournier, membre de la SHP, a présenté Charles Davila, grand médecin franco-roumain et organisateur du service de santé de l’armée roumaine, fondateur du premier orphelinat en Roumanie.

Célébration du centenaire de Charles Davila (1786-1889). Source : La Presse Médicale
Célébration du centenaire de Charles Davila (1786-1889). Source : La Presse Médicale

Les sources françaises sont rares à son sujet. Cependant, une partie de sa correspondance a été publiée par sa fille, comme les lettres qu’il échangea avec la comtesse Marie d’Argoult, alias Daniel Stern sous son nom de plume. Il existe quelques traces biographiques dans les archives, notamment dans les documents relatifs à la faculté d’Angers.

Certaines sources administratives disent de Charles Davila qu’il est « réfugié espagnol » ou originaire de Parme. Il fut accueilli à Nantes par le docteur Ange Guépin (1805-1873) qui devint son tuteur. Puis, il étudia à l’École mixte de Médecine et de Pharmacie à Angers en 1847, auprès de Grégoire Bordillon (1803-1867). Il était aide-prosecteur ; c’est-à-dire chargé de seconder la personne qui préparait les dissections dans les cours d’anatomie. Il a soutenu deux thèses en médecine. Les sources mentionnent sa présence et l’aide qu’il apporta à l’équipe de secours lors de la catastrophe du pont suspendu à Angers, en 1850.

À partir de 1853, Charles Davila partit pour Bucarest, où il fut nommé médecin en chef de l’hôpital, puis médecin en chef de l’armée. Il participa à la fondation de l’École nationale de Médecine et de Pharmacie et du Jardin botanique de Bucarest. Proche des pouvoirs successifs, il était membre de la franc-maçonnerie roumaine. Il fonda le service de santé militaire et civil de Roumanie pour la médecine et la pharmacie. En 1860, il rédigea la première Pharmacopée roumaine. Peu de traces subsistent de son parcours en France, alors qu’il fut considéré comme un héros en Roumanie.

Échange de lettres autour des Médicaments du Roy, par Quentin Gravier

Quentin Gravier, étudiant en doctorat à la faculté de pharmacie de Rouen, présenta sa thèse intitulée La distribution des remèdes du Roy dans la Généralité de Rouen, de 1750 à 1789 : organisation du système et évaluation de l’efficacité de ce réseau de soins, et dirigée par Olivier Lafont.

Apothicairerie au XVIIIe siècle. Frontispice. Source : Medic@
Apothicairerie au XVIIIe siècle. Frontispice. Source : Medic@

La Généralité de Rouen a été créée en 1542. Elle fut divisée en 22 subdélégations. Les subdélégués étaient les intermédiaires de l’intendant auprès de la circonscription.

Les sources utilisées par Quentin Gravier sont de deux types : la correspondance (lettres échangées entre les distributeurs, l’intendant et le pouvoir royal) et les tableaux de distribution.

Que sont les Remèdes du Roy ? Cette expression désignait une distribution gratuite de médicaments à destination des campagnes et des pauvres. Les premiers envois sont effectués en 1706. Un arrêt du Conseil du roy de 1721 instaurait une distribution systématique et annuelle dans les généralités. Ces Remèdes étaient envoyés sous forme de boîtes, prévues pour être divisées. Chaque année, une grande boîte et des petites boîtes étaient données aux intendants pour leurs généralités. La grande boîte est conservée par l’intendant en prévision d’épidémies et les petites boîtes sont distribuées dans les subdélégations. Leur chiffre a varié au cours de la période 1750-1789 : de 12 à 24, puis à 72. Leur contenu a également évolué. En effet, elles contenaient douze remèdes différents, et progressivement les sources montrent une forme de rationalisation du contenu. Ce dernier évoluait aussi grâce à l’avis donné par les distributeurs.

Qui sont les distributeurs ? Au début de la période, ces derniers étaient nommés par les subdélégués. Puis, ce fut l’intendant qui les choisissait parmi les propositions donnés par les subdélégués. Il existait trois profils-type de distributeurs : les curés, les sœurs de charité et les laïcs (personnes charitables et chirurgiens). Cependant, ils travaillaient rarement seuls et s’entraidaient.

L’avis qu’ils donnèrent sur les Remèdes du Roy fut généralement très positif. Dans les correspondances, ils faisaient remarquer des difficultés pour la posologie, pour la conservation et pour le manque de formation. Des mémoires instructifs étaient remis avec les remèdes, mais les boîtes furent de moins en moins nombreuses à mesure que s’accrurent les demandes à la fin de la période.

L’étude de ces Remèdes permet également à l’historien de la pharmacie de porter un regard sur la vie à la campagne au XVIIIe siècle, sur la disette de la fin de l’Ancien Régime et sur l’agitation qui progresse dans les villes jusqu’en 1789.

Le médecin, le chirurgien et l'apothicaire au XVIIIe siècle. Source : Medic@
Le médecin, le chirurgien et l’apothicaire au XVIIIe siècle. Source : Medic@

Ce que Pomet pensait de Lémery, révélé par le projet d’édition de 1699 de son Histoire des drogues, par Olivier Lafont

Pour conclure la séance, Olivier Lafont a présenté un exemplaire unique de l’Histoire des drogues de Pierre Pomet (1658-1699), apothicaire, acquis par la Bibliothèque interuniversitaire de Santé, grâce à la générosité de la Société des amis de la bibliothèque. Vous pouvez lire notre billet de blog de 2014 consacré à ce sujet !

Pierre Pomet (1658-1699). Frontispice. Source : Medic@
Pierre Pomet (1658-1699). Frontispice. Source : Medic@

Pierre Pomet a publié la première édition de son Histoire des drogues en 1694. Elle était imprimée au format in-folio et richement illustrée.

En 1698, Nicolas Lémery (1645-1715), apothicaire et chimiste, publiait quant à lui le Traité universel des drogues simples au format in-quarto, composé de vignettes et qui restitue les descriptions de Pierre Pomet en s’inspirant grandement des gravures de l’Histoire des drogues.

L’année suivante, l’ouvrage de Nicolas Lémery remportait plus de succès que l’édition de Pierre Pomet, puisqu’il coûtait moins cher. Ce dernier décida d’éditer une nouvelle Histoire des drogues au format in-octavo en actualisant son édition de 1694 et en conservant les illustrations qui avaient fait la réputation de son ouvrage. Cependant, l’édition de 1699 ne verra jamais le jour, car Pierre Pomet meurt le 16 novembre de cette même année. Son fils édita une nouvelle édition, mais sans les notes de son père.

L’histoire se serait terminée ici si un exemplaire unique, conservé à la BIU Santé, n’avait pas été découvert. En effet, dans une édition de l’Histoire des drogues de 1698, Pierre Pomet avait inséré des pages manuscrites, corrections en vue de l’édition de 1699.

Ces notes uniques de la main de Pierre Pomet renseignent, entre autres, sur l’opinion qu’avait l’auteur de Nicolas Lémery et de son édition du Traité universel des drogues simples (1698). Ce sont des révélations étonnantes et inattendues. Pierre Pomet est rageur et critique sur l’édition de Lémery, n’hésitant pas à remarquer ses moindres erreurs : des propos que Lémery n’a, semble-t-il, jamais connus.

Pour en savoir plus…

Michel-Eugène Chevreul (1786-1889) et la couleur

BERTHELOT, Marcelin. Notice historique sur la vie et les travaux de M. Chevreul. Paris : Institut de France, 1902

CHEVREUL, Michel-Eugène. De la loi du contraste simultané des couleurs. Paris : chez Pitois-Levrault et Cie, 1839

VOLF, Elie. Michel-Eugène Chevreul (1786-1889) : un savant, doyen des étudiants de France. Des corps gras et de la chandelle à la perception des couleurs. Paris : L’Harmattan, 2013

« Le savant, en sortant de sa section, s’exposera toujours au ridicule qu’on lui prêtera, de préférer des productions chimériques, dira-t-on, aux travaux spéciaux qui lui ont valu le titre de savant » (Michel-Eugène Chevreul)

Fonction, lieu et produits officinaux dans les dictionnaires de langue française

SIROT, Florence. Fonction, lieu et produits officinaux à travers les dictionnaires de la langue française. Lyon : Université Claude Bernard – Lyon 1, 2014

Charles Davila (1828-1884)

PERTICARI-DAVILA, Hélène. Le Général Dr. Carol Davila : sa vie et son œuvre d’après sa correspondance. Bucarest : Ateliers graphiques « Cultura Nationala », 1930

Les Remèdes du Roy dans la généralité de Rouen

GRAVIER, Quentin. La distribution des remèdes du Roi dans la Généralité de Rouen de 1750 à 1789 : organisation du système et évaluation de l’efficacité de ce réseau de soins. Rouen : université de Rouen, 2016

Le projet d’édition de Pierre Pomet et ce qu’il nous révèle de son opinion sur Nicolas Lémery

LÉMERY, Nicolas. Traité universel des drogues simples, mises en ordre alphabétique. Où l’on trouve leurs differens noms, leur origine, leur choix, les principes qu’elles renferment, leurs qualitez, leur ethymologie, & tout ce qu’il y a de particulier dans les Animaux, les Vegetaux & dans les MinerauxParis : chez Laurent d’Houry, 1698

POMET, Pierre. Traité général des drogues, où il est parlé des plantes, des animaux, des minéraux, ou de leurs parties, & généralement de toutes les marchandises simples, ou composées, que les marchands droguistes & espiciers doivent ordinairement avoir & peuvent vendre dans leurs boutiques & magazins. Paris : 1698-1699

Sidonie Vicet

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