Jean-Louis COLONDRE

Essai sur les plus fréquentes maladies des dents et des moyens propres à les prévenir et à les guérir.
par M. COLONDRE, Chirurgien-Dentiste, Citoyen de Genève
1791 à GENÈVE, de l'imprimerie de Bonnant

Présentation par Micheline RUEL-KELLERMANN
Docteur en chirurgie dentaire et en psychopathologie clinique et psychanalyse
Membre titulaire de l’Académie nationale de chirurgie dentaire
Secrétaire générale de la Société française d'histoire de l’art dentaire (SFHAD)
micheline@ruel-k.net

Cet essai est dédié à son Altesse Sérénissime, le prince Louis-Frédérich de Schwartzbourg.

En cette fin du XVIIIe siècle, Genève est une ville très cosmopolite ouverte aux intellectuels et aux scientifiques. Colondre, citoyen de cette ville, pratique probablement la langue anglaise et son seul mérite est de citer John Hunter (1728-1793), premier anatomiste moderne, auteur de The natural history of the human teeth (1771), et de Practical treatise on the diseases of the teeth (1778). Il n'en a malheureusement pas retenu le plus novateur.

S'adressant au Public, ses principaux objectifs sont : guérir les parens d'une insouciance trop générale, & quequefois funeste, sur les soins à prendre des dents de leurs enfans. (...) Pour les Dames,(...) conserver un de leurs ornements, celui qui donne tant de grâce à leur sourire (...). Je promets au Lecteur de la simplicité dans le stile, de la clarté dans les idées, du zèle dans la recherche des remèdes à ses maux; je lui demande à mon tour de l'indulgence.

Colondre est sans aucun doute jeune en 1791 puisqu'il écrit : On sera peut-être étonné que n'ayant pas vieilli dans l'art du Dentiste, j'ose offrir au Public cet ouvrage. Mais si l'on réfléchit que je m'y suis voué par goût, que je pratique cet art avec plaisir, que je l'étudie avec délices, l'on concevra pourquoi je me hasarde à publier ce faible essai (p. VI-VIII).

Aucune notice bibliographique sur cet auteur qui semble, à juste titre, être resté confidentiel hors les murs de Genève.

L'ouvrage comporte 132 pages.

On retiendra ça et là quelques phrases édifiantes sur le ton de l'ouvrage.

À propos de l'émail : appelé encore périoste, coiffe, croûte; on le croit composé d'une infinité de petites fibres dont l'accroissement se fait comme celui des ongles (...). Un chirurgien, nommé Monro, assurait qu'en injectant les vaisseaux des dents des enfants, il les colorait à son gré. M. Hunter était persuadé que l'émail n'avait pas de vaisseaux, & que nulle injection ne pouvait les teindre. Je crois avoir observé que M. Hunter avait raison (p. 4).

Au chapitre De la division des Dents, il rapporte que les dents ordinairement divisées en trois classes, incisives, canines et molaires, le sont par Hunter en quatre classes, [lequel] laisse le nom d'incisives aux quatre dents du devant de la Mâchoire; il donne aux canines celui de cuspidati ou pointues, aux deux molaires qui touchent les canines celui de biscupidati ou à deux pointes, & ne donne le nom de molaire qu'aux trois dernières dents de chaque côté. On les divise encore en incisives, canines, petites molaires, grosses molaires & dents de sagesse. Nous suivrons ici la division ordinaire (p. 9-10). Tout est dit.

On est un peu surpris par son terme de bulbe. Dans chaque racine, on observe, vers son extrémité, un petit trou qui conduit à la partie intérieure ou à la bulbe de la dent (p. 17).

Sur la diversité morphologique des racines, il précise sans ambages : Les molaires sont les dents les plus difficiles à arracher, même lorsque les dents voisines n'y sont plus; quelquefois on les casse, sur-tout, si on les prend à contre-sens (p. 20).

Et toujours aussi rassurant sur la douleur : les maux qui attaquent les dents molaires doivent être infiniment plus douloureux que dans aucune des autres; car comme elles sont fournies d'un plus grand nombre de racines, & que chaque racine a ses artères, ses veines & ses nerfs, il s'ensuit nécessairement qu'une dent de cinq racines renferme quinze parties sensibles, lesquelles si elles sont exposées à la chaleur & au froid par la carie de la substance de l'os, doivent produire, toutes choses égales, une plus grande somme de douleurs que celles des dents qui n'ont qu'une racine simple (p. 25-26).

Pour se tenir les dents propres, il déclare : les Dentistes ont recommandé ce soin, mais ils l'ont chargé de tant de précautions minutieuses, de tant de mystères, qu'ils ont fait craindre davantage cette opération, qu'ils n'ont prouvé qu'elle était nécessaire. De quelque manière que cette opération soit faite, elle n'est suivie d'aucun danger, pourvu que l'on ne se serve pas de drogues nuisibles. Dans la pratique ordinaire, il suffit d'avoir de l'eau dans laquelle on répand un peu d'une bonne eau-de-vie; de se frotter fortement les dents & les gencives avec une brossette.

Pour un ouvrage qui a pour objectif d'attirer l'attention du public sur l'importance des dents et sur la prévention de leurs maladies, l'auteur n'en dit pas davantage.

La suite immédiate est : Dans les cas où l'on est atteint de maladies dangereuses, il faut consulter des personnes éclairées par l'étude & par l'expérience; elles indiqueront les moyens les plus propres de parvenir à la guérison (p. 63-64).

Concernant les maladies à craindre davantage, il y a en premier les maladies causées par la dentition dans les Enfans, & des remèdes qu'on peut y apporter. Tableau clinique classique, suivi des remèdes allant de la diète douce des nourrices à l'incision de la gencive enflée avec une lancette, puis si la fièvre est forte : la saignée ou les sang-sues. Également, l'air pur d'une campagne éloignée des marais, de l'exercice et quelquefois des infusions aromatisées de kina (p. 68-70).

Sur l'érosion et la carie, concernant l'usage de la lime, les auteurs français sont discrètement critiqués : des dentistes intelligents le conseillent & le pratiquent pour ménager les dents gâtées, & empêcher les progrès du mal : c'est, ce me semble, une erreur (p. 87).

Sur le tartre : il ronge la gencive qui ne leur [aux dents] fournit plus de nourriture, les dents sortent de leurs alvéoles, elles paraissent s'alonger & deviennent branlantes, enfin elles tombent, & c'est ce qui n'arriverait jamais si les dents étaient nettoyées avec soin chaque matin, même après chaque repas, avec quelque liqueur propre à ce dessein. (...) Il faut le faire enlever le plutôt, le mieux qu'il est possible (...). L'instrument de l'adroit Dentiste doit le poursuivre & en chasser la moindre parcelle, soit au-dedans, soit au-dehors. Il ne faut pas renvoyer cette opération qui n'est suivie d'aucun danger, qui ne fait point éprouver de douleur : alors les dents branlantes se raffermiront; les dents bien entretenues conserveront leur même longueur; elles seront toujours fermes dans leurs alvéoles, & les gencives saines aideront à les nourrir & à les maintenir (p. 90-92). Promesse risquée mais démonstration réussie pour inviter le lecteur à se confier à l'adroit Dentiste.

Dans Quelques remarques & singularités sur les dents, Colondre, déclare qu'il ne faut être ni incrédule, ni superstitieux; il est des faits constatés dont on ne peut rendre raison. (...) Mais un fait dont plusieurs personnes ont été témoins, c'est que j'ai guéri divers affligés de maux de dents par le simple attouchement. Je n'en vois point la raison, un voile épais m'en cache la cause, & je n'ai que des conjectures vagues pour la faire soupçonner. Serait-ce qu'un attouchement subit, d'une main étrangère & plus froide que la dent & les parties environnantes, donne aux humeurs un refluement subit qui soulage le malade ? Cette impression aurait-elle quelqu'analogie avec celle dont l'effet se remarque dans plusieurs personnes ? Elles souffrent des douleurs intolérables, & se déterminent à envoyer chercher un Chirurgien pour arracher la dent douloureuse; il approche, il arrive, & le mal n'existe plus; l'émotion, l'attente d'une douleur vive, la crainte dissipe le mal au moins pour un tems. Un soufflet a parfois guéri un mal de dent : la cause n'était probablement pas enlevée, mais elle était détournée. Quoiqu'il en soit, je me garderai de décider sur une matière où il ne se présente aucun principe pour me conduire (...) & où une nouvelle démonstration pourrait n'être qu'une nouvelle erreur (p. 94-96). Que peut conclure le lecteur devant tant d'ambiguïté ?

Sur les autres causes des maux de dents, hormis la grossesse, on retrouve entre autres le passage subit & imprudent d'un appartement chaud dans un lieu humide & froid, cause fréquente de fluxion (p. 104). Pour calmer la douleur des maux de dents, le remède qui réussit le mieux est un gargarisme fait avec des clous de girofles & de la cannelle qu'on fait bouillir avec du vin rouge. Un des meilleurs qu'on puisse suppléer à celui-là, c'est de faire cuire une gousse d'ail sous les cendres & de la mettre sur la dent (p. 106). Je crois pouvoir conseiller l'usage du tabac en poudre aux personnes sujettes à de fréquentes fluxions : il détermine les humeurs à s'écouler par le nez; il les détourne, les empêche de tomber sur les dents. Au contraire je voudrais qu'on s'abstînt d'en fumer : cette habitude entraîne souvent la ruine des dents; la fumée du tabac est corrosive, elle les noircit, elle en détruit l'émail (p. 109). Conseil clair, trop rare.

Sur les maladies des gencives : peuvent être causées, ou par la pression produite par le tartre des dents, ou par une pléthôre locale. Pour la première cause, on enlèvera le tartre, on scarifiera les gencives, on prescrira des anti-scorbutiques et des médecines astringentes. Pour la seconde : la méthode la plus sûre est de prendre des évacuans pour enlever les humeurs viciées & diminuer l'épaisseur des gencives (...) se servir des astringens (...) un régime approprié et les ablutions qui lui sont devenues nécessaires (p. 114-115). Épulis, ulcères, corrosions des gencives (?), scorbut, abcès, aposthèmes, fistules, petits cancers, suppurations sont brièvement présentés, puisque la nature de cet ouvrage ne nous permet d'entrer dans d'aussi longs détails (p. 123).

Sur les dents artificielles, on en retiendra qu'on peut remplacer la perte des dents, mais qu'il faut autant qu'il est possible prévenir la perte de celles-ci par des soins bien ordonnés, & porter à chaque accident le remède nécessaire. On ne saurait trop le recommander, sans quoi il ne reste plus de moyens pour réparer ses pertes, & les réparer avec quelqu'utilité réelle (p. 129-130).

Et de conclure : Je dois m'arrêter ici. Il faut connaître ses forces, & s'arrêter aux limites qui nous sont prescrites par nos connaissances (p. 131).

Conclusion

En effet comme il est dit dans l’introduction, il s'agit d'un faible essai, un traité sommaire sur les dents. Ne sont cités aucun des auteurs français les plus reconnus en cette fin de Siècle des Lumières, desquels il s'inspire, largement tout en les réduisant. Il fait exception pour l'auteur anglais, Hunter. C'est son seul apport original. Sans aucune idée personnelle, cet essai en dit juste assez pour inciter un lecteur docile à aller consulter son auteur pour en savoir plus.