COURTOIS, Honoré GAILLARD

Le Dentiste observateur ou recueil ABRÉGÉ d’observations
par Honoré-Gaillard Courtois, Expert-Dentiste à Paris
1775 Paris : Imprimerie de Michel Lambert, chez Lacombe, Libraire, rue Christine, près la rue Dauphine

Présentation par Micheline RUEL-KELLERMANN
Docteur en chirurgie dentaire et en psychopathologie clinique et psychanalyse
Membre titulaire de l’Académie nationale de chirurgie dentaire
Secrétaire générale de la Société française d'histoire de l’art dentaire (SFHAD)
micheline@ruel-k.net

Les raisons de l’ouvrage sont données dans la Préface : D’après ce qui a déjà été dit par M. Fauchard, un des plus célèbres Dentistes de Paris, (…) je ne me serais jamais hasardé d’écrire sur le même objet si l’invention de mon nouveau pélican ne m’y eut déterminé, ainsi que l’accueil qu’en a fait l’Académie Royale des Sciences, après en avoir reconnu les avantages & la supériorité sur tous ceux qui ont paru jusques à présent ( p. x).

Je dirai ce que j’ai vu, ce que j’ai fait, & ce que je pense que l’on doit faire (p. xiii).

Éléments biographiques

On ne connaît ni sa date de naissance, ni celle de sa mort. De son vrai nom Courtois, Honoré de son prénom, Besombes et Dagen disent qu’il se faisait appeler Gaillard-Courtois, en souvenir de son oncle, Gaillard, qui fut le premier élève de Fauchard, avant Gaulard et Duchemin et avec lequel il a longtemps travaillé. Ils sont mentionnés tous les deux, oncle et neveu, dès 1757, à l’Hôtel de la Fautrière, rue des Fossés St Germain, au n° 16. On retrouve le neveu seul encore en 1787 (p. 103).

Courtois de lui-même, dit seulement à la page 321 : Le célèbre Dentiste, [ Fauchard] , que je révère & que je regarde comme mon maître, en ce que j’ai puisé mes principes dans ceux de son élève, je veux dire mon oncle. Et page 276, il parle de son frère à l’hôtel-Dieu, où il a travaillé dix ans en qualité de Chirurgien.

L'ouvrage

Le sous-titre annonce la matière de l’ouvrage : Recueil abrégé d’observations, tant sur les Maladies qui attaquent les Gencives & les Dents, que sur les moyens de les guérir ; dans lequel on trouve un précis de la structure, de la formation & de la connexion des Dents, avec une réfutation de l’efficacité prétendue des essences & élixirs ; & la description d’un nouveau Pélican imaginé pour l’extraction des dents doubles.

L’ouvrage de 343 pages comprend un précis, puis les 33 observations que j’ai eu occasion de faire depuis près de trente années que j’exerce la partie qui traite des dents (p. xii).

Le précis en trois chapitres et 102 pages échappe rarement à la platitude, on retiendra ce qui est un peu personnel à l’auteur.

De l’origine des dents, de leur accroissement, leur structure et leur situation

On relèvera cette réflexion pertinente sur la morphologie des racines des molaires supérieures : La nature a écarté les unes des autres les racines des dents molaires de la mâchoire supérieure ; & en leur donnant dans l’intérieur des alvéoles presque le double de surface qu’elles en ont à l’extérieur, elle leur communique par là autant de solidité, & une assiette aussi ferme que celle des dents de la mâchoire inférieure (p. 19).

Concernant l’émail, bouclier à la dent, il s’insurge, contre les dentistes qui ont toujours la lime à la main et il préfère les bonnes aux belles dents, sur-tout quand elles ne peuvent avoir ce dernier avantage qu’au préjudice du premier (p. 25-26). Quant à l’usure de l’émail et à sa régénération, on ne peut se refuser de l’admettre & convenir que sans elle il ne serait pas possible de conserver les dents pendant un nombre d’années considérable, comme on le voit dans la plupart des hommes (p. 28).

De l’usure pathologique, il est le premier à saisir avec une rare subtilité le bruxisme dans sa réalité tant parafonctionnelle qu’autodestructrice : il y a des personnes qui ont le tic singulier de mouvoir perpétuellement leurs mâchoires l’une sur l’autre avec une si grande force qu’ils en font craquer leurs dents. J’ai connu un Médecin qui était dans ce cas-là, (...) qui avait non seulement l’émail, mais même le corps de la dent rongée jusques aux gencives. Les dents de ce docteur étaient d’un sensible excessif au froid et au chaud, d’autant plus que les lames osseuses qui restaient n’étaient pas suffisantes par leur épaisseur pour garantir des impressions extérieures les parties contenues dans la cavité de la dent, je veux dire les vaisseaux sanguins et le petit filet de nerfs qui les accompagne. On était obligé pour pallier cet inconvénient d’avoir recours à un remède qui n’était guère meilleur que le mal ; mais enfin il était le seul qui procurât quelque soulagement. Ce remède consistait à passer un fer rouge sur la superficie de ces dents ainsi usées, et qui se trouvaient pour le moment durcifiées par l’effet du cautère ; mais bientôt, il fallait recommencer, notre docteur ne pouvant perdre l’habitude de manger ses dents (p. 29-30).

De l’usage & de la nécessité des dents, & de ce qui est leur contraire

À propos des cure-dents en or, argent ou acier décriés par certains, Courtois plaide pour l’acier, non sans un certain humour : Pour moi qui ne sais pas mentir, tout Dentiste que je suis, je dis hautement que les instruments dont se servent tous les Dentistes pour nettoyer les dents sont faits de l’acier le plus dur & le mieux trempé ; & cependant je n’ai jamais remarqué que l’usage de ces instruments ait occasionné aucun dommage sur les dents (p. 47).

Causes des maladies qui attaquent les dents

On retiendra l’expression d’un doute insistant sur tout traitement du mal de dents, caries pourrissantes ou dents déchaussées : Il y a beaucoup de remèdes ; mais en général on en éprouve peu d’effets. (…) Chacun a le sien, (…) cependant, pas un ne guérit, si l’on excepte celui où l’on fait le sacrifice de la dent (p. 68). Suit l’énumération de toutes les possibilités thérapeutiques présentées négativement avec tous leurs dangers ou leur inefficacité : diverses essences, luxations, régénérations des gencives. Et de conclure : au lieu de téméraire & d’entreprenant, qualités qui, pour l’ordinaire, n’émanent que de l’impéritie, je préfère encore que de passer pour timide réfléchi (p. 79). Cette connaissance de ses limites est au moins une preuve d’honnêteté en regard de tous ceux qui n’ont d’autre motif qu’une fin lucrative & intéressée, le seul qui pût les porter à conseiller & pratiquer de pareilles opérations qui m’ont semblé non seulement inutiles, mais même pernicieuses pour toutes les personnes qui s’y soumettent (p. 339).

Les observations

Elles sont plus personnelles et constituent un document bien édifiant.

Les trois premières fustigent et démontrent l’usage inutile ou parfois dangereux des élixirs, essences ou liqueurs spiritueuses, tenus pour faire disparaître le mal et sa douleur.

La quatrième : Sur l’inutilité ou peu d’avantages qu’on retire par l’attouchement de différens corps sur les dents cariées.

Citons la relation naïve de la recette pour soulager la douleur d’un secret infaillible confié par une femme venue se faire ôter une dent cariée, (…) : Avoir une taupe vivante, (…) faites chauffer de l’eau au degré le plus chaud que vous pourrez y souffrir la main pendant deux ou trois minutes, (…) saisissez la taupe & l’étouffez dans votre main. La première personne qui viendra chez vous, touchez sa dent douloureuse du bout du doigt. (…) Pendant quatre ou cinq jours, je n’ôtai pas une seule dent, me contentant de les toucher toutes, sans parler encore du secret que je possédais, qui ne m’inspirait pas plus de confiance que l’événement m’en justifia. Je priai toutes les personnes à qui je touchais des dents cariées, de me revenir voir, si elles souffraient encore dans trois ou quatre jours ; il n’y en eut pas un seul qui ne revint avant le temps que je leur avais prescrit (p. 125-127).

La cinquième : Sur un corps étranger introduit dans le sinus maxillaire supérieur, & des accidens qui sont survenus.

Des corps étrangers retrouvés dans le sinus y ont été portés par des patients eux-mêmes ayant eu la curiosité d’explorer l’intérieur de leur cavité alvéolaire après l’extraction d’une canine ou d’une prémolaire. Il en décrit l’exérèse parfois périlleuse.

Puis, il dénonce une fois de plus les Dentistes de nos jours dont on doit se méfier  (p. 147).

Est relatée l’opération d’un auteur dont il semble qu’il fasse dépendre sa célébrité. (…) Pour mettre des dents artificielles à une mâchoire qui s’en trouve totalement dépourvue, & sur laquelle on ne peut employer le fil d’or pour les fixer, il propose comme moyen sûr & le plus expéditif, de perforer les gencives, ainsi que le corps alvéolaire, de part en part, faire embrasser les gencives par la pièce artificielle pareillement perforée vis-à-vis le trou fait aux gencives, & de fixer cette pièce artificielle par un cloux en or muni d’un côté d’une petite tête, & de l’autre formé en vis pour recevoir un écrou recouvert, qui doit fixer la pièce ainsi adaptée à la mâchoire. (…) Pour moi, je crois que pour l’exécuter, il faut trouver quelqu’un qui ait autant de courage & de patience qu’on remarque de témérité, je dirai plus, de folie & d’extravagance, dans la tête de celui qui l’a imaginée (p. 149-150).

Cette opération présente cependant les balbutiements des futures plaques métalliques sous-périostées des années 1950-60 qui recevaient des prothèses amovibles, chez les édentés totaux.

La septième : Où l’on prouve la nécessité d’une connaissance parfaite des dents de lait d’avec les dents du second germe.

Rapportant une fois de plus les accidents ou les bévues de dentistes maladroits ou incompétents, il dénonce ces Opérateurs qui courent la province (p. 169). Ces exemples frappans devraient, sans contredit, faire ouvrir les yeux sur la prétendue science de ces hommes, qui n’ayant aucun domicile fixe, n’ont par conséquent rien à ménager (p. 173).

La dixième : Sur une dent usée

Il revient sur la destruction de l’émail, (…) le bouclier & le préservatif des dents contre les différens frottements auxquelles elles sont exposées. Une personne âgée d’environ soixante ans, qui était tourmentée par des fluxions considérables occasionnées par une dent usée qui était d’une si grande sensibilité, que la moindre fraîcheur donnait lieu aux plus vives douleurs.(…) L’échec des gargarismes doux et du cautère actuel est présenté avec beaucoup d’humaine humilité : Le malade fatigué de souffrir fut obligé de se résoudre à faire ôter sa dent pour atteindre au terme de ses douleurs. Heureux encore de n’en avoir qu’une à sacrifier. Car lorsque toutes les dents sont usées, le malade se trouve autant à plaindre que le Dentiste embarrassé (p. 180-181).

La onzième : Sur le peu de succès des dents remises dans leur alvéole.

Il y a des personnes qui veulent se faire remettre les dents qu’elles sont obligées de se faire ôter, par les douleurs qu’elles occasionnent. (…) J’ai observé plusieurs fois que ces sortes de dents ne sont pas d’un long usage. (…) Outre les fluxions, (…) on est exposé très souvent à avoir des abcès dont on ne guérit que par la perte de cette dent. (…) Quoique je n’aye jamais fait de ces sortes d’opérations que malgré moi, je conviens cependant en avoir fait quelques unes avec succès (p. 183-185).

Puis à propos de la transplantation, il évoque les Savoyards itinérants si souvent cités par d’autres auteurs : On pratique encore quelquefois une opération dont le succès est encore plus douteux, quoiqu’il soit fait mention de ces sortes d’opérations comme étant très communes. Je dis au contraire qu’elles sont très rares, parce qu’on ne rencontre pas aisément des personnes assez folles ou assez intéressées pour se faire ôter leurs dents, moyennant certaine somme. (…) C’est aux Savoyards qui se tiennent sur la place publique pour faire des commissions ou exercer d’autres emplois de même espèce, que l’on s’adresse pour acheter leurs dents. (…) Ce genre d’hommes, à qui la pluie d’or aplanit tous les obstacles, se vendraient non seulement en détail pour avoir de l’argent, mais même tout entier s’ils le pouvaient (p. 189-191).

Et peu convaincu de la validité de ce type d’opération, il conclut : Quelque temps après, [ un échec de transplantation] , je fis cette même opération qui réussit assez bien, mais la dent transplantée n’a jamais été bien solide, ni d’une couleur bien avantageuse (p. 197).

La vingt et unième : Sur une portion de la joue qui se trouva prise dans le davier avec une dent qu’on voulait ôte, dénonce la maladresse d’un Dentiste dont la pratique est flétrie par un accident qui ne peut venir que de sa faute (p. 246).

Dans la vingt-deuxième : Sur un dent de sagesse venue fort tard, et non diagnostiquée chez une femme de 50 ans, l’auteur avec beaucoup d’honnêteté déclare : Bien persuadé de mon tort à cet égard & de n’avoir pas soupçonné ce qui pouvait arriver, je me promis de mettre à profit la faute, (…) et d’éviter à l’avenir d’être la dupe d’une inattention … (p. 252-253).

Les quatre dernières observations relatent des hémorragies post-extractions, monstrueuses dont l’une fut mortelle pour un homme atteint de scorbut .

Sur le pélican :

Justification majeure de l’ouvrage, la genèse de l’instrument dont l’auteur est si fier, remonte à ses maîtres : Ne pouvant rien ajouter à la supériorité de cet instrument [ le pélican de Fauchard] , (…) mon oncle a cherché à le simplifier, & à le perfectionner de façon qu’il n’y eut qu’un seul manche sur lequel on pût monter les six crochets differens dont on est obligé de se servir (p. 317-318).

L’objectif à atteindre est de définitivement proscrire le repoussoir ou pied-de-biche, avec lequel un chirurgien opérant un jeune paysan, la veille de son mariage, n’ayant d’autre instrument qu’un pied de biche, (…) le repoussoir glisse de dessus la dent qu’il laisse à sa place, & vient percer de part en part la joue du côté opposé où il opérait (p. 328).

Les planches et les explications de cet instrument pas aussi novateur que son auteur le prétend sont à consulter aux pages 342 et 343.

Conclusion

Cet ouvrage après celui de Bourdet est incontestablement mineur pour ses apports à l’odontologie. Bourdet était aussi chirurgien et ses opérations ne devaient se pratiquer que sur une très rare clientèle particulièrement aisée. Gaillard-Courtois représente l’expert dentiste, peu audacieux comme il se qualifie d’ailleurs. Le ton et le contenu de son précis, parfois naïf, souvent prétentieux est presque toujours bavard. Fidèle à Fauchard, il lui emprunte des phrases entières, copiées ça et là, en en réduisant la portée.

Cet ouvrage est par contre un document sociologique indéniable. H. Gaillard-Courtois présente crûment la dentisterie parisienne, elle-même qualifiée de nettement plus éclairée que celle des provinces ! Il expose toute la précarité sanitaire de l’époque. La lecture des observations donne la mesure des affections pathologiques et leurs complications parfois très graves, faute d’avoir été prises en charge à temps et correctement. La plupart d’entre elles relatent la réparation de dégâts causés par la maladresse de certains ou parfois même par les propres erreurs d’observation clinique et diagnostique reconnues par l’auteur auquel il faut reconnaître une belle honnêteté intellectuelle. Et, si à chaque instant, il semble que l’extraction soit la seule solution sûre, cette décision est-elle sans doute ? La plus raisonnable eu égard à l’habileté relative des opérateurs et à la grande incertitude des résultats lorsqu’ils s’aventurent à toutes autres sortes d’opérations. On pourrait finalement penser qu’il n’a su réellement se livrer qu’à perfectionner son pélican pour exécuter dans les meilleures conditions des opérations radicalement soustractives.

Mais accordons lui une réelle attention au patient et ses observations témoignent souvent empathie et humanité, hormis ses critiques sévères à l’égard de ces Savoyards qui devaient avoir probablement d’autres mobiles que ceux qu’il leur attribue. Enfin comme bien d’autres auteurs, il met en garde contre le charlatanisme de certains et déplore la crédulité de tous ceux qui s’y livrent.

Bibliographie

André Besombes et Georges Dagen,Pierre Fauchard, père de l'art dentaire moderne (1678-1761) et ses contemporains, Paris, Ed. SPMD, 1961.