Nicolas DUBOIS de CHÉMANT (1753-1826 ?)

Dissertation sur les avantages des nouvelles dents et rateliers artificiels incorruptibles et sans odeurs; inventés par M. Dubois de ChÉmant, Maitre en chirurgie et dentiste, approuvés par la Faculté & par la Société Royale de Médecine, & par l'Académie des Sciences de Paris.
suivie d'une réfutation sommaire des assertions avancées par m. dubois-foucou, Dentiste du Roi, dans sa lettre aux Auteurs du Journal de Paris, le 18 mai 1788.
1789 Nouvelle edition. a paris
chez l'auteur, place & Cul-de-sac de Conty, derrière la Monnoie, n° 4
Gattey, Libraire, Galerie du Palais-Royal, n° 14 & 15

Présentation par Micheline RUEL-KELLERMANN
Docteur en chirurgie dentaire et en psychopathologie clinique et psychanalyse
Membre titulaire de l’Académie nationale de chirurgie dentaire
Secrétaire générale de la Société française d'histoire de l’art dentaire (SFHAD)
micheline@ruel-k.net

Cette deuxième édition de 1789 témoigne de l'importance de la réédition de cet opuscule de 24 pages, publié l'année précédente. La Dissertation sur les avantages des nouvelles dents ... occupe seulement sept pages, le reste fait état des différents rapports favorables à l'auteur qui lui permettent ainsi de fustiger les assertions de Dubois-Foucou, Dentiste du Roi, et de maintenir envers et contre tout qu'il est l'inventeur des dents en porcelaine. Dubois-Foucou, aussi quérulent que lui, (il a perdu un procès contre la veuve de Bourdet duquel il avait acheté la charge de dentiste du roi), tentera, en vain, de discréditer l'imposteur. S'ensuivront des écrits, des affiches publiques, des procès qui ne grandissent pas les deux personnages.

Éléments biographiques et publications

« Nicolas Dubois de Chémant est né le 12 août 1753 en Charente. Il a été baptisé le 15 août 1753. Il est le dernier fils de Mathurin Dubois et de Clémence Delpeux. Son père ayant fait fortune à Paris, revint dans son pays natal à Garat, en Charente, et acquit la terre noble de Chément. Il mourut alors que Nicolas avait trois ans. Sa mère se remaria rapidement, moins d'un an après son veuvage. Nicolas vécut avec son frère au château de Chément. Il prit le nom de Dubois de Chémant (l'orthographe varie), bien qu'il n'eût aucun droit d'ajouter à son nom celui de Chémant » (B. Kurdyk, Fr. Vidal).

Il est maître en chirurgie à Paris en 1788; il habite alors au Palais Royal, Arcades 92-94 (actuellement 9 rue de Beaujolais). Puis en 1790, il s'installe à l'hôtel de Sillery, quai de Conty et impasse du même nom.

Ouvrons une parenthèse pour évoquer Alexis Duchateau (1714-1792), apothicaire à Saint-Germain-en-Laye, le véritable inventeur des dents en porcelaine : « Duchateau, perdant ses dents se fit faire des appareils en hippopotame. Incommodé par l'odeur, il pensa à la porcelaine. (...) En 1774, il a 60 ans. Il va à Sèvres [pour certains à Paris, pour d'autres à Saint-Germain en Laye, NDLR] voir Monsieur Guerhard; il se confectionne des appareils en porcelaine dure, d'une seule pièce qui ne lui donnent pas entière satisfaction à cause du retrait après la cuisson, mais qu'il améliore petit à petit. Puis, satisfait de sa découverte, il aurait communiqué son procédé à l'Académie royale de Chirurgie en 1776 pour les uns, (...) 1786 pour les autres (...) » (L. Verchère). Mais aucune trace n’en a été trouvée.

Après différents essais, n'étant pas de la partie, il contacte Dubois de Chémant pour qu'il lui améliore ses appareils. Leur collaboration sera de courte durée.

Dubois de Chémant reprend tout à son compte. « Tous ses travaux et recherches ont été menés avec l'aide de la Manufacture de Sèvres où Dubois de Chémant s'était même fait construire un petit four spécialement adapté pour la cuisson de ces porcelaines. C'est là qu'il se procurait également de la pâte tendre » ( B. Kurdik). Rencontrant le succès, il publie sa première Dissertation en 1788 qui répond à la déclaration de Dubois-Foucou dans le Journal de Paris (n° 139 du 18 mai 1788). Ce dernier dénonce l'usurpation de l'invention qu'il rend à Duchateau, discrédite le contrefacteur et estime que cette matière incorruptible « peut convenir pour des dentiers inférieurs seuls et entiers ou être utilisée pour des dentiers doubles destinés à des personnes qui ne craignent pas la publicité que le choc mutuel des mâchoires peut donner etc.. » ( B. Kurdyk).

En 1790, il écrit la Lettre à Monsieur Andouillé : Sur les dents artificielles. Après maintes polémiques, rapports favorables ou prudents, Dubois de Chémant dépose un Mémoire descriptif des Dents Minérales, et il reçoit le 6 septembre 1791 un des tout premiers brevets d'invention décerné par Louis XVI pour « fabriquer, vendre et débiter dans tout le Royaume, pendant le temps et espace de quinze années. (...) Faisons très expresses inhibitions et défense à toutes personnes d'imiter ou contrefaire les dents de pâte minérale dont il s'agit, sous quelque prétexte que ce soit » (Dagen, p 192-193). C'est alors que Dubois-Foucou, d'autres dentistes et Duchateau lui intentent un procès pour rendre la paternité de l'invention à ce dernier. Par un jugement du 26 janvier 1792, ils seront déboutés et Duchateau berné, par sa déclaration écrite le 20 octobre 1789 : j'atteste de plus que je les ai préférés même aux râteliers de porcelaine que j'avais imaginés pour mon usage, il y a dix ans, soit parce qu'ils sont susceptibles d'être mieux faits, soit enfin parce qu'ils imitent la couleur naturelle des dents et qu'ils la conservent toujours. Je crois devoir cette attestation tant pour rendre hommage aux talents de Monsieur Dubois de Chémant etc. (p. 23).

Exultant de satisfaction, Dubois de Chémant, toujours dans l'excès, va publier des extraits du verdict par voie d'affiche dans tout Paris et le 22 mars 1792, il est condamné pour avoir porté atteinte à la réputation de Dubois-Foucou.

Entre temps, il était parti à Londres d'où il faisait de fréquents retours sur Paris. Dépité après cette condamnation, il rejoint son fils et son beau-père, établis à Londres. Il y publie en 1797 : Dissertation sur les dents artificielles démontrant les avantages des dents faites en pâte minérale sur tous les genres de substances animales, avec un avis aux mères et aux nourrices sur les moyens de prévenir et de guérir les maladies qui surviennent pendant la première dentition et Sur les dents artificielles en général. Dans cette dissertation, on proscrit l'usage des dents faites de substances animales. On y démontre les avantages des dents faites des substances minérales.

Il ne manque pas de faire sa propre promotion tant pour ses publications que pour ses mérites personnels et donne son adresse : 2, Frith Street, près de Soho Square, et chez M. Highly, Fleet Street (Dagen, p. 198). C'est à ce même moment que Thomas Rowlandson lui consacre une gravure très caricaturale montrant trois personnages outrageusement dentés, en haut à droite desquels une affiche dit : monsieur de Charmant de Paris fait des dents artificielles, de faux palais, (...) le tout sans douleur et d'une manière qui lui est particulière.

Il revient à Paris, demeure rue de la Loi (Vivienne), puis rue Villedot, rue de Richelieu, rue de la Feuillade, rue des Fossés Montmartre (du Mail) ; ces adresses successives alternent avec les londoniennes.

En 1824, il publie à Paris sa Dissertation sur les avantages des dents incorruptibles de pâte minérale démontrant leur supériorité sur toutes celles faites en substances minérales et autres, suivie d'un jugement qui a condamné M. Dubois-Foucou, dentiste du Roi et consorts, dans leur demande en nullité du brevet d'invention qui avait été accordé à l'inventeur (Chez l'auteur à Paris). Il déclare en fin de cette brochure : MM. Dubois de Chémant, père et fils, ont l'honneur de prévenir le public, que d'après les nombreuses demandes qui leur ont été faites, depuis qu'ils sont en France, ils ont fixé leur domicile à Paris, rue Vivienne, n° 7, au premier. On les trouvera tous les jours, depuis onze heures jusqu'à trois. (...) L'exercice de sa profession est toujours continué à Londres par M. Mortimer, son beau-frère (p. 39).

Il intente un procès à lord Egerton, comte de Bridgewater qui, mécontent de ses cinq appareils successifs, refuse de payer. Audibran s'en mêle et Dubois de Chémant publie Réfutations des assertions fausses et calomnieuses contenues dans un libellé dirigé par Audibran, dentiste, contre M. Dubois de Chémant, sous le prétexte d'un procès intervenu entre lord Egerton et M. de Chémant. (Paris 1826).

Après cela sa trace est perdue et l'on ne connaît pas la date de sa mort.

Pour la réalité hors polémiques, deux témoignages d’auteurs dignes de foi méritent d'être cités.

Gariot en 1805 a utilisé son brevet : « Aujourd’hui on n’emploie presque plus que les dents humaines, celles du cheval marin, et la pâte minérale, (...) de MM. Dubois Chement, l’un dentiste à Paris, et l’autre à Londres : ces artistes sont parvenus à perfectionner cette matière au point de la rendre très-préférable pour les pièces artificielles à tout ce qui a été employé jusqu'alors à cet usage. (…). En achetant de M. Dubois-Chement de Paris le secret de sa composition, je me suis engagé à ne pas publier son procédé qu’il s’est réservé de faire connaître lui-même. Je l'engage beaucoup à ne pas différer plus-longtemps de faire jouir les confrères éloignés des avantages que présente sa composition, qui n'a encore été que mal imitée jusqu'à présent. Il ne doit pas craindre que cette publication nuise à ses intérêts. (...) Le mystère dans une chose utile restreint toujours son emploi; il empêche qu'elle ne se répande, qu'elle ne s'accrédite, et fait toujours plus de tort à l'inventeur, qu'il ne lui procure d’avantages; je pense que c’est toujours par un faux calcul qu’on garde un secret de cette nature. D'ailleurs le petit tort particulier que pourrait éprouver l'inventeur d'une découverte en la divulguant, ne peut être mis en balance avec la satisfaction qu'il doit éprouver à être d'une utilité générale, et l'honneur d'être rangé parmi les vrais savans qui se piquent de faire faire des progrès dans les sciences » (J. B. Gariot, Traité des maladies de la bouche. 1805, p. 296- 298). On peut se demander si les rumeurs concernant l'inventeur arrivaient jusqu'à la cour d'Espagne ou bien alors, Gariot délivre en toute liberté, non sans humour, son opinion de pur bon sens ?

Quinze années après, Christophe-François Delabarre qui fut l’ami de Dubois de Chémant, tient un discours encore plus net sur ces vaines rétentions techniques. « Tant qu'isolés les uns des autres ils travailleront en cachette, l'un obtiendra un résultat, et ne pourra arriver à un autre, tandis qu'un second s'applaudira de son succès sur un essai, et se désespèrera de ne pouvoir imiter une chose que fait aisément son confrère ». Puis il relate à sa manière la naissance de « l'heureuse idée » de son ami : « Elle vint à M. de Chemant, en 1787, il était alors chirurgien à Paris, et je tiens de lui-même les détails qui suivent. Je fus frappé, me dit-il, de la mauvaise odeur qu'avait l'haleine d'une dame dont les gencives étaient malades par le contact d'un dentier d'hippopotame qu'elle portait depuis longtemps. (...) J'imaginai que, si on pouvait en fabriquer une autre [pièce] en porcelaine, la malade se trouverait à l'abri des désagréments qu'elle avait éprouvés. Comme j'étais entièrement étranger à l'art du dentiste, je consultai à ce sujet diverses gens de cette profession; tous m'opposèrent quelque obstacle à vaincre. (...) [Après de nombreux essais infructueux], je consultai M. Darcet père, alors Essayeur de la monnaie (...). J'obtins par lui l'entrée de la manufacture de Sèvres, où je fus mis en rapport avec les plus habiles artistes. Ils m'insinuèrent de lever des moules de la bouche, afin d'obtenir des modèles en plâtre, sans lesquels je ne pouvais rien faire de bon à employer. On me bâtit un petit four, et je fis un grand nombre d'expériences. (...) Je me trouvai très-embarassé pour placer les pièces : mais le temps, l'expérience, et de fréquentes visites aux dentistes, m'apprirent peu-à-peu la partie mécanique » . (...) Après l'exposé intégral du Mémoire descriptif des Dents Minérales et la relation bienveillante des nombreuses polémiques provoquées par son ami, Delabarre reprend son objectivité pour conclure : « Tout homme impartial qui aime l'art pour l'art même et qui met de côté toute prévention conviendra que le genre de dents minérales dont il est question ne peut entrer en comparaison avec celles qui ornent la bouche, car la pâte n'étant pas transparente, elle a étant cuite le ton terreux de la faïence, (...) un œil scrutateur y distingue toujours quelque chose de disparate. Je n'admettrais donc l'emploi de ce travail que pour une suite non interrompue de huit à dix dents, ou même, pour les dentures complettes, particulièrement chez les personnes âgées ». (Christophe-François Delabarre. Traité de la partie mécanique de l'art du chirurgien-dentiste. Ouvrage orné de 42 planches. 1820. T I, p. 87-90 et p. 98).

Après ces précieuses révélations, il n'est pas étonnant que ceux dont notre « inventeur » avait largement exploité les compétences aient cherché, par tous les moyens, de discréditer celui qui, sans vergogne, gardait tout son savoir acquis pour lui !

L'ouvrage

C'est en fait une brochure de 24 pages qui en présente sept pour La Dissertation sur les avantages des nouvelles Dents & Râteliers artificiels, incorruptibles & sans odeur ; six pour les rapports de la faculté de médecine de Paris, de l'université de Paris et de l'Académie royale des sciences

Le reste des pages dénonce la jalousie de Dubois-Foucou devant l'approbation de ces Sociétés si éclairées et qui fut cependant demandeur pour se faire poser deux dents. Puis les noms ou mieux encore les attestations des patients satisfaits dont celle de Duchateau sont retranscrits.

La Dissertation est un discours plus promotionnel que scientifique. Dubois-Chémant dit s'occuper tous les jours d'un ouvrage (?) dans lequel je parlerai des maladies de la Bouche, celles des Dents & des Gencives, avec des notes & observations relatives (p. 7). Il vante son perfectionnement des ressorts pour maintenir les Dents & Râteliers de sa composition. (...) La note en bas de la page 7 est significative : Un des avantages économiques non moins précieux pour bien des personnes, c'est qu'un seul Râtelier suffit pour la vie d'un homme, sans être obligé d'en refaire tous les ans , comme cela se pratiquait avec les anciennes substances à cause de leur corruptibilité, & M Dubois de Chémant garantit ceux de sa composition pour la vie; il prévient les personnes de quelque pays qu'elles puissent être qui voudraient avoir recours à son Art, qu'elles peuvent le faire sans se déplacer, pourvu qu'elles envoient des modèles justes & exacts, tels qu'il leur prescrit dans un imprimé qu'il leur enverra. En homme avisé, il ouvre le parapluie contre toutes insatisfactions.

En dernière page, il précise afin d'éviter toutes contrefaçons : pour éviter toute erreur, je crois devoir prévenir le public que je n'ai communiqué ma découverte à personne, & que c'est à moi seul qu'on doit s'adresser, ainsi que pour mon eau balsamique & spiritueuse pour la conservation des Dents & les maladies de la bouche (p. 24). On ne peut être plus clair.

Conclusion

Si Duchateau est bien l'inventeur des dents en porcelaine, Dubois de Chémant a indiscutablement travaillé pour porter cette idée à réalisation. On ne lui enlèvera pas ce mérite ; ce que l'on peut lui reprocher, ce sont ses attitudes quasi charlatanesques et une mesquinerie assez dégradante pour un chirurgien capable de travail acharné.

Bibliographie

Pierre BARON. « Dental Practice in Paris », dans Dental Practice in Europe at the End of the 18th Century. Edited by Christine Hillam. Amsterdam-New-York, Rodopi, 2003 (Dubois de Chémant, p. 120-122).
Georges DAGEN (Montcorbier). Documents pour servir à l’histoire de l’art dentaire en France et principalement à Paris. Paris, La Semaine dentaire, 1925 ( Dubois de Chémant, p. 187-204).
Bernard KURDYK. Nicolas Dubois de Chémant et l'utilisation de la porcelaine en art dentaire, Le chirurgien-dentiste de France, 1991, n° 577 p. 49-54.
Javier SANZ, Micheline RUEL-KELLERMANN. Jean-Baptiste Gariot (1761-1835). Sa vie et son œuvre, Actes du XVIe congrès de la SFHAD. ../../../ressources/pdf/sfhad-vol11-2006.pdf
Louis VERCHÈRE. Le pharmacien Alexis Duchateau, inventeur des dents de porcelaine, Revue d'Odonto-Stomatologie. 1974, T III, n° 5 , p. 423-426.
François VIDAL (dir.), Histoire d’un diplôme : 1699-1892 : de l’expert pour les dents au docteur en chirurgie dentaire, 1992. Recueil d’articles parus en 1992 dans la revue  Le Chirurgien dentiste de France .