Claude GERAUDLY ( ?-1753)

L’art de conserver les dents
Paris : P. G. Le Mercier 1737

Présentation par Micheline RUEL-KELLERMANN
Docteur en chirurgie dentaire et en psychopathologie clinique et psychanalyse
Membre titulaire de l’Académie nationale de chirurgie dentaire
Secrétaire générale de la Société française d'histoire de l’art dentaire (SFHAD)
micheline@ruel-k.net


Le dédiant à Mgr le Duc d’Orléans, Premier Prince du sang, Géraudly publie en 1737 l’Art de conserver les dents, neuf ans après la première édition du Chirurgien-dentiste de Fauchard. Il y aura trois éditions dont une posthume en 1754 et une traduction en allemand cette même année.

L’auteur qui tient à s’adresser à tous écrit un ouvrage simple et clair.

Je donne ce traité au Public… Les moyens que j’indique pour conserver les dents ne sont point bornés aux Remèdes avec lesquels on pourra nettoyer les Dents & en soutenir la beauté. J’entre aussi dans le détail de tout ce qui convient de faire pour les nettoyer, les séparer les unes des autres…, les arracher, les replacer dans une autre bouche, & en substituer d’artificielles ; de sorte que ceux qui se destinent à la Profession pourront profiter des lumières que l’expérience de quarante années m’a acquise. Et tous les particuliers, les Chefs de Famille et les communautés y trouveront des secours propres à adoucir la douleur des Dents, à remédier à leurs Maladies, & conserver les dents des jeunes personnes qu’on a confié à leurs soins (Préface, p. ix-x-xj).

Eléments biographiques

De son vrai nom Claude Jacquier, il hérite de la charge de son père Chénier, sieur de la Martinière, dit aussi Geraudly, qui était barbier du duc d’Orléans, frère de Louis XV. Il devient donc valet de chambre et dentiste du fils du duc. Tout en assumant cette charge, il traite une clientèle particulière. En 1715, il exerce rue du Jour. En 1738, il demeure rue Grenelle-Saint-Honoré où il forme des élèves dont Mademoiselle Calais à laquelle il réservera le secret de la composition d’un opiat. Il compose et vend des remèdes et des poudres pour blanchir et nettoyer les dents. En fin d’ouvrage, on trouve le prix des onguents et élixirs, ce qui prouve une fois de plus que les revenus des professionnels de l’époque étaient dûs, tout autant à la vente des produits de leur fabrication qu’à leur pratique proprement dit. Enfin, il tient à souligner ce que presque tous ses confrères faisaient : De plus, les Pauvres, à qui j’ai toujours donné sans intérêt le secours de ma main, auront aussi gratis ces Remèdes qui ne sont point sujets à se corrompre, & qui peuvent se transporter dans tous les Pays (p. 159).

Il meurt le 14 octobre 1753, rue des Deux-Écus, dans une maison de son confrère, MOUTON dentiste de Louis XV.

L'ouvrage

L’ouvrage de 171 pages est divisé en trois parties : La première, je considère les Dents dans leur état naturel, la deuxième renferme leurs Maladies & leurs Remèdes, la troisième enseigne les moyens de les conserver en bon état (p. xj).

Première partie : De la physiologie des Dents

Fidèle en beaucoup de points à Fauchard, la gomphose en particulier, Geraudly est loin d’être très clair concernant le délicat problème de la cause de la chute des dents de lait : Les sentiments sont partagés. Les uns veulent que la portion de la Dent renfermée dans l’Alvéole, étant composée de Sucs qui ont formé la portion extérieure de la Dent de Lait, doit résister aux secousses & aux efforts de la Mastication que la portion extérieure ne peut soutenir.

Les autres veulent que chaque Alvéole qui renferme les Dents de Lait ait deux germes ; que celui qui est dessous ayant pris nourriture, pousse la première Dent produite par le premier Germe ; que celle-ci affermie & plus exposée aux efforts, s’ébranle, sort & cède la place à celle qu’a produit le second Germe.

Comme il y a plusieurs phénomènes inexplicables par la première opinion, nous nous arrêterons à la seconde (p. 19-20).

Deuxième partie : Des maladies des dents

L’odontalgie ou maux de dents 

 Il n’y a point de maladies qui exposent les petits Enfans à tant d’accidens que la sortie des Dents (p. 24). Les Molaires présentant une surface plate, ne scauraient percer sans causer une grande douleur ; elles sont quelquefois si violentes qu’elles causent la mort (p. 28). [ Suivent les soins préventifs et curatifs des plus classiques et hippocratiques pour les plus sensés] . À l’instar de Bernardin Martin, il bannit les nourrices qui percent la gencive avec l’ongle.

Chez l’adulte, elle [ l’odontalgie] n’est causée que par l’inflammation du périoste (p. 34). Elle sera plus ou moins dangereuse selon le caractère de l’humeur en cause et les parties affligées. Si elle est accompagnée de fâcheux Symptômes comme de Fièvres, de Convulsions, les Membranes du Cerveau sont en risque d’être enflammées, & jettent le malade dans un danger évident (p. 36).

Saignées, Topiques doux et anodins, Cataplâmes émollients et anodins seront plus efficaces que les Masticatoires, âcres et Gargarismes (p. 37-8).

De la carie des Dents

Geraudly est novateur dans sa recherche des causes de la Corrosion de la substance des dents (p. 40). Il faut donc que les Sucs que transmettent les Vaisseaux dans la substance de la Dent étant âcres & corrosifs, en détruisent les parties internes ; & que d’un autre côté le reste des Alimens acides dans le séjour qu’ils font sur les Dents, joints aux Sels âcres & à la Salive, fassent impression sur l’Émail, l’altère & le ronge, ce qui arrive le plus souvent entre les Dents, ou vers le Collet ou dans le milieu de la Couronne, à cause de la facilité qu’ont les Alimens à y rester (p. 42-3). Suivent tous les remèdes de la plus petite carie à la plus grave qui se termine par l’extraction. N’oublions pas que c’est un ouvrage ouvert à tous.

Du craquement des Dents

 Bruit que produit la mâchoire inférieure par le mouvement involontaire & convulsif de ses Muscles (…), ce bruit est très ordinaire dans le froid extérieur & dans les fièvres intermittentes ; alors le Craquement n’annonce rien de funeste. Celui qui arrive à certaines personnes pendant le sommeil n’est pas plus à craindre ; mais elles trouvent leurs Dents usées par le frottement jusqu’à la Gencive, sans avoir ressenti beaucoup de douleur, sans s’apercevoir de la cause & du bruit que fait ce craquement. Pour ce bruxisme pressenti pour la première fois : on saigne, on purge & on calme ces mouvements par les Antispamodiques (p. 62-4).

De l’Agacement des Dents

Concernant cette entité un peu mystérieuse que l’on peut rapprocher de la Stupor Dentis ou esgassure de Hémard, c’est : cette impression importune qui se fait sentir aux Nerfs plus ou moins vivement selon la force de la cause qui le produit . Il en voit deux sortes : une externe (l’air agité ou le suc acerbe de certains fruits) et une interne (sang âcre & mélancolique, une Pituite mordicante ). A propos de cette dernière, on est intéressé par l’approche presque psychosomatique que Geraudly nous rapporte : j’ai guéri une personne de Nom (à noter le respect du secret, peu fréquent à l’époque) d’un agacement qui se faisait sentir à toutes les dents. Cette Maladie ne lui laissait la liberté de se faire entendre que par écrit, car il ne pouvait point parler ; la source d’un si grand mal était un chagrin. Je l’ai guéri en peu de jours  (p. 65-6).

On ne s’arrêtera pas sur les chapitres sans intérêt particulier consacrés aux maladies diverses des gencives.

Troisième partie : Des moyens de conserver les dents en bon état

 Ils se réduisent à deux ; sçavoir, à redresser la Nature dans ce qu’elle a de défectueux, & éloigner tout ce qui peut altérer la beauté des dents.

De l’Égalité des dents

La lime sera utilisée avec précaution et, de préférence, sauf nécessité, pas avant l’âge de huit ou dix ans & même plus tard (p. 110).

De l’arrangement des dents

 L’absence d’une Dent qui est tombée ou qui a été arrachée à dessein ou par hazard, interrompt l’ordre et la continuité des Dents (p.116). Il faut immédiatement la remplacer par la transplantation d’une dent étrangère, de préférence celle d’un jeune homme entre 12 et 15 ans (p.118) : ces dents naturelles durent longtemps : il y a des personnes qui en conservent encore, et qu’il y a près de trente ans que j’ai mises (p. 120). On pourrait s’étonner, pour ne pas dire se scandaliser de ces fréquents pillages de dents chez les pauvres gens, pratiques qui ne semblent avoir donné aucun scrupule à ceux qui y procédaient ou à ceux qui en bénéficiaient. Enfin si la dent manque depuis longtemps, il faut recourir aux dents artificielles.

Des dents déjettées

 Quand les Dents secondes croissent, elles trouvent de la résistance du côté de la Dent de Lait (p. 124). Les conseils pour les extractions pilotées sont à la prudence :  car si on arrachait trop tôt une Dent de Lait, on s’exposerait à emporter avec elle une petite portion de la mâchoire, qui est alors trop tendre, ou à enlever le germe de la deuxième Dent. Comme cette faute serait irréparable, il vaudrait mieux hazarder que la dent fût de travers que de se tromper si désavantageusement (p. 128).

Si l’on est obligé de redresser les dents, il vaut mieux ne le faire qu’à des personnes au-dessous de vingt ans, quoiqu’il me soit arrivé d’avoir redressé des Dents luxées à des Adultes : je les repoussais doucement dans leur place naturelle ; ensuite je les assujettissais aux autres Dents, à la faveur d’une lame d’or ou d’argent, percée de plusieurs trous. J’y passais des Fils cirés, que je liais aux autres Dents (p. 129). Suit le régime du Malade simple et humectant, Bouillons, Potages & œufs frais pendant quinze jours, et avoir soin de laver la Bouche avec des liqueurs astringentes (p. 129). On ne peut redresser que les Dents Incisives & quelques unes des Canines parce que ces Dents n’ayant qu’une Racine, se mettent plus aisément dans la situation qu’on veut leur faire prendre (p. 130). Et s’il y a beaucoup de dents mal rangées, pour ménager la personne, il ne faut pas les redresser toutes à la fois (p. 131).

Suivent des chapitres sur le tartre, la blancheur des dents et les moyens de la conserver.

La conclusion de cette troisième partie est intéressante car Geraudly est l’un des premiers à attirer l’attention sur les soins dentaires scolaires : Les Pères de famille qui ont des Enfans dans des Pensions ou dans des Communautés devraient envoyer de tems en tems un Chirurgien-Dentiste pour visiter leur Bouche ; & par ce soin, s’épargner le repentir du déplorable état où leur négligence exposerait cette innocente victime (p. 156).

Conclusion

Ce traité, en bien des points conforme à la plupart des idées anciennes, avec des inspirations fauchardiennes, certes simpliste, connut un vrai succès parmi ses contemporains. On le comprend dans la mesure où chaque entité pathologique, est exposée clairement dans la marge : cause, diagnostic, pronostic et cure. Il présente de plus une qualité d’écriture facile et accessible à tous. Même si l’ouvrage de Géraudly peut sembler relativement mineur, il remplit en son temps un objectif certain d’information du public et n’en renferme pas moins quelques avancées notamment sur les causes locales de la carie ou le bruxisme, même s’il n’est pas encore réellement identifié. Enfin il fait preuve d’une prudence rassurante sur la connaissance des limites de ses compétences et de celles de la plupart de ses contemporains.

Bibliographie

André Besombes et Georges Dagen. Fauchard et ses contemporains, p. 87-88, SNPMD, 1961, Paris
Carlos Gysel. Histoire de l’Orthodontie, p. 459, Société belge d’Orthodontie, 1997, Bruxelles