Présentation par Micheline RUEL-KELLERMANN
Docteur en chirurgie dentaire et en psychopathologie clinique et psychanalyse
Membre titulaire de l’Académie nationale de chirurgie dentaire
Secrétaire générale de la Société française d'histoire de l’art dentaire (SFHAD)
micheline@ruel-k.net
C’est l’ouvrage le plus important, onze ans après la seconde édition de Fauchard à qui Bourdet rend hommage dans son avertissement : M. Fauchard (…) a été mon guide, & quand j’ai pu marcher sans guide, j’ai appris à respecter mes maîtres, à les abandonner quelquefois, & à ne diminuer jamais en rien l’estime qui leur est due (p. viii). Mais il se défend d’être son copiste (p. xi) et croit devoir développer des nouveautés qui lui semblent utiles.
L’ouvrage compte 650 pages pour deux tomes. Le premier est consacré à tout ce qui a trait à la morphologie, la physiologie, les pathologies dentaires et gingivales ; le second traite des thérapeutiques pour redresser les dents, pour les plomber, les extraire, les raffermir et pour les remplacer. Enfin le dernier chapitre énumère toutes les compositions pour la conservation des dents et des gencives. Très bien structurés, les chapitres sont agréables à lire et la langue de Bourdet plus fluide que celle de son « guide ». Proche en bien des points de celui-ci, c’est dans le domaine prothétique qu’il s’en distingue en apportant de réels perfectionnements.
Le prénom de Bourdet n’est mentionné dans aucune de ses œuvres. Th. David dans sa Bibliographie française de l’art dentaire de 1887, écrit « N » ou « Bernard » et seulement « N » dans celle de 1889 ; V. Guerini dans A history of dentistry (1909) écrit Bourdet. Georges Dagen met un terme définitif aux imprécisions par une lettre personnelle à Weinberger du 21 mai 1938 (History of Dentistry, p. 316), où il reconnaît ses erreurs dans ses Documents de 1926 (p.183). Il précise que le berceau familial est à Birac d’Agen ; le père Jean Bourdet a eu sept enfants, deux filles et cinq garçons. L’aîné, Étienne, naît le 10 octobre 1722; le plus jeune, Bernard, le 30 septembre 1732. Ils seront tous les deux dentistes, mais Bernard, tout en étant en charge à la Cour ne sera pas expert pour les dents.
Revenons à Étienne : on ne sait de sa jeunesse que ce qu’il dit dans l’avertissement de Recherches et observations : Formé dès mon enfance, dans la pratique des opérations, j’ai eu pour celle du dentiste toutes les ressources qu’une main exercée trouve dans l’habitude du travail. C’est avec ces dispositions, c’est après avoir passé une grande partie de ma jeunesse à suivre d’habiles Maîtres en Chirurgie et les Hôpitaux, que par le seul attrait d’un genre où j’ai cru pouvoir réussir, je me suis fixé à la partie des dents (p. ix)
Il a 26 ans lorsqu’il épouse Marguerite Louise, fille du dentiste Fontaine. Ils auront deux filles, Sophie et (?). (Weinberger, p. 316).
En 1754, il se fait connaître par un opuscule de 19 pages, Opérations sur les dents où il précise son titre : dentiste, reçu au Collège de Chirurgie. Il habite alors rue Croix des Petits Champs.
En 1757, il publie les Recherches, toujours dentiste, reçu au Collège de Chirurgie.
En 1759, il publie Soins faciles pour la propreté de la bouche et la conservation des dents, il est devenu Chirurgien Dentiste de la Reine. Destiné au public, cet ouvrage sera réédité en 1771 et 1790 et traduit en allemand (1762), en italien (1773), et première œuvre odontologique traduite en russe (1790).
Succédant à Mouton, il devient en 1760 dentiste de Louis XV qui l’anoblira, puis de Louis XVI. Bourdet connaît ainsi honneurs, gloire et fortune.
En 1763, il achète une maison à Rueil, puis en 1769, une très belle propriété à St-Germain, dite « Château de Maurepas » ; il est voisin de l’ancien montreur d’animaux, Jean-Baptiste Ricci, officialisé dentiste en 1767, par un brevet royal (Dagen, p. 86-87).
En 1764, il publie une Dissertation sur les dépôts du sinus maxillaire.
En 1782, il publie à Lausanne, De l’art de soigner les pieds, où il déclare avoir obtenu un brevet de chirurgien pédicure. L’ouvrage commence par une réédition des Soins faciles pour la propreté de la bouche.
Le 27 novembre 1783, il vend la survivance de sa charge pour la somme énorme de 120.000 livres à Dubois-Foucou. Ce dernier tentera en vain de récupérer cette somme auprès de sa veuve.
Le 12 octobre 1789, rue Croix-des-Petits-Champs, il meurt subitement d’un engorgement au poulmon. Après un service en l’église Saint-Eustache, il est inhumé dans l’église de Rueil, en présence de M Bernard Bourdet, chirurgien ordinaire du Roi, dentiste de Mgr Duc d’Orléans, son frère et de Jean François Fontaine, chirurgien dentiste, son beau-frère et d’autres parents et amis. (Renseignements – extraits des Archives Nationales - communiqués par Madame D. Lecroart, de la Société historique de Rueil-Malmaison).
Tout en étant guidé par Fauchard, Bourdet en bon clinicien et homme d’expérience ne s’en tient pas aveuglément à le suivre. On retiendra plus particulièrement ses apports personnels et ses critiques.
La forme des Dents. Bourdet s’attache à les décrire très minutieusement pour les faire distinguer hors de la bouche d’une manière plus précise & faire singulièrement reconnaître à quelle mâchoire elles appartiennent : circonstance plus importante qu’on ne l’imagine (p. xii). Lorsqu’il s’agit par exemple de (…) remettre une Dent après qu’elle est plombée, on pourrait la changer de face, ce qui rendrait sa replantation très-difficile & quelquefois impossible (p. 13-14).
La sortie des dents peut être précédée ou accompagnée d’accidens qui deviennent parfois mortels (p. 35), et tout particulièrement les canines et les molaires. Pour les incisives, on y a bien-tôt remédié par une incision à la petite élévation qu’elle fait apercevoir en poussant (p. 39).
Contre le hochet : son usage est plus pernicieux qu’utile (il durcit la gencive) et les émolliens fort peu nécessaires (p. 39). Le jus de citron est le remède le plus propre à prévenir les accidens : par son acidité et sa vertu astringente (p. 42). il combat sans danger aphtes et fongosités et divise la gencive (p. 43). L’incision cruciale ne se fera qu’en cas de convulsions et les émolliens, tel le miel de Narbonne, seront alors employés (p. 47).
Sur la chute des Dents de lait, il est en désaccord avec Bunon qui veut que la dent permanente use par frottement la racine de la dent qu’elle va remplacer : pour lui ce mécanisme ne peut s’expliquer que par l’effet de sucs âcres contenus dans les parties molles & charnues qui rongent cette racine (p. 52).
Bourdet s’intéresse à leur morphologie et décrit pour la première fois les marques qui font distinguer les dents de lait afin d’éviter de funestes méprises qui ont fait sacrifier des secondes dents, pour des Dents de lait : plus lisses & plus polies, mais moins blanches ou d’un blanc bleuâtre & elles sont toujours moins longues que celles qui les remplacent, (…) l’extrémité encore plus lisse & plus rase (p. 55-56).
Sur le désordre ou dérangement des Dents & des moyens de le prévenir ou de le réparer dans l’enfance, il désapprouve Fauchard lorsqu’il prétend qu’en ôtant une Dent de lait, on peut endommager le germe de la seconde Dent (p. 62). Bourdet va prévenir le désordre ou le dérangement des Dents en ôtant non seulement toutes les Dents de lait qui gênent, (…) mais encore de chaque côté la petite Molaire, a fortiori lorsqu’il s’agit de mettre en liberté une canine. Les nouvelles dents par ce moyen se placeront convenablement (p. 66-67).
Ainsi, pour procurer un bel ordre aux Dents, il suffirait que le Dentiste chargé de gouverner la bouche d’un Enfant le prît dès l’âge de sept ans jusqu’à 14 ou 15 ans et qu’il eut soin de la visiter seulement tous les trois mois ; l’on éviterait alors d’employer les fils, plaques et autres instruments qui servent à redresser les dents (p. 70).
Des différentes maladies qui attaquent et détruisent la substance des Dents :
Le rakitis, le scorbut, les fièvres malignes, la rougeole, la petite vérole, & en général toute maladie où la qualité des fluides est vitiée sont la cause de l’érosion (p. 79).
En désaccord avec Bunon, qui croit que l’humeur ne pénètre point dans les alvéoles, il conclut que la partie émaillée des Dents ne reçoit les atteintes de l’érosion qu’autant qu’elle est encore enveloppée dans sa membrane (…) qui contient une humeur mucilagineuse (p. 89-90).
Enfin, Bourdet suggère l’inoculation d’une petite vérole bénigne (…) sans craindre que les Dents qui sont encore à venir en soient érosées (p. 95).
La Carie [ est le] fléau destructeur qui attaque principalement les Dents que l’érosion a déjà maltraitées (p. 77). La théorie humorale demeure : Si les sucs que charrient les vaisseaux Dentaires sont trop épais, ils s’arrêtent & se corrompant par leur séjour, ils affectent bien-tôt la Dent. Si ces sucs se trouvent affectés de quelque vice, la Dent en est plutôt gâtée, suivant le concours des impressions extérieures, ou, suivant que la Dent même en s’organisant & en s’ossifiant, s’est trouvée plus mal constituée (p. 95-96). Et en dépit du revêtement constitué par l’émail, il n’empêche pas que le corps spongieux des Dents ne se décompose & ne se mollifie (p. 98).
Les causes internes ou externes ne diffèrent pas de celles énoncées par les auteurs qui l’ont précédé : vapeurs de l’estomach & des poumons qui, en s’élevant, forment un limon funeste aux Dents ; restes des aliments qui séjournent dans leurs interstices, & qui s’y corrompent (Geraudly l’avait déjà énoncé) ; (…) l’usage excessif de sucreries etc… Et les personnes qui manient ou travaillent les métaux, par les particules arsenicales & corrosives qui s’attachent aux Dents. Enfin le peu de soin qu’on a de sa bouche, & la négligence à nettoyer ainsi qu’à faire de tems en tems visiter ses Dents (p. 100-101).
Les moyens de prévenir la Carie, & autres maladies sont en plus des préceptes déjà classiques de propreté bucco-dentaire, une attention sur soi-même et le bon régime (sobriété, alimens sains etc…) (p. 107), principes retrouvés parmi les discours intellectuels du siècle : ils font, entre autres, partie des clefs du bonheur selon Mme du Châtelet.
Quant à la technique des traitements, quelques améliorations sont apportées à celle de Fauchard, notamment pour les caries profondes, où rugines et cautère assurent l’efficacité nécessaire pour détruire le nerf, mais, ne sont pas sans douleur (p. 120). La rugine faite en trépan préférable encore à l’équarissoir de M. Fauchard et au foret monté sur son chevalet, qui par le moyen d’un archet, perce la Dent ou le canal : opération embarrassante pour le Dentiste, & effrayante pour le Sujet (p. 123).
Les essences résolutives n’ont que peu d’effet, mais Bourdet avoue aussi la relativité des résultats des opérations de la rugine ou du cautère (p. 128).
Enfin, il faut qu’un bon Dentiste n’ôte les Dents que dans le cas où leur extraction est absolument nécessaire, & après avoir mis en usage tous les remèdes différens, toutes les opérations qui peuvent en assurer la conservation (p. 132).
La rupture des parties nerveuses par la luxation de la Dent.
Cette technique nouvelle est indiquée principalement lorsqu’une Dent gâtée fait du mal, si l’impression du froid & du chaud la rend plus sensible, si l’air qui s’y introduit ou la sonde portée dans le canal augmente la douleur, il n’y a point alors à douter que quelque cordon de nerfs qui entre dans la Dent ne soit à découvert (p. 134). (…) L’opération que je propose se fait par le moyen du pélican, comme s’il s’agissait d’ôter la Dent malade, si ce n’est que cette Dent ne doit être renversée qu’en partie, & par conséquent à demi tirée de l’alvéole, ce qui forme une luxation incomplette. Aussi-tôt qu’on a déplacé la dent, on la ramène dans sa situation naturelle. (…) L’opération est faite en deux secondes, & plus promptement que l’extraction même d’une Dent (p. 140). Puis la dent sera maintenue par un fil; on fera mordre un morceau de liège, et, en même temps, on tiendra dans la bouche une eau astringente ou une bonne eau-de-vie qui seront seules maintenues les jours suivants jusqu’à ce que la Dent soit solide (p. 142-143).
On pourra même lorsque le plomb ne saurait tenir dans une petite Molaire ainsi que dans les Dents de devant, par la disposition cariée, (… ) au lieu de la luxer, ou d’en détruire le nerf d’une autre façon, [ il faut] l’ôter tout à fait avec les précautions convenables, la bien nettoyer des moindres portions de carie, en faisant avec la rugine quelques inégalités dans le trou que cette carie y a fait, la bien plomber, en observant de bien insinuer l’or dans le canal & de boucher exactement le trou, & ensuite la remettre à sa place (p. 157).
Sur l’usure des dents,
Bunon accusait le grincement et le craquement qui arrivent sans qu’on s’en aperçoive dans le sommeil le plus profond d’être à l’origine de bien des maux. Bourdet dénonce en plus le caractère bruyant et destructeur de ces convulsions de la mâchoire inférieure : il y a des personnes qui en dormant font un tel bruit, qu’on entend d’assez loin craquer leurs Dents. J’ai vu de ces sortes de personnes, dont, à quarante ans, les Dents étaient tellement détruites par ces convulsions maxillaires qu’il n’y restait plus que les racines (p. 173). Pour ces personnes, en accord avec Mouton, il préconise de recouvrir une ou deux molaires d’une calotte d’or. Il souligne aussi l’importance de la conservation des Molaires pour protéger les Dents de devant d’une usure excessive (p. 175). Il va même jusqu’à préconiser des calottes d’or protectrices pour toutes les molaires fixées au moyen de fils d’or de préférence. Pour cet effet on fait avec de la cire un moule sur les Dents du sujet : l’orfèvre suit exactement ce moule & les empreintes des Dents Molaires. Il recommande que la rencontre des deux mâchoires soit respectée à peu près comme portaient les Dents (p. 178).
La lime remédiera aux aspérités et aux inégalités de l’usure afin de protéger la dent antagoniste qui est parfois tellement usée qu’il faudra lui cautériser le cordon pulpaire à nu ou la trépaner.
À l’égal de Fauchard, Bourdet décrit l’utilité des dents et le soin que l’on devrait en avoir pour se conserver en bonne santé (p. 206). Les conseils sont judicieux et convaincants. Limon, tartre, négligence, peur du dentiste sont les ennemis. Une mise en garde contre les charlatans clôt le plaidoyer.
Les maladies des alvéoles, de celles des gencives et de leur guérison.
Les alvéoles sont susceptibles de carie comme les Dents même, (…) [laquelle est causée] ordinairement par un vice scorbutique ou vénérien (p. 217) et aussi par la suppuration des gencives par la seule présence du tartre, ou par l’effet d’un limon âcre & corrosif qui pénètre sous la gencive, & jusqu’à la racine de la Dent. Les ravages sont variables selon la qualité des alvéoles & les dispositions du sujet (p. 218).
Le principal usage des gencives est d’affermir les Dents, & de les contenir dans leurs gaines osseuses. Mais quand elles sont bien découpées, d’une belle forme, & bien vermeilles, elles sont un ornement de la bouche (p. 225).
Les maladies des gencives.
Les maladies bénignes sont dues généralement au tartre ; une fois celui-ci ôté, si le cas l’exige, [ il ne s’agira que] de dégorger les gencives avec la lancette. (…) Pour les faire saigner davantage, on les presse avec le doigt enveloppé d’un linge fin (p. 227). Le tout suivi de lotions, gargarismes ou opiat bien préparés (p. 229).
Pour toutes les formes d’excroissances : époulis, excroissance extraordinaire des gencives; Paroulis, abcès d’un certain volume, ou les plus dangereuses [ qui] sont sans contredit les affections scorbutiques & vénériennes, le traitement diffèrera selon leur degré.
Pour les gencives flasques, fongueuses & rougeâtres, (…) le remède est de les consumer avec un bon opiat absorbant & dessicatif. (…) Si ce remède est insuffisant, il faut couper, (…) avec des ciseaux, autour des chairs superflues, en y formant des découpures. (…) Lorsqu’il y a trop d’épaisseur le bistouri enlèvera le superflu. Mais, mieux encore, un petit cautère un peu courbe à son extrémité, (…) bien rougi au feu, on le promène plusieurs fois sur les excroissances en appuyant un peu sur les parties de la gencive qu’on veut aplatir & détruire. (…) La guérison est plus prompte. Bourdet en profite pour s’étonner que Fauchard ait pu vanter l’usage de la pierre infernale, caustique dangereux, au détriment du cautère actuel qui a toutes les vertus, et en particulier celle de juguler les hémorragies parfois importantes lors de l’exérèse d’excroissances de gros volume (p. 233-239).
À propos de l’exérèse des tumeurs carcinomateuses, Bourdet critique ouvertement, non sans un certain humour, son maître Fauchard qui préconise l’usage d’une petite scie ou d’un « bec-d’âne » en frappant sur l’extrémité du manche avec un petit maillet, comme quand on travaille sur le bois. (…) Ne semblerait-il pas que la bouche fût un attelier où l’on peut faire jouer à l’aise tous les outils inventés pour les corps durs et insensibles ? (p. 244-245).
Les suppurations des gencives sont plus fréquentes chez les personnes replètes et sanguines, et après quarante ans. Elles ne surviennent qu’aux gencives dégarnies de leurs alvéoles, (…) fournissant un pus visqueux, blanchâtre, & très-louable (p. 278).
Selon le degré de la maladie, on retranchera la partie de la gencive dénuée d’alvéole, mais en prenant soin de ne point trop découvrir la racine & tomber d’une extrémité dans une autre (p. 280). Bourdet réfute toute provenance d’un vice scorbutique, critiquant Fauchard lorsqu’il parle d’une espèce de scorbut. Pour lui : Les liqueurs étant arrêtées par le gonflement des parties, tant à la gencive qu’à l’alvéole & au périoste, deviennent par un long séjour âcres & corrosives, en sorte qu’elles rongent peu à peu la gaine osseuse (p. 284-285). Les remèdes préventifs seront des purges tous les mois, des saignées, un bon régime, des alimens de facile digestion, (…) & un grand soin de ses Dents (p. 287)..
Les traitements iront d’un cautère plat & délié que l’on fait bien rougir au feu ; on l’insinue au fond du vuide qui se trouve entre la gencive & la racine de la Dent et, si nécessaire : on coupe la gencive des deux côtés de la poche dans toute son étendue, en faisant terminer les deux incisions en triangle (p. 288-289). Remarquons cette technique de gingivectomie avant la lettre.
Ce deuxième tome est particulièrement intéressant par les perfectionnements apportés aux techniques de Fauchard, tant dans le domaine orthodontique que prothétique.
Des différentes Opérations qui se pratiquent sur les dents
Sa manière de redresser les Dents & de les remettre en place, par le moyen des fils & des plaquess, élargit la technique de Fauchard qui ne les préconisait que pour de simples malpositions.
Quand toutes les Incisives & les Canines chevauchent les unes sur les autres, ou se trouvent comme entassées, il ne faut pas les séparer, mais leur faire à chacune une place convenable. On ôte pour cet effet, de chaque côté, la première petite Molaire ; on passe autour de la première grosse Molaire un fil dont les deux bouts se croisant entre elle et la petite Molaire, viennent d’abord embrasser celle-ci, & ensuite la Canine où se fait le nœud. On renouvelle le fil tous les deux ou trois jours, jusqu’à ce que cette Canine ait joint la petite Molaire. Suit la description des séquences pour redresser chaque incisive (p. 5-6). Pour visualiser les différents procédés n’ayant recours qu’aux seuls fils, voir les dessins de Papaduka reproduits par Carlos Gysel (p. 499).
Concernant le redressement au moyen des plaques, Bourdet critique sévèrement les lames de Fauchard point percées précisément comme elles doivent l’être (p. 11-12). Pour les rotations, il faut donc fabriquer une plaque percée à chaque extrémité de trois trous distans l’un de l’autre d’une demie ligne ; elle doit être assez longue pour porter de chaque côté sur deux dents en place & ne s’appliquer qu’en dehors (p. 13). Avec ces plaques plus longues et percées de beaucoup plus de trous, il se permet des corrections étendues, en particulier de la promandibulie : lorsque les Canines & les Incisives de la machoire inférieure s’approchent tellement de la lèvre, qu’elles font avancer le menton & déborder la lèvre inférieure (p. 15).
Toutes les plaques doivent être d’or, ou de cheval-marin, & jamais d’argent ; parce que ce métal noircit dans la bouche, ce qui est désagréable à voir. Les plaques de cheval-marin sont souvent mieux faites que celles d’or, parce qu’elle sont l’ouvrage du Dentiste, & que l’Orfèvre, quelqu’habile qu’il soit, n’exécute pas toujours avec assez de précision le modèle ou l’idée qu’on lui donne . Reste à faire éventuellement pour l’orfèvre un modèle en cheval-marin (p. 18)..
Voir la planche et les descriptions page 19 et suivantes.
L’usage du pélican
Le redressement forcé, par luxation, à l’aide du pélican s’adresse tout particulièrement aux Dents qui sont penchées vers le palais à la machoire supérieure, & vers la langue à la machoire inférieure. (…) Mais avant de procéder à l’opération, il faut bien s’assurer si la Dent, qu’on veut mettre au niveau des autres, aura une place convenable & proportionnée à sa largeur. Suit la description de l’utilisation du pélican inventé à cet effet (p. 21-22). L’ergonomie est précisée : faire asseoir [ le sujet] sur un siège fort bas et que sa tête soit renversée sur le dossier du fauteuil, ou, s’il n’y a point de dossier, sur celui qui opèree (p. 23). L’attention à l’occlusion est recommandée, le choc continuel de la dent opposée empêcheroit celle-là de s’affermir et pour empêcher la dent de rentrer dans le vuide qu’elle a laissé, un fil la maintiendra dans sa place jusqu’à la consolidation qui se fait en une douzaine de jours après des rinçages de bouche avec une eau astringente (p. 24-25).
La présentation de quelques observations a pour but de faire sentir les avantages qu’on retire de pareilles opérations entre les mains d’un habile homme, opérations trop souvent redoutées.
Il est certain qu’il n’est pas possible d’arranger & de redresser les Dents, sans les ébranler ; mais pour peu qu’on fasse attention au ressort ou à l’élasticité des alvéoles et des gencives, on sera bien-tôt convaincu que les Dents une fois remises par les moyens que j’ai décrits reprennent en très peu de jours leur première solidité (p. 51-52)..
Manière de nettoyer les Dents, sans les ébranler & sans fatiguer le sujet
Plus soucieux de son patient que Fauchard ne semblait l’être, Bourdet est attentif à tout ce qui allongerait beaucoup l’opération & fatiguerait trop le Sujet (p. 24-25).
Tout comme Bunon avec les enfants, il recommande le même type de stratégie pour pouvoir procéder à une opération plus que désagréable : Il est toujours à propos de commencer l’opération par la machoire supérieure, parce qu’elle est ordinairement moins chargée de tartre que l’inférieure. Le Sujet par ce moyen n’est pas si effrayé, & il s’accoutume à endurer ce travail ; au lieu qu’en commençant par la machoire inférieure, la quantité prodigieuse de tartre qui se trouve à certaines personnes peut d’abord épouvanter & faire perdre courage (p. 54).
Divise-tartre, Enlève-tartre et cure-dent d’acier (p. 66, planche 4) sont les instruments pour enlever avec précaution ces fréquentes et parfois monstrueuses concrétions tartriques.
Quand les gencives se trouvent surchargées de sang, il faut les piquer avec une lancette, ou avec le cure-dent d’acier, & les comprimer ensuite plusieurs fois avec un linge fin, ou avec une serviette bien douce (p. 58).
Cependant si, par la ténacité du tartre, on n’avoit pû s’empêcher d’ébranler un peu des Dents délicates, elles reprennent promptement leur solidité (p. 59).
Des différents usages de la lime
Pour raccourcir les Dents des jeunes gens, il faut attendre qu’ils ayent atteint l’âge de quinze à seize ans, parce qu’étant alors suffisamment pleines, elles sont en état de supporter la lime. On voit cependant de jeunes personnes, qui à douze ans sont plus capables de soutenir cette opération que d’autres à quinze. (…) Il faut observer encore, qu’il n’y a ni tems ni âge qui doive régler pour limer & emporter la carie, quand elle affecte les Dents dans les parties latérales (p. 69-70)..
Quand par exemple les Dents sont fort ébranlées, & ne peuvent supporter le frottement de la lime, on a recours à la pincette incisive; mais il faut se servir de cet instrument avec beaucoup de précaution, pour ne point faire éclater l’émail & quelquefois le corps de la Dent (p. 74).
Et Bourdet de conclure : Au reste quoique j’ai indiqué, tant pour le travail de la lime, que pour nettoyer les Dents, les situations qui m’ont paru les plus commodes, il ne faut pas toujours s’y assujettir, lorsque dans d’autres circonstances on en trouve de plus convenables (p. 83).
(p. 87-89, planche 5, diverses limes).
Précautions à observer avant que de plomber les Dents ; manière de les bien plomber ; accidens qui peuvent survenir aux Dents, lorsqu’elles ont été plombées mal à propos ; moyens d’y remédier.
On en retiendra que l’étain fin vaut beaucoup mieux que le plomb pour une dent gâtée sans avoir fait aucune douleur, & qu’on mange très bien dessus. Mais, lorsque la carie, (…) est parvenue jusqu’à découvrir le canal, (…) une fois, toutes les parties affectées [ enlevées] , l’on remplit le trou, (…) avec des feuilles de l’or le plus fin qu’on fait battre exprèss (p. 90-92). On aura soin de détruire le cordon Dentaire avec le bouton de feu (p. 93).
Pour éviter toutes sortes de complications, que d’avantages au contraire on se procure, en faisant plomber ses Dents à propos, sans attendre la douleur (p. 94). Exposant avoir observé une infection pulpaire après obturation, Bourdet de commenter : Au reste, ces accidens ne sont pas ordinaires, & n’arrivent même que rarement. Cependant je suis persuadé que plusieurs de mes Confrères ont vu la même chose que moi, & qu’ils y ont trouvé remède ; mais comme aucun de nos Auteurs, au moins que je sçache, n’a parlé de ce cas là, j’ai cru ne devoir pas l’oublier dans un Ouvrage où je m’attache à ne rien négliger d’essentiel (p. 101-102).
Les fouloirs introducteurs, perforatifs et le plomboir en équierre sont figurés et expliqués à la planche 7, p. 107.
De la manière de cautériser les Dentss
On retire deux avantages du bouton de feu, ou cautère actuel : le premier est de consumer les parties sensibles dans toute la cavité de la Dent, ce qui fait qu’on la plombe ensuite avec plus de sûreté & de succès ; le second est de dessécher & d’arrêter la carie . Ou bien, on l’utilise encore, pour détruire les cordons nerveux, exposés (p. 111).
Précautions à observer : On garnit avec une serviette les parties qui pourroient en être offensées, comme les lèvres & les joues ; on a aussi une cuiliere, pour garantir la langue, que l’on couvre, & on la fait tenir par un Domestique . (…) Il ne faut pas laisser [ le cautère] long-tems dans la Dent, parce qu’elle se féleroit (p. 113).
De l’extraction des Dents
N’en cachant pas les fréquentes difficultés rencontrées, concernant surtout les Dents de sagesse de la machoire inférieure, il critique Fauchard [ qui] veut qu’avec une masse de plomb, on frappe sur le manche du poussoir, pour lui donner plus de force ; mais l’inconvénient de cette invention est sensible. Le coup du plomb doit nécessairement causer à la tête & même au cerveau une commotion, qui n’est pas seulement douloureuse, mais qui peut encore avoir des suites (p. 116).
Dans tous les cas où l’on a des Dents difficiles à ôter, il faut, s’il est possible, y appliquer un fil que l’on attache aux Dents voisines : la présence de ce fil produit un engorgement tant à la gencive qu’au périoste, ce qui fait dilater l’alvéole (p. 117).
Curieuse confusion de la part d’un Bourdet si précis, lorsqu’il fait allusion au Levier à courbure que M. Mouton a imaginé, & auquel [il a] ajouté deux crochets, l’un pour le côté droit, l’autre pour le gauche. Il s’agit en fait de celui que Lécluze décrivait ainsi : On pourra se servir du pélican que M. Garangeot a formé sur la Clef Angloise, & que j’ai fait corriger il y a douze ans, par un Coûtellier de la Ville de Troyes en Champagne (Pratique abrégée, p. 139). Ce tantôt pélican, tantôt levier est représenté pour la première fois p. 138-141 sur la planche 9.
Toujours dans le souci du patient : Si le malade est trop effrayé, ou si l’on craint que la vûe de l’instrument ne fasse quelque impression sur lui, avant que d’opérer, il faut avoir la précaution de l’envelopper de façon qu’il ne puisse pas l’apercevoir, sans que l’enveloppe ôte à la branche la liberté d’aller & venir (p. 149).
Quant aux accidents hémorragiques post-opératoires, rares (?) mais spectaculaires, une compression sera faite avec un petit tempon dans lequel est enveloppé un peu de vitriol en poudre. On trempe ce petit tampon dans le vinaigre, ensuite on l’introduit dans le fond de l’alvéole, qu’on achève de remplir avec de la charpie trempée aussi dans du vinaigre (p. 163). Au lieu de vitriol, on peut se servir d’agaric de chêne, (…) [ qui] a l’avantage de n’être point désagréable au goût comme le vitriol (p. 165).
Sur la manière de transporter une Dent d’une bouche dans une autre ; circonstances à observer pour le succès de cette opération
Il faut 1° : que le sujet soit d’une bonne santé ; que la gencive et l’alvéole de la Dent malade ne soient point appauvris (…). 2° : La Dent destinée à remplir la place de la Dent malade doit être précisément de la même espèce : il faut même que la racine de cette Dent ait à peu près le même volume de celle qu’elle va remplacer ; mais en tout cas il vaut mieux qu’elle soit un peu plus grosse et un peu moins longue. C’est pour cela que, quand on fait cette opération, il est bon de s’assurer de plusieurs sujets, Savoyards ou autres ; afin que si la Dent de l’un n’est pas convenable, on la lui remette pour qu’il n’en soit point privé, & de pouvoir en essayer plusieurs, jusqu’à ce qu’on en trouve une à peu près conforme à celle qu’on veut remplacer (p. 193-194). Cette désinvolture à l’égard des « donneurs » savoyards ou autres contraste avec le discours presque empathique tenu à l’égard des patients. Mais cette exploitation des organes n’est pas l’apanage du XVIII e siècle. Hormis que la dent non conforme était rendue et réimplantée, les conditions compensatoires de ces opérations ne sont pas mentionnées, (cf. Gaillard-Courtois), lorsque le malheureux était définitivement privé de sa ou ses dents.
L’avant-dernier chapitre est consacré à toutes les Opérations de prothèse.
Les Dents artificielles, ou postiches, rendent presque autant de service que les Dents naturelles. Elles redonnent cet air de jeunesse dont les hommes ne sont guères moins jaloux que les femmes. (…) Elles empêchent de cracher en parlant au visage de ceux qui nous approchent, rendent la prononciation nette & distincte & soulagent par conséquent la poitrine, en ce qu’il faut moins d’air & moins d’effort pour parler. (…) Elles sont encore d’un très-grand secours pour manger, sur-tout quand il reste quelques racines qui puissent leur servir de base. (…) Lorsqu’il ne reste point de racines, on a dans les commencements quelque peine à s’accoutumer aux Dents postiches. L’effort que la mastication fait faire sur la pièce dont le talon embrasse les gencives, les comprime & les rend sensibles ; mais elles s’endurcissent insensiblement, & l’on parvient à manger dessus très bien & beaucoup mieux sans comparaison que si les gencives étoient nues (p. 211-212).
Après cette présentation encore plus convaincante et tout aussi optimiste que celle de Mouton onze ans auparavant, Bourdet expose très minutieusement ses techniques nettement améliorées comparées à celles de Fauchard, ce qu’il ne manquera pas chaque fois de signaler.
Sur les Dents à tenon réservées aux racines du bloc incisivo-canin supérieur, toutes les précautions de préparation et les divers moyens de fixer un tenon sont décrits.
Si les Dents de la machoire opposée ne portent sur les Incisives ou les Canines qu’on ajuste, on laisse à la Dent qu’on veut remettre toute son épaisseur, & l’on y rive le tenon à rivure perdue, ce qui le rend un peu plus solide (p. 219). Quand le canal de la racine où doit entrer le pivot se trouve trop large, il faut le boucher entièrement avec des feuilles d’or (p. 220).
Pour une racine assez bonne pour le porter, (…) où il n’y a pas de fluxion à craindre (…) : faire un tenon, qui d’un bout s’engage dans la Dent postiche, & dont l’autre bout soit fait en vis pointue, mais un peu plus gros que le diamètre du canal, & un peu moins long (p. 222).
Les fluxions occasionnées par les Dents à tenon :
Sorte de tribut dont peu de personnes sont exemptes (p. 224).
Pour les prévenir : il faut en creusant le canal reconnoître d’abord s’il est d’une couleur rougeâtre, ce qui prouve que les vaisseaux sanguins se distribuent dans les parois du canal. Alors, avant que de poser la Dent, on doit dessécher & détruire ces petits vaisseaux avec une aiguille à tricoter, ou avec une pointe sèche rougie au feu que l’on porte trois ou quatre fois dans toute l’étendue du canal. On fait entrer dans ce canal un peu de coton imbibé d’essence, pour en remplir la capacité, & on l’y laisse quatre ou cinq jours ; ensuite après l’avoir ôté, on établit la Dent à tenon (p. 227-228).
Les dents postiches seront, soit humaines, soit de cheval marin (p. 230).
Concernant le remplacement d’une dent :
Quand l’alvéole a souffert quelque déperdition de substance dans l’extraction de la Dent ou de la racine, que la gencive est trop retirée & que les Dents voisines au contraire ne sont point déchaussées ni dégarnies, il faut mettre une Dent plus longue vers la gencive retirée, afin que celle-ci se remarque moins. (…). Il s’agit de faire faire par un orfèvre une espèce de cuvette d’or qui puisse s’appliquer sur la gencive délabrée, & se mettre au niveau des autres. (…). Les deux côtés de la cuvette seront percés de deux petits trous, pour donner passage à un fil qui s’attachera comme les autres pièces à deux Dents voisines. Celle-ci du côté qui s’applique & qui s’asseoit sur la gencive formera une cavité, ou une sorte de chaton, pour enchâsser & recouvrir la Dent qu’elle doit recevoir. (…) La Dent sera fixée dans cette pièce d’or par une goupille, comme celle qui se monte sur une pièce de cheval marin. (…) Pour bien faire exécuter cette pièce à l’Orfèvre, il faut prendre exactement toutes les mesures nécessaires, & en former un modèle en cire. La pièce finie & même essayée, on la donne à l’émailleur, pour la rendre de la couleur des gencives. La dent postiche sera fixée par une goupille ou mastiquée dans sa sertissure (p. 233-235).
Les dentiers, ou pièces à ressorts
Tout dentier quel qu’il soit ne peut tenir que grâce à un système de ressorts : Les ressorts d’acier inventés par M. Fauchard doivent être absolument rejettés, parce qu’ils sont sujets à la rouille, & se cassent aisément. (…) L’or est donc le seul métal qui convienne ici, d’autant plus que, quand il est bien choisi & battu à froid, il a le même ressort que l’acier le plus élastique (p. 255-256). Des ressorts de baleine portés quelques jours préalablement donneront la forme la plus convenable & la coudure la plus commode et serviront ainsi de modèle aux ressorts en or (p. 257).
Poser une pièce à la mâchoire inférieure lorsque la machoire d’en haut est encore suffisamment garnie implique qu’elle ait assez d’étendue pour aller jusqu’auprès de l’apophyse coronoïde, (…) & qu’elle suive bien le contour de la machoire & de la gencive. Cette pièce est retenue par les joues, les lèvres, la langue, & soutenue par la gencive, sur laquelle elle est bien assise, ainsi que par son propre poids. (…) C’est pour cette raison qu’une pièce d’or est moins sujette à se déranger, & tient beaucoup mieux dans la bouche. (…) Il faut d’abord la fabriquer en yvoire, pour l’ajuster convenablement (…). On fait porter au Sujet pendant quelques jours ce modèle en yvoire, jusqu’à ce qu’il y soit accoutumé. Ensuite on donne la pièce à l’orfèvre pour l’exécuter en or, ou en argent, & de là à l’émailleur, pour lui donner le ton de la nature (p. 267-268).
Comme Mouton, il reconnaît que certains ôtent leur double Dentier pour manger et substituent à la machoire inférieure un Dentier simple (p. 269). Voir les dessins des dentiers, planche 11, p. 270-273.
Palais artificiels, ou Obturateurs
Les dégradations du palais sont occasionnées par des dépôts que des Dents gâtées ont produit sur les parties qui les environnent, & dont la matière en séjournant carie non seulement les os maxillaires, mais encore ceux du palais ; tantôt ce désordre est l’ouvrage d’un vice vénérien ou scorbutique (p. 275).
L’Obturateur ou palais factice est le chef d’œuvre de notre Art.
Il y a des cas où l’Obturateur fait d’une plaque simple (attachée par des fils à deux dents ; planche 12, p. 294, fig. 4) est préférable à tous les autres. L’avantage qu’on en retire, consiste, en ce que les parties charnues ont plus de facilité à se rapprocher & par conséquent à se réunir, ce qui fait qu’on n’a plus besoin d’Obturateur. J’ajouterai même que, dans les plus grandes déperditions de substance, il est à propos au commencement de se servir d’une plaque simple; parce qu’il arrive quelquefois que, dans l’espace d’une année, les chairs se rapprochent de telle sorte, que leur prolongement &, la diminution du trou favorisent l’application d’une machine plus convenable pour opérer tous les effets qu’on désire (p. 281-282).
Pour une déperdition de substance très importante Bourdet imagine des doubles plaques très ingénieuses, actionnées par une vis et parfaitement représentées et expliquées aux planches 12 et 13, p. 294-299.
Les éponges qui garnissaient les obturateurs de Fauchard sont définitivement bannies, pour l’odeur forte & insupportable exhalée (p. 292).
Et de conclure ce chapitre où il donne la pleine mesure de sa maîtrise prothétique et chirurgicale : Quand le malade a cette machoire supérieure démeublée de toutes ses Dents, on peut aussi par le moyen d’un de mes Obturateurs y faire tenir un Dentier (p. 293).
Le dernier chapitre présente les recettes de confection de poudres pour nettoyer & blanchir les dents, pour fortifier les gencives, ou d’opiats pour les gencives molles, et antiscorbutique.
On retiendra la Pâte calmante pour calmer les grandes douleurs causées par le cordon du nerf : trois grains d’opium, cinq ou six clous de girofle en poudre, dix grains de noix de galle aussi en poudre, quinze grains de terre sigillée, dix grains de camphre, & de gouttes anodines autant qu’il en faut, pour rendre ces poudres en consistence de pâte un peu ferme. On en met dans le trou de la Dent qu’on remplit bien en se couchant : la nuit se passe ordinairement sans douleur, & elle est bannie pour plus ou moins de tems par ce palliatif (p. 312).
Eau souveraine et gargarismes antiscorbutiques terminent cette pharmacopée pratique.
Cet ouvrage, même s’il doit beaucoup à Fauchard, fait apprécier à chaque page la rigueur de son auteur et un talent unanimement reconnu et honoré par deux rois. Il devait, en tant que chirurgien, inspirer confiance à ses patients par le souci qu’il avait non seulement de les soulager, mais aussi l’art et la manière pour leur faire accepter des opérations pour le moins héroïques à nos yeux afin de leur rendre fonction, esthétique et confort. Ses certitudes de compétence, voire de supériorité sur la plupart de ses pairs, son indispensable optimisme sans lequel rien n’aurait pu être entrepris ne le dispensent pas d’une certaine honnêteté ; lors de ses observations il est capable de signaler des complications ou difficultés surmontées avec peine. Il fait preuve aussi d’une certaine souplesse pédagogique, trait sympathique chez cet auteur, en admettant aussi que l’on puisse réussir en s’y prenant autrement.
Un « bémol » cependant pour l’exploitation ne semblant choquer, ni les opérateurs, ni les bénéficiaires, de ces pauvres jeunes savoyards dont les dents semblaient presque destinées au secours des autres. Mais Geraudly disait déjà de même. Cet ouvrage tient une place importante parmi les oeuvres odontologiques françaises qui ont marqué le XVIII e siècle.
Robert BUNON. Expériences et démonstrations faites à la Salpêtrière et à Saint-Côme, Paris, Briasson, 1746. Georges DAGEN (Montcorbier). Documents pour servir à l’histoire de l’art dentaire en France et principalement à Paris. Paris, La Semaine dentaire, 1925. Théophile DAVID. Bibliographie française de l’art dentaire, Paris, Félix Alcan, 1889. Madame du CHÂTELET. Discours sur le bonheur, 1779 (ré-Editions Payot & Rivages 2006). Carlos GYSEL. Histoire de l’Orthodontie, Bruxelles, Société belge d’Orthodontie, 1997. Vincenzo GUERINI. A history of dentistry from the most ancient times, Philadelphia / New-York, Lea et Febiger, 1909. Walter HOFFMANN- AXTHELM. History of Dentistry, Chicago, Berlin, Rio de Janeiro and Tokyo, Quintessence Publishing Co., Inc., 1981. Micheline RUEL-KELLERMANN. « Érosions, usures et grincements. Concepts anciens. », Clinic, vol 25, n° 9, 2004, p. 591-7. Bernhard Wolf WEINBERGER. History of Dentistry, St Louis, The C. V. Mosby Company, 1948.