La Prothèse chez Fauchard et ses contemporains

Présentation par Claude ROUSSEAU
Ancien Président de la SFHAD

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La publication de l'ouvrage de Pierre Fauchard "Le chirurgien-dentiste ou Traité des dents" en 1728 fut saluée comme un événement professionnel majeur. Le succès de son ouvrage est mis en évidence par sa traduction en allemand dès 1733 et par les appréciations des contemporains de Fauchard. Lecluze, Bourdet et Jourdain ne tarissent pas d'éloges à son égard ; c'est cependant Bunon qui exprime les propos les plus élogieux en le considérant comme un grand maître au point que Fauchard ne manque pas de témoigner dans son livre "sa sensible reconnaissance".

Lors de la période révolutionnaire le nom de Pierre Fauchard tombe rapidement dans l'oubli. Le grand dictionnaire de médecine publié en 1835 ne fait nul mention de son nom. Seuls Audibran, Désirabode, Trousseau et Marmont reconnaissent la valeur de son ouvrage.

A partir de 1880, la désaffection relative de la renommée de Fauchard va définitivement s'achever lors de l'inauguration de l' École dentaire de Paris au cours de laquelle le Dr Thomas lui rend un vibrant hommage.

Aux XXème siècle de nombreuses manifestations vont se succéder pour honorer la mémoire de Pierre Fauchard :

  • En 1922 la Profession commémore la bicentenaire de l'achèvement de son ouvrage. C'est lors de la séance solennelle de la Sorbonne que le Dr George Viau prononce sa fameuse conférence sur la vie de Pierre Fauchard. C'est aussi lors de cette cérémonie que le buste de Pierre Fauchard réalisé par le Docteur Paulin est présenté à la profession.

Buste de
Pierre FAUCHARD
par le Dr. PAULIN

  • En 1936 c'est la création aux États Unis de la "Pierre Fauchard Academy",

  • En 1937 le libellé "Musée Pierre Fauchard" est substitué à celui de Musée de l'École dentaire libre de Paris.

  • Enfin, les ler et 2 juillet 1961 est célébré à Paris le Bicentenaire de la mort de Pierre Fauchard. Un comité national est alors constitué sous la présidence du regretté André Besombes, Président à l'époque de l'Académie nationale de chirurgie dentaire. Lors de la séance solennelle dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne le Président Besombes prononce un discours magistral où il résume les mérites des enseignements de l'œuvre de Pierre Fauchard.

La prothèse avec ses treize chapitres est la matière la plus importante traitée par cet auteur. C'est celle que nous vous présentons aujourd'hui.

LA PROTHÈSE AU DÉBUT DU XVIIIème SIÈCLE

Portrait de
DIONIS (1707)

Le "Cours d'Opérations de chirurgie démontrées au jardin royal" publié en 1707 par Dionis, Maître Chirurgien, juré à Paris, comprend une planche gravée concernant les gencives et les dents. 

Planche XL p. 506

On peut distinguer deux petites prothèses à ligatures avec les références y et z. Dans son chapitre "Du remplacement des dents perdues", il fait une courte description de ces prothèses: "on commande des dents d'ivoire à peu près de la grandeur de celles auxquelles on les substitue, on les perce pour y passer un ou deux fils d'or avec lesquels on les attache aux dents voisines".

Prothèse à
ligatures
phéniciennes

Prothèse
dentaire
d'Abulcasis

Dionis reprend ainsi la technique utilisée par les phéniciens, réintroduite en Europe par Abulcasis et repris au XVIème siècle par Ambroise Paré.

Portrait
d'Ambroise Paré

Certains auteurs attribuent la paternité de la prise d'empreinte à la cire à Purmann de Breslau en 1722. En fait l'auteur se contente de modeler directement en bouche un boudin de cire en vue de confectionner la future prothèse. Celle-ci sert de modèle au tabletier pour réaliser la pièce en ivoire d'éléphant.

Philippe PFAFF
(1711-1767)

En réalité, c'est Philippe Pfaff qui décrit en 1756 la première technique de prise d'empreinte à la cire et qui réalise un modèle positif en plâtre. Ce procédé était donc inconnu à l'époque où Pierre Fauchard publie les deux éditions de son ouvrage.

D. Laurenti Heister
(gravure de
l'ouvrage de 1750)

A la même époque Heister utilise des dents de morse mâle, qui sont fixées par des fils de soie et d'or qu'il recommande de déposer chaque soir pour assurer le nettoyage.

LA PROTHÈSE DE CONTENTION

  

Prothèse
phénicienne
(de Weinberger)

Prothèse
d'Abulcasis

Planche 17 p.128
(Pierre FAUCHARD,
ed. de 1746)

Planche 17 p. 128 - chapitre 9 p. 117

Comme ses prédécesseurs, Fauchard utilise des fils d'or plus ou moins fins suivant le degré de mobilité des dents. Les fils sont mis en place d'une façon traditionnelle en les croisant à chaque intervalle. Pour les dents très mobiles il repasse les fils jusqu'à trois ou quatre fois. Pour les cas extrêmes il effectue des tours circulaires.

Afin d'éviter le glissement vers la gencive et le relâchement de la tension du fil il fait des petites encoches sur les faces vestibulaires.

Arrivé à la dernière dent les deux fils sont tordus avec la pince d'horloger et repoussés dans l'espace interdentaire.

Pour les dents mobiles au point de tomber elles-mêmes, celles-ci sont replacées en bouche après avoir percé deux trous l'un à côté de l'autre; une rainure circulaire est faite au-dessus des trous pour ces dents mandibulaires et au-dessous pour les dents maxillaires (fig. 2 et 3 de la planche 17 p. 128).

Le remplacement des dents extraites est réalisé par l'adjonction de dents postiches en cheval marin ou humaines; celles-ci sont ligaturées au talon comme les précédentes (fig. 4 de la planche 17 p.128 ).

En cas d'espace insuffisant pour ajuster une dent Fauchard place des petits coins en cheval marin percés de deux trous et fixés au niveau des dents voisines. Ces coins assurent ainsi le blocage de ces dents (fig. 5 et 6 de la planche 17 p. 128).

Dans ce chapitre Fauchard décrit à nouveau les positions relatives du malade et du praticien pour procéder à l'examen et au traitement prothétique.

L'INSTRUMENTATION

Pierre Fauchard consacre un chapitre entier à l'instrumentation prothétique. Il modifie de nombreux instruments et en crée même de nouveaux. Fauchard préconise un acier de qualité dont "le tranchant puisse bien couper et bien racler", et insiste sur la nécessité d'affûter fréquemment les instruments.

L'instrumentation pour la confection des dents artificielles

Fauchard utilise : la scie, les pinces coupantes, les limes, le porte-foret. 

Pl. 31 p. 142

Pl. 12 p. 52

Pl. 13 p. 53

Pl. 10 p. 50

Pl. 11 p. 51

Pl. 30 p. 241
Porte-foret

Ce dernier est uniquement utilisé pour la confection des pertuis des pièces prothétiques. Une exception est rapportée dans l’édition de 1746 pour la trépanation des dents à canal très fin pour assurer I'évacuation d'une collection suppurée.

Le porte-foret est composé :

  • d'un chevalet qui est engagé dans un étau

  • un arbre qui supporte la poulie sur laquelle s'engage la corde en boyau - à l'une des extrémités est monté le foret,

  • l'archet comprend un ressort de fanon de baleine et une corde en boyau.

L'instrumentation pour la réalisation de I'intrados des prothèses

Il se sert :

  • du compas, du tournevis,

Planche 29 p. 240
Compas

  • de grattoirs ; le manche en forme de poire à pans coupés doit "pouvoir remplir suffisamment la main".

Planche 32 p. 242
Grattoir

Fauchard insiste aussi sur la légèreté du manche nécessaire pour assurer "la sensibilité et la sûreté de la main".

Les matériaux utilisés pour la confection des dents artificielles se composent :

  • de dents humaines

  • de dents d'hippopotame ou cheval marin

  • de dents et tibias de bœufs

  • de défenses de morse mâle, ou vache marine

  • de défenses d'éléphant ou cœur de l'ivoire.

La préférence de Fauchard va aux dents humaines et d'hippopotame, à cause de la présence d'émail, de leur résistance à 1'usure, et d'une meilleure conservation de leur couleur.

Ce n'est que le 20 juin 1736, et le 30 juin 1738, que deux décrets reconnaissent aux tabletiers "le droit de remetteur de dents d'ivoire". Le 12 juillet 1745 un règlement royal fixe les attributions précises de ces artisans.

Les ligatures constituent l'unique moyen de rétention pour les prothèses adjointes partielles.

Il utilise :

  • le fil de lin

  • la soie cirée

  • le fil d'or qu'il recuit pour assouplir le métal et qu'il déroche dans du vinaigre pour lui restituer sa couleur primitive.

LA PROTHÈSE ADJOINTE PARTIELLE

Pour ces prothèses adjointes à courbure peu marquée Fauchard utilise les dents humaines.

Prothèse d'une dent

Planche 34 p. 255

Planche 34 - p. 255

La dent humaine est percée mésio-distalement de 2 pertuis l'un à côté de l'autre. La cavité pulpaire est "plombée". Le fil de soie replié par son milieu, forme une anse qui est engagée dans l'espace interdentaire le plus étroit des deux dents voisines. Après être passé dans les pertuis les deux extrémités des fils sont réunies par un nœud de chirurgien autour de la dent support opposée.

Prothèse de 2, 3 ou 4 dents

Planche 34, p.255 - p.220.

L'assemblage des dents postiches humaines

Il est réalisé en effectuant deux pertuis l'un au-dessus de l'autre, percés mésio-distalement, dans lesquels on passe deux fils d'or épais, ou goupilles, qui sont rivés aux deux extrémités.

La fixation

Elle est assurée par des ligatures. Deux nouveaux pertuis sont percés dans chaque dent près du rebord gingival, où passent les deux bouts d'un fil de soie cirée, et sont fixés aux dents supports.

Prothèse de 5 à 6 dents

Planche 34, p. 255 - p. 221-222 (fig. 4)

L'assemblage des dents humaines est réalisé comme précédemment.

La fixation

On réalise deux pertuis à chaque extrémité de l'assemblage l'un à côté de l'autre. Le pertuis le plus interne débouche dans l'intervalle compris entre les deux premières dents, alors que le plus externe aboutira dans l'intervalle compris entre la 2ème et la 3ème dent. Les deux fils sont noués de chaque côté sur les dents supports.

Prothèse de plus de 6 dents humaines

Planche 34, p. 221-224 (fig. 8)

A l'assemblage par goupilles rivées, l'auteur adjoint une petite lame d'or sur la face linguale des dents près du rebord gingival (ep.3mm). Elle est fixée à la base de chaque dent par des goupilles d'or rivées sur la face externe des dents.

On peut se dispenser de solidariser les dents les unes aux autres en faisant une échancrure sur la face linguale de chaque dent; ce qui permet de loger la lame dans l'épaisseur des dents prothétiques. La barre ainsi placée est solidarisée aux dents par deux rangées de goupilles placées l'une au-dessus de l’autre; elles sont ensuite rivées.

Prothèses avec courbure marquée

Planche 35 p. 257

Planche 35 p. 257 - p. 244 à 252

Pour ces prothèses Fauchard n'utilise que des dents d'hippopotame.

Prothèse supérieure où ne subsiste que la dernière molaire à chaque hémi-maxillaire.

Deux trous sont percés à chaque extrémité de la prothèse près du rebord gingival. Le trajet est oblique, de haut en bas, avec sortie de fils l'un à côté de l'autre, entre la 2ème et la 3ème dent, ou entre la 4ème et 5ème dent. Le fil replié par son milieu forme une boucle qui s'engage sur la dent support, alors que les deux bouts des fils sont tendus et noués dans l'espace interdentaire de la prothèse.

Dentiers où ne subsistent que les deux incisives centrales.

Planche 35 p. 249 à 352 (fig.2)

Après l'ajustage de la pièce sur les crêtes et les entailles faites au niveau des 2 incisives, trois trous sont percés au niveau de l'entaille, près du rebord gingival ; les deux pertuis latéraux sont forés près des encoignures en direction de la partie inférieure de la face interne, et en s'approchant l'un de l'autre par un trajet oblique. Le trou central est aussi orienté vers la face interne et vers le bas. Les bouts de chaque fil seront enfilés de bas en haut et de dedans en dehors ; le trou du milieu donnera le passage commun aux deux bouts de fil. Ceux-ci sont enfin serrés et noués sur la couronne de chaque dent le plus près de la gencive. Le trajet de ces fils ainsi conçu réalise une fonction de levier qui tend à plaquer la prothèse sur toute la surface palatine en évitant ainsi la bascule de la partie postérieure de la prothèse.

Prothèses adjointes complètes

Prothèse complète mandibulaire

Planche 35 p. 257 p. 260-261 (fig.5)

Pour réaliser une telle prothèse Fauchard insiste sur la nécessité de bien ajuster l'intrados de la prothèse "afin que la configuration de cette mâchoire et les égalités des gencives sur lesquelles elle prend son assiette puissent la maintenir dans cet état". Fauchard précise aussi les rapports de l'extrados de la prothèse avec les organes paraprothétiques : "on doit encore considérer la figure et la courbure qu'il faut donner à la face intérieure et à l'extérieur de chaque pièce artificielle pour éviter que la langue, les gencives et le dedans des joues en soient incommodés",

"tandis que cette pièce de dents artificielles est engagée d'un côté entre la langue et de l'autre par la lèvre inférieure et les joues; elle s'y trouve si stable que sans qu'elle se dérange la mastication se fait librement et ne diffère en rien de celle des dents naturelles".

Prothèse complète uni-maxillaire à ressorts solidaire d'une armature métallique mandibulaire fixée sur l'arcade dentaire

Planche 36 p. 273

Planche 36 p. 273 - p. 261 à 273 (fig. 1 et 2)

L'armature métallique mandibulaire :

elle est destinée à apporter un soutien mandibulaire aux ressorts de la prothèse maxillaire.

Elle comprend deux lames d'or ou d'argent constituant deux demi-cercles vestibulaire et lingual avec appui gingival. La lame vestibulaire est coudée à ses deux extrémités en épousant la forme des dernières molaires. Elle constitue une sorte de cavalier. La lame linguale est ensuite soudée à ses deux extrémités aux parties verticales de la lame vestibulaire. Cette armature assure une sustentation dentaire au niveau des cavaliers et gingival au niveau des demi-cercles des lames vestibulaire et linguale.

Deux lames externes ou "avances" sont soudées à chaque extrémité de la lame vestibulaire. Une entaille ou fente est ménagée dans cette pièce pour recevoir la partie inférieure du ressort. A l'extrémité de la lame externe un pertuis est ménagé de part en part de la pièce.

La prothèse supérieure :

Elle est constituée à partir d'une dent lanière d'hippopotame. Une éminence vestibulaire apparaît à chaque extrémité de la prothèse. Une entaille est ménagée dans l'éminence suivant un trajet oblique. Cette même entaille est croisée par une seconde entaille plus large et plus verticale à l'extrémité de laquelle est foré un pertuis vertical.

La prothèse est ensuite solidarisée à l'armature métallique mandibulaire à l'aide de deux ressorts en acier qui viennent s'engager dans les éminences supérieures et les lames externes mandibulaires. Les ressorts sont fixés à l'aide de fil qui passent dans les pertuis et les encoches ménagés sur les ressorts. Après avoir réalisé plusieurs contours de fil les brins sont enfin noués. Pour éviter une blessure au niveau du frein de la lèvre, une échancrure est ménagée au centre de la lame vestibulaire. Pour conserver l'élasticité du ressort, Fauchard fixe de chaque coté du ressort une petite lame très mince de baleine. Les petites lames ne sont pas recourbées et "portent à plats sur les gencives." fig.3.

Les deux modèles perfectionnés de la prothèse précédente présentés dans l'édition de 1746


La prothèse de la planche 41, p. 342 - 339 à 344

Planche 41 p. 342

L'armature mandibulaire se différencie de la prothèse précédente par :

- l'emplacement des barres vestibulaires et linguales qui sont situées sur la partie coronaire des dents à proximité du rebord gingival ; les lames sont galbées pour épouser l'anatomie des dents.

- les deux plaques occlusales qui remplacent les cavaliers de l'armature précédente.

- la présence de porte-ressorts avec mortaise qui sont soudés aux extrémités verticales des plaques occlusales.

La prothèse supérieure se différencie par la présence :

- de porte-ressorts qui sont fixés en retrait du contour vestibulaire de la prothèse.

- de ressorts de baleine qui remplacent les ressorts en acier. Ils sont galbés et présentent une encoche à chaque extrémité. Du fil de soie ciré entoure le ressort sur toute sa longueur.

- d'une surface d'appui palatine plus étendue on améliorait la sustentation de la prothèse.


La prothèse de la planche 42 p. 348 - p. 345 à 352

Planche 42 p. 348

La prothèse mandibulaire :

Dans ce cas on note l'absence des groupes molaires mandibulaires. L'armature métallique est en argent. Elle est ajustée sur la face palatine et vestibulaire des dents naturelles.

Elle est fixée sur le bloc constituant les trois molaires artificielles à l'aide de clous rivés.

Les portes ressorts avec mortaise sont cloués à l'autre extrémité du bloc molaire postiche.

La prothèse maxillaire :

La conception est traditionnelle et s'apparente au modèle de l'édition de 1728. Fauchard a voulu montrer les deux possibilités de fixation des ressorts tout en donnant sa préférence à la prothèse munie de porte-ressorts.

Prothèse complète supérieure dont la rétention est assurée sans prothèse d'appui inférieure

Pour Fauchard, la rétention de cette prothèse est obtenue par "le seul appui des joues et des dents inférieures". Concrètement le dentier "doit être bien ajusté sur ces gencives et assez écarté par les extrémités pour qu'il soit comprimé par les joues et qu'il soit soutenu à l'aide des dents inférieures qui le repoussent quelquefois dans sa place".

Cette phrase implique que Fauchard pressent l'importance d'un joint périphérique solide pour obtenir la rétention de la prothèse par dépression sous prothétique sous l'action de la pression atmosphérique. Fauchard précise aussi que pour réussir une telle prothèse il faut du "génie et de l'habileté".

Prothèse complète maxillaire et mandibulaire

Planche 37 p. 291

(ch. XVIII et XIX p. 276 à 283 - planche 37 p.291)

Fauchard applique ici ses concepts de sa prothèse unimaxillaire, bien qu'il préconise ici des ressorts en acier ou "de la meilleure baleine". Il insiste à nouveau sur l'importance de l'ajustage de l'intrados de la prothèse sur les crêtes pour améliorer la stabilité :"il faut auparavant avoir pris au juste les dimensions des gencives; il faut aussi avoir observé surtout les inégalités qu'elles peuvent former en différents endroits afin de tirer avantage de ces mêmes inégalités et de conformer la surface des dentiers qui doivent s'appliquer sur les gencives à la variation des éminences et des enfoncements de ces mêmes gencives" p.276-277.

L'EMAILLAGE DES PROTHÈSES de PIERRE FAUCHARD

Cet émail est désigné comme représentant le Christ en dépit de l'inscription OSE pour la raison que le visage du prophète est imberbe. Le dessin est obtenu en emprisonnant l'émail dans de petites cloisons d'or rapportées sur la plaque du fond

Planche 37 p.291

L’émaillage des différentes prothèses de Fauchard est non seulement destiné à améliorer l'esthétique des dentiers, mais aussi à réduire les altérations des bases d'ivoire d'hippopotame par les fluides buccaux.

- C'est une des innovations majeure de Fauchard. La pratique de l'émaillage remonte aux Étrusques que ont laissé de nombreux bijoux ornés d'émaux. L'industrie du véritable émail est attribuée aux Celtes qui pratiquaient dès le 3ème siècle l’émaillage sur bronze que l'on retrouve sur de nombreux vestiges tels que: fibules, agrafes de ceinturons et ornements de harnais. Au début du Moyen-age, Byzance est le centre de l'émaillerie, dont les artistes sont appelés dans les différentes parties de l'Europe pour exécuter les travaux d'orfèvrerie émaillée.

A Paris, c'est en 1566 que les émailleurs furent constitués en communauté particulière par Charles VII. Ils ont fait partie de différentes académies jusqu'à la fin de l'ancien régime.

L'émail est une substance vitrifiable destinée à recouvrir une poterie, un verre ou un métal en vue d'obtenir un effet décoratif et une protection contre les agents extérieurs et qu'on fait adhérer par une fusion â température élevée.

La composition des émaux dépend de la nature de son support : l'émail sur métal est généralement composé d'un mélange fondu de sable siliceux d'un fondant comme le carbonate de soude et d'oxydes métalliques pour obtenir différentes colorations : le titane pour le jaune, le platine pour le gris et le fer pour le brun.

Planche 37 p. 291

C'est après avoir consulté les émailleurs de renom de la capitale que Pierre Fauchard entreprit d'appliquer cette technique aux prothèses dentaires.

La prothèse présentée à la figure 3 de la planche 37 restitue l'arcade dentaire et une importante surface de fausse gencive consécutive â une fonte des crêtes osseuses. Après avoir ajusté l'intrados des prothèses sur les crête, il applique une lame d'or ou d'argent sur la surface extérieure des dentiers d'un millimètre d'épaisseur avant d'y avoir encore formé aucune dent. Il grave ensuite à la lime le contour des dents sur la feuille d'or avant d'envoyer la pièce à l'émailleur.

Fauchard précise ensuite: "on figure les petites éminences que les gencives forment dans l'intervalle de chaque dent et les demi-contours qu'elles forment aussi de l'une à l'autre dent... l'extérieur de chaque dent émaillée doit paraître un peu convexe".

Cette remarque étant faite, après l'envoi de la lame à l'émailleur, implique que le relief des surfaces extérieures des prothèses ont été réalisées par l'émailleur. La technique d'empâtement des émaux pour former les reliefs a été introduite en France dès le XVIIème siècle par Jacques Nouailher.

Les plaques émaillées sont enfin fixées aux dentiers à l'aide de goupilles en or rivées au niveau des faces internes des bases en ivoire. Ces prothèses émaillées sont solidarisées aux dents supports comme les précédentes par des ligatures, des ressorts ou des tenons.

PROTHESE CONJOINTE

La dent à tenon

planche 34 p.255 - p.224 à 237

Le traitement de racine

un éventuel filet nerveux est neutralisé à l'aide du cautère; une boulette de coton imprégnée d'huile de cannelle ou de girofle est mise en place dans le canal pendant quelques jours. Le canal est ensuite alésé avec des équarrissoirs à sections pyramidales tranchantes se terminant en pointe.

Planche 34 p. 255

La dent artificielle

c'est une dent humaine qui est ajustée sur le talon de la racine. Fauchard effectue ensuite un pertuis au-delà de la chambre pulpaire avec le foret.

Planche 34 p. 255

Le tenon

il est en or ou en argent et dentelé. - l'une des extrémités du tenon est forcé dans le pertuis de la dent qui a auparavant été rempli de "mastic".

Il est composé :

  • de gomme laque, 2 onces

  • de térébenthine de Venise, ll2 once

  • de corail bleu en poudre, ll2 once

Le tenon est auparavant chauffé pour faire fondre le mastic et introduit dans la dent à l'aide de la pince à horloger.

L'autre extrémité du tenon est mis en place dans le canal jusqu'à ce que le talon soit bien ajusté sur la racine.

En cas de tenon court, en l'absence de produit de fixation :

  • il effectue des dentelures supplémentaires pour augmenter la section du tenon

  • ou il entoure le tenon de chanvre ou de fil très fin qu'il engage à force dans le canal.

  • en cas de tenon trés court, il adjoint des ligatures en or sur les dents naturelles voisines. La dent humaine est, dans ce cas, percée de deux trous latéraux au niveau de la gencive. Deux fils d'or sont passés dans la dent et repliés en formant une boucle qui est engagée dans l'espace interdentaire de la dent naturelle voisine. Une fois le tenon introduit dans le canal, les deux bouts de fil sont ligaturés sur l'autre dent naturelle.

Fauchard affirme qu'avec un tel dispositif de fixation la dent à tenon peut durer 15 à 20 ans !

Pont avec piliers composés de dents à tenon

Planche 35 p. 257

planche 35 p.257 - p.252-255 et dentier à tenon

Le dentier est percé de trous qui correspondent verticalement à l'entrée des canaux. Les tenons ont la forme de vis pyramidale à tête fendue pour permettre la mise en place dans le canal avec un tournevis. Les extrémités débordantes des tenons sont ensuite réduites à la lime. Pour ce percement du dentier au niveau des canaux, des bouts de plumes imprégnés d'encre sont mise en place dans les canaux. Ce procédé assure aussi une localisation précise des pertuis lors de la mise en place des tenons.

CONCLUSION

Portrait de
Pierre FAUCHARD
Huile sur toile

Coll. particulière

Si Pierre Fauchard est universellement reconnu comme le Père de l'Art dentaire, c'est pour une bonne part la conséquence de ses recherches en prothèse dentaire. En opposition avec le conservatisme des praticiens de son temps, Pierre Fauchard est à l'origine du nouvel essor de la prothèse dentaire au XVIII siècle. Ce développement résulte de ses nombreux travaux originaux, mais aussi de sa générosité intellectuelle exprimée dans son ouvrage qui permit la vulgarisation de ses inventions prothétiques.

I1 a d'abord le mérite d'avoir perfectionné les techniques traditionnelles de fixation par ligatures qui améliorent la stabilité des prothèses adjointes partielles. Mais Fauchard apparait surtout comme un novateur dont les recherches originales se rapportent aussi bien à la prothèse adjointe avec ses nouvelles "machines" qu'à la prothèse conjointe avec ses dents et dentiers à tenon.

Il est aussi le premier à s'attacher à l'aspect esthétique qui le conduit à appliquer la technique de l'émaillerie à tous les types de prothèse dentaire.

Il devance encore ses confrères dans sa recherche de la stabilité et de la rétention de ses prothèses complètes. II se rend aussi compte de la nécessité d'étendre la surface d'appui de ses obturateurs pour améliorer leur sustentation. Ainsi se trouvent réunis chez Pierre Fauchard les germes de la Triade d'équilibre de Housset, publiée en 1957 : sustentation, stabilisation, rétention.

L'esprit scientifique, magistralement défini par Claude Bernard dans son "Introduction à l'étude de la médecine expérimentale" est omniprésent dans l'ouvrage de Pierre Fauchard. II se manifeste dans la remise en cause de ses propres réalisations en présentant dans la 2ème édition du livre, des modèles profondément modifiés.

Pour apprécier à sa juste valeur les travaux prothétiques de Pierre Fauchard, il faut aussi prendre en compte l'indigence technologique de l'arsenal opératoire de cette époque, qui exigeait que les instruments fussent utilisés avec une extrême précision et une grande dextérité. Cette situation conduit Fauchard à développer un aspect inédit de l'Art dentaire qu'on appelle aujourd'hui: l'ergonomie.

Parmi les nombreuses citations destinées aux Père de l'Art dentaire, Marmont, dans l'odontotechnie" publiée en 1825 se singularise en dédiant un poème à Pierre Fauchard, dont voici les premiers vers :

"Respectable Fauchard, toi dont l'heureux génie
D'un art encore naissant honora ta patrie
Contre ta renommée en efforts impuissants,
Tes rivaux envieux vinrent se casser les dents".

Bibliographie

Dionis, Cours d’opérations de Chirurgie, 3ème édition, 1738.
Fauchard Pierre, Le chirurgien-Dentiste ou Traité des dents, 3ème édition, 1786.
Larousse du XXème siècle, 1928.