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Historia anatomica humani corporis et singularium ejus partium multis controversiis et observationibus novis illustrata.

Parisiis : excudebant A. Mettayer et Orry. 1600

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Marie Gaille
pour le projet ANR Philomed
Chargée de recherche SPHERE, (UMR 7219, CNRS-Université Paris Diderot
mariegaille@yahoo.fr
30/01/2012

André Du Laurens naît à Tarascon en 1558. Fils de Louis Laurens et Louise Castellan, il grandit à Arles où son père exerce le métier de médecin. Il s’inscrit en faculté de médecine à Avignon où il est reçu docteur le 3 octobre 1580. Il pratique sa profession dans la cité pontificale et y enseigne la médecine aux chirurgiens et aux apothicaires. En 1582, à la mort de Laurent Joubert, l’un des professeurs en chaire de la Faculté de médecine de Montpellier, il candidate au concours ouvert pour remplacer ce dernier et après diverses péripéties, le remporte. André du Laurens y enseigne pendant huit ans environ. Entre-temps, il fait connaissance avec la duchesse d’Uzès, qui l’emmène avec elle à Paris. Il conserve ses fonctions à Montpellier, désignant des remplaçants à sa chaire. À Paris, la protection de la duchesse d’Uzès sert sa carrière : peu après son arrivée il est nommé médecin ordinaire d’Henri IV, puis en 1603, Premier médecin du Roi, tâche dont il semble s’être acquitté avec beaucoup de dévouement. Il meurt en 1609.

André Du Laurens est connu pour son Historia anatomica humani corporis et singularum ejus partium, multis contraversis et observationibus novis illustrata, publiée à Francfort en 1595. Il l’est également pour un écrit en français de 1597, son Discours de la conservation de la veue, des maladies mélancholiques, des catarrhes, & de la vieillesse. Auparavant, il a publié deux textes, une apologie de Galien relative à la circulation sanguine Triumphus verae et Galenicae demonstrationis de vasorum cordis in foetu communione (Tours, 1593) et un écrit sur un point de controverse médicale, L’Admonitio ad Simonem Petraeum, medicum parisiensem clarissimum (Tours, également en 1593). Ses deux textes principaux ont fait l’objet de multiples traductions, le premier en français, le second en latin, en italien et en anglais. Leur importante diffusion lui assure une notoriété significative aux XVIIe et XVIIIe siècles.

André du Laurens est généralement présenté comme un vulgarisateur de l’anatomie par ses biographes, à une époque où celle-ci connaît, notamment sous l’impulsion de Vésale et des anatomistes qui exercent sur le sol italien, un renouveau important. Il est présenté comme un homme qui ne vise pas l’originalité, mais la diffusion d’un savoir. L’Historia compile les connaissances anatomiques de son temps et propose une iconographie empruntée à plusieurs sources. Sa modernité même est en question. En effet, cet ouvrage témoigne d’une préférence marquée pour Galien, donnant raison à Vésale et à Guy de Chauliac avec circonspection.

Cette dimension de « passeur » a été accentuée par le fait que son Historia a fait très tôt l’objet d’une traduction en français : « version bas, populaire, & n’approchant que de loin à la sublimité du Latin », selon les termes du traducteur, mais qui avait l’avantage d’être mieux comprise par les membres de la profession médicale. Ce traducteur, Théophile Gelée, était lui-même médecin et dans son adresse au lecteur, rend compte de son entreprise en des termes significatifs eu égard à la question de la diffusion du savoir anatomique : il aurait d’abord entrepris cette traduction pour lui-même, afin de mieux profiter des connaissances réunies et énoncées par André du Laurens ; quelques copies de ce texte auraient ensuite circulé, auprès de quelques « jeunes chirurgiens ». Très vite, il aurait ressenti la nécessité de reprendre son travail de traduction et de le publier afin que le texte ne soit pas déformé ou ne circule pas dans plusieurs versions. André Du Laurens était au courant de cette entreprise et semble l’avoir encouragée au point de vouloir s’impliquer lui-même dans une relecture de l’ouvrage traduit. Il meurt cependant avant d’avoir eu l’occasion de faire ce travail. L’édition de Toutes les œuvres citée en bibliographie recèle une correspondance entre l’auteur et le traducteur à ce sujet.

Cependant, si l’on s’arrête à cette fonction de « passeur », qui domine largement les commentaires sur André du Laurens, on manque l’intérêt propre de son œuvre. Lorsqu’on noue médecine, philosophie et anthropologie, celui-ci apparaît pleinement. André du Laurens prend le temps d’inscrire la connaissance anatomique dans un discours plus général sur la dignité de l’homme. Cela constitue une différence importante avec Vésale, dont il cherche à divulguer la pensée. Vésale, en effet, se montre avant tout engagé dans un débat épistémologique sur les modes d’acquisition d’un véritable savoir médical et ne cherche pas à développer cette dimension anthropologique, même dans une œuvre destinée elle aussi à une meilleure diffusion du savoir anatomique, le Résumé des livres sur la fabrique du corps humain (voir l’édition bilingue latin-français, texte et traduction de J. Vons, introduction., notes et commentaires de J. Vons et S. Velut, Paris, Les Belles Lettres, 2008).

L’Opera anatomica in quinque libros divisa (1593) propose en premier lieu une justification de l’utilité et de la nécessité de l’anatomie au regard de la connaissance de l’homme et de celle de son inscription dans l’univers créé par Dieu. Deux ans plus tard, André du Laurens développe de façon plus nourrie cette approche dans son Historia. Les six premiers chapitres du Livre I justifient la pratique de l’anatomie pour des raisons essentiellement extra-médicales. L’homme est présenté comme une créature divine, recélant « des étincelles célestes et des semences de la divinité », et il est fabriqué à l’image de son « créateur » (ou « architecte », ou « ouvrier »). La connaissance du corps humain via l’examen anatomique constitue une voie privilégiée pour appréhender l’homme comme créature de Dieu et comprendre la place éminente qu’il occupe dans l’ordre de la création. Sa composition parfaite, qui ne saurait être améliorée sur aucun point, est l’un des traits principaux qui en attestent. En témoignent également : la posture verticale, droite, orientée vers le ciel ; la main, « organe de tous les organes » ; la température équilibrée du corps ; l’ordonnancement du corps – la partie « supérieure » ou l’âme surplombant la partie moyenne ou céleste, le cœur et le ventre, partie qui elle-même se situe au-dessus de la partie « sous-lunaire » ou « élémentaire » assurant la fonction de reproduction. Cet ensemble symétrique, composé des quatre humeurs, fait de l’homme un « petit monde » (microcosme) analogue au grand monde. La comparaison des animaux tourne à l’avantage des hommes puisque leur faiblesse (ils sont dépourvus des défenses naturelles que constituent les griffes, les poils, etc.) n’est qu’apparente. Grâce au langage et à la soumission des facultés vitales et naturelles à l’activité de l’âme, l’homme est supérieur aux animaux et destinés à les dominer. Cette anthropologie de l’imago dei se prolonge dans une conception politique, puisque l’ordre de la cité est également considéré à la lumière de la connaissance anatomique. Le régime monarchique et sa hiérarchie propre sont justifiés à partir de cette dernière.

Éléments de bibliographie

Marie-Thérèse d’Alverny, L’homme comme symbole : le microcosme, Spoleto, 1976.

Jean Céard, Marie-Madeleine Fontaine et Jean Claude Margolin,Le Corps à la Renaissance, Actes du XXXe colloque de Tours, 1987, Paris, Aux Amateurs des livres, 1990.

Marie Gaille, « "Ce n’est pas un crime d’être curieux de l’anatomie" : la légitimation de la connaissance médicale du corps humain dans l’Europe catholique et protestante des XVIe et XVIIe siècles », in Pascale Hummel et Frédéric Gabriel (dir.), La mesure du savoir, Etudes sur l’appréciation et l’évaluation des savoirs, Paris, Philologicum, 2007, pp. 217-242.

Louis Dulieu, La médecine à Montpellier, T. 2, La Renaissance, Avignon, Les presses universelles, 1979.

Marie Viallon-Schoneveld (éd. et prés.), Médecine et médecins au XVIe siècle, Actes du IXe Colloque du Puy-en-Velay, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2002.

Valérie Worth-Stylianou, Les Traités d’obstétrique en langue française au seuil de la modernité, Genève, Librairie Droz, 2007.

Valérie Worth-Stylianou, « "Que tout cela eust mieux esté en latin, que en François" : l’emploi de la langue française dans la diffusion du savoir obstétrical au XVIe siècle en France », Jacqueline Vons (dir.), 51e colloque international d’études humanistes, Tours, 2-6 juillet 2007, Paris, De Boccard édition-diffusion, 2009 .