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L'anatomie de l'homme, suivant la circulation du sang, et les nouvelles découvertes. Démontrée au Jardin du Roy. Par M. Dionis,... Cinquième édition exactement revue et beaucoup augmentée par l'auteur ; avec une ample dissertation sur la génération et plusieurs explications de faits particuliers, accompagnez de figures nouvelles....

À Paris : chez Laurent d'Houry. 1715

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Claire Crignon
pour le projet ANR Philomed
Maître de conférences en philosophie à l’Université Paris-Sorobonne
crideo@free.fr
13/03/2012

Pierre Dionis (1643-1718), chirurgien, fut investi en 1673 des fonctions de Démonstrateur d’Anatomie au Jardin Royal des Plantes. La demande que lui adresse Louis XIV d’enseigner « suivant la circulation et les dernières découvertes » sonne comme une victoire pour les partisans de William Harvey dans la longue querelle de la circulation sanguine qui parcourt le XVIIe siècle.

C’est donc d’abord au Roi et à son premier médecin, Daquin, que Dionis rend hommage dans la Dédicace et dans la Préface de son ouvrage (1e édition 1690), soulignant le fait que c’est à lui que l’on doit la création d’une chaire d’anatomie et le rétablissement des leçons publiques d’anatomie en 1672. Louis XIV avait clairement réparti les tâches entre d’une part les professeurs, titulaires de la chaire d’anatomie (comme Marin Cureau de la Chambre, 1594-1669, puis son fils François 1630-1680), chargés de professer des discours sur l’anatomie, et d’autre part les démonstrateurs, c’est-à-dire les chirurgiens et anatomistes, comme Pierre Dionis, chargés des « démonstrations de l’anatomie et des opérations de chirurgie » qui doivent se pratiquer, comme l’ordonne le Roi à partir de 1673, « à portes ouvertes et gratuitement, dans un Amphithéâtre ».

C’est sans doute ce qui explique pourquoi Dionis précise, au début de la seconde partie du texte (« L’anatomie de l’homme, suivant la circulation du sang et les dernières découvertes »), qu’il ne sera pas ici question de prononcer un « éloge de l’homme » ni de s’« étendre sur les avantages qu’il a sur le reste des animaux » (p. 139). Prenant délibérément le contre-pied des discours humanistes sur l’excellence et la grandeur de l’homme, Dionis entreprend de réduire l’anthropologie à l’anatomie, entendue ici comme science du corps, strictement séparée de la science de l’âme (psychologie) : « Sans nous arrêter donc à vous faire remarquer ce qui l’élève [l’homme] au dessus de tout ce que nous voyons dans l’Univers ; je commencerai par vous dire, que la Science qui nous conduit à la connaissance de l’homme s’appelle Anthropologie : ce mot dérive de deux dictions Grecques, d’Anthropos, qui signifie homme, & de Logos, qui veut dire discours. Cette science renferme deux parties ; la première traite de l’Ame, qu’on nomme Psychologie, dont je ne vous parlerai point ; et la seconde fait connaître le corps et tout ce qui en dépend, c’est ce qu’on appelle Anatomie, dérivée d’ana, qui signifie chacune, & de temnein, qui veut dire couper » (p. 139-140).

L’anatomie se définit elle-même comme « dissection ou division artificielle que l’on fait d’un corps pour connaître les parties qui le composent » (p. 140). Appliquant à la médecine et à l’anatomie une lecture cartésienne, Dionis définit le corps humain comme une « machine ». La tâche des anatomistes est d’expliquer « mécaniquement toutes les actions qui en dépendent » ou de bien distinguer tous ses « ressorts » (Préface, non paginée). Dès lors l’anthropologie telle que la conçoit Dionis tend à se réduire à une description anatomique du corps humain, divisée en deux parties : « l’ostéologie », qui porte sur « les os et les cartilages », et la « sarcologie » qui traite « des chairs et des parties molles ». Dionis précise dans la Préface qu’il a préféré une division de ses démonstrations en journées plutôt qu’en chapitres, ce découpage ayant pour fonction de permettre aux étudiants de voir « en dix journées toutes les parties qui composent l’Homme ». La composition et la structure du texte reflètent ainsi l’ordre et la temporalité des démonstrations anatomiques : « Je n’ai point divisé mes démonstrations par chapitres ; elles contiennent de suite toutes les parties qu’on fait voir dans le même jour à chaque démonstration, et dont les noms se trouvent à la marge » (Préface, non paginée).

La seconde partie du texte (« L’anatomie de l’homme suivant la circulation & les dernières Découvertes », p. 139) se présente comme une entreprise de justification des découvertes des modernes contre les défenseurs de la tradition. Dionis vise en particulier les adversaires de la circulation sanguine, comme Jean Riolan, lui-même professeur d’anatomie et de botanique au collège royal, sous le règne de Louis XIII. « C’est la circulation du sang que nous établissons pour principe dans tout le cours de ces démonstrations, tant pour confirmer le sentiment des modernes que pour détruire les erreurs des Anciens » (Préface, non paginée). Dionis justifie cette prise de position en développant deux types d’arguments. D’une part, il répond à ceux qui s’opposent aux découvertes anatomiques en arguant du fait qu’elles changent « la composition de l’homme ». Loin d’ajouter quelque chose de « nouveau » à l’homme, les « nouvelles découvertes » (la circulation sanguine, mais aussi la découverte du canal pancréatique, celle des veines lactées ou du canal thoracique) nous font simplement découvrir des parties jusqu’alors inconnues du corps humain, tout comme les expéditions vers l’Amérique nous ont fait découvrir des parties inconnues du globe terrestre. D’autre part, il répond à l’argument de l’inutilité thérapeutique des découvertes médicales (la saignée continue être pratiquée bien après la découverte de Harvey) en soulignant le véritable enjeu du progrès des connaissances médicales : fonder la science médicale sur des « fondements plus certains et plus solides que ceux des anciens » (Préface, non paginée). La seconde partie ne traite cependant pas seulement de la circulation ou purification du sang, mais aussi des grandes fonctions vitales : respiration et génération.

Éléments bibliographiques :

Dionis, Pierre, Cours d’opération de chirurgie, Paris, 1707.

Barritault, Georges, l’anatomie en France au XVIIIe siècle, les anatomistes du Jardin du Roi, Dionis, les Cureau de la Chambre, Duverney, Pourfour du Petit, Hunauld, Winslow, Ferrein, Portal, Thèse de Médecine, Paris, 1940.

Huard, Pierre, et Grmek, Mirko, La chirurgie moderne, ses débuts en occident, XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles, Paris, R. Dacosta, 1968.