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Essais physiologiques contenant : I. des Recherches sur les causes du mouvement des fluides dans les très petits vaisseaux des animaux ; II. des Observations sur la sensibilité et sur l'irritabilité des parties du corps animal à l'occasion du Mémoire de M. Haller sur ce sujet. Par M. Robert Whytt,... Traduits de l'anglois par M. Thébault,...

Paris : Frères Estienne. 1759

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Claire Etchegaray
pour le projet ANR Philomed
Maître de conférences en philosophie à l’Université Paris-Ouest Nanterre
claire.etchegaray@gmail.com
07/11/2011

Lorsque Canguilhem fait l’histoire du concept de réflexe au siècle des Lumières, il note que Robert Whytt (1714-1766) a davantage contribué à l’histoire médicale par « son génie d’expérimentateur » que par ses concepts théoriques. Whytt a en effet mené et décrit avec rigueur les premières expériences sur les grenouilles spinales. Mais il a par ailleurs introduit un animisme l’empêchant de concevoir toute localisation déterminée d’un centre nerveux. Or ce sont précisément les raisons méthodologiques et les enjeux épistémologiques auxquels un tel animisme répond qui le rendent intéressant pour une histoire de l’anthropologie médicale. C’est en tant que philosophe expérimental rigoureux que Whytt en appelle au pouvoir d’un être sensitif actif (ou âme) pour rendre compte des mouvements musculaires dans An Essay on the Vital and other Involuntary Motions of Animals. Et c’est au nom d’une conception sans prévention des faits de nature, qu’il s’oppose aux thèses d’Albrecht von Haller dans ses Physiological Essays.

Ce recueil est, dans sa première édition (en 1755), composé de deux essais. Le premier, qui avait été présenté dès 1744 (ou 1745) devant la Royal Society, adresse des critiques au système hydraulique de Boerhaave et ce faisant, achève la secondarisation qu’il lui avait fait subir dans An Essay on the Vital and other Involuntary Motions of Animals. Le second répond aux objections émises par Haller dans la recension qu’il avait faite de An Essay on the Vital and other Involuntary Motions of Animals en 1752, puis dans la dissertation De partibus corporis humani sensilibus et irritabilibus parue peu après. Haller déclarait en effet dans la recension : « Rien n’est plus spécieux que de dériver tous les mouvements de l’âme » (Relationes de Novis Libris, 1752, n°1, p.157). Il faut dire que Whytt avait tenu l’explication physiologique du mouvement musculaire en appelant à des qualités inhérentes des fibres pour un « refuge d’ignorance ». La dissertation maintient pourtant cette thèse en distinguant sensibilité et irritabilité comme deux pouvoirs inhérents à deux types respectifs de fibres. Whytt réplique dans les Physiological Essays que l’irritabilité suppose toujours un feeling désagréable. Nier que la sensibilité de l’âme soit impliquée par les phénomènes de contraction des muscles, excisés notamment, c’est pour Whytt manquer le sensorganique de l’irritation et limiter son étude à une approche mécaniste ou matérialiste.

Son opposition au médecin de Göttigen porte sur ce qu’il est légitime de poser comme « fait de nature » au sein d’une explication expérimentale en médecine. Haller situe ce fait de nature à l’articulation de la structure fibraire et de ses effets (contraction ou douleur) : la fibre musculaire est ainsi faite qu’elle est irritable, et la fibre nerveuse, sensible, quoique nous ignorions pourquoi. Whytt le situe au niveau global de notre « constitution originaire » qui fait que notre corps est animé, mais sans que nous ne connaissions les modalités du rapport entre le principe sensitif (âme) et les phénomènes physiologiques, rapport qu’on doit se contenter d’appeler sensible. Défendre l’existence d’une irritabilité sans sensibilité c’est pour Whytt rendre compte de la contraction musculaire sans prendre en compte sa dimension vivante. C’est pourquoi le second essai des Physiological Essays consiste à montrer que la classification des différents organes selon l’irritabilité et la sensibilité de leurs fibres respectives n’est pas pertinente et que le plus irritable n’est pas le moins sensible. Whytt doit notamment retourner l’argument des animaux décérébrés ou spinaux, et des muscles excisés où l’on peut constater une contraction faisant suite à l’irritation : pour l’écossais, une telle irritation continue d’impliquer un feeling et donc un principe sentant actif et immatériel, même s’ils s’évanouissent peu à peu après la mort.

L’attaque de Haller se poursuivait dans ses Mémoires et la défense de Whytt dans Review of a Controversy concerning the Sensibility and Moving Power of the Parts of Men and other Animals (publié en 1761, il devient dans la seconde édition des Phyiological Essays en 1763 « Appendix containing an Answer to M. de Haller » et n’est donc pas traduit ici). En 1764, Haller publie Ad Roberti Whyttii nuperum scriptum Apologia, mais déjà dans ses Elementa physiologiae corporis humani (1757-1766) Haller avait approfondi sa théorie de l’irritabilité et de la sensibilité en cherchant à mettre en évidence une intégration organique et non plus seulement une dissociation de ces qualités. On peut penser que la controverse, qui peut parfois donner l’impression d’un « dialogue de sourds » (selon les termes de Duchesneau), n’est pas étrangère à l’évolution de Haller sur ce point.

 

Éléments de bibliographie :

Georges Canguilhem, La formation du concept de réflexe aux XVIIe et XVIIIe siècle, Paris, PUF, 1955, pp.101-107.

François Duchesneau, La physiologie des Lumières. Empirisme, modèles et théories, La Haye, Boston, Londres, M. Nijhoff (Kluwer), 1982, pp.171-215.

Cristina Paoletti, La difesa dell’errore. Senso commune e filosofia positiva in Thomas Brown, Bologne, Clueb, 2006, pp.61-73.

Roger Kenneth French, Robert Whytt, the Soul and Medicine, Londres, Wellcome Institute, 1969

Heinz Otto Hürzeler, Robert Whytt (1714-1766) und seine physiologischen Schriften, Zürich, Juris Druck und Verlag Zürch, 1973.

John P. Wright, « Metaphysics and Physiology : Mind, Body and the Animal Economy in the Eighteenth Century Scotland », Studies in the Philosophy of the Scottish Enlightenment, Oxford UP, 1990 (réimpr. 2000), pp.251-301.