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Artis chemicae principes Avicenna, atque Geber, hoc volumine continentur, quorum alter nunquam hactenus in lucem prodiit, alter vero vetustis exemplaribus collatus...

Bâle : Pietro Perna. 1572

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Didier Kahn
CNRS, Paris
dkahn@msh-paris.fr
Lorsque Mino Celsi publie en 1572 à Bâle, chez Pietro Perna, un important recueil de textes alchimiques d’origine médiévale et en partie arabe : Artis chemicæ principes, Avicenna atque Geber, il est loin de s’agir d’une publication fortuite : ce volume n’est qu’un des nombreux recueils d’alchimie médiévale publiés par Pietro Perna cette année-là. Décalquant purement et simplement le titre d’un imposant recueil de traités de médecine ancienne, Medicæ artis principes, publié à Genève chez Henri Estienne en 1567, l’Artis chemicæ principes s’inscrit clairement dans le cadre d’un vaste projet éditorial visant à offrir tout ce qu’il est loisible de publier alors dans le domaine alchimique. Mais ce recueil ne vise pas seulement à se présenter comme le pendant alchimique des Medicæ artis principes (ce n’est là qu’un argument de vente et de prestige) ; si sa matière — certes très étendue — n’a pas été versée dans les plus vastes recueils simultanément publiés par Perna, l’Auriferæ artis quam Chemiam vocant, antiquissimi authores sive Turba philosophorum et l’Alchemiæ quam vocant artisque metallicæ doctrina, certusque modus, c’est très probablement que Perna poursuivait, parallèlement à son projet éditorial, un projet de nature politique et religieuse : car pourquoi confier la responsabilité de ce volume à un personnage comme Mino Celsi (1514-1577), le successeur de Sébastien Castellion dans la lutte en faveur de la tolérance religieuse ? — Parce que Celsi, sans doute, s’intéressait à l’alchimie ? Certes ; mais il se trouve qu’au même moment Celsi assurait, chez Perna lui-même, la réédition de l’interprétation bilingue par Castellion du Nouveau Testament. Or cette réédition fut dédiée par Celsi à sir Francis Walsingham, l’ambassadeur d’Angleterre à Paris, tandis que le recueil Artis chemicæ principes était simultanément dédié par ses soins à Pierre de Grantrye, ambassadeur de France en Suisse. Lorsqu’on sait que ces dédicaces datent de dix jours à peine avant les noces d’Henri de Navarre et de Marguerite de Valois, qui eussent scellé la concorde religieuse en France si le massacre de la Saint-Barthélemy n’avait pas différé durablement cette perspective, on ne peut que supposer chez Perna et Celsi l’intention d’œuvrer activement, entre autres par le biais de l’alchimie, en faveur de l’avènement de cette concorde en France, voire en Suisse et en Angleterre.
L’un des recueils publiés par Perna cette année-là, l’Alchemiæ quam vocant […] doctrina, certusque modus, n’était autre qu’une réédition partielle du recueil Veræ Alchemiæ de G. Gratarolo, mort quatre ans plus tôt. Le reste du contenu du Veræ Alchemiæ, Perna le répartit dans les autres recueils imprimés par ses soins la même année : c’est ainsi que les traités attribués à Geber dans le Veræ Alchemiæ se retrouvèrent tous dans la seconde partie d’Artis chemicæ principes. Mais l’intérêt majeur de ce recueil de Celsi réside dans sa première partie, constituée par la première (et unique) édition d’un des textes les plus anciens et les plus influents du Moyen Age latin, le De anima in arte alchemiæ faussement attribué à Avicenne, rédigé en réalité en Espagne dans la première moitié du XIIe siècle. Précieux témoin d’une alchimie encore fondée sur les substances organiques au moins autant que sur les minéraux, le De anima in arte alchemiæ s’ouvre sur une importante section théorique, la Porta elementorum, qui étudie la façon de décomposer tout corps en ses quatre éléments pour en recomposer ensuite de nouveaux corps. Ce traité sera abondamment lu et utilisé durant tout le Moyen Age, tout au moins jusqu’au seuil du XVe siècle. Il n’a jamais été réédité depuis 1572.

Bibliographie

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