XXXIe congrès - Bologne, 30 août au 4 septembre 1988

par R. Mayer

Après Dusseldorf en 1986, c’est Bologne qui fut le siège, cette année, du Congrès — le XXXIe ! — de la Société internationale d’histoire de la médecine, qui tient ses assises traditionnellement tous les deux ans.

Chef-lieu de l’Emilie-Romagne, Bologne compte aujourd’hui près de 500 000 habitants. Cette ville de tradition se targue d’une existence très ancienne qui remonte même à l’Antiquité, car elle tire ses origines de la ville étrusque de Felsina, auprès de laquelle les Romains avaient fondé une colonie, dénommée Bononia. Victime d’une grave récession économique et d’une désaffection qui dura pendant tout le bas Moyen Age, Bologne retrouva sa splendeur d’antan et son importance dès le XVe siècle, et sa prospérité dura jusqu’au XVIIIe siècle. Bien des édifices de cette époque, plusieurs palais, ses deux hautes tours, dites des Asinelli, ainsi que nombre d’églises — dont San Petronio et San Domenico — en sont encore les témoins aujourd’hui, tout au long de rues bordées de ces arcades typiques de l’architecture locale.

Bologne — qui vient de célébrer avec faste, cet automne, le 900e anniversaire de son Université et le 700e de sa Faculté de médecine — Bologne resplendissait d’un soleil radieux, sous les touffeurs de l’été finissant, lorsqu’elle accueillit en ce mardi 30 août les tout premiers congressistes venus participer à la séance solennelle d’ouverture, au siège du Congrès, le Palazzo Hercolani. Cet ancien palais, qui abrite actuellement plusieurs locaux de l’Université, mérite une très brève évocation: il fut construit au XVIIIe siècle par le prince Filippo Hercolani, descendant d’une famille qui eut son heure de gloire. Les Hercolani, natifs de Faenzia et devenus citoyens de Bologne, acquirent en effet très vite la dignité sénatoriale et des titres de marquis et de princes du Saint Empire Romain. Plusieurs de ses membres sont devenus célèbres, parmi lesquels Bartolomeo Hercolani, le fameux juriste du XVe siècle et Giovanni qui, lui, fut professeur de médecine.

La cérémonie inaugurale débuta, selon la tradition, par le discours du président du Comité d’organisation, le Pr Raffaele A. Bernabeo, suivi des allocutions de l’adjoint au maire de Bologne, M. Renzo Imbeni et du Pr Fabio A. Roversi Monaco, recteur de l’Université, et elle se termina par une adresse, en latin, prononcée par le Pr Hans Schadewaldt, président en exercice de la Société internationale d’histoire de la médecine. Aussitôt après, en tout début de soirée, les participants se rendirent en car à Castel San Pietro, pour assister à l’inauguration du buste d’un fameux médecin bolognais du XIVe siècle, Bartolomeo de Variguana, qui resta célèbre dans les annales locales pour avoir pratiqué une autopsie médico-légale sur un certain Azzolina, suspecté d’avoir été empoisonné! Cérémonie haute en couleurs, au soleil couchant, en présence des autorités locales — dont le syndic de la ville — et avec la participation des carabiniers en grande tenue et de l’orphéon local. Après une visite de la mairie et de ses archives, les invités étaient conviés à un savoureux buffet campagnard servi à des tables installées sur la grand’place et agrémenté — durant toute la soirée — de productions de danses folkloriques au son d’un orchestre entraînant.

Le lendemain, mercredi 31 août, les quelques 300 congressistes, venant d’une quarantaine de pays, allaient pouvoir participer aux nombreuses séances scientifiques et entendre des communications groupées en cinq grands thèmes: L’Ecole de médecine de Bologne, l’évolution des connaissances anatomo-fonctionnelles. physiopathologiques et cliniques du système cardio-vasculaire, neurologie et psychiatrie: évolution clinique et sociale, odontologie et orthodontie, ainsi que chirurgie maxillo-faciale et chirurgie plastique. Dès le matin à 9 h. 30, on put ainsi entendre — au Palais Hercolani et dans la salle principale —plusieurs exposés sur le thème L’Ecole de médecine de Bologne et consacrés tout d’abord au fameux Centre thermal de Castel San Pietro, parmi lesquels nous citerons: Castel S. Pietro, terra salubre ed ospital. sede dello Studio nel 1306 e nel 1338 (M. Maragi, Italie), Castel S. Pietro e la legge 22 Dicembre 1888 (B. Pistacchio, Italie), et Il termalismo in Castel S. Pietro dai tempi moderni aile prospettive future (A. Menconi Orsini, Italie), ainsi que Il significato delle Terme di Castel S. Pietro in dermatologia (C. Rubbini. Italie).

"Permettez, je vous pri(e). que je vous parle en vers... " C’est par ces quelques mots que débuta le brillant exposé — en alexandrins! — du Pr Selim Ammar, de Tunis, L’Ecole de médecine de Bologne: ses emprunts à l’Arabisme et son essor jusqu’à la Renaissance, qui enthousiasma l’assistance par la solidité de son érudition comme par l’élégance de sa forme. Il fut suivi de plusieurs autres communications, dont La médecine de l’ancienne Grèce et l’Ecole de médecine de Bologne (A. Maraslis et S. G. Marketos, Grèce) et L’insegnamento della Medicina a Bologna nel Rinascimento (F Pierro, Italie).

L’après-midi, dans une deuxième salle et dans le cadre des Varia, plusieurs exposés intéressants, dont nous retiendrons Il valore del latino per la storia della medicina (V. Ciarrocchi, Italie), Uso e riuso delle lingue classiche neila terminalogia medica italiana contemporanea (L Mazzini, Italie), ainsi que, sur le sujet On eponyms and the historicalfoundation of medicine, un remarquable tour d’horizon — en français — du Pr Lambert J. Endtz (Pays-Bas). A noter encore, dans la même salle mais en fin d’après-midi, An interpretation of Petrarch’s "Invective against physicians" (T. G. Benedek, USA) et La controverse de Pline et L’"editio princeps" de Dioscoride (A. Touwaide, Belgique).

Le jeudi matin, dans la salle principale, on pouvait entendre la suite des exposés consacrés à L’Ecole de médecine de Bologne, avec Les relations entre le monde hellénique et l’Ecole de médecine de Bologne (S. G. Marketos et J. Lascaratos, Grèce), I rapporti dell’Italia meridionale con la Facoltà Medica di Bologna (G. Jacovelli, Italie), un curieux ouvrage italien de pathologie infectieuse: "L’antrace, i contagi, le intermittenti, Lettere del Pr L.Metaxa al Pr P. Baroni", (J. Théodoridès, France), L’epidemia colerica del 1854-55 a Bologna e nel suo territorio (F Mainoldi, Italie) et Ricordo di Giuseppe Ruggi (R. A. Bernabeo, Italie).

Simultanément, dans une seconde salle, avaient lieu, le matin, sur le thème L’évolution des connaissances anatomo-fonctionnelles, physiopathologiques et cliniques du système cardio-vasculaire, une série d’exposés, parmi lesquels nous avons retenu tout particulièrement The role of René Descartes in the early reception of Harvey’s theory of blood circulation in the Netherlands (M. J. van Lieburg, Pays-Bas), Paobo Grassi: "Sulla morte improvvisa" (S. Signorelli, Italie), ainsi que Le spasme dans l’histoire de la physiopathobogie de l’angine de poitrine (R. Rullière, R. Occelli et E. Bebot, France). L’après-midi, toujours sur le même thème, La découverte du canal thoracique et du réceptacle du chyle par J. Pecquet (B. Lalardrie, France) exposé lu en l’absence de l’auteur par Mme M. -J. Imbault-Huart, From Bologna to Dublin: the story of aortic regurgitation (E. O’Brien, Irlande) et Le syndrome de Bouley-Charcot, genèse d’une grande découverte vasculaire (A. Lellouch et R. Rullière, France).

Le même après-midi, dans la seconde salle, suite des exposés consacrés aux Varia, avec Shiyraaziy, on the extraction of foreign bodies from the gullet (F S. Haddad, USA), et Ambroise Paré en Italie (P. Dumaître, France).

Après une journée entière de pause — le vendredi étant réservé à la traditionnelle excursion — les séances de travail reprirent le samedi. Sur le thème Neurologie et Psychiatrie: évolution clinique et sociale, on retiendra surtout, le matin, Treatment of Mental Illness in Post-Hippocratic Ancient Medicine (S. Kotsopoubos, Canada), Nascita e prospettive della psichiatria dinamica (A. L. Quarta et coll., Italie), ainsi que Un registre inédit: J. E. D. Esquirol et ses malades (D. B. Weiner, USA) et Andrea Verga, anatomico e restauratore della psichiatria italiana (G. Gentili, Italie). L’après-midi, on put entendre encore The influence of Thomas Willis and his circle on the foundations of neurology and psychiatry (W. Feindel, Canada), John Parkinson on the confinement of lunatics (J. Cule, Grande-Bretagne) et un remarquable exposé, intitulé New views on Dostoievsky’s epilepsy, par le neurologue norvégien Halfdan Kierulf ainsi que Charcot and the Germans (T. Gelfand, Canada), occasion de rappeler les rapports entre Jean-Martin Charcot et Sigmund Freud et de préciser les interactions certaines qu’engendra la guerre franco-prussienne de 1870, avec ses retombées de "patriotisme français associé de germanophobie".

Quant aux derniers thèmes prévus au programme, Odontologie et orthodontie d’une part, Chirurgie maxillo-faciale et chirurgie plastique réparatrice, leur évolution technico-méthodologique d’autre part, ils furent traités le samedi déjà dans la seconde salle, et le dimanche matin dans la salle principale. Etaient — entre autres — au programme, L’odontoiatria nell’Università di Bobogna (G. Maj, Italie), L’evoluzione storico scientifica dell’implantologia orale (G. Muratori, Italie), Aspects de la chirurgie maxillo-faciale aux Pays-Bas sous l’Ancien Régime (C. Gysel, Belgique), Berlin plastic surgery in the first decade of the 19th Century (G. Harig RDA), Il bolognese Pietro Sabattini, dimenticato pioniere de/la chirurgia plastica (R. Mazzola, Italie) et Alle origini della moderna chirurgia traumatologica (R. A. Bernabeo, Italie).

Enfin, dimanche matin toujours, une série de Varia mit un terme aux séances scientifiques, parmi lesquels nous citerons On History of Cruciform Hospitals (D. Jetter, RFA), Diagnostic physique, percussion et pathologie tissulaire en Grande-Bretagne au XVIIIe siècle (O. Keel, Canada). L’introduction de la médecine pasteurienne au Québec (D. Goulet et O. Keel, Canada), Rendez-vous in Zurich : Seven Who Made a Revolution in Medical Study by Women, 1867-1874 (T. N. Bonner, USA) et Achtzig Jahre Institute für Geschichte der Medizin in Deutschland (BDR und DDR), Oesterreich und Schweiz (K Kuhn, RFA).

Mais il ne faudrait pas oublier de mentionner aussi quelques-unes des activités annexes — culturelles ou récréatives —qui étaient proposées aux participants, à commencer par la traditionnelle excursion du milieu du Congrès.

Elle eut lieu le vendredi 2 septembre. Transportés par six cars confortables, les congressistes arrivent à Ravenne après une heure de route à travers la campagne de la Romagne.

Débarqués Piazza Barocca, ils font aussitôt connaissance avec les trésors artistiques de la ville — et en particulier ses incomparables mosaïques qui la rendent célèbre dans le monde entier

— en visitant la Basilica di San Vitale. Admiration et recueillement, pendant que se déroule un superbe concert d’orgue. Par groupes, les congressistes se rendent alors dans un atelier de mosaïque, où les principales techniques de cet art leur sont démontrées par des artistes en plein travail. C’est ensuite un nouveau déplacement, pour visiter successivement les deux églises dédiées à Saint-Apollinaire, la Chiesa di San Apollinare Nuovo et la Basilica di San Apollinare in Classe, ainsi que le fameux Mausolée de Théodoric, roi des Ostrogoths (454-526), le personnage de légende auquel Ravenne doit tant.

Après le déjeuner, servi à la campagne dans un restaurant typique de la Romagne et agrémenté des prestations endiablées d’un petit orchestre local, c’est le retour à Ravenne, Piazza del Popolo, où l’on découvre encore le charme de ses nombreux cafés, lieux de rencontre favoris des Ravennates. L’excursion se termine alors, en fin d’après-midi, par la visite de la Chiesa di San Francesco, des cloîtres de l’église, et du Mausolée renfermant le tombeau de Dante Alighieri.

Par ailleurs, tous les jours, des visites guidées étaient organisées à Bologne même, pour découvrir la Vieille-Ville, les Musées universitaires et, surtout, le fameux Teatro Anatomico au Palazzo dell’Archiginnasio, ainsi que la Pinacothèque Nationale et ses trésors. Dans le Palais Hercolani, siège du Congrès, on pouvait encore parcourir diverses expositions dont Deux siècles de Santé publique à Castel S. Pietro Terme, Les pionniers de l’angiographie: Egas Moniz et Reynaldo dos Santos, L’Ecole italienne du dessin anatomo-chirurgical, ainsi qu’une salle consacrée à des livres anciens de médecine. Enfin, presque chaque soir, des concerts et des films étaient proposés aux participants.

Quelle appréciation, maintenant, porter sur ce congrès? Le bilan en fut fait lors de l’Assemblée générale de clôture, tenue le dimanche soir. Relevons tout d’abord l’excellente organisation, dont le mérite revient avant tout au Pr R. A. Bernabeo et à son comité, ainsi que l’agrément d’une traduction simultanée (presque) sans défauts. Par ailleurs — et comme à chaque fois —de nombreuses communications ont été aussi intéressantes qu’inédites et le niveau général de ces contributions très élevé. Certaines prestations furent cependant de qualité plus moyenne. Plus grave — et ce fait a été fortement relevé à l’Assemblée générale — un nombre anormalement élevé des communications annoncées ne furent pas présentées par leurs auteurs. Si certains d’entre eux avaient de réelles excuses — en particulier plusieurs membres des pays de l’Est qui ne reçurent pas l’autorisation de leur gouvernement de quitter le pays —d’autres ont certainement péché par une désinvolture parfaitement inexcusable, au détriment de leurs collègues et de la bonne tenue des horaires de séances. Des mesures devront être prises dorénavant pour éviter de tels manquements. Il est aussi envisagé, pour le prochain congrès, de prévoir un plus petit nombre d’exposés et de donner en contrepartie aux orateurs un temps de parole plus long que les quinze minutes — suivies de cinq minutes de discussion — octroyées cette année. Une durée de vingt ou trente minutes permettrait en effet à des travaux de qualité d’être présentés par leurs auteurs avec plus de détails et de nuances. L’avenir montrera si cette formule est plus judicieuse que l’actuelle, car il en résultera nécessairement une diminution notable du nombre des exposés et une sélection plus rigoureuse.