Depuis le 10e de mars que je vous écrivis une lettre de quatre grandes pages, [1] je vous dirai que j’ai reçu par la voie de M. Picques [2][2] une lettre de M. Hofmann [3] avec une épître à M. Gras [4] pour son traité de Anima. [3] Voilà que je vous l’envoie afin que vous la voyiez et la montriez à M. Gras. Je vous prie aussi d’y changer le titre et de l’accommoder comme vous l’entendrez, vu même que l’auteur ne le trouvera pas mauvais et qu’il n’est pas comme il devrait être. J’ai un imprimeur [5] qui me promet d’y travailler avant Pâques. Tandis que nous ferons l’impression de deçà, vous verrez cette épître et me la renverrez à votre loisir. C’est assez que je la reçoive quinze jours après Pâques, avec très humbles prières à votre bonté de témoigner à M. Gras que je suis son très humble serviteur, et de l’en bien assurer, s’il vous plaît. Le massacre qui fut fait la veille de Noël à l’hôtel d’Orléans durant la messe de minuit, avec un vol de 10 000 livres moins 10 pistoles, est découvert. [4] Ç’ont été deux valets de chambre, tous deux chirurgiens de leur premier métier, dont l’un nommé Du Fresne [6] était valet de chambre et de plus maître d’hôtel de M. Goulas, [5][7] secrétaire de M. le duc d’Orléans ; [8] l’autre est un nommé Campi, [9] valet de chambre et chirurgien de M. le comte de Franquetot, [10] qui a charge chez la reine. [6][11] L’affaire a été découverte par le babil très impertinent d’une misérable femme, qui est celle de Campi ; mais Dieu l’a permis ainsi afin que ces grands crimes soient punis. Comme Campi s’enfuyait en Flandre, il a été pris en une petite ville de Picardie nommée Ham, [7][12] et dès qu’il s’est vu si bien pris il a déjà avoué quelque chose. Ce 13e de mars. [8] Il est aujourd’hui arrivé et a été mis dans le grand Châtelet. [13] L’autre y est aussi dans un cachot où on ne les gardera pas longtemps, vu que tous deux ne peuvent nier le fait. Du Fresne est extrêmement coupable, vu qu’il était domestique de M. le duc d’Orléans et que ce pauvre Paris [14] qu’ils ont massacré était son ami intime ; joint qu’il avait un bon maître, 30 000 écus de bien et 4 000 livres de rente en offices que son maître lui avait fait avoir chez M. le duc d’Orléans. On dit que le prince de Galles, [15][16][17][18][19] qui est ici, s’en va en diligence en Écosse pour y être chef d’un parti qui s’y forme pour le roi d’Angleterre, [20] son père ; [9] lequel parti sera composé d’Écossais, Hibernais et du grand secours que le roi de Danemark [21] lui veut donner. De hæc contentione Deus ipse viderit. [10][22] Nous avons ici, tout nouvellement venu d’Anvers, [23] le second tome de Famianus Strada de bello Belgico. [11][24] C’est un in‑8o de 50 feuilles de cicéro qui a été imprimé sur l’in‑fo de Rome ; on l’imprime aussi de même ici in‑8o, et sera fait dans huit jours. C’est un beau et agréable historien, mais ce deuxième tome me déplaît d’autant qu’il ne va que depuis l’an 1578 jusqu’à 89, qui n’est qu’environ onze ans ; au moins, s’il eût été jusqu’à la mort d’Alexandre, duc de Parme, [25] qui mourut l’an 1592, in cuius gratiam et gloriam videtur tantum opus suscepisse. [12] On dit que le roi d’Espagne [26] a empêché que l’auteur ne donnât au public le reste de son histoire parce que Philippe ii [27] y était accusé d’avoir fait empoisonner ce prince de Parme ; [13][28] vide Thuanum, tomo quinto, Historiarum sui temporis, in elogio Alexandri Parmensis. [14][29] J’ai vu l’in‑fo venu de Rome qui est tout pareil à l’in‑8o, hormis quelques figures en taille-douce qui sont à l’in‑fo, qui représentent quelques villes et quelques castramétations. [15][30]
Pour M. Ravaud, [31] la lettre duquel j’ai reçue avec joie dès que j’y vis au bas de votre écriture, je vous prie de lui témoigner que je me tiens très obligé à lui de son beau livre dont il me veut faire présent, [16] et que j’aurai soin de le retirer de chez M. Cramoisy [32] quand il sera arrivé. Je souhaite fort qu’il mette de beau papier à son Sennertus, [33] qui soit plus blanc et plus fort que celui du Drexelius [34] de M. Huguetan, [17][35] si faire se peut. Pour mon voyage [36] vers M. Hofmann, il n’est pas encore prêt. Je ne me soucierais point de mes affaires de deçà si la guerre nous en donnait une sûre permission, mais comme tout s’en va dans la rigueur et à l’extrémité, il n’y a point d’apparence que je pense à entreprendre ce voyage. Mon dessein eût été d’aller d’ici jusqu’à Lyon pour vous y embrasser et après quelques jours, d’en partir et d’aller à Genève pour y voir quelque singularité dont je serais curieux ; et delà, si vous me l’aviez conseillé, d’aller à Bâle, [37] y voir M. Bauhin [38] et le tombeau du grand Érasme ; [18][39] après cela, de prendre le plus court et le plus sûr < moyen > de gagner Nuremberg, [40] y aller joindre M. Volckamer [41] qui m’introduirait et mènerait chez M. Hofmann que je serais ravi de voir et d’embrasser, avec sa vieille Pénélope, et coram mutuas audire et reddere voces. [19][42][43] Et je vous jure que je serais ravi de faire ce voyage et que ni la peine, ni le temps, ni l’argent nécessaire pour cela ne me coûteraient rien, pourvu que j’y visse de la sûreté de ma personne et de celle de mon fils aîné [44] que je mènerais quant et moi. Et quand je serais en train de revenir, je tâcherais de me mettre sur le Rhin et de venir à Nimègue où j’ai un frère, [20][45][46] et icelui unique, qui serait ravi de me voir, et moi lui. Delà je visiterais quelques belles villes de Hollande, savoir La Haye, [47] Leyde, [48] Amsterdam, [49] Rotterdam, [21][50] Dordrecht. [51] Je chercherais à Rotterdam le lieu de la naissance de l’incomparable Érasme et à Leyde, je visiterais avec un dévotieux respect le tombeau du très grand Joseph Scaliger. [22][52] Mais mon premier dessein n’est venu que de la promesse et de l’espérance qu’on nous faisait ici de la paix ; aujourd’hui l’on dit que tout est perdu, quod pacis spes tota decollavit, [23] c’est pourquoi je n’oserais plus y penser ; et néanmoins, à vous dire vrai, je serais ravi de voir et d’embrasser le bonhomme Hofmann et de lui témoigner par ce voyage combien je l’honore et l’affectionne. Il est vrai que je lui en ai témoigné ma passion par une lettre, ce que véritablement j’effectuerais si le temps ou plutôt la paix me le permettait en nous donnant sûreté par les chemins ; quam quidem securitatem quia nemo potest præstare, neque ego peregrinabor. [24] Avant que cette semaine passe, j’écrirai à M. Hofmann par la voie de M. Picques et lui manderai qu’il m’envoie ses Χρηστομ. φυσιολ., [25][53][54] et lui rendrai compte de mon voyage prétendu, que j’entreprendrais bien volontiers, mais il n’y a nulle apparence de s’imaginer qu’il se pût faire avec assurance.
Ce 7e de mars. Passons à autre chose. Je reçus hier au matin un petit paquet venant de Hollande, pour le port duquel je payai 10 sols qu’on me demanda. La suscription était de la main de M. Sorbière. [55] Dès que j’eus levé cette enveloppe, je trouvai un petit livret nouvellement imprimé à Leyde in‑12, Du Passage du chyle et de la circulation du sang ; [56][57][58][59] si tels n’en sont les mots, au moins en voilà le sens. [26] En dedans du premier feuillet, il y avait de la même main, À M. Patin, etc. Le livre est dédié à M. Du Prat, [60] docteur en médecine. [27] Il n’y a point de nom d’auteur exprimé, il est seulement au bas du livre, à la fin, deux S.S. qui disent, ce me semble, Samuel Sorbière. Comme je n’avais point loisir de le lire et que d’ailleurs, je me souvins que j’en avais parlé à M. Riolan, [61] à qui j’avais promis de l’envoyer dès que je l’aurais reçu, je lui envoyai tout à l’heure. On le laissa chez lui en son absence. Ce matin, dès le point du jour, M. Riolan m’est venu voir, qui m’a dit que ce livre a été fait à Paris par un homme qui est à Paris, que ce livre est tout plein de fautes, que cet auteur n’y entend rien, qu’il n’est point médecin, que c’est une pitié de se mêler du métier d’autrui ; et par le long discours qu’il m’en a fait, j’ai reconnu qu’il entend M. Gassendi ; [28][62] et m’a dit que dès qu’il aura reçu quelques cahiers de la copie de son Anthropographie, qu’il s’en va y répondre par un autre livret en français qui sera deux fois plus gros que celui-ci, d’autant qu’il contiendra la réfutation de toutes les faussetés de celui-ci ; et puis après, qu’il y proposera la vraie circulation du sang dont il établira et étalera les vrais fondements. [29] Voilà l’histoire du petit livret, quand j’en saurai autre chose, je vous le manderai. M. Riolan dit aussi que Fortunius Licetus in lib. de Quæsitis per epistolas [63] (il y en a ici quatre parties nouvellement venues d’Italie), a voulu parler de la circulation du sang, mais qu’il n’y entend rien ; [30] que c’est un ennuyeux traité pour l’importune quantité de citations que Licetus y apporte du Galien [64] et de l’Aristote ; [65] et qu’il le réfutera tout du long dans le grand traité qu’il en mettra dans son Anthropographie ; et que cette réfutation seule tiendra plus de six pages. Un de nos docteurs, qui est bien plus glorieux qu’habile homme, nommé Morisset, [66] voulant favoriser l’impertinente nouveauté du siècle et tâchant par là de se donner quelque crédit, a fait ici répandre une thèse du thé, [67][68] laquelle conclut aussi bien que ce président a la tête bien faite. [31] Tout le monde a improuvé la thèse. Il y a eu quelques-uns de nos docteurs qui l’ont brûlée et reproches ont été faits au doyen [69] de l’avoir approuvée. Vous la verrez et en rirez. J’attends le présent que me fait M. Ravaud [70] de son Polyanthea ; [32][71] et à ce que je vois, vos libraires de Lyon sont bien plus honnêtes et plus généreux que ceux de deçà. Je lui en écrirai exprès quand je l’aurai reçu et l’en remercierai, combien que je croie et me persuade facilement que je vous en ai la première obligation, aussi bien que du Drexelius de M. Huguetan ; mais vous êtes en grand train de m’obliger en toute façon, et moi en état de mourir ingrat puisque je n’ai pas moyen de me revancher de tant de courtoisies et de bienfaits que j’ai reçus de vous depuis tantôt six ans, nisi mihi Deus tamquam e machina affulserit. [33] Je souhaite fort que l’occasion s’en présente et que j’en aie les moyens de m’en acquitter, comme je le souhaite de tout mon cœur. M. Ravaud me mande qu’il fera ici un voyage après Pâques, je serai ravi d’avoir le bonheur de le voir et de m’entretenir un peu avec lui, de vous et de son Sennertus. [17] La nuit entre le 15e et le 16e de mars, s’est ici sauvé de la Conciergerie, [34][72] où il était détenu prisonnier depuis 18 mois, un certain M. de Roquelaure, [73] qui s’était pareillement sauvé des prisons de Toulouse [74] il y a environ deux ans, où il était détenu pour diverses impiétés qu’il était accusé avoir faites et proférées. Comme il avait été longtemps ici prisonnier, il avait trouvé le moyen de gagner les bonnes grâces de Mme Dumont [75] la geôlière, qui est fort belle femme, et de qua mala fabula fertur per urbem ; [35][76] et même on trouve qu’il s’est sauvé par son cabinet. M. le premier président, [77] en ayant été averti dès le matin, envoya prendre prisonniers Dumont et sa femme, leur a ôté leur charge et les a envoyés prisonniers, l’un dans le grand et l’autre dans le petit Châtelet. [36] Le même jour, il est arrivé ici nouvelle que le bâtard de Montauron [78] a tué en duel [79] près de Toulouse un autre frère de ce M. de Roquelaure. [37][80] Le 16e de ce mois, votre archevêque, M. le cardinal de Lyon, [81] a perdu son procès pour la deuxième fois au Grand Conseil touchant son prieuré de La Charité. [82] Il y a tantôt un an qu’il en fut dépossédé par arrêt du Grand Conseil, au profit de M. Deslandes-Payen, [83] conseiller de la Grand’Chambre. [38] Les parents du cardinal [84] avaient dressé une nouvelle batterie et espéraient de lui arracher ce bénéfice de 30 000 livres de rente par une requête civile, de laquelle ils ont été déboutés par tous les juges, qui ont été loués partout de n’avoir rien donné à la recommandation et à la brigue de tous les parents et amis du feu cardinal qui s’en étaient mêlés. L’avocat général de ce semestre, nommé M. Bailly, fils d’un maître des comptes et abnepos Michaelis Marescotii, doctoris medici, qui hic obiit anno 1605, [39][85][86][87][88][89] fut le premier de cet avis, et fit merveilles par sa harangue à démêler tant d’intrigues et de fourberies qui étaient en ce procès. C’est un jeune homme de 25 ans qui a déjà fort bien fait en d’autres causes depuis six mois qu’il a cette charge. Les deux massacreurs et voleurs ont tout avoué, et auraient déjà passé le pas, n’était que Messieurs du Parlement (j’entends ceux de la Tournelle) [90] en veulent avoir connaissance et qu’ils ont évoqué la cause en leur tribunal. [4] Du Fresne est aussi accusé de plusieurs autres crimes et entre autres, d’avoir fait plusieurs vols sur les grands chemins en habit déguisé, avec une fausse barbe et autres outils qui ont été trouvés chez lui. Lui et Campi ont fait le massacre seuls, et la femme de Campi, laquelle ne savait encore rien pour lors de ce massacre, leur aida à faire le vol, à partager les pistoles et à serrer tout ce qui fut volé. [40] La reine s’en va faire un voyage à Chartres [91] pour la Notre-Dame du 25e de mars, [41] à laquelle elle a fait un vœu pour la santé du roi, [92] qu’elle y mène quant et soi ; [42] M. le cardinal Mazarin [93] n’y va point. On parle fort ici de la trahison qui a été découverte à Naples [94] contre M. de Guise, [95] dans laquelle se trouve criminellement enveloppé un sien favori, nommé de Modène, [96] la nouvelle de la mort duquel n’est point encore venue, combien qu’on tienne pour très certain qu’il en mourra. [43] On dit qu’il vient ici des députés d’Irlande quérir le prince de Galles afin qu’il aille commander leur armée contre les parlementaires de Londres. Le duc de Bavière [97] est menacé de nos armes et de celles des Suédois plus qu’aucun autre.
La paulette [98][99] est ici publiée pour les officiers de finance et pour les présidiaux, [44] et non pour les cours souveraines, [45][100] desquelles il n’est point parlé du tout. On croit qu’il y aura une déclaration du roi tout expresse pour eux ; néanmoins, les maîtres des requêtes en sont nommément et particulièrement exceptés, qui sont ceux auxquels le Conseil semble vouloir plus de mal pour l’opposition qu’ils ont faite aux nouveaux compagnons qu’on voulait leur donner il y a trois mois. [46] Enfin, M. Thévart, [101] notre compagnon, a tant fait qu’il a gagné le libraire qui par ci-devant a fait imprimer les œuvres de M. de Baillou, [102] son oncle ; à quoi je n’ai pas peu contribué. Il commence l’édition d’un troisième tome de Conseils du même Baillou, qu’il promet tout autrement meilleur que tout ce qui a été par ci-devant imprimé de lui. Il sera in‑4o, environ de la grosseur des autres. [47] Il y a en cette ville, pour le présent, un médecin de Poitou nommé M. Lussauld, Carolus Lussaldus, [48][103] qui étudiait ici l’an 1625 avec M. Bauhin [104] de Bâle lorsque j’étais archidiacre, [49][105] et me souviens qu’ils assistaient tous deux fort soigneusement aux anatomies et dissections de feu M. Charles. [106][107] Ce M. Lussauld a été quatre ans avec M. de Rohan [108] aux armées de la Valteline [109] et d’Allemagne, il est ici pour obtenir des lettres de médecin du roi afin que cela lui serve à l’exempter de payer la taille [110] en Poitou. [50] Il a par ci-devant demeuré à Niort [111] et maintenant il s’en va demeurer en une petite ville nommée Chef-Boutonne, [112] laquelle appartient au comte de Roucy, [113] de la Maison de La Rochefoucauld, [51] où il espère, par le moyen desdites lettres et par les bonnes grâces du dit seigneur, n’y point payer de taille ; mais pour obtenir lesdites lettres, il veut ici faire imprimer un petit traité de vitali facultate fœtus [52] qu’il dédiera pour cet effet à M. Vautier. [114] Ce M. Lussauld vous connaît et dit qu’il vous a vu à Montpellier. Il a naturellement beaucoup d’esprit, et bien présent ; aussi a-t-il moins d’étude et méprise fort hardiment la plupart des bons livres : il n’aime, dit-il, que le raisonnement, et non pas les citations ; [53] et tout cela avec beaucoup d’orgueil et d’arrogance, dont j’ai bien de la peine à m’empêcher de rire quand je l’entends faire de tels contes. Il voulait m’embarrasser à relire tout son manuscrit et à y changer ce qui m’en déplairait, mais je lui dis Parcius ista viris, [54][115] et lui fis connaître le peu de temps que j’avais de reste de mes affaires, qui est une monnaie dont il ne s’est pas contenté ; et ne trouvant pas bon mon refus, est allé chercher M. Riolan qu’il a voulu endosser de la même charge, mais qui s’en est aussi fort bien excusé et déchargé sur l’impression de son livre, sur ce qu’il faut qu’il apprête de la copie à ses imprimeurs et sur son grand traité de la circulation du sang auquel il travaille tous les jours, tant à y établir son opinion propre qu’à détruire et réfuter les autres ; et entre autres celle de Fort. Licetus en son livre nouvellement arrivé de Venise ; [30] comme aussi le livret que M. Sorbière a fait imprimer en Hollande, que je lui ai mis en mains aussitôt que je l’ai eu. [26] Ce M. Lussauld désirerait fort d’être nommé avec éloge dans l’Anthropographie de M. Riolan si son opinion pouvait plaire au dit sieur, et même aussi quand elle lui déplairait, pourvu qu’il ne le maltraite pas tout à fait. Si ce manuscrit lussaldique [55] s’imprime ici, je vous en voue une copie tout tel qu’il pourra être. Cet homme se doit consoler, s’il a de la science, qu’il a aussi de la vanité très bien et horriblement, car il juge rudement, et quasi stans pede in uno, [56][116] de tout le monde, ab hoc et ab hac, et admodum tumultuarie. [57]
Ce 21e de mars. M. Naudé [117] m’est venu voir aujourd’hui. Il y avait longtemps que je ne l’avais vu, j’ai eu le bonheur de l’entretenir trois bons quarts d’heure. C’est toujours lui-même, hormis que j’ai reconnu une chose en lui dont j’ai regret, vu que toute sa vie je l’en avais toujours tenu pour fort éloigné : c’est qu’il commence à se plaindre de sa fortune et de l’avarice de son maître, [58][118][119] duquel il n’a pu, ce dit-il, encore avoir aucun bien que 1 200 livres de rente en bénéfice, et qu’il se tue pour trop peu de chose. Je pense que c’est qu’il a peur de mourir avant que d’avoir amassé du bien pour laisser à des frères et à des neveux qu’il a en grande quantité. Et par cet exemple, je reconnais aisément que les passions entrent aussi bien avant dans l’esprit des philosophes. J’en suis pourtant bien marri, vu que c’est un honnête homme, et digne d’un meilleur traitement auprès d’un tel maître. Le Châtelet [120] avait envie de juger les voleurs prévôtablement et les faire exécuter aussitôt, [59] mais il a été ordonné que la Cour en connaîtrait ; de sorte qu’au lieu que dès samedi dernier ils eussent été exécutés, ils ne le peuvent être que jeudi ou vendredi prochain. Le fripon Du Fresne est natif de Villeneuve d’Avignon. Voilà ce que je sais pour le présent ; je vous prie de me conserver en vos bonnes grâces et de croire que je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Patin.
De Paris, ce 22e de mars 1648.