L. 220.  >
À Claude II Belin,
le 6 mars 1650

Monsieur, [a][1]

Je souhaite fort d’apprendre que soyez en parfaite santé et vous dirai sincèrement, après Pline le Jeune, [2] à son ami, Terret me pertinax illa tua valetudo[1][3] Purgez-vous souvent jusqu’à parfaite guérison. Je ne manquerai point de vous envoyer les trois thèses [4][5][6] de mon fils [7] à la première occasion. [2] Il n’y a rien de fort pressé dans l’Alstedius[8] combien qu’à tout prendre ce soit un bon livre, et que l’auteur mérite louange d’avoir fait un si grand et si beau recueil. Néanmoins quand vous en voudrez rire, prenez en main le tome troisième de l’édition de Lyon, page 556, et voyez ce qu’il promet et les louanges qu’il donne à l’aloès, [9] au tabac, [3][10] à la térébenthine, [11] au gaïac, [12] au sassafras, [13] à la salsepareille, [4][14] à la squine [15] (sic loquor cum vulgo, il faudrait dire la sine, est enim Sinarum vel Sinensium radix, Sinas primus dixit Ptolemeus, Chinenses nemo unquam, præter Barbaros), [5][16] au rossolis, [6][17] à l’opium, [18] au bézoard, [19] à l’huile d’olive, [20] au vinaigre scillitique, [7][21] à la thériaque, [22] et à l’huile de briques ; [8][23] et aussitôt vous admirerez l’impertinence de ceux qui se mêlent d’un métier qu’ils n’entendent point. [9][24][25][26] Le séné [27] et le sirop de roses pâles [28] guérissent plus de malades en un jour que tous ces remèdes n’en peuvent guérir en cent ans ; joint que le bézoard, la thériaque et la plupart des autres drogues sont indignes d’être nommées remèdes. Je me souviens bien de M. de Blampignon, [29] je vous prie de me permettre que je lui fasse mes très humbles recommandations. Le Veslingius [30] n’ayant fait aucun chapitre des anatomistes en particulier, n’a point dû faire mention de M. Riolan [31] plutôt que d’un autre ; mais il l’honorait fort, ce que j’ai vu par ses lettres mêmes que M. Riolan m’a montrées de lui. Il n’en écrira plus, il est mort à Padoue [32] le dernier jour d’août 1649, étouffé dans son sang avec une fièvre continue [33] maligne pour laquelle il ne fut saigné que trois fois. [10] Animadversiones Riolani in recentiores anatomicos ne font pas un livre à part, ce n’est qu’un traité qu’il a ajouté à son grand œuvre in‑fo[11] qui est un fort bon livre et que monsieur votre fils [34] devrait lire tous les jours d’un bout à autre. Je ne me souviens pas de votre M. Le Prévôt, qui fait bibliothèque, et ne sais qui il est. Le beau Sennertus [35] est achevé à Lyon, [12] j’espère que M. Ravaud [36] m’en enverra bientôt un. Nos libraires ne font rien de deçà, mire frigent pro Bellona sævienti[13] Le Mardi gras, [37] premier jour de ce mois, à neuf heures du soir, la reine [38] envoya quérir les sceaux à M. le chancelier [39] et les rendit le lendemain à M. de Châteauneuf, [40] à qui on les avait ôtés 17 ans auparavant. [14] Le roi [41] et la reine partirent hier pour la Bourgogne. Le Mazarin [42] est parti aujourd’hui, je l’ai vu passer sur le pont de Notre-Dame [43] à dix heures du matin, accompagné de 100 chevaux. Je pense que ce voyage contient quelque mystère que le temps nous découvrira. [15] Les trois princes sont toujours en prison, sans < compter > ce qu’ils y seront, si ce n’est que la reine les en tire pour s’en servir contre un autre parti que l’autorité de la Fronde pourrait produire. La reine d’Angleterre [44] est allée à Beauvais [45] s’aboucher avec le roi son fils, [46][47] qui delà s’en va à Breda [48] pour y traiter avec les députés d’Écosse qui s’y doivent trouver, et lui proposer un nouveau secours qu’ils veulent lui donner, à cela portés et aidés par la reine de Suède [49] et le roi de Danemark. [16][50] On vend ici le livre de M. de Saumaise, [51] in‑fo et in‑12, pour le feu roi d’Angleterre, Defensio regia pro Carolo I ad Carolum ii, etc. On le met en français aussi. [17] Ledit M. de Saumaise avait promis à la reine de Suède d’aller assister à son couronnement qui se doit faire ce présent mois, mais il en a été arrêté par la goutte, [52] à laquelle il est fort sujet. Quantité de beaux esprits la sont allés voir, entre autres MM. Descartes, [18][53] le jeune Heinsius [54] et Isaac Vossius [55] qui lui enseignèrent la langue grecque. [19] La paix d’Allemagne s’exécute, [56] cela grossira les troupes de l’Archiduc Léopold [57] et celles du maréchal de Turenne, [58] dont le parti est tout formé. Le Mazarin a emmené ses trois nièces, [20][59] on croit qu’il les enverra à Lyon et que delà il les fera repasser en Italie. Ceux de Bordeaux [60] s’étant plaints que l’on n’exécutait point la paix qu’on leur avait accordée, on leur a envoyé M. de Villemontée [61] pour la faire exécuter. [21] Le parlement de Toulouse [62] a fait le procès à un maître des requêtes, intendant en Limousin, nommé M. Foullé, [63] lequel a causé plusieurs désordres en la province. [22] Mme de Longueville [64] est en Hollande. On vend ici en cachette un livre in‑fo intitulé Histoire du ministère du cardinal de Richelieu[65] c’est un méchant livre contenant une apologie de la tyrannie de ce cardinal. Il y a un chapitre contre MM. de Marillac, [66][67] il y en a un aussi contre M. de Châteauneuf ; cela pourra le faire condamner et brûler de la main du bourreau. Le bruit avait couru que l’auteur de ce livre était le P. Joseph Leclerc, [68] capucin[69] et étant trouvé trop mal fait, il fut attribué à un M. de Guron [70] qui fut employé par le cardinal de Richelieu en Italie ; [23] mais enfin, on a découvert que le vrai auteur est un supérieur des feuillants nommé le P. Vialart, [71][72][73] parent de M. le chancelier Séguier, lequel barbouillait ainsi le papier pour flatter le cardinal et attraper un évêché ; ce qu’il fit enfin, car il eut l’évêché d’Avranches [74] et mourut au bout de deux ans ante annum ætatis 50 : [24] voilà un moine que la mort a attrapé. Ce volume va depuis l’an 1624 jusqu’à 35, on dit qu’il y en a encore une autre partie manuscrite, mais le changement de chancelier pourra en empêcher l’édition. [25] Je vous baise les mains de toute mon âme, à madame votre femme, à monsieur votre fils, M. Sorel, M. Camusat, M. Allen et nos autres amis, et suis de toute mon affection, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce dimanche 6e de mars 1650.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 6 mars 1650

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(Consulté le 18/04/2024)

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