Je ne suis pas encore déchargé tout à fait de mon décanat, [2] je travaille tous les jours à mes comptes et à mes registres, mais Dieu aidant, j’en sortirai bientôt. Je vous remercie de votre belle lettre, et M. Giraud [3] pareillement de ses bonnes grâces, il est fort bon opérateur et réussit en sa taille [4] fort heureusement. Vous n’avez pas besoin que je vous avertisse que le rossolis [5] n’est guère bon aux néphrétiques, [6] mais trouvez bon seulement que je vous en fasse souvenir, de peur que vous-même vous ne vous en souveniez que trop ci-après, in mediis doloribus. [1] Cette liqueur nommée Ros solis nihil habet solare, sed igneum quid potentissimum, lumborum renumque doloribus adversissimum, [2] dont Dieu vous gardera et préservera, s’il veut, par sa bonté. Le pape [7] a dit à notre ambassadeur qui est à Rome qu’il veut que l’on remette en liberté le cardinal de Retz [8] et qu’il ne s’en prendra qu’au cardinal Mazarin, [9] ce qu’il a répété par huit fois. [3] Cette répétition a fort déplu à la reine. [10] J’attends encore quelque chose pour mettre dans notre paquet, lequel ne peut partir que le mois prochain pour Lyon. Le manuscrit que M. Spon [11] a entre ses mains n’est pas si petit, j’espère que ce sera un in‑4o de plus de 60 feuilles. C’est le papier qui a manqué à cause de la bassesse des eaux qui a empêché M. Rigaud [12] de commencer jusqu’à présent. [4][13]
Je vous envoie ma médaille [14][15] que j’ai toujours eu dessein de vous présenter. Elle est plus belle que celle que vous avez vue entre les mains de M. Gontier [16] à qui mon fils aîné [17] en a envoyé une. Le coin de la Faculté qui était usé a été refait et au lieu de 1648, j’y ai fait mettre 1652. Si vous en désirez de cuivre, je vous en enverrai ce qu’il vous plaira. [5] Il se pourra quelque jour rencontrer quelque bonne occasion qui me fera aller devers Lyon, [18] mais il faudrait que la paix fût en France ; en ce cas-là, je serais ravi de vous aller embrasser.
On dit que le pape a député dix cardinaux pour examiner le fait du cardinal de Retz et pour trouver les moyens de le faire remettre en liberté. On dit que Bordeaux [19] est en si mauvais état qu’il serait de besoin que le roi [20] y fît un voyage pour empêcher que les Espagnols ne s’en emparent ; mais d’un autre côté, il est besoin qu’il soit aussi de deçà à cause du prince de Condé [21] qui est le plus fort sur la frontière de Picardie et de Champagne, et qui pourrait venir jusqu’ici, où il a encore quelques amis et où il y a plusieurs ennemis du Mazarin. Il ferait bien du mal étant secouru de l’Espagnol, comme apparemment il le fera.
On parle ici de la mort du pape. C’est peut-être d’autant qu’il est fort vieux. On nous promet le grand jubilé [22] pour le commencement du carême. [23] Je voudrais qu’il fût déjà passé, et le carême pareillement. Les partisans du Mazarin disent qu’il viendra bientôt. Les plus fins disent que non et qu’il ne peut ni ne doit venir. Le prince de Condé a pris Vervins, [24] on y fait passer nos troupes afin d’y remettre le siège et de le reprendre. [6] On s’en va ici imprimer un traité de Balzac [25] intitulé l’Aristippe ou de la cour. Je me persuade que ce sera une paraphrase de ce vers du bon Horace : [26][27] Omnis Aristippum decuit color et status et res. [7] Je me recommande de vos bonnes grâces et suis de toute mon âme, Monsieur, votre, etc.
De Paris, ce dernier de janvier 1652.