C’est à plusieurs fins que je vous écris derechef : 1. pour vous donner avis que monsieur votre fils [2] a changé de logis, et qu’il est mieux nourri et plus soigneusement pansé qu’il n’était chez M. Le Moine ; [3] il est logé avec une blanchisseuse rue de la Harpe [4] chez un chapelier, à la Main fleurie, à la troisième chambre vis-à-vis de la Gibecière, bien près de l’Arbalète. [1] 2. Il se porte mieux, Dieu merci ; sa fièvre ne sait plus tantôt sur quel pied danser : la dernière a avancé de quatre heures, qui est une marque infaillible d’une certaine diminution ; les purgatifs [5] qu’il a pris lui font merveille, mais comme c’est un corps tout atrabilaire [6] où il n’y a presque plus de feu, mais beaucoup de charbon et de cendre pareillement, cuius est indies iugis proventus et perennis generatio, [2] je le purgerai encore ; 3. afin que vous sachiez que j’en aurai soin jusqu’au bout. 4. Pour vous faire connaître que vos intérêts me touchent sensiblement, je vous prie de lui mander et commander comme de vous-même (sans qu’il sache jamais que ceci vienne de ma part) que vous désirez qu’au plus tôt il s’en retourne dans le coche à Troyes. [7] Ce changement d’air tel qu’est le nôtre, i. point trop bon, en son air natal, tout autrement plus pur, lui servira merveilleusement ad averruncandas et delendas reliquias morbi quo antehac laboravit. Et ad hoc consilium tibi suggerendum me impellit locus ipse non solum suspectus, sed etiam periculosus : est enim de genere eorum locorum quæ Ædilem metuunt, et in quibus aer ipse convalescentibus et adolescentulis est plurimum perniciosus. [3] Je crois que vous m’entendez bien, sapienti dictum sat est. [4] Retirez-le près de vous au plus tôt, ne si diutius hic moretur, pudendo alio et pernicioso affectu corripiatur. [5] Voilà le meilleur conseil que je vous puisse donner, faites-en votre profit.
M. le maréchal d’Hocquincourt [8] s’en va commander l’armée du roi [9] de 9 000 hommes en Catalogne. [10] M. le maréchal d’Aumont, [11] gouverneur de Boulogne, [12] a refusé d’en aller commander une autre en Savoie [13] pour Pignerol. [14] Les jésuites [15][16] font ici imprimer deux nouveaux livres in‑fo contre les jansénistes, qui valent mieux qu’eux. Je me recommande à vos bonnes grâces, à MM. Camusat, Allen, Blampignon, Sorel, Barat, Maillet et nos autres amis, et suis, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur,
Guy Patin.
De Paris, ce 24e de mai 1653.
Tous les Français qui étaient à Stockholm, chez la reine de Suède, [17][18] sont étourdis du bateau : on leur a donné leur congé pour les folies de Bourdelot [19] qui y était premier médecin. La reine voulait retenir notre bon ami M. Naudé [20] qui y était bibliothécaire, [21] mais il a lui-même demandé son congé, ne voulant plus longtemps demeurer là tout seul. À quelque chose malheur est bon, j’aime mieux qu’il soit ici que là, tout le Nord ne vaut point ce digne personnage. On dit que les Espagnols ont assiégé Rosas. [6][22] On voit ici le cardinal Antonio [23] avec son cordon bleu, [24] et dit-on qu’il s’en va bientôt à Rome en qualité de notre ambassadeur extraordinaire.
Tournez. [7]
Peut-être que monsieur votre fils, allectus aliqua cupidine, [8] vous alléguera quelque excuse, aliquam προφασιν, [9] pour ne pas retourner à Troyes. En ce cas-là faites, si vous le trouvez bon, comme le pape fait aux moines et le général à ses carabins, je dis le général des jésuites aux carabins et aux argoulets [10] du P. Ignace : [25] mandez-lui que vous voulez être obéi d’une obéissance aveugle, qu’il retourne à Troyes. La raison, que vous n’êtes pas obligé d’alléguer, peut être rejetée sur la dépense aut simile quid. [11] Je me recommande à vos bonnes grâces et suis de tout mon cœur, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Guy Patin.
De Paris, ce samedi 24e de mai 1653.